Introduction à l'Évangile selon saint Marc

Raymond Rizk -Avril 2010


- Qui est Marc?

Il est né Jean, dans la province romaine de Cyrénaïque (Actes 12:12) ou peut-être à Jérusalem où résidait sa mère. Ses facultés d'helléniste lui ont valu le nom de Marcus. (Actes 12:12, 25). Marc (Marcus, Col 4:10, etc.) était donc son nom romain, qui a peu à peu remplacé son nom juif de Jean. Il est appelé Jean dans les Actes 13:5, 13, et Marc dans Actes 15:39, 2 Tim. 4:11, etc. Il était le fils de Marie, une femme ayant apparemment certains moyens d'influence. De son père nous ne savons rien. Il est apparenté à Barnabé (Col 4:10). C'est dans sa maison que Pierre a trouvé "plusieurs réunis en prière» quand il fut libéré de prison, et il est probable que c'est là qu'il a été converti par Pierre, qui l'appelle son 'fils' (1 Pi. 5: 13). Il est mentionné pour la première fois dans Actes 12: 25. Il est un des premiers convertis au christianisme et à l'évangélisation de l'Empire romain. Il devient le disciple de l'apôtre Paul qu'il suit avec Barnabé dans le premier voyage de Paul en Asie Mineure. Mais auparavant il part avec Paul et Barnabé évangéliser l'île de Chypre. Saul, qui prend désormais le nom de Paul, devient le chef de la mission à la place de Barnabé et décide de quitter Chypre pour la ville de Pergé en Asie mineure (Actes 12:25, 13:13). Sur la route de Pergé, Marc s'oppose à Paul (15:36-40) et repart pour Jérusalem. Cinq ans plus tard environ, au début des années 50, Marc retrouvera Paul et Barnabé à Antioche. A Barnabé qui voudrait reprendre son neveu dans la mission, Paul oppose un refus: cette fois Marc et Barnabé le quittent pour aller continuer à évangéliser Chypre, tandis que Paul repart pour l'Asie Mineure avec Silas. Ce n'est qu'une dizaine d'années plus tard (vers l'an 62) que Marc retrouve Paul alors prisonnier à Rome (Col. 4:10; Philémon 24). Marc est devenu le disciple, le secrétaire et le compagnon inséparable de l'apôtre Pierre (1 Pi 5:13) avec qui il a évangélisé les juifs de Judée. Il dirige alors des communautés juives de Rome. Paul le nommera dès lors 'son collaborateur '. Il est l'interprète en latin de Pierre et il participe aux travaux apostoliques de celui-ci. Il évangélise et convertit les païens de Rome et leur explique la culture juive et traduit des écrits bibliques araméen et hébraïque en latin. Après le martyre de Paul et de Pierre par les autorités romaines suite aux persécutions lancées par Néron, il rédigera son Évangile. Puis, selon la tradition, il quittera l'Italie pour retourner évangéliser dans la Pentapole et en Égypte où il fonde l'Église d'Alexandrie, dont il devient le premier évêque. Il est capturé et martyrisé par les païens.

- Mémoires de Pierre: Selon la Tradition, cet Évangile est le reflet de la prédication de l'apôtre Pierre. Justin parle de 'mémoires de l'apôtre Pierre' (Dialogues 3:106). Papias (milieu du 2ème siècle), cité par Eusèbe, dit que 'Marc explique Pierre' et qu'il a pris des notes de tout ce qu'il entendait, les consignant à la 'va-vite', car il n'était pas un témoin oculaire. Il en est de même de Tertullien. Il s'attarde pourtant souvent sur des détails très concrets, qui dénotent un témoin visuel (il l'était à travers Pierre, son maître): le coussin où dormait Jésus, à l'arrière de la barque (cf. Mc 4:38), les chaînes, les entraves dont était lié le démoniaque gérasénien, les cris qu'il poussait, les pierres dont il se frappait (cf. Mc 5:3-5), etc. Certains pensent probable que le "jeune homme" dont parle de Marc 14:51, 52 soit Marc lui-même. On ne voit pas pourquoi il aurait noté ce détail insignifiant, que les autres évangélistes ont passé sous silence. On ne voit pas de qui il l'aurait appris. Il serait donc fort probable qu'il fut non seulement un témoin du Christ à travers le discours de Pierre, mais aussi un témoin de visu, au moins des derniers temps de la vie du Christ et sûrement de sa passion, auxquels il aurait été mêlé, étant encore jeune homme. En tout cas, il est faux de dire que son Évangile était mal construit, car il suit une trame bien organisée, comme nous le verrons plus loin.

- Lieu d'écriture et langue: Il a écrit à Rome, après la mort de Pierre et Paul. Cela est attesté par Clément d'Alexandrie, Eusèbe, Irénée de Lyon. Par contre Jean Chrysostome dit qu'il a écrit à Alexandrie. L'usage de mots latins font pencher à la première hypothèse. Sa langue grecque est proche de la langue parlée, sans recherche stylistique. Mais elle s'améliore au fur et à mesure de l'avancement du récit. Dans la littérature patristique ancienne 'Ephrem, une note dans beaucoup de manuscrits de l'Évangile, Clément d'Alexandrie, etc.) il est dit que l'original de Marc fut écrit en latin (?). S'il a écrit pour des Romains, cela semble plausible. Jérôme résume bien l'histoire de cet Évangile en disant: 'Marc, prié à Rome par les frères, écrivit brièvement un évangile … Prenant l'évangile qu'il avait composé, il alla en Égypte'. Se pourrait-il que la traduction grecque, qui est la seule qui nous est arrivée, ait été faite alors? Jean Chrysostome n'aurait alors peut-être pas tort.

- Audience et habitudes juives et latines: Il s'adresse à des chrétiens venus du paganisme car il explique les habitudes juives - Marc s'évertue à expliciter certains détails trop liés à la culture juive :l'utilisation des pains de proposition réservés aux sacrificateurs 2:26; l'observation stricte de certaines lois au sujet des ablutions rituelles 7.1-4; le rite du premier jour des pains sans levain 14:12; la chronologie de la Préparation de la fête de Pâque 15:42. D'autre part, Marc est amené à donner quelques précisions géographiques : 'Nazareth de Galilée ' (mention de la province) 1:19; l'itinéraire précis suivi avant l'entrée triomphale à Jérusalem 11.1; l'orientation de la montagne des Oliviers vis-à-vis du temple 13:.3. Cependant, son texte est fortement modelé par l'AT qu'il cite souvent par allusions (Is 35:5-6 dans Marc 7:31-37, par exemple). Puisque Marc destine son écrit à des lecteurs ignorant la religion hébraïque, il n'utilise pratiquement pas les saintes Écritures juives pour ne pas désorienter ses interlocuteurs et pour éviter de leur fournir de multiples explications. Ainsi Marc ne cite l'A.T. qu'à 12 reprises seulement, ce qui est peu par rapport à Matthieu (environ 40 fois !) dont les destinataires sont, eux, des juifs devenus chrétiens. Ce sont dans 1:2 (Mal 3:1); 1:3 (Is 40:3); 7:6-7 (Is 29:13); 7:10 (Ex 20:12 ; 21:17); 11:17 (56:7); 12:10-11 (Ps 117:22-23); 12:26 (Ex 3:.6); 12:29b-30 (Deut 6:4-5); 12:31b (Lév 19:18); 12:36 (110:1); 14:27 (Zach 13:7); 15:28 (Is 53:12). De plus; il traduit systématiquement certaines expressions araméennes, car il était impossible pour des chrétiens d'origine latine et/ou païenne de comprendre des mots ou des lieux géographiques cités en araméen, langue parlée par les Hébreux depuis leur retour de captivité babylonienne. Chaque fois qu'il sera amené à rapporter une expression araméenne dans son contexte, Marc s'empressera de la traduire pour rendre son propos intelligible: Boanergès (Fils du tonnerre 3:17); Béelzébul (Chef des démons 3:22); Talitha coumi (Jeune fille, je te dis, lève-toi 5:41); Corban (Don 7:11); Ephphatha (Ouvre-toi 7:34); Bartimée (Le fils de Timée 10:46); Abba (Père 14:36); Golgotha (Lieu du crâne 15:22); Eloï, Eloï, lama sabachtani ? (Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? 15:34).

