Trinité et Culture du Partage

Raymond Rizk - Mai 2006


Chrétiens et Dieu Trinité
 

Un des plus grands théologiens catholiques contemporains, Karl Rahner a écrit : « On peut dire sans hésiter que si la doctrine de la Trinité était rejetée comme fausse, la plus grande partie de la littérature religieuse pourrait malgré tout rester inchangée » (Recherches Théologiques, 1966). Ce dire n’est malheureusement que trop vrai, non seulement chez les catholiques, mais encore chez les orthodoxes, et ce malgré la référence répétitive et constante de nos textes liturgiques et théologiques « au Père et au Fils et au Saint Esprit ».
 

Quoiqu’en en disent les musulmans qui les taxent d’être des polythéistes, on pourrait dire que la plupart des chrétiens sont plutôt des « monothéistes», tenants d’un monothéisme strict. En général, ils ne s’attardent guère à ce qu’ils considèrent comme des subtilités théologiques dans la doctrine de la Sainte Trinité.

Comment aborder la Trinité ?
 
La Trinité est certes un mystère qui ne peut être entièrement compris par l’homme. Comme tout mystère, il reste cependant ouvert à notre entendement, tout en étant « une croix pour notre façon de penser » comme le dit  Vladimir. Lossky, dans son célèbre ouvrage la « Théologie mystique de l’Eglise d’Orient » (Aubier, 1946).
 
Sans jamais pouvoir vraiment le « comprendre », on peut s’en approcher, comme tout mystère, par des images, des analogies et des modèles, trouvés dans l’Ecriture et chez les Pères. Il faut cependant se hâter de préciser que le mystère de la  foi en un Dieu trinitaire est une donnée de la Révélation, et non pas une déduction humaine à partir de ces images, modèles et analogies.
 
Communion ou communauté de Personnes.
 
Le plus important des modèles auxquels nous recourons pour aborder ce mystère est celui d’une communion (koinonia) ou une communauté d’hypostases, ou de personnes, unies entre elles par les liens de l’amour mutuel. L’Evangile de Jean (3, 5 ; 10, 17 ; 15, 9 ; 17, 23-24, etc.) et sa première Epître (4, 8) donnent de ce modèle une image très probante. Dieu y apparaît comme une communauté d’amour, comme Amour.
 
Les Pères ont abondé dans le sens de cette ‘Trinité d’Amour’. Saint Basile dit :’Dans la simplicité de l’essence divine, l’union se fait dans la communion, à l’intérieur de la Divinité’. Ces Personnes participent à la même essence, la même nature. Elles sont consubstantielles, chacune d’entre Elles étant intimement liée aux deus autres, et se déversant en Elles, tout en conservant les caractéristique propres à sa Personne. Le Père est la source de la Divinité. Le Fils est engendré du Père de toutes  éternité. L’Esprit procède du Père, aussi de toute éternité. Ce sont là les données de la Révélation. Il ne nous est pas possible de comprendre comment le Fils est engendré ou ce que  veut exactement dire la procession éternelle du Saint Esprit. Par contre, il nous est plus aisé de comprendre la communion parfaite des trois Personnes divines et leur unicité. Comme le dit saint Grégoire de Nysse : « Il est impossible d’envisager en Dieu une séparation ou une désunion : on ne peut penser au Fils sans penser au Père, ni séparer l’Esprit du Fils. Il y a entre les trois un partage et une différenciation qui sont au-delà des mots et de l’entendement ». Chacune des Hypostases divines est ainsi une Personne unique, mais en communion avec les deux Autres. Plus proche de nous, le métropolite Jean Zizioulas affirme: « En dehors de communion, il est impossible de parler de l’existence de Dieu » (L’être comme communion, 1985).
 
Dieu est Amour mutuel
 
Dieu n’est donc pas une personne unique, n’aimant que soi-même, mais un amour partagé. Il est une tri-unité de personnes qui s’aiment l’une l’autre. Et c’est dans cet amour mutuel qu’elles sont entièrement réunies, sans perdre leur individualité qui les différencie. Dieu est Amour mutuel.
 
L’homme créé à l’image du Dieu Trinité. Son but : devenir copie de la Trinité
 
Nous avons été créés « à l’image et à la ressemblance de Dieu », du Dieu Trinité. En tentant de ressembler à Dieu, nous sommes appelés à devenir des « copies de la Trinité » comme le dit Mgr. Kallistos Ware (in La Sainte Trinité, paradigme de la personne humaine, SOP). Les paroles du Christ dans Jean sont explicites : « Comme Toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un comme nous sommes un » (Jn 17, 21-23). Ce « comme nous sommes » établit clairement que nous devons devenir « semblables » au Dieu Trinitaire. Tout ce qui est dit de Dieu doit donc s’appliquer à nous. Bien entendu, ce que Dieu est immédiatement, nous avons à le déchiffrer peu à peu tout le long de notre vie. Notre but est donc d’oeuvrer, comme disent les Pères, à passer de « l’image à la ressemblance ».
           

