Saint Georges

Raymond Rizk


Pour beaucoup de chrétiens, saint Georges représente consciemment ou inconsciemment le soldat prêt à les défendre contre les aléas de leur situation personnelle ou communautaire, surtout quand ils ont un statut minoritaire. Il vient s’ajouter à la longue liste des saints guerriers et cavaliers, tout autant leurs “défenseurs”,  à l’instar d’un Mar Mitr par exemple. Durant la guerre libanaise, les humeurs guerrières du prophète Elie à l’encontre des prêtres de Baal ont été aussi mis en avant. Plutôt que de méditer sur la théophanie dont il fut le témoin, il semble que  certains ont voulu faire de ce prophète l’image de leur propre désirs de vengeance et de meurtres, que nous espérons être maintenant refoulés. 

Au nom de saint Georges, sont venus se greffer, au cours des siècles, maintes légendes et nombre de mythes. Nous ne parlerons pas ici de dragons ou de fille de roi. Tour à tour, ces légendes ont lié son nom à celui  de telle ou telle ville, dont Beyrouth dont elles en ont fait le protecteur attitré. Saint vénéré par toutes les communautés libanaises, il est le ‘al Khodr’ des musulmans et pourrait être considéré, avec la Vierge Marie et Jean le Baptiste et Précurseur, comme un “passeur” entre le christianisme et l’Islam, une sorte de “lieu” de rencontre entre ces religions.

Mais, dans tout cela on oublie souvent pourquoi saint Georges a acquis son rôle de protecteur. En fait, son culte remonte au IV siècle. Soldat de l’armée romaine, il refuse d’adorer l’empereur qui se veut dieu et il préfère mourir plutôt que d’associer un humain à l’adoration due au vrai Dieu . Il est mis à mort en Lyddie de Palestine, selon une tradition qui reste vivace jusqu’à nos jours. A la face du monde qui l’invite à des compromissions, il préfère rendre témoignage à sa foi. La vénération rendue à saint Georges vient donc à l’origine de ce qu’il a voulu être un témoin….

Le martyr est le véritable témoin. N’est-il pas d’ailleurs vrai qu’en grec le mot “martyria” veut à la fois dire “martyre” et “témoignage”. Il en est de même en arabe avec le mot “shihada” . Le “shahid” est donc toujours un “shahed”. A l’origine de l’un et de l’autre il y a une vision, une rencontre. Ils ont vu (shahadou) quelque chose ou mieux quelqu’un et il font leur la parole de l’Apôtre: “Malheur à moi si je ne témoigne”.

On sait la place prise par le martyre dans les premiers siècles de l’Eglise. L’ancien adage “donne ton sang et reçois l’Esprit” en fait un autre Baptême. Le Moyen-Orient était plein de mausolées bâtis au-dessus du lieu de sépulture de martyrs ou sur le lieu de leur mort. Ces mausolées ont longtemps fait l’objet de grande vénération et furent le but d’importants pèlerinages.

La littérature qui s’est développée autour des premiers martyrs chrétiens parle abondamment de la rencontre personnelle avec le Christ et du désir de “l’imiter”, de “s’incorporer” à lui. Or le Christ nous apprend qu’il n’y a pas un plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime? Les martyrs veulent lui rendre la pareille en lui offrant leur propre vie. “Les mots peuvent toujours être contrés par d’autres mots. Mais comment contrer la vie” disait saint Grégoire Palamas, lors de sa fameuse polémique avec l’humanisme naissant qui voulait se baser seulement sur la raison et le langage qui en découle. Mais au-delà des mots, le langage des martyrs est tellement plus parlant, car comment peut-on en vérité contrer celui qui donne sa vie ?

C’est pourquoi la Cathédrale saint Georges est appelée à porter témoignage

-          que la haine et la destruction n’ont jamais le dernier mot. Les stigmates de la guerre ont été volontairement préservées sur certaines fresques comme devoir de mémoire et rappel aux nouvelles générations de la folie meurtrière des hommes….

-          par les vestiges d’églises qui ont été découvertes dans son sous-sol et dont la plus ancienne remonte au V siècle et la crypte qui les préserve , elle témoigne de la continuité de la présence chrétienne dans cette ville et en ce lieu. Les textes parlent d’une évangélisation du littoral phénicien …. Et la tradition annonce que l’évêché de Beyrouth a été institué par saint Quartus au tout premier siècle et dont l’icône se trouve sur le trône épiscopal  de la cathédrale….

-          par les mosaiques du V/VI siecles qui ont été intégrées à son dallage et certains de ses murs et qui viennent d’anciennes églises de la région, elle veut rendre cette continuité encore plus actuelle et rendre témoignage à l’unité de l’aire antiochienne….

-          Rappel aussi que ces vestiges viennent d’églises totalement ou partiellement détruites dont les ruines jonchent les centaines de villes mortes de Syrie. Rappel d’autant plus poignant que la tentation de l’émigration se fait de plus en plus vive et qu’il faut oeuvrer à l’endiguer, car malgré les vicissitudes de l’histoire Dieu veut que nous continuons à porter témoignage sur cette terre et en ces lieux….

-          sans renier les engouements du siècle passé (d’où la restauration de fresques témoins peintes au début du XX siècle) tentés par une dérive “occidentale”, la présente restauration de la Cathédrale veut affirmer par la volonté de faire “écrire” des fresques nouvelles plus ancrées dans la tradition byzantine mais à coloration antiochienne, que la beauté et l’art sont aussi des instruments de témoignage et se doivent “d’annoncer la couleur” de la foi qu’elles expriment….

-          située au coeur de la ville, elle veut réaffirmer le rôle de la communauté orthodoxe qu’elle abrite, comme communauté pont, “confession non confessionnelle”, ouverte et voulant toujours essayer de dépasser les clivages que d’autres s’évertuent à rendre plus destructeurs….

-          etc…

Mais, le témoignage de la cathédrale reste similaire à celui des mots de Palamas. Le témoignage du temple de pierre ne sera probant que s’il est assumé par les temples de chair que chaque orthodoxe de Beyrouth est appelé à devenir. La Cathédrale est un appel à témoins. Les orthodoxes de mon pays seront-ils tentés par l’aventure de la sainteté qui est un témoignage par leur vie et, s’il le faut, à Dieu ne plaise, au prix de leur vie….

Mort-Résurrection. Ces deux réalités sont intimement liées dans le christianisme. Que la Cathédrale soit ou non bâtie sur l’emplacement de la première cathédrale de Beyrouth, l’Anastasis (La Résurrection) – les avis des spécialistes sont partagés – ne fait pas grande différence sur le plan spirituel en ce que chaque église orthodoxe, même la plus humble, est un témoin de la Résurrection dont le Mémorial est célébré à chaque Liturgie….

 

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