Il fait des allusions précises à la culture latine. Celles-ci nous permettent d'affirmer que Marc réserve son écrit à des chrétiens du monde romain (certains commentateurs précisent même à l'église de Rome) : a) Au trésor du temple de Jérusalem, une pauvre veuve vient jeter deux pites et Marc nous signale la contre-valeur en monnaie romaine : un quadrant (12:42); b) Jésus, obligé de porter sa croix jusqu'à Golgotha, est aidé par un certain Simon de Cyrène (15:21) dont Marc nous cite les noms des deux fils (Alexandre et Rufus) qui semblent donc être connus par les destinataires de l'évangile. En effet, nous retrouvons Rufus parmi ceux à qui l'apôtre Paul remet ses salutations lorsqu'il écrit à la communauté des fidèles à Rome (Rom 16:13); c) Dans l'original grec, plusieurs mots latins ont été directement 'grécisés' et ne demandent donc aucune explication complémentaire de la part de Marc :'krabaton', du latin 'grabatus' : méchant lit, grabat 2:4; 6:55. 'spekoulatora', du latin 'speculator' : observateur, espion 6:27

'kenturiôn', du latin 'centurio' : centurion, chef d'une centurier 15:39,44. Il précise que les deux piécettes de la veuve, déposées dans le tronc du Temple, valent, en monnaie romaine, un quart d'as (cf. Mc 12:42).

- Date: Il a été écrit autour de l'an 70. Le chapitre 13 ne se réfère pas à la révolte juive et la destruction de Jérusalem et du Temple (66-70). Il pourrait être influencé par la persécution des chrétiens à Rome, sous Néron, débutée en 64 qui a mené au martyre de Pierre et de Paul (entre 64 et 67). C'est après leur mort que c'est fait sentir le besoin d'avoir un témoignage écrit pour remplacer ces témoins oculaires. L'Évangile de Marc a donc été écrit entre 66 et 70.

- Le plus ancien des évangiles et le plus court: Il y a maintenant accord entre la plupart des exégètes que c'est le plus ancien des évangiles écrits. C'est celui dont l'histoire est la plus compacte et la plus simple ((673 versets seulement contre 1068 pour Matthieu et 1149 pour Luc). Elle se limite à l'activité adulte du Seigneur, sans récits enfance ni généalogie, contrairement aux deux autres Évangiles synoptiques. Autrefois, on pensait qu'il existait une version en araméen de Matthieu, perdue depuis, qui était le plus ancien texte écrit. Mais cette théorie est de plus en plus abandonnée. Il est établi que les plus anciens textes écrits chrétiens sont les Épitres de Paul (à partir de 52). Avant elles, il existait des collections des dits du Seigneur (les loggia) et des récits de la Passion qui semblent avoir circulés très tôt au sein des communautés chrétiennes. On ne sentait pas alors le besoin de se référer à des écrits; la seule référence pour les juifs, comme pour les gentils, était l'Écriture, qui alors voulait dire notre Ancien Testament.

- Représentation iconographique de Marc: Toujours avec un lion, selon Ap. 4:7, car son Évangile commence par la description du désert où vivent les bêtes sauvages.

- But: L'évangile selon Marc serait conçu pour la lecture dans les assemblées chrétiennes, spécialement pour les grandes fêtes, et en particulier pour la veillée pascale. Dans 13:14, il est dit 'que le lecteur comprenne', ce qui laisse supposer que le texte était tout d'abord lu. C'est pourquoi certains ont proposé de voir dans cet évangile une haggadah (texte en hébreu lu lors des célébrations de la Pâque juive) pascale chrétienne. La lecture d'une haggadah, le soir de Pâque, était une coutume très ancrée dans les familles juives. Et bien souvent, elle le reste encore. L'analyse interne du deuxième évangile ne fait que conforter cette hypothèse. Il expose avant tout le dernier 'passage' de Jésus, sa dernière Pâque, sa mort et sa résurrection. Le récit, tissé de réminiscences bibliques, évoque en même temps l'Exode, l'épopée au désert du peuple élu sous la conduite de Moïse, le cycle d'Élie, ou encore le sacrifice d'Abraham. Tout ce que les juifs avaient coutume, ou ont encore, de se remémorer le soir de Pâque.

De plus, l'évangile entier respire une ambiance initiatique et baptismale, par allusion à ce baptême que l'on pratiquait (et pratique encore) avec tant de solennité lors de la veillée pascale. Il débute au Jourdain par le baptême du Christ des mains de Jean le Baptiste. Il fait revivre au chrétien toute la catéchèse baptismale (esquissée par exemple dans Rom 6), qui est une invitation à la mort et à la résurrection, par la plongée dans les eaux, avec le Christ. Une grande partie de l'évangile de Marc, six chapitres sur seize, est consacré au récit des derniers jours de Jésus à Jérusalem. Ce schéma des derniers jours et de la Passion du Christ sera repris soigneusement, avec des compléments, par les deux autres synoptiques, et même par Jean à partir de l'Onction à Béthanie.

Marc adresse son œuvre à la deuxième génération chrétienne, donc des gens qui ont pu rencontré Pierre ou Paul, mais qui n'ont certainement pas connu le Ressuscité. Par l'entremise de son récit, il veut leur faire revivre l'expérience des apôtres, c'est-à-dire faire route aux côtés de l'homme que fut Jésus et d'apprendre petit à petit à le reconnaître comme le Christ, le Messie et le Fils de Dieu. Marc interpelle son lecteur et l-invite dès le début à 'laisser de côté toutes ses préoccupations' pour partir en compagnie de Jésus et de ses disciples. Le lecteur attentif deviendra lui-même 'témoin' des faits et gestes de Jésus et apprendra ainsi à le mieux connaître.

- Le problème synoptique: A partir de la 2ème moitié du XVIII siècle, en comparant les évangiles de Marc, Matthieu et Luc, les exégètes notèrent que l'organisation générale, certains détails et même parfois une identité verbale existaient entre ces trois évangiles.

- La théorie des deux sources: La plupart des exégètes ont développé ce qu'on appelle 'la théorie des deux sources', selon laquelle Matthieu et Luc se sont inspirés de Marc dont la totalité (sauf 2: 27, 3:20-21; 4:26-29, 7:31-37, 8:22-24, 9:48-49, 14:51-52, et 15:44) se trouve dans les deux ou dans l'un ou l'autre, avec un effort sur une meilleure écriture, mais l'organisation générale reste la même. Sur un total de 662 versets, Marc a 406 en commun avec Matthieu et Luc, 145 avec Matthieu seul et 60 avec Luc seul et 51 sont propres à lui-même A part Marc, Mt et Luc se sont aussi inspirés d'une autre source commune groupant des paroles de Jésus (appelée Q de l'allemand Quelle qui veut dire Source) tout en ayant chacun en plus sa tradition particulière (M et L). Il y a de rares exégètes qui pensent qu'ils ont utilisé une version plus ancienne (proto-Marc) ou encore plus récente (deutéro-Marc) du Marc canonique.