Dieu est Amour. L’homme est à son image et, par la réalisation de la ressemblance, appelé à parfaire cet amour en lui et envers les autres
 
Dieu est communauté de Personnes. L’homme est appelé à transcender l’individu en lui pour être une personne
 
Nous avons dit que Dieu, qui est l’essence même de notre condition de personne, et sans lequel on ne saurait être un homme véritable, est une communauté de Personnes. Parmi ces Personnes, celle du Dieu incarné, de Jésus, le Dieu)Homme, est par excellence le paradigme de la personne humaine. Olivier Clement écrit : « On peut dire que dans l’histoire, il y a eu une seule vraie personne … et c’était une Personne divine, l’Un de la Sainte Trinité, la personne de Jésus. Jésus étant la vraie Personne dans la plénitude de communion (de la Trinité), est donc celui qui n’est séparé, celui qui n’est séparé de rien, de personne » (Foi chrétienne et solidarité avec les hommes, SOP, 1989). Comme nous sommes conviés à imiter le Christ, il nous faut devenir chaque jour un peu plus, un être personnel à sa manière, donc à la fois unique et non séparé, uni en même temps avec Dieu et avec les hommes, assumés dans sa propre Personne.
 
Dans la communion avec les autres, la personne humaine reste donc elle-même, totalement autre dans son secret personnel, mais un autre qui ne peut exister que dans la communion. Cette personne en communion, à l’image de la Trinité, est libre d’être autre, d’être soi-même. Son unicité est absolue, comme chacune des Hypostases divines. Elle ne peut donc être soumise à des normes et à des stéréotypes, même si son identité n’émerge que dans sa relation avec l’autre. Pour elle, le « je » n’existe pas que pour autant qu’il est relié à un « tu ». Les  caractéristiques du « je » et du « tu » restent cependant uniques et incommunicables. C’est bien là le type relationnel des personnes de la Sainte Trinité. C’est justement ce qui distingue la personne de l’individu. Cependant, cette liberté de la personne humaine, du fait de la nécessité de la communion, n’est pas une liberté à l’égard de l’autre, mais une liberté pour l’autre. Elle se pose comme limites la liberté de l’autre. La personne vit donc pour l’autre. Elle se  réalise en tant que personne dans la mesure où elle reçoit et accueille les autres en tant que personnes. Saint Basile dit : « Rien n’est aussi caractéristique de notre nature que de communiquer l’un avec l’autre ». J’ai besoin de toi pour être moi-même. Je suis un « être relationnel » comme Dieu.
 
Ma liberté est donc mue par mon amour pour l’autre. Ma liberté n’est rien si elle n’est pas synonyme d’amour. Dieu est amour parce qu’il est Trinité. Nous ne pouvons aimer que si nous sommes des personnes, c’est-à-dire si nous permettons à l’autre d’être vraiment autre, tout en demeurant en communion avec lui.
 
En Dieu, les Personnes divines sont consubstantielles. Les personnes humaines le sont aussi  
 
Les Pères parlent de l’homme unique. Ils disent qu’à travers la multiplicité des individus, il y a un homme unique dans la pensée de Dieu. L’image de Dieu est donnée à tous les humains ensemble (« homme et femme il les créa »). Nous avons tous en commun la même nature humaine. En quelque sorte nous participons au même homme. Cet homme unique est continuellement brisé par le péché des hommes. Notre nature déchue a peur de l’autre, l’essence du péché étant la peur, peur de la mort, peur de l’autre, peur de tout ce qui est différent, de toute altérité. Cette peur a été vaincue sur la Croix. Dans le Christ, l’homme unique est recréé et restauré. Il englobe tous les humains. Comme les Personnes divines sont consubstantielles, on peut dire donc qu’en Christ, les personnes humaines sont aussi consubstantielles. Telle est la vision chrétienne de ce que doit être la relation entre les hommes. Il ne s’agit donc pas d’une simple solidarité humaine. Il ne suffit pas de ne plus considérer l’autre comme un ennemi ou un esclave. Il ne s’agit pas de dire que nous appartenons à la même nature et que, de ce fait, nous sommes censés être semblables et donc solidaires. En Christ, il faut considérer l’autre comme « moi-même ». Le Seigneur me l’a bien dit que je dois aimer mon prochain « comme moi-même », c’est-à-dire comme un autre « moi ». « L’autre et moi nous sommes véritablement un même être, une même vie, une même réalité, … mais en Christ nous sommes un seul être, un seul corps, au sens le plus réaliste, membres du Corps du Christ et donc membres les uns des autres » (O.Clement., op. cité).
 

Comme le Christ est l’icône de la Trinité. Pour passer de l’image à la ressemblance, l’homme doit nécessairement l’imiter
 
Regardons Jésus dans les Evangiles et la façon avec laquelle il se conduit avec les hommes. Il s’agit pour nous de faire de même. Nous sommes appelés à pratiquer en profondeur, comme un moyen existentiel de vie, le don de soi, la solidarité, la  réciprocité, la disponibilité et l’amour partagé.  La ressemblance trinitaire ne peut donc trouver son expression authentique que dans la relation interpersonnelle, dans la communauté des époux, dans la fraternité monastique, dans la vie en Eglise et dans la vie en relation dans la société où « la Trinité est le seul programme social » des chrétiens, comme le disait Rozanov.
 
Le monde d’aujourd’hui
 
Le monde actuel est le promoteur par excellence de l’individualisme et de l’égocentrisme. Non seulement ; il veut « tuer Dieu », mais plus particulièrement, le Dieu Trinité. Sartre ne disait-il pas que « l’enfer c’est les autres », et que l’autre, par définition, est l’ennemi. Etre le fossoyeur de Dieu, en fait aussi le fossoyeur de la personne et la mise en valeur de l’individu. Toutes les constitutions du monde prônent le bonheur de l’individu, ses droits, vis-à-vis ou souvent contre l’autre.
 