- Organisation générale du texte:

- On divise traditionnellement l'Évangile selon saint Marc en deux parties, selon l'indication qui serait donnée par l'auteur lui-même dans son titre : 'Commencement de l'Évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu'. La première partie (1:1 - 9:13) montre que Jésus est le 'Christ' ou Messie ; la seconde partie (9:14 - 16:20) fait accéder à la notion de 'Fils de Dieu'. Ce schéma peut paraître trop simple, car dès l'exorde, Jésus est présenté par Jean-Baptiste à la fois comme Christ et comme Fils de Dieu. Dans la première partie déjà, les démons eux-mêmes reconnaissent Jésus comme le Fils de Dieu (5:7) et Jésus est reconnu solennellement par le Père comme son Fils bien-aimé (9:7). Dans la seconde partie, la passion de Jésus sera, avant tout, celle du 'Christ, le Fils du Béni' (14:61), et celle du 'Roi' (15:2). Les deux notions bibliques de "Messie" et de "Fils de Dieu" sont d'ailleurs liées (cf. Mc 14: 61; Ps 2:7 'Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré').

On peut considérer aussi un autre modèle: 1. Prologue (1:1-13) Au Jourdain, Jean-Baptiste désigne Jésus comme le Messie et le Fils de Dieu; 2. Narration (1: 14 - 6:13) Présentation de Jésus par actions et par paroles, en Galilée et sur le lac de Tibériade. Il suscite l'étonnement (3:5). Argumentation : qui est Jésus ?; 3. Interrogation de plus en plus pressante (6:14 - 26) A travers la Galilée comme en dehors de la Galilée; 4. Réponse à Césarée de Philippe et à l'Hermon (8:27 - 9:13) Il est le Messie, le Fils de Dieu, mais un Messie souffrant qui demande qu'on le suive; 5. Comment suivre Jésus? (9:14 - 10:52) A travers la Galilée, puis la Judée, puis la Pérée, puis en direction de Jérusalem; 6. Dénouement (11:1 - 15:47) Mort de Jésus à Jérusalem; 7. Epilogue (16:1-8) Résurrection de Jésus le matin de Pâques : 'Il vous précède en Galilée' (16:7); 8. Finale (16:9-20) Récits des apparitions aux disciples. On peut reconnaître là le septénaire familier de la littérature biblique (la huitième partie ne serait pas de la plume de Marc, comme il est dit plus haut).

L'évangile de Marc suit aussi le plan du drame antique : 1. Prologue : Jean-Baptiste vient sur scène pour présenter le drame; 2. Narration : exposé comparable à la narration conventionnelle d'un discours. Argumentation : partie centrale, dénommée ainsi par les rhéteurs antiques; 3. Une première section pose clairement le problème de l'identité de Jésus; 4. Une deuxième section répond à la question : il est le Messie promis, le Fils de Dieu, mais en même temps le Messie souffrant qui demande qu'on le suive. C'est le nœud de l'intrigue; 5. Une troisième section expose les exigences de la sequela (se mettre à la suite) du Christ; 6. Dénouement tragique du drame, par la mort exemplaire du héros; 7. Epilogue. L'évangile s'achève comme le drame antique. Un messager du ciel, tel un deus ex machina, communique aux femmes ce qui ne peut être représenté sur scène : 'Il est ressuscité' (16:6).

Une autre approche, celle-là géographique, le subdivise en trois sections: a) Période du ministère public de Jésus en Galilée avec petit prologue sur la période avant le ministère public (Jean le Baptiste) de 1:1 à 8:26, se concentre sur la personne et la pérégrination de Jésus et ses activités (Baptême et proclamation qu'il est le Fils de Dieu, annonce du Règne de Dieu, appel aux disciples, enseignement plein d'autorité, conflit avec le mal (guérisons), conflit avec les scribes et les pharisiens, enseignement aux disciples et au peuple, rejet de sa patrie, mission des disciples; b) Période du ministère en Judée, de 8:27 à 10:52, qui montre Jésus en tant que Messie et qui commence par la confession de Pierre, puis se poursuit par une révélation sur les manifestations du Messie, la Transfiguration, le titre de 'Fils de l'Homme', et finit par le renversement des valeurs du disciple de Jésus; c) L'entrée à Jérusalem, la Passion et la justification de Jésus par Dieu par la Résurrection, de 11:1 à 16:20.

- Le problème de la finale: Les manuscrits les plus anciens (Sinaiticus et Vaticanus) omettent Mc 16:8 sur les récits des apparitions de Jésus post Résurrection, ce qui laisse penser que c'est un ajout tardif du 2ème siècle.

- Le mot 'Évangile': Avant usage chrétien voulait d'abord dire annonce d'une bonne nouvelle, puis la bonne nouvelle elle-même. Paul parle de 'mon évangile' c'est-à-dire du message du salut, non pas le titre d'un texte écrit. Marc parle 'd'évangile de Jésus' (1:1)qui est l'annonce du Règne de Dieu. Donc la première phrase 'Début de la prédication' n'est pas le titre de l'ouvrage, mais l'annonce de ce qui vient. Ce n'est que vers la moitié du 2ème siècle qu'on commence à utiliser le mot évangile pour définir le texte écrit.

- Genre littéraire: Les évangiles ne sont réductibles à aucun genre littéraire antique, ils sont un produit original du christianisme qui offrent quelques affinités avec la biographie antique. Cependant leur but n'est pas seulement de raconter la vie et les paroles de Jésus, mais de témoigner que Jésus est le Messie et le Sauveur du monde, ce dont les disciples sont devenus pleinement conscients après la Résurrection. Comme le dit G. Florovski: 'Nous nous rappelons des événements passés dans une perspective modifiée par notre expérience ultérieure'. Donc, le fait évangélique est inséparable de son interprétation.

- Caractéristiques générales:

a) Un Évangile d'action: Marc n'insiste pas comme les autres évangélistes sur les 'paroles' de Jésus, mais surtout sur sa personnalité et son autorité en tant que Fils de Dieu et Messie, donc sur ses activités. Il a été appelé un Évangile d'action, car il enregistre 18 des miracles, mais seulement 4 paraboles (Matthieu comprend 18 paraboles et Luc 19). Par contre, la victoire de Jésus sur le mal par ses actes et de la mort est accentuée.

b) Fils de Dieu: Sauf en 8:29, il ne nomme pas Jésus 'Messie', très rarement Fils de David, Prophète, Seigneur ou Maître. Par contre, Jésus y est nommé 'Fils de Dieu', seulement une fois par Jésus (14:61), mais par d'autres: par Dieu lors du Baptême et la Transfiguration; par les démons; par le centurion au pied de la croix.

c) Fils de l'Homme: Utilisé (14 fois) par Jésus dans Marc pour parler de lui-même. Dans les livres les plus anciens de l'AT (les Psaumes), l'expression désigne le genre humain (Ps 62) et aussi dans le livre de Job (16:21). Littéralement, elle se dit Ben Adam, c'est-à-dire 'fils d'Adam. Dans la littérature prophétique, elle se met à désigner le messager de Dieu (Ez 2:1). Dans Daniel (7:13), c'est le juge céleste de la fin des temps. Marc l'emploie en référence à la vision de Daniel (7: 13-14) parlant d'un personnage apparaissant comme 'un fils d'homme' qui reçoit gloire et domination universelle. Aussi Enoch (37:71) le définit comme le Sauveur eschatologique et le Juge de la fin des temps. On retrouve aussi ce titre dans Ps 8, 109:1, 79:17. Dans Marc, il veut dire 'l'être humain'. Marc montre la divinité de l'Homme-Dieu et souligne en même temps la réelle humanité de Jésus, compatissant ou pris de colère, anxieux (« Mon âme est triste à mourir », Mc 14:34) ou assoupi (cf. Mc 4:38).Il fait pendant à l'appellation de 'Fils de Dieu'. Il y a comme un rapport dynamique entre les deux expressions. Jésus voulait peut-être dire qu'il était le véritable être humain, celui en qui se réalise l'union entre les natures humaine et divine. Jésus est en effet né d'humain, mais il est porteur du message de rédemption.

d) Une autre façon caractéristique du langage de Jésus dans Marc est attestée par 'vraiment (Amen) je vous le dis'. C'est sa façon particulière d'insister, de vouloir affirmer que les paroles que je vous dis sont vraies parce que moi, je vous les dis: un point c'est tout.

e) Le secret (silence) messianique: Marc insiste sur les recommandations de Jésus de garder le secret sur ses manifestations de puissance jusqu'à la Résurrection, car il ne veut pas donner de fausses illusions au peuple qui attendait un Messie 'politique' qui libérerait Israël de la servitude romaine.

f) Le chemin du Seigneur: Dès la première phrase, Marc fait une citation composite entre Isaïe (40:3) et Malachie (3:1 aussi Ex 23:20) pour annoncer que Jésus est venu pour prêcher l'évangile de Dieu (1: 14-15), appeler des disciples à le suivre, leur apprendre quoi faire pour cela et les charger de mission (8:35; 10:29) pour proclamer cet évangile à toutes les nations (13:10) et au monde entier (14:9; 13:36-37). Il y a une connexion très appuyée entre Jésus et ceux appelés à le suivre: Il s'agit de suivre le chemin tracé par Jésus. Il s'agit de l'imiter. Ce sont là les prémices de la 'vie en Christ', s'il le faut jusqu'à la mort. C'est peut-être pourquoi Marc montre un Christ proche des humains qui manifeste des émotions, qui semble avoir des limitations de connaissance. C'est un exemple qui inspire.

g) Les Douze: C'est peut-être aussi pour cette même raison qu'il présente les douze négativement pour montrer qu'il est difficile de suivre Jésus. Ils sont lourds d'esprit (4:13;4:41; 8:14-16). Ils désertent (14:50). Ils apostasient (14:66-72). Mais tout cela changera après la Résurrection quand ils seront rétablis dans leur mission d'origine et seront habilités à devenir des témoins. Le reniement de Pierre, par exemple, devrait conforter ceux qui parmi les chrétiens du temps de Marc, avaient tendance à se distancer à cause des persécutions à Rome. Mais il montre que par le regret et la repentance, les voies du retour demeurent ouvertes.

h) Un Évangile pour adultes: Commencé par le Baptême de Jésus et parlant du Jésus adulte seulement, il s'adresse à des chrétiens adultes pour leur montrer que la vie du chrétien commence elle aussi par le baptême et doit déboucher sur la mission en étant prête à rencontrer oppositions , persécutions et conflits avec le mal y compris la mort pour finir, si l'on est fidèles, par une justification par Dieu et une résurrection.

- Niveaux de lecture de l'exégèse traditionnelle: L'exégèse biblique est une étude approfondie du texte biblique pour essayer d'en saisir toutes les significations. Elle trouve sa source chez les Pères de l'Église dont la plupart ont laissé de nombreux commentaires, voire des traités. Elle a commencé très tôt (Clément de Rome +97; Clément d'Alexandrie +215; et peut-être le plus important est Origène (185-254) qui a laissé à la postérité sa théorie des quatre niveaux d'explication, à savoir le sens littéral historique ou obvie, le sens allégorique ou typologique(une chose énoncée veut dire une autre, utilisation des textes de l'A.T. pour éclairer la signification messianique de Jésus. Il s'agit de chercher la Parole de Dieu qui se situe au-delà de la lettre: 'Toutes choses leur advenaient par mode de figures et elles ont été écrites pour notre instruction à tous' dans 1 Cor 10:10), le sens topologique ou moral et le sens anagogique qui indique ce vers quoi on doit tendre, le sens spirituel et mystique. Les Pères mentionnés ont surtout pratiqué l'exégèse allégorique qui a été développée par leurs disciples pour former l'école d'Alexandrie. L'école d'Antioche dont les plus importants représentants sont Jean Chrysostome et Théodore de Mopsuete et Diodore de Tarse, s'intéressait davantage à l'interprétation littérale et historique. Il faut cependant considérer ces deux écoles ensemble car elles montrent que les Écritures manifestent: a) d'abord la préparation et la venue du Christ 'sens historique); b) puis, le Christ présent et agissant dans l'Église et ses sacrements aujourd'hui (sens allégorique); c) stimulant ainsi l'effort éthique de la liberté (sens topologique); d) liberté agie par le Christ en vue de l'atteindre dans la vision, au-delà de la mort (sens anagogique et eschatologique); e) donc, manifestant à la fois le Christ passé, présent, agissant, à venir et eternel.

- La Bible, entreprise divino-humaine: Le divin et l'humain sont indissociables dans la Bible et ces deux natures sont également importantes et nécessaires pour acquérir une compréhension droite et salutaire des vérités bibliques. Il nous faut donc comprendre le plus correctement possible l'humanité de la Bible si l'on veut en comprendre le message divin. A ceux qui disent 'on n'a pas besoin d'interpréter la Bible; il suffit de la lire et d'obéir à ce qu'elle enseigne, toute interprétation fausse le sens', il faut répondre 'l'antidote d'une mauvaise interprétation n'est pas l'absence d'interprétation, mais une bonne interprétation fondée sur des indications de bon sens'. Il est vrai que la Parole de Dieu demeure toujours actuelle et qu'elle parle à l'humanité entière, de tout temps et de toute culture. En ce sens il nous faut l'écouter et lui obéir. Mais, c'est précisément par et avec des paroles humaines que le Saint-Esprit a choisi de s'adresser à nous. La Bible est également une parole d'homme, elle possède des particularités historiques et cultuelles indéniables, ayant été adressée à des hommes désormais séparés de nous dans le temps et la pensée. On doit donc entendre la Parole comme ces gens-là l'ont entendu. On doit essayer de comprendre ce qui leur était dit à l'époque et en leur lieu. Ensuite on doit apprendre à entendre cette même Parole pour notre temps et pour notre lieu. Cette approche doit se faire toujours dans la certitude que toute l'Écriture est inspirée de Dieu. Selon le témoignage de Jésus-Christ lui-même, l'Écriture est la Parole infaillible de Dieu : “ En vérité je vous le dis, jusqu'à ce que le ciel et la terre passent, pas un seul iota, pas un seul trait de la loi ne passera, jusqu'à ce que tout soit arrivé ” (Mt 5:18). Aussi : “ L'Écriture ne peut être abolie ” (Jn 10:35). Si donc l'on se fie à ce que l'Écriture et Jésus déclarent l'un de l'autre, les deux, l'Écriture et Jésus, sont parfaitement infaillibles. Car un Christ infaillible ne peut en aucun cas rendre témoignage à une Bible faillible comme une Bible infaillible ne peut en aucun cas rendre témoignage à un Christ faillible. Cependant, ne pas considérer l'humanité de la Bible à sa juste valeur au profit d'une lecture prétendue plus “ divine ” du texte biblique, revient paradoxalement à nier la divinité même de la Bible. En effet, si l'on sait que la Bible exprime ce que Dieu a divinement voulu communiquer aux hommes par des paroles humaines, on sait du même coup que ne pas interpréter correctement l'humanité de la Bible équivaut à se condamner soi-même à ne pas saisir le message divin de l'Écriture. Car dans la Bible, le divin s'exprime par l'humain et l'humain exprime le divin. Ne pas reconnaître l'importance de l'un revient à coup sûr à négliger l'importance de l'autre. Et inversement. Surestimer la nécessité de l'un revient à coup sûr à sous-estimer dangereusement la nécessité de l'autre. Si donc l'un est sous-estimé au profit ou surestimé au détriment de l'autre, l'un et l'autre resteront toujours incompréhensibles. Ce qui revient finalement à dire que nous devons bien interpréter l'humanité de la Bible si nous voulons comprendre son message divin, et que la prise de conscience de la divinité de la Bible devrait logiquement nous conduire à un plus grand respect de son humanité.