Dans la vie de tous les jours, nous nous sentons de plus en plus menacés par la présence de l’autre. Nous l’acceptons  seulement dans la mesure où il ne menace pas notre intimité ou s’il contribue à notre bien-être personnel.
 
Nécessité et urgence de la « metanoia »
 
Pour changer cet état de choses, il ne suffit pas d’attitudes éthiques. Il faut nous réconcilier avec Dieu pour nous réconcilier avec l’homme. Il nous faut naître à nouveau par la metanoia, par la mort à l’homme ancien en nous, par la Croix. Par ce cheminement, nous retrouvons l’image imprimée en nous à l’origine, celle de la Trinité, et nous nous évertuons à lui ressembler.
 
Vivre en Eglise
 
Nous ne pouvons faire cela qu’en Eglise, au sein de l’Eglise sainte, mais en même temps celle des pécheurs. Eglise, cœur du monde, même « si le monde ignore son cœur » (G . Khodr). Eglise, modèle de communion dans un monde déchu. Eglise, lieu de la Pentecôte où le même Esprit descend sur chacun individuellement et sur tous à la fois. Eglise, communauté eucharistique englobant tout le monde (« ce qui est à Toi »), sans aucune exclusive. Eglise qui permet d’avoir un avant-goût du Royaume, où les loups voisineront les agneaux et où communion et altérité doivent coexister harmonieusement.
 
 
Conséquences pratiques : Une révolution ?
 
Vivre en Eglise suppose un réel bouleversement de nos attitudes personnelles, communautaires et sociales en vue de nous libérer et redonner le sens au monde, lui faisant retrouver un véritable humanisme, ancré en Dieu et à son image trinitaire, c’est-à-dire en communion. Cette culture de communion a été vécue par les premiers chrétiens. Ils étaient prêts à donner leur vie pour elle et Celui qui en était l’initiateur. Par elle, ils ont séduit le monde antique et l’ont transformé. Depuis, le monde a perdu cette culture et s’est fourvoyé dans le refus de Dieu, réduisant l’homme à des besoins, dans une course prométhéenne qui semble de plus en plus mener vers le néant et un asservissement de l’homme par l’homme, du faible par le puissant. Plutôt que de gémir et nous enfermer dans un rejet intégriste, comme dans une tour d’ivoire, il  faut réaliser qu’avant les autres, les chrétiens sont responsables de cet état de choses par le genre de christianisme dont ils vivent et sont en train de proposer au monde.
 
Souvent, les chrétiens sont « enfermés dans leurs convictions comme l’escargot dans sa coquille, enroulés dans leurs certitudes à la manière des hérissons, en modelant sur eux-mêmes leur idée de Dieu », comme l’écrivait Clément d’Alexandrie. Comment briser cette coquille et faire retrouver au monde cette culture qui l’avait séduit ? Notre rôle est de commencer, ici et maintenant, par le témoignage de notre vie personnelle, par notre façon de regarder l’autre et de le considérer comme notre prochain, un autre soi-même, par notre comportement les uns envers les autres, notre service gratuit des autres, de tout autre et par notre participation active et créatrice à humaniser l’ordre terrestre et sanctifier la nature et le cosmos. Nous sommes appelés à une révolution, et rien d’autre. Révolution non à notre mesure, elle serait peu efficace, mais à celle de l’image qui est imbriquée en nous. Ce sont les petits engagements, réguliers et constants qui amènent les grands changements. Un petit frottement très en profondeur de deux plaques tectoniques finit par causer de grands tremblements de terre qui bouleversent les hommes et les choses.
 
Tout d’abord, être une personne, pas un individu
 
Comme nous l’avons déjà dit, Dieu a créé des personnes à son image, mais le péché en a fait des individus. Il s’agit pour nous de renaître en tant que personnes, par le Baptême, la vie sacramentelle de l’Eglise et une vie philocalique. Devenir une personne, libre et respectant la liberté des autres, recherchant le bien dans l’autre, toujours prêt à pardonner et à demander pardon. C’est là la définition d’une personne en communion, se réalisant dans et par la qualité de ses relations.
 
Former des communautés fraternelles dans le monachisme
 
Le monachisme, décrit souvent comme une réaction originale contre le comportement des chrétiens face à un monde libre de persécutions, n’est qu’un retour à une vie où l’on persévère ensemble dans la prière, dans la communauté des biens et toutes les autres pratiques expérimentées par la communauté apostolique. Mis à part le célibat librement choisi, les moines tentent en effet d’incarner, dans un monde nouveau, l’idéal de la vie chrétienne des premiers jours. Leur exemple est nécessaire pour rappeler les exigences de la vie en totale communion.
 
Faire de la famille une véritable église domestique, un modèle de l’unité humaine.
 
Vivre en couple, en famille, dans le respect mutuel, la réciprocité, l’obéissance réciproque, l’ouverture et la disponibilité à l’autre. Veiller cependant à ce que le couple ne se ferme pas sur lui-même, mais continuer à être, malgré tout, une cellule d’Eglise, une Eglise domestique, selon l’expression du Chrysostome, ouverte et accueillante. Un autre écueil à surmonter, c’est, plus tard quand viennent les enfants, la tentation d’en faire le centre du monde et de voir la famille se refermer sur elle-même. L’initiation des enfants, par l’exemple, mais aussi la parole, à une culture d’ouverture, d’oubli de soi, de limitations des besoins, de partage avec les plus défavorisés doit retenir toute notre attention et être le centre de toute pédagogie.
 
Vivre en Eglise, entre membres du peuple de Dieu, pour expérimenter la communion avec Dieu et entre nous.
 

Expérimenter la communauté eucharistique comme laboratoire de la communion, d’un style particulier de relations entre les membres du Peuple de Dieu, avant, pendant et après la Liturgie. C’est parce que je mange Son Corps et Son Sang que je puis redevenir une personne, que j’apprends à le rechercher dans chaque humain et que tout visage reflète le Sien.
 
Cette expérience eucharistique est censée faire des milieux d’Eglise des lieux d’amour actif, joyeux, centrés sur le partage et la mise en commun, et non des carapaces institutionnelles. Il faut que les gens du dehors puissent dire : « Voyez comme ils s’aiment, comme ils s’obéissent les uns aux autres, comme ils se respectent et se consultent, dans l’harmonie de leurs charismes particuliers mais complémentaires, comme ils ont tout en commun, à l’image de Celui – le Dieu Trinité – dont ils sont appelés à être l’icône.  Hélas, « l’Eglise, trop souvent accaparée par des problèmes d’organisation interne ou de défense apologétique, n’actualise pas toujours, dans sa plénitude, l’amour du Christ pour l’homme et donc de l’homme pour l’homme » nous dit Mgr. Stéphane,  métropolite d’Estonie. Il ne faut pas accepter cette situation comme une malédiction, une fatalité. Le Christ est mort pour nous. Nous ne pouvons pas nous permettre d’abandonner son Corps à la folie des hommes.
 
Face à un monde où l'individualisme est roi, où jeunes et vieux sont crucifiés sur la croix de la solitude, il nous faut savoir faire de nos assemblées eucharistiques, de nos institutions ecclésiales de véritables endroits d'accueil, de partage, de service et de communion, des lieux où l’unité de l’humanité s’expérimente, au-delà des différences d'opinions, où « s’ébauche la métamorphose du pouvoir en service, l'avoir en offrande et partage, l'histoire en construction du Royaume »(C . Bendaly, Le témoignage de la communauté eucharistique, 1989) et où il est donné de réaliser - dans le moment sacramental tout au moins - la jonction du temps et de l’éternité et donc d'avoir un avant-goût du Royaume.
 
Travailler à assainir les relations au sein de l’Eglise n’est dons pas un luxe, c’est une nécessité. Sans tomber dans un optimisme béat, car nous savons que l’Eglise ne sera « pure et sans tâche » que lors de la Parousie, il ne faut jamais nous résoudre à cesser d’œuvrer au renouveau des relations entre tous les membres du peuple de Dieu pour qu’ils soient véritablement « un ». Il s’agit là d’une condition sine qua non « pour que le monde croie ». Car, comment ce monde pourrait-il reconnaître Jésus comme apôtre de l’amour et de la paix, si ses propres disciples ne témoignent pas, dans leurs relations entre eux et avec les autres, de cette qualité de vie qu’Il a institué par Son enseignement, Sa vie, Sa mort et Sa Résurrection.
 
Porter notre expérience eucharistique en dehors des murs de l’église par une totale solidarité avec les hommes, la vie en commun et le partage
 
Pour qu'une communauté eucharistique puisse réellement actualiser l'Eglise il est essentiel que ses membres soient convaincus que la liturgie se continue hors de l'enceinte du temple par la participation au sacrement du frère. N'est-ce pas ce que nous demandons quand nous disons à la fin de la liturgie: "Garde-nous dans ta sainteté afin que le jour entier nous apprenions ta justice". Or la justice de Dieu est justement celle qui l'a mené à tant aimer le monde qu'il a donné son Fils unique pour que le monde ait la vie et l'ait en abondance. Il s'agit alors de ne pas nous leurrer les uns les autres et nous tranquilliser par de fausses sécurités: la vie communautaire et le sacrement du frère ne peuvent être réalisés uniquement par les quelques rares agapes fraternelles et les collectes qu'il nous arrive d'organiser dans nos paroisses. Il nous est demandé beaucoup plus, car la joie de la rencontre eucharistique, si elle est authentique, ne peut nous faire oublier le frère avec lequel il nous faut la partager.
 
Les membres d'une communauté eucharistique doivent tout mettre en commun. Cette mise en commun, à l'image de ce que faisaient les premiers chrétiens (Actes 2,42, 44, doit comporter, non seulement la participation  à la célébration eucharistique, mais aussi à des réunions de catéchèse, des retraites, des études bibliques ou patristiques, une vie en commun où les fidèles se rencontreraient en dehors de l'enceinte du temple pour partager leurs joies et leurs soucis en frères, et enfin la "mise en commun". Cette dernière notion est encore plus explicite dans (Actes 4,32; 2,45). Comment expérimenter vraiment l'amour et la fraternité au sein de la communauté eucharistique et la donner en exemple au monde si nous n'avons pas l'audace de revivre de la sorte? Il nous faut retrouver les accents des plus grands de nos Pères pour convier les membres de nos communautés au don réciproque en leur rappelant que "le pain que tu gardes appartient à l'affamé"(Basile le Grand) et que "ne pas venir au secours d'autrui c'est renier l'agape du Seigneur"(Irénée de Lyon). Mais, peut-être, tout cela ne suffit pas. Il faudrait aller plus loin.
 
Faut-il former dans le monde des communautés de totale mise en commun ?
 