- L'exégèse critico-historique: une Parole de Dieu pour eux: Depuis le XVIII siècle, fut encouragée l'exégèse historico-critique et le recours aux sciences profanes utiles à l'interprétation de l'Écriture. Ce premier niveau d'interprétation correspond à l'exégèse biblique moderne qui s'articule selon le schéma suivant:

(i) critique textuelle: examen et comparaison des manuscrits nécessitant des compétences en langues anciennes, en paléographie et en épigraphie, pour distinguer les variantes de l'original. Le Nouveau Testament s'est transmis en de nombreux manuscrits (environ 5 000 grecs et 10 000 latins), plus que n'importe quelle autre œuvre antique. Le nombre énorme de témoins présente des difficultés uniques. Ces témoins sont répartis en trois groupes principaux: a) Le texte-type alexandrin constitue un groupe primitif dont le Codex Vaticanus, le Codex Sinaïticus et le Codex Alexandrinus (tous du 4ème siècle).; b) Le texte-type occidental est également très ancien, mais ses témoins sont plus enclins à la paraphrase et à d'autres corruptions; c) Le texte-type byzantin forme la grande majorité des manuscrits, particulièrement après le Ve siècle. En 1930 furent découverts en Égypte des papyrus dont un fragment de codex retrouvé à Oxyrhynque, qui comporte une partie du texte de l'Évangile selon Jean, daté de l'an 125. Les étapes et les objectifs de la critique textuelle sont: a) la découverte de vieux manuscrits, de vieilles écritures et la documentation y relative; b) la comparaison des variantes; c) les tentatives de définir la version la plus probable du texte original. La comparaison des variantes se fait à partir d'un critère externe, comme la datation du support de l'écriture (un papyrus est généralement plus ancien qu'un parchemin), la composition de l'encre utilisée et la datation du type d'écriture (un texte en minuscules manuscrites est généralement plus récent qu'un texte rédigé en majuscules), ou encore à partir de critères internes (la version difficile a plus de chances d'être l'originale que la simple, car le copiste a tendance à simplifier; etc.)

(ii) critique des sources, pour déterminer les emprunts divers à des littératures voisines et essayer de connaître le milieu de production du texte et son ou ses auteurs.

(iii) critique des formes: examen du texte en regard de sa catégorie de texte littéraire. Par exemple, pour un texte à contenu historique mettant en jeu deux peuples, elle regarde ce que disent les chroniques des autres peuples concernant le même évènement. Par exemple, le massacre des Innocents est rapporté par l’un des synoptiques mais pas documenté dans les chroniques romaines qui n’auraient pas supporté de tels agissements de la part d’un de leurs sujets fut-il roi, sans rapporter le massacre et destituer le roi pour prendre le pays en administration directe. On doit donc porter un autre regard sur ce récit et le rapprocher d’un autre massacre d’enfants rapporté dans l’Ancien Testament, celui des nouveau-nés mâles des fils d’Israël par Pharaon (Exode 1:16). On comprend alors le regard porté par le rédacteur sur le souverain régnant en Syrie-Palestine au tournant du premier siècle. On comprend aussi que le nouveau-né qu’on voulait atteindre par ce supposé massacre doit être considéré comme un nouveau Moïse.

(iv) l'exégèse narrative ou rhétorique. Elle considère le texte dans sa structure rhétorique tel qu’il nous est parvenu et en dégage les lignes de force. Dans le meilleur des cas, on aboutit à des lectures décapantes où l’on prend conscience que le moment important du texte n’est pas celui qu’on l’imagine. Ce travail nécessite une bonne connaissance des littératures anciennes. Dans les autres cas, elle prend le texte canonique et tâche d’en dégager l’herméneutique par la méthode « la Bible s’explique par la Bible ». La plupart du temps, elle mène par là à l’exégèse canonique.

- Outils de la critique historique: Ces diverses approches d'exégèse utilisent des instruments historiques et philologiques qui définissent l'exégète plus comme un historien que comme un théologien. Comme dit plus haut, sa tâche commence par un examen attentif et critique du texte dans son contexte historique, en tenant compte du milieu politique, culturel, religieux et philosophique. Son étude comprend aussi une analyse du langage par des considérations grammaticales, syntaxiques et lexicologiques. Cette exégèse se base sur les méthodes utilisées dans toute recherche historique et littéraire, et plus particulièrement sur les critères suivants qui doivent être utilisés conjointement sans leur donner une valeur absolue, mais qui servent à systématiser les arguments: a) Le critère de l'embarras ecclésiastique est en faveur de l'authenticité d'un texte qui constitue une difficulté pour les rédacteurs (la parole de Jésus sur la croix dans Mc 15:34; le Baptême de Jésus par Jean qui place Jésus dans une position inférieure, Jésus ne connaissant ni le jour ni l'heure du jugement dans Mc 13:32, etc.); b) Le critère de dissemblance, discontinuité ou dissimilitude: Tout ce qui ne relève ni du Judaïsme contemporain ni des premières communautés chrétiennes a toutes les chances d'être authentique (l'interdiction totale du serment dans Mc 5:34-37; accepter que les disciples ne jeûnent pas dans Mc 2:18-22; l'interdiction du divorce dans Mc 10: 2-12; etc.). c) Le critère de l'attestation multiple qui accorde d'autant plus de probabilité historique à un évènement qui est attesté dans des documents indépendants les uns des autres (ainsi le dit 'les premiers seront les derniers' est rapporté dans Mt 19:30, 20:16; Mc 10:31; Luc 13:30 et dans un papyrus retrouvé en Égypte). d) Le critère de convergence, de conformité ou de plausibilité qui s'appuie sur la cohérence des événements entre eux durant la vie de Jésus, entres les actes et les paroles de Jésus, entre ces événements et le milieu historique dans lequel a vécu Jésus. e) Le critère de rejet: Un jésus qui ne s'aliénerait pas les gens par ses paroles et ses actes et en particulier les puissants n'est pas le Jésus historique. f) D'autres critères secondaires comme la présence de traces d'araméen, une valable description de l'environnement palestinien, la présence de détails concrets rendant la narration plus vivante, etc.