Ne nous hâtons pas de parler d'utopie pour décrire la vie des premiers chrétiens. Beaucoup de mouvements spirituels contemporains (les Focollari, les communautés de base, certains mouvements charismatiques, etc.) pratiquent une mise en commun des biens et une caisse commune. Ce qui est utopique, c'est de s'attendre à ce que tous les membres d'une paroisse s'engagent dans cette voie. Mais qu'est-ce qui empêcherait un petit groupe, au sein de la paroisse ou au sein du MJO, de se décider à faire revivre le modèle des premières communautés chrétiennes, non seulement en paroles et en voeux pieux, non seulement dans l'exigence personnelle ou commune de sainteté, non seulement dans la pratique de la fraternité, mais aussi dans le partage total?
 
Témoigner, certes par la parole, mais surtout par sa vie
 
« Ce n'est pas de la manière dont un homme parle de Dieu, mais par la manière dont il parle des choses terrestres qu'on peut mieux discerner si son âme a séjourné dans le feu de Dieu »(S. Veil).
 
« Que les chrétiens, renonçant au pouvoir et à la violence, deviennent les serviteurs, pauvres et pacifiques, du Dieu crucifié qui fonde la liberté de la personne. Qu'ils soient les garants de la foi des autres, les garants aussi de ceux qui n'ont pas de foi, mais créent, parfois très humblement, de la beauté et de la bonté. Qu'ils soient les gardiens de l'homme ouvert, dans une culture ouverte. Tout en affirmant paisiblement, et parce qu'ils affirment, que le Christ est vainqueur pour tous de la mort et de l'enfer, que tout homme porte en lui l’humanité entière et qu'il est, par là même, unique » (O. Clement, Anachroniques).
 
Donc avant tout, être des témoins dans tous les domaines de notre vie dans la cité. Témoins d’une vision et d’une pensée, mises en pratique et défendues dans notre vie, et s’il le faut, au prix de notre vie.
 
« Il ne saurait y avoir une science, une philosophie, une politique chrétiennes, il n’y a que des hommes chrétiens qui exercent d’une manière authentique, l’économie, la politique et l’organisation de la cité » (P. Evdokimov). Et ces hommes pourront réellement témoigner quand ils seront « un autre Christ », pas moins.
 
Le « sacrement du frère », une jolie expression, ou une exigence ?
 
Il faut donc nous habituer à chercher le Christ en tous les endroits de sa présence, certes, mais aussi et surtout, en tout être humain, à l’accueillir exactement comme le Christ et à laisser le Christ qui habite en nous dialoguer avec le même Christ qui habite en lui, lui permettant ainsi de nous unifier. Tout homme que Dieu place sur notre chemin est notre « prochain ». C’est par lui aussi que le Christ se présente à nous. Il convient donc d’être toujours disponible, toujours prêt à rencontrer le  Christ à chaque instant et dans le cœur de chacun.
 
Cette attention au frère, et en particulier à celui qui est dans le besoin, est un thème majeur de toute la littérature chrétienne. La période Apostolique et celle qui l’a immédiatement suivie montrent qu’il ne s’agit pas simplement d’une aumône aux plus démunis, mais d’une réelle mise en commun et donc d’une vision totalement nouvelle des relations entre les hommes.
 
Ces pratiques continuent d’être enseignées et culminent avec les Pères du IVème siècle dont les écrits abondent en exhortations à partager ce qui est donné par Dieu car il appartient à tous et nous n’en sommes que les gérants. Saint Grégoire de Nazianze va même jusqu’à dire : « Vous tous qui êtes serviteurs du Christ, ses frères et ses co-héritiers, … prêtez assistance au Christ, secourez le Christ, nourrissez le Christ, revêtez le Christ, accueillez le Christ, honorez le Christ » (Homélie « De l’amour des pauvres », 40). Et Grégoire de Nysse d’abonder dans le même sens en disant : «  Le Seigneur, en sa bonté, leur a donné son propre visage …Les pauvres sont les économes de notre espérance, les gardiens du Royaume … Les pauvres sont les préférés de Dieu … Tout appartient à Dieu et nous sommes tous les frères d’une même famille » (Homélie sur l’amour des pauvres, 1). Saint Jean Chrysostome, quant à lui, nous avertit : « Ne dis pas je dépense ce qui est à moi, je jouis de ce qui est à moi. Rien de ce que tu possèdes ne t’appartient, mais appartient aux autres … à la fois à toi et à ton prochain, comme le soleil, l’air et la terre » (Homélie 20 sur la 2ème aux Corinthiens). Il dit encore « Allez du sacrement de l’Autel à celui du frère qui est un Autel dressé à tous les coins de rue ».

Porter les hommes dans la prière
 
La prière est le contraire de l’utopie. Devant l’énormité de la tâche, s’en remettre à Dieu. Solliciter son aide, son intervention, se plaindre à lui de ce que beaucoup appellent son silence. Tout cela, dans la confiance et la conviction qu’il est le maître du temps et que son rythme n’est pas le nôtre. Face à un monde fébrile, qui ne se donne plus le temps de souffler, le chrétien doit savoir "sortir dans l'instant"(Kierkegaard). Il doit savoir retrouver sa vocation "d'animal hymnologique" (Cyrille d’Alexandrie) d'homme louange qui n'a pas honte de rendre grâce pour tous les dons reçus. Il doit savoir partout et toujours se mettre dans la sainte présence de Dieu, savoir faire silence pour entendre sa voix ineffable et entamer avec lui dans la prière, "art des arts et science des sciences" selon l'adage patristique, cette recherche du sens perdu. Dans un monde qui traverse une crise de l'esprit, ce n'est surtout pas le moment pour les chrétiens de dénigrer l'importance de cette relation personnelle entre Dieu et l'homme, dans le secret de leur rencontre. Il nous faut donc nous rappeler et proclamer que l'Apôtre nous demande de "prier en permanence" et savoir puiser dans la tradition spirituelle de notre Eglise, notamment dans la pratique de la "Prière de Jésus", la méthode et les moyens de nous initier à cette prière perpétuelle. Il nous faut donc prier pour les autres, pour chaque prochain, pour le monde et les confier à Dieu qui sait, mieux que nous, et au moment voulu, leur rappeler qu’ils sont des sauvés.
 