- Pourquoi le souci d'un Jésus historique? Avec la combinaison de ces critères, l'historien dispose d'outils assez fiables pour écrire l'histoire de Jésus. Cette démarche est utile et sans doute nécessaire à l'approfondissement de notre compréhension des écrits bibliques, même si son approche analytique ne s'adapte pas à l'approfondissement du 'mystère'; car elle ne peut pas s'accommoder du fait qu'à travers les Écritures, la réalité historique soit constamment en contact avec la réalité transcendante, puisque le temps et l'éternité s'unissent dans les récits bibliques et s'entremêlent de façon unique. Elle reste cependant utile pour a) éviter les démarches qui visent à réduire la foi au Christ à un symbole ou à un archétype intemporel en le présentant comme une personne réelle et particulière; b) éviter les tentations docètes de gommer la nature humaine de Jésus pour insister sur sa divinité; c) éviter de 'domestiquer' Jésus au service d'un christianisme confortable, respectable et bourgeois en gommant son côté dérangeant et non conformiste; d) éviter les dérives de récupération de Jésus au service de programmes politiques révolutionnaires. Ceci étant dit, il demeure que d'autres approches sont nécessaires pour compléter la quête du sens littéral ou historique pour interpréter les Écritures d'une façon plus adéquate et sonder les profondeurs du 'mystère' de Jésus.

- Notre lecture de l'Écriture: une Parole de Dieu pour nous: On ne peut donc se limiter à l'exégèse critico-historique comme certains le prétendent, car on ne peut oublier que l'inspiration de l'Esprit Saint n'est pas limitée à la composition du texte biblique, mais s'étend à la lecture et à l'interprétation du texte dans la vie de la communauté des croyants, l'Église. D'ailleurs, à partir de la deuxième moitié du 20ème siècle, de plus en plus d'exégètes s'en distancent, tout en reconnaissant les apports. Il s'agit donc d'entendre la Parole de Dieu pour nous, pour notre temps et pour notre milieu et de rester en communion avec la myriade de ceux qui, avant nous, l'ont entendu et interprété en Église. C'est la véritable 'appropriation' et 'application' de l'Écriture. Dans cette approche, nous profiterons des acquis d'une critique historique, toutefois respectueuse de l'infaillibilité de l'Écriture, que nous allierons à l'exégèse traditionnelle et à l'interprétation des Pères. En ce sens, écriture et lecture ne font qu'un. Dès lors, le principe d'application, fréquemment convoqué dans la lecture scripturaire (et tout particulièrement dans la lecture visant la méditation) apparaît moins comme une finalité seconde que comme un mouvement premier. Il n'existe donc pas un sens objectif qu'un sujet peut ensuite s'approprier, il existe d'abord un sujet qui se comprend dans le texte qu'il rencontre et cette identification engage un processus herméneutique. Ce principe rend d'ailleurs bien compte de ce que les exégètes appellent l'écriture typologique: tel passage écrit tel événement à l'aide des schèmes d'un autre passage (faits de style, vocabulaire, structure littéraire). Ainsi, une telle herméneutique consonne bien souvent avec des pratiques anciennes. L'exégèse issue de l'époque patristique , longtemps déconsidérée en raison d'un allégorisme considéré comme artificiel, met déjà au principe de l'herméneutique sacrée l'historicité de toute forme de compréhension: Augustin 'se comprend' dans les Écritures et la partition des sens, théorisée par Origène, se fonde sur la dynamique corps-âme-esprit qui marque d'emblée l'inscription du sujet dans l'interprétation théologique et spirituelle. Enfin, l'idée d'un texte pluriel et ouvert, cher à de nombreux théoriciens contemporains, n'est pas une nouveauté: la pluralité est au principe de l'exégèse patristique, ce que l'on oublie trop souvent. Il reste bien entendu à comprendre le sens de cette pluralité: c'est sur ce point que portent les principales ruptures et oppositions. Pour une lecture chrétienne, la pluralité n'est certes pas la conséquence du relativisme, mais du dynamisme du mystère. Tout lecteur pourra débattre des fondements de cette opposition. Il nous faut surtout souligner que la Bible, par sa complexité et sa structure particulière, pose à la théorie herméneutique un certain nombre de questions pertinentes dont la première est la notion de tradition. Si l'historicité de la compréhension est entendue comme un principe herméneutique, le texte ne peut être séparé d'une chaîne interprétative qui le précède, le constitue et l'actualise. En ce sens, la tradition (tradition de la communauté qui élabore, qui lit et qui relit) fait partie de l'identité du texte et devient nécessairement l'une des variables incontournables de l'acte herméneutique. Cela est d'autant plus vrai que le corpus scripturaire échappe à toute illusion d'auteur dans la mesure où il est d'emblée constitué comme un texte collectif. La deuxième question est celle de l'altérité du texte. La question est d'importance puisque c'est le statut que le texte se donne, en livrant la Parole du Tout-Autre, et par là, il propose à l'interprétation un principe de réalité. Il assume donc un risque, celui d'une confusion entre le 'préjugé' porté par la tradition qui constitue le texte et l'univers préconstruit d'un lecteur qui, même croyant, risque d'éluder tout ce qui, dans le texte, échappe à son emprise, ou vient bousculer ce qu'il croit convenable que Dieu soit ou qu'il fasse. La Bible est un texte qui a la capacité de manifester la place où se tient son lecteur. En ce sens, sa lecture est une crise, un jugement.

- Prière avant toute lecture: ' Fais luire dans nos cœurs la lumière incorruptible de la connaissance de ta parole … et ouvre les yeux de notre intelligence pour que nous comprenions ton message évangélique. Inspire nous aussi la crainte de tes saints commandements …' (prière avant lecture de l'Évangile durant la sainte Liturgie). Autre prière de Jean Chrysostome: ' Seigneur Jésus, ouvre les oreilles de mon cœur à l'écoute de Ta parole, afin que je comprenne et fasse Ta volonté … Ne me dissimule pas tes commandements, mais ouvre mes yeux pour me permettre de comprendre les miracles qui découlent de Ta loi. Révèle-moi les mystères cachés de Ta sagesse … Illumine mon esprit et mon intelligence … Permets-moi de ne pas me contenter de lire Tes Écritures mais de les mettre en pratique'. Cette prière est nécessaire pour s'approcher de la Parole de Dieu, ce 'mystère resté caché depuis les siècles et les générations et qui est désormais manifesté à ses saints … le Christ parmi nous, l'espérance de la gloire' (Col 1: 26-27).

- Questions à se poser après chaque lecture: Quelles sont les choses qui me frappent dans ce texte? Quelles questions surgissent? Est-ce qu'il y a un message pour moi? Que faire pour y répondre?


Commentaire de l'Évangile selon saint Marc

Chapitre 1

1.1 : Au commencement, Évangile, Messie, Fils de Dieu

- Au commencement: comparer avec début de Jean et début de la Genèse: C'est le début d'une nouvelle création ou plutôt le salut de l'ancienne déchue par Celui qui est vient la restaurer.

- 'évangile': bonne nouvelle, message de Jésus: annoncer le Royaume de Dieu et le début des temps eschatologiques.

- Pas de récits de l'enfance ni généalogie: un évangile d'adulte pour des adultes.