Briser les carcans de la civilisation moderne qui font des hommes des objets de consommation par la limitation volontaire des besoins et le renouveau du jeûne
 
Dans un monde où tout est permis, où la liberté semble avoir lâché ses brides, il nous faut savoir rappeler, par la rigueur et la sobriété de notre vie, la limitation volontaire de nos besoins, une certaine pauvreté aiguillonné par le souci de l'autre, pour partager. Face à une société avide de possession, le chrétien sera celui qui sait que tout lui est donné par Dieu, qu'il n'est que le gérant de ce dont il dispose et qu'il doit donc se détacher de tout et "posséder comme s'il ne possédait pas" (1 Cor 7, 29-31). Retrouver la place et l’efficacité du jeûne comme moyen d’expression et de témoignage, antidote à notre société de consommation. Se refuser pour donner. Une apologie du 2ème siècle, parlant des chrétiens dit: "S'ils ont parmi eux un homme pauvre ou dans le besoin et qu'ils n'ont pas les choses nécessaires en abondance, ils jeûnent deux ou trois jours pour fournir à celui qui est dans le besoin la nourriture qui lui est nécessaire". Saurons-nous de nouveau nous comporter de la sorte ?
 
Etre les défenseurs du respect absolu de toute vie
 
Dans ce domaine éthique, il nous faut, tout d’abord, éviter les réponses toutes faites, les interdits sans explications, les jugements intempestifs. Puis essayer de suggérer des orientations et un sens, et ce à la condition expresse de les incarner dans nos “Eglises domestiques” et dans nos communautés eucharistiques. En effet, “tant que la communauté ecclésiale ne sera pas intimement persuadée que tout enfant baptisé, tout couple marié, tout malade, tout mourant et tout défunt l’est dans son sein, et qu’elle en est responsable devant Dieu, nous vivrons dans un monde mutilé où l’avortement et l’euthanasie apparaîtront souvent comme les solutions ultimes à des problèmes trop souvent vécus dans la solitude. Tant que nous serons incapables de prendre sur nous par l’entraide et la prière la souffrance physique et morale de nos frères en Christ, la liturgie demeurera un beau moment, mais nous serons bien seuls à son issue”(P : Roberti, la mort douce), et n’aurons vraiment rien à proposer à ceux qui ne partagent pas notre foi. Cela étant dit, il nous faut être clairs dans notre refus de l’avortement, l’euthanasie ou tout autre technique de “mort douce”, ainsi que les manipulations génétiques sauvages.
 
Le refus de considérer l’avortement comme une issue satisfaisante, voire “normale”, rappelle le caractère irréductible de l’existence personnelle dès son origine, le fait que l’embryon, “que le foetus soit formé ou non formé” selon saint Basile, est un être humain qui n’est pas notre produit mais qui nous est confié, et qu’il définit une individualité absolument unique, en communion avec la mère et le père auxquels il a été confié. Attenter à sa vie, c’est donc violer le mystère de la personne humaine. D’où la nécessité toujours d’une attitude pastorale axée sur l’exigence fondamentale de l’Evangile d’une existence personnelle en communion, dans une libre responsabilité et soucieuse avant tout du bien spirituel des personnes concernées.
 
De même, les manipulations génétiques ne sauraient être admissibles qu’au service de l’amour, c’est-à-dire pour venir en aide à un couple et en restant à l’intérieur du couple. Celles qui isolent ou qui dépersonnalisent (mères porteuses ou autres techniques) sont contestables.
 
Quant aux problèmes soulevés par les relations sexuelles pré maritales, il nous faut avoir le courage de nager à contre-courant, en expliquant que l’amour présuppose le don total de la personne, ce qui veut dire un engagement à vie et une responsabilité réciproque dont le mariage est le signe et qu’il faut éviter les dichotomies qui réduiraient la rencontre personnelle, même si elle est affectueuse au seul contact des épidermes. C’est vrai, l’amour peut exacerber le désir. Mais les jeunes doivent être appelés à l’ascèse par respect de l’autre et de leur réelle communion.
 
Etre une présence de paix et de conciliation
 
Refuser catégoriquement toute violence, même verbale. Promouvoir la douceur et la conciliation. Dans un monde de déchaînement de violence, il nous faut briser le cercle infernal de l'agression et de la vengeance en aimant nos ennemis, en priant pour ceux qui nous calomnient, en bénissant ceux qui nous maudissent, en prêtant sans espoir de retour, en vivant malgré tout dans l’esprit des Béatitudes et en suggérant toujours des méthodes et des actions non violentes pour la résolution des problèmes entre les hommes.
 
Assurer une présence aimante et respectueuse de l’autre dans les relations professionnelles
 
Conscients que le "pouvoir corrompt" et que le risque de corruption s'aggrave à la mesure de l'étendue du pouvoir, les chrétiens veilleront à exercer ce dernier, non dans un esprit de domination, mais dans un esprit de service, en vue du bien commun réel et de l’intérêt effectif de chacun de ceux auxquels s’étend leur responsabilité. Evitant soigneusement de s'affirmer au détriment des autres, ils verront dans la promotion et l’épanouissement de ces derniers le critère véritable de leur propre réussite"(C. Bendaly, op.Cité).
 
Assurer cette présence dans la cité par la défense du droit des hommes, de tout homme, à la vie et à la justice
 
L'Eglise devra, de toutes façons, rappeler, par sa vie et par sa parole, à temps et contretemps l’exigence de la justice, de l'amour, de la dignité et des "droits" des hommes, ainsi que la nécessité de la réconciliation et de la paix. L'Eglise a donc à rappeler tout cela, mais c'est aux chrétiens de s'engager, sans peur de se salir les mains, au plus profond du monde, là où les hommes travaillent, luttent, souffrent ou s’entre-tuent pour promouvoir des possibilités de vie plus humaine, un refus des aspects aliénants de la société de consommation et assurer une présence transfigurante dans les rapports humains ainsi que dans la politique ; les domaines scientifiques et l’économie.
 
Tout en sachant qu'aucune forme sociale ne peut être dogmatisée et que tout système tombe sous le jugement de Dieu dans la mesure où il n'est pas capable de se reformer lui-même en réponse à l'appel pour plus de justice, chaque chrétien, à sa mesure, se doit de participer à éveiller les hommes, et partant changer les structures, et à s'opposer à toute exploitation de l'homme par l'homme. Cette opposition prendra diverses formes, car l'Evangile n'est pas une recette sociale, mais un événement de vie pour l'homme. Le chrétien ne proposera pas des lignes d'action politique qui seraient les seules valables du point de vue chrétien, ni même des "perspectives" plus générales, si par perspectives on entend la réduction de l’événement évangélique à certaines valeurs dynamisantes. Le chrétien, avec les autres, vit sa foi dans le politique. Il l'assume, cherche à le transformer, non pas essentiellement dans sa structure propre mais dans sa relation à l'homme. Il existe donc une certaine diversité de choix, pour un chrétien, au niveau de la politique et un pluralisme politique à l’intérieur d'une même foi est possible et souhaitable, à condition que la méthode d'action, ici et là, soit résolument évangélique et basée, comme le dit Olivier Clément, sur "l'amour actif, inventif, résolu, sans espoir de réussite totale et stable dans l'histoire ... mais animé par une vision totale de l'homme en Christ, de l'homme qui a besoin de pain, mais aussi de responsabilité, d’amitié, de beauté et d’éternité"(O. Clement, Dyonisios et le Ressuscité).
 
Œuvrer à  faire retrouver à l’humanité son unité par une attitude foncièrement fidèle à l’esprit de l’Evangile dans nos relations

Avec les « ennemis »
 
En Christ, il s’agit de dépasser les oppositions ethniques ou raciales. « Qu fond de nous, disent nos vieux ascètes, il y a l’angoisse cachée de la mort. Et c’est pourquoi nous avons besoin d’avoir des ennemis…. Avoir des ennemis pour projeter sur eux … cette ombre au fond de nous, pour dire « c’est ta faute ». .. La Résurrection a tout changé. Elle transforme au fond de nous l’angoisse en confiance. Elle permet ce que l’Evangile appelle l’amour des ennemis et ce que les Pères appellent le sacrement du frère » (O. Clement, op. cité).
 
Il nous faut donc refuser systématiquement la haine, toute haine. Aimer nos ennemis, disent les grands spirituels, est la marque véritable de notre appartenance au Christ.
 
Avec les non chrétiens et les « hérétiques » et tous ceux qui ne pensent pas comme nous
 
Dans notre rencontre avec les religions non-chrétiennes qui nous entourent, à savoir essentiellement l'Islam et le Judaïsme, il nous faut savoir que "notre seule tâche est de suivre les traces du Christ", de "dégager les valeurs christiques" dans ces religions, de montrer "le Christ comme leur lien et son amour comme leur prolongement"(G : Khodre, Christianisme dans un monde pluraliste) et par là et de par notre témoignage de vie, humble et aimante, espérer les éveiller au Christ qui y dort.
 
Oeuvrer au dépassement de la peur et de la méfiance. Etre honnêtes. Respecter la différence sans double langage.
 
Avec tous ceux qui tiennent un autre langage, qui ne partagent pas notre foi, notre façon de croire, il s’agit de penser à l’attitude de Jésus envers les Samaritains, ces hérétiques de son époque. C’est l’un d’entre eux, non un « orthodoxe » prêtre ou lévite, qui prend soin de l’étranger gisant au bord du chemin. C’est à l’une d’entre eux que Jésus révèle l’adoration « en esprit et en vérité ».
 
Nous rappeler toujours que la vérité n’est pas un système. Elle ne nous appartient pas. La vérité c’est quelqu’un. Il faut veiller à ne pas devenir un écran entre lui et les autres.
 