- Jésus-Christ, le Fils de Dieu: Marc annonce tout de suite la couleur, bien que le titre de Christ (Messie) n'est pas très courant chez lui. Celui de Fils de Dieu est donné à Jésus par d'autres (voir introduction)

1.2-3: L'annonce du messager (Mat 3:1-12; Lc 3:3-17)

- Marc prouve son affirmation par citations A.T., la première de Malachie (3:1), le dernier prophète, puis de Isaïe (40:3) vers 680 avant JC, qui parlent de quelqu'un qui va préparer le chemin pour le Messie. Ainsi, la Parole de Dieu, consignée dans le livre d'Isaïe, donne autorité à l'Évangile de Jésus en l'insérant dans l'histoire que Dieu vit avec son peuple depuis les temps anciens. Plus loin, JB confirme également l'identité et la mission de Jésus. Et plus loin encore, Le Père devient le troisième qui prend la parole en révélant l'identité première de Jésus.

- Ces citations introduisent trois des thèmes récurrents de Marc: le messager, le Seigneur et le désert.

- Ce que Marc veut dire: " Le monde nouveau de Dieu est devenu tout proche.

Changez de mentalité. Faites confiance à ce message de salut".

1.4- 8: Jean Baptiste

- Jean Baptiste: Qui est-il?. Un texte de l'historien juif Josèphe, qui a écrit ses 'Antiquités Juives' vers 93-94 mentionne Jean comme réformateur et dit qu'Hérode l'a fait arrêté puis l'a mis à mort pour éviter une sédition de ses disciples contre le pouvoir (18.5.2, 116-119). Il enseignait et baptisait vers les années 28 dans le désert de Judée et serait mort entre 30 et 33. Selon Luc 1: 41-44, il serait un parent de Jésus (cousin par sa mère Elizabeth). Certains pensent qu'il aurait été confié, enfant, à la communauté de Qumran qu'il aurait quitté adulte. Cela expliquerait certaines convergences dans l'enseignement, bien qu'il y est aussi de grandes divergences. S'il est vrai qu'il était le fils d'un grand prêtre Zacharie (Lc 3:2-18), donc tenu à devenir lui-même prêtre, il se serait rebellé et parti vers le désert. Grégoire de Nysse: 'Il avait dû se former au désert, celui qui devait venir dans la vertu et l'esprit d'Elie; il avait dû se séparer de tout commerce avec les hommes, afin de se séparer de leurs erreurs et de leurs préjugés, et d'être tout entier à la contemplation des choses invisibles. Et parce que toutes ses pensées et ses désirs étaient tournés vers Dieu, il arriva à posséder la grâce plus que tous les autres prophètes'.

- Le dernier prophète. Il n'y en avait plus depuis trois cents ans. Mais Deutéronome (18:15, 17-19) annonçait la venue d'un nouveau Moise qui précéderait la venue du Messie qui inaugurerait les temps eschatologiques et l'histoire se terminerait avec l'établissement du Royaume de Dieu. il y avait chez les juifs du temps de Jésus, sous l'occupation romaine, une attente d'un tel prophète qui serait le prélude à la venue du Messie, perçu comme un libérateur temporel et certains pensaient que ce serait Elie qui selon 4 Rois 1:8 devait revenir. D'ailleurs Jésus laisse entendre que JB serait Elie (Mt 11:14, 17 et 12:13). En tant que prophète, JB est le lien et la charnière entre l'AT et le NT. Moise avait donné la loi, Elie avait accusé le peuple de s'en être détourné et l'avait appelé à s'y soumettre à nouveau. Jean, bien qu'il soit venu dans l'esprit et la puissance d'Elie, ne les exhorte pas à garder la loi, mais plutôt à confesser honnêtement qu'ils l'ont enfreinte. C'est donc le dernier prophète de l'AT. Il annonce celui qui vient, ce qui fait de lui le premier prophète du NT.

- Les vêtements de JB, son apparence. Il portait le même vêtement qu'Elie (comparer avec 2 Rois 1:8). Noter aussi la place qui est faite aux animaux dans le récit: sauterelles, poils de chameaux rappellent le récit de la création où les animaux sont bien présents et font partie du monde dans lequel les humains vont arriver, tout d'abord nus, qui vivront en harmonie avec les animaux et la nature. Or JB est nu, mais couvert de peaux de bête, comme Adam et Ève, après la chute, ce qui évoque le renversement violent causé par le péché d'Adam, que Celui qui vient, le Nouvel Adam, redressera, jusqu'à ce que le 'lion broute de l'herbe' (Is, 11), à la fin des temps.

- L'ascétisme de JB en a fait un des patrons privilégiés des moines. Ce dont il est vêtu, ce dont il se nourrit, le lieu où il se tient, allant dans le désert, lui font prendre une place de séparation.

- Son ministère: le désert, le baptême et l'annonce du Messie. a) Désert = lieu des prophètes (se retirer du monde pour vivre plus intensément avec Dieu). Ils y recevaient les gens ou en sortaient pour annoncer une prophétie. Sortir vers le désert, c'est se distancer des affaires du monde et lutter contre les forces du mal. b) Grande nouveauté: baptême pour le pardon. Il y avait chez les juifs des ablutions rituelles de purification. Le baptême est une adaptation nouvelle qui n'était pratiquée que lors de la conversion de quelqu'un, sept jours après sa circoncision. JB prônait la conversion et le baptême qui n'était que le signe extérieur d'une volonté de se changer, de se convertir ; c) Il y a urgence pour le repentir car le Messie vient pour juger son peuple et le baptiser dans l'Esprit. Il faut donc être prêt.

- Le baptême dans l'Esprit est un des signes éminents du temps messianique durant lequel l'Esprit habitera avec les hommes (Joel 3:1-5; Actes 2:1-11). Donc préfiguration de la Pentecôte. 'Le but de la vie chrétienne est l'acquisition du Saint-Esprit' selon Saint Seraphin de Sarov. C'est lui qui rendra les paroles du Christ intelligibles et opérantes en nous.

- JB et Jésus: Marc ne dit pas que JB aurait reconnu en Jésus le Messie dont il proclamait la venue imminente, lors du Baptême, contrairement à Matthieu (3:13-15) où JB reconnaît en toute humilité la préséance du Messie, plus puissant que lui qui ne prêchera pas seulement la repentance mais conférera le Saint Esprit à ceux qui recevront son témoignage. Chez Jean, il n'y a pas de récit du Baptême. JB y est simplement celui qui rend témoignage. Certaines expressions (pas digne de délier les lacets de ses chaussures: travail confié aux esclaves) devraient être comprises dans le contexte de la rivalité entre les chrétiens et les disciples de JB. Il fallait montrer que, nonobstant le fait avéré du baptême de Jésus par Jean, qui plaçait Jésus dans une situation inférieure (critère d'embarras), Jésus lui était supérieur.

1. 9-11: Le Baptême de Jésus et la Théophanie (Mat 3:13-17; Lc 3:21-22)

- L'entrée en scène de Jésus, qui par son apparence, n'a rien de la puissance annoncée. Il vient de Nazareth, cet endroit humble et méprisé de la Galilée. 'Ce qui est faible dans ce monde, Dieu l'a choisi pour confondre les forts' (1 Co 1:27). C'est déjà la kénose qui le fait se soumettre au baptême de JB, dont en fait il n'avait nul besoin, étant sans péchés.

- Pourquoi le Baptême de Jésus? Mgr. Antoine Bloom, dans son explication de l'Évangile de Marc, donne, en plus de la volonté de kénose de Jésus, une explication séduisante. Il dit, qu'à force de baptiser dans le Jourdain par le Baptiste, les eaux du fleuve ont été souillées par l'accumulation des péchés et transgressions dont le baptême débarrassait tous ceux qui s'étaient repentis. Jésus a voulu se plonger dans ces eaux souillées pour porter sur lui les souillures et s'unir, non point au péché, mais à toutes les conséquences du péché, y compris la mort. Par ce geste, il veut s'identifier avec tous les repentants et assumer leurs péchés.

- Théophanie: Tous ceux qui venaient au baptême de JB venaient de la Judée et de Jérusalem. Jésus est le seul Galiléen qui vient de Nazareth (Luc et Matthieu). C'est à ce seul pénitent Galiléen que Dieu parle, l'identifiant comme son Fils Bien aimé, en qui il met toute sa joie, et l'Esprit descend sur lui. C'est la première théophanie du Dieu Trinitaire, adressée à Jésus (et limitée à lui) confirmant son instauration comme le Messie attendu. Les paroles en sont tirées de l'AT. C'est une combinaison de deux versets: l'un qui parle du Messie ('Tu es mon fils bien aimé' Psaume 2:7) et l'autre du serviteur souffrant ("je mets en toi toute ma joie" Isaïe 42:1). Jésus est et sera les deux. Toute la scène rappelle la vision inaugurale d'Ézéchiel au bord du fleuve à Babylone (Ez 1:1). Il y a aussi une réminiscence de la relation d'Abraham et d'Isaac (préfiguration du Messie) dans l'appellation de 'fils unique et chéri' (Gen 22). Aussi d'Isaïe 63:19: 'Ah, si tu déchirais les cieux et descendais'. De même, l'apparition de l'Esprit en forme de colombe (un autre animal) n'est pas sans rappeler la colombe de Noé qui annonçait la fin du déluge. Ici, elle annonce la fin du péché et le début d'une ère nouvelle pour l'humanité.

1. 12- 13: Jésus au désert (Mt 4:1-11; Lc 4:1-13)

-Pourquoi Jésus au désert, poussé par l'Esprit? Jésus résume, en sa vie terrestre, l'histoire du peuple juif pour montrer qu'en lui s'accomplit le destin d'Israël. Juste après sa naissance, il a dû fuir en Égypte fuyant Hérode, comme les juifs qui ont trouvé en Égypte un refuge pendant un temps de disette. Jésus est passé par le baptême, comme on peut dire que les juifs ont fait en sortant d'Égypte et en traversant la Mer Rouge. Puis, ils ont passé 40 ans dans le désert - un temps de purification et de préparation avant d'accéder à la Terre Promise. Jésus passera 40 jours symboliques en se préparant à établir le Royaume de Dieu. Il y surmontera l'épreuve dans laquelle le peuple juif avait succombé et demeure fidèle à son Père. Le chiffre 40 (signification archétypale) est souvent mentionné dans l'AT (période de jeûne de la vie de Moise (Ac7:23,30,36), d'Elie au désert, les juifs dans le Sinaï, etc.). Le nombre 40 signifiait dans l'AT, le temps nécessaire à la maturité d'une vie ou la durée d'une génération (Ex 16:35), ou une période très longue (Gen 7:4; Ex 24:18; etc.) . Dans le NT, en plus de cette période de 40 jours au désert, il signifie aussi la durée des apparitions du Ressuscité. Dans le désert, Jésus fraie avec les bêtes sauvages: autre réminiscence de la Genèse qui indique que dans le Paradis, l'homme vivait en harmonie avec eux. C'est le thème du Paradis retrouvé dans l'Incarnation du Fils de Dieu.

- Lutter contre le Malin. De plus, Jésus veut commencer son ministère en luttant avec les forces du mal et montrer comment résister aux tentations. Le désert est toujours un endroit de tentations, à cause du besoin d'eau et de nourriture, de la peur des bêtes sauvages et de la solitude qui font surgir diverses tentations liées aux besoins de l'homme et à son angoisse. Jésus, dans de nombreux textes du NT affirme la présence et l'action maléfique de Satan. A l'opposé du premier Adam qui a succombé à l'épreuve du Malin, faisant du jardin du paradis un désert, et transformant les animaux en bêtes sauvages, Le Nouvel Adam vainc le Malin et fraie avec les animaux, préfigurant une nouvelle ère paradisiaque.

- Les tentations de Jésus: Contrairement aux autres synoptiques, Marc ne détaille pas les tentations de Jésus (la faim: tentation du trop plein, de la surconsommation, tellement caractéristique de notre temps; celle du désir de puissance et du pouvoir, qui soumet les autres et oublie toute la fraternité entre humains et leur égalité; le fait de 'tenter Dieu' en aliénant la liberté de l'homme: faire des miracles pour forcer l'adhésion). Jésus nous apprend, non pas nécessairement à fuir les tentations, mais à savoir y faire face et leur dire non: Vade Retro, Satanas. Il nous rappelle que la Parole de Dieu est préférable au pain, la confiance en Dieu préférable au miracle merveilleux et le service de Dieu préférable à toute domination terrestre.

- Les Anges: Dieu y aide Jésus par les anges, comme il avait aidé le peuple juif avec la manne et le prophète Elie par un ange lui apportant de la nourriture. Dans nombre de passages de l'AT et du NT, ils sont les messagers de Dieu et les assistants des humains. Sommes-nous conscients de l'action de notre Ange gardien?

- Aussitôt: Nous rencontrons ici pour la première fois ce mot qui reviendra souvent dans Marc. Pour être accompli comme il convient, le service doit être caractérisé par une prompte obéissance. Il ne faut perdre aucun instant, car le salut est en mouvement.

-Jean Baptiste: A partir de l'annonce de son arrestation, JB disparait de la scène pour y revenir aux chapitres 6 (17-20), 9 (11-13) et 11 (27-33).

1. 14-15: Début du ministère public de Jésus (Mt 4:12-17; Lc 4:14-15)

- Ce ministère commence à Capharnaüm et se poursuivra à partir de cette ville vers toute la Galilée. C'est une ville de Galilée, sur la rive nord-ouest du lac de Tibériade. Son nom en hébreu veut dire Kfar (village) et Nahum (le prophète). Elle est une ville frontière sur la route commerciale allant de Syrie en Égypte, ce qui lui donne de l'importance. C'était aussi un poste de douanes et un village de pêcheurs où il y avait une garnison romaine (Mt 8: 5-13). Il y est dit que Pierre y avait une maison et Matthieu (Lévi) y était percepteur d'impôts. Jésus aussi car on parle de sa maison: serait-ce la sienne propre, ou logeait-il chez Pierre? Dans Mt 11:23, Jésus la maudit.

- La Bonne Nouvelle: Jésus annonce que a) les temps sont accomplis, que ce qu'il fait est l'aboutissement de quelque chose déjà commencé. En lui s'accomplissent toutes les prophéties. Le temps de l'attente est achevé; b) Le Règne de Dieu est tout proche, et Dieu est à l'œuvre, une nouvelle réalité prend forme, une nouvelle communauté est appelée à remplacer le peuple élu et qui fera les œuvres de Dieu; c) Appel à la conversion en tant que changement: Convertissez-vous et croyez à cette bonne nouvelle: une réponse humaine est sollicitée et attendue, sans coercition. La condition est de changer de vie. Le Royaume a ses exigences. L'égoïsme y est exclu, remplacé par l'humilité et la valorisation des autres; l'individualisme est aussi exclu, remplacé par la solidarité et un sens d'appartenance à une communauté.

- Le Règne de Dieu: Contre l'attente des juifs d'un Royaume terrestre, Jésus parle de la nécessité de confirmer la royauté de Dieu sur son peuple et sur le monde entier, cette royauté qui est déjà en œuvre, déjà présente en Lui et qui est encore à venir, dans les