Dialoguer avec le monde en lui faisant humblement découvrir que notre Dieu est présent aux tréfonds de son art, de sa culture, de ses préoccupations, mais qu’il ne sait plus le nommer
 
Pour cela, il faut connaître notre patrimoine et le faire partager par des attitudes de vie authentiques, sans a priori, sans nous poser comme maîtres à penser. Instaurer un dialogue ouvert dans le respect des libertés et convictions respectives dans le but de rappeler le sens. Avons-nous conscience d’avoir été mis à part pour le salut du monde ? Ne jamais oublier pourtant que c’est finalement le Christ qui sauve. Les jeunes se tournent vers les religions de l’Extrême Orient par recherche de communion et de compassion qu’ils ne trouvent plus dans nos assemblées. En plus de l’exigence de vivre une vie « différente », cela devrait nous engager à puiser dans le filon d’or de notre Tradition pour dire à ces jeunes, dans un langage accessible, les vérités qui ont fondé la véritable culture chrétienne des origines, enfouies sous le poids de nos péchés et de nos compromissions. Les domaines de dialogue sont innombrables. Il nous suffit d’être attentifs aux cris des hommes, à leurs angoisses, à leurs dérives mais aussi à leurs exaltations et à leurs joies. Considérer l’autre comme un interlocuteur, comme un autre moi-même, m’oblige à chercher et à essayer de trouver des réponses. Il nous faut donner une parole au  monde. Il nous faut savoir puiser dans ce qu’il y a de plus authentique chez nos Pères, anciens et modernes et le leur proposer. Comment faire dialoguer l’icône avec l’art ? Comment faire dialoguer l’analyse des passions, développée par nos mystiques, avec la psychanalyse et la psychologie des profondeurs ? Comment faire toucher du doigt que notre vision de l’unicité et de l’importance de l’homme et la sacralité de la vie vient justement de l’image de Dieu, et que nos Pères ont été plus loin dans la défense des droits des hommes que les diverses chartes qui leur ont été consacrés depuis? On pourrait allonger la liste des questions à l’infini. Chacun devra établir la sienne, en fonction de ceux qui l’entourent et des questions les plus pressantes. Ces questions et ces tentatives de réponse aideront, sans doute, à l’émergence d’une nouvelle civilisation, pas nécessairement « chrétienne », mais plus proche de ce que le Maître des chrétiens propose. Vivre et dialoguer en communion avec les autres signifie, aussi, créer une culture.
 
La création est aussi un « autre » dont nous sommes responsables : Le problème écologique
 
Le problème écologique est dû à une crise dans les rapports entre l’être humain et l’altérité du reste de la création. La nature est cet « autre » que l’homme est appelé par sa créativité personnelle à mettre en communion avec lui-même, en déclarant – à l’imitation du Créateur - qu’il s’agit de quelque chose de « bon ». En adoptant une telle attitude, nous retrouverons un des intérêts majeurs des nouvelles générations : sympathie avec la nature et le cosmos, la sauvegarde de l’intégrité de la biodiversité, et en cela nous retrouverons les intuitions de nos Pères affirmant la dimension cosmologique du Salut et nous réapprendrons à « cultiver et garder le jardin d’Eden ».
 
Le MJO et La communauté Orthodoxe de nos pays
 
Le MJO est appelé, aujourd’hui, à faire un pas (de géant) de plus. En plus de la nécessité continuelle d’une conversion personnelle et communautaire à l’esprit de l’Evangile accompagnée d’une relecture en profondeur (et non répétitive) de ce que l’Esprit a inspiré aux fondateurs, les jeunes de ce jour devraient oser beaucoup plus. Ce pas de géant devrait se concentrer vers un surplus de vie en commun. Le MJO a, certes,  été l’instrument, utilisé par Dieu, pour promouvoir un retour à la vie monastique cénobitique. Rendons-en grâce à Dieu, en ayant conscience que ce chemin doit rester une priorité pour le MJO. Cependant, un des rêves de Georges Khodr avait été de fonder un « village » qui abriterait ceux des frères du MJO, oeuvrant dans le monde, qui auraient voulu oser une vie en commun. Malgré quelques tentatives, mortes nées, notre génération n’a pas été à la hauteur de ce rêve. Il n’est jamais trop tard. Que Dieu vous donne d’oser.
 
Quant à notre communauté, il faut qu’elle  puisse continuer à être, dans notre pays écartelé par les haines, les intérêts et la corruption, assiégé par la famine et les injustices sociales, une présence réelle d’Eglise. Au sein de la mosaïque des confessions, comment prôner la nécessaire convivialité, le refus du mensonge et la justice pour tous. Etre une communauté de pacificateurs, une communauté pont. Cela engage à de grands sacrifices et fait courir des risques énormes, car les ponts, on les piétine, on passe dessus, mais sans eux, ceux qui campent sur les rives opposées peuvent difficilement se rencontrer. Il nous faut donc continuer à aider notre communauté à assumer son histoire, à remplir ses  devoirs envers les autres concitoyens, à être une communauté de témoins de la douceur évangélique. C'est la seule voie d'avenir. Elle n'est pas utopique. Elle peut devenir sacrificielle, mais c'est la seule qui puisse vraiment contribuer à l'oeuvre de reconstruction et surtout de ré humanisation de nos pays. Comment faire sortir notre Eglise des ornières dans lesquelles elle semble de plus en plus s’embourber ? Comment dépasser les oppositions actuelles entre ses membres ? Comment lui faire redécouvrir sa mission ? Comment lui faire reprendre, dans son institution, les chemins du renouveau ? Ce sont là aussi des domaines où il vous faut oser, dans l’amour et le respect de ceux qui composent notre tissu ecclésial, et en suscitant leur collaboration.
 
 


 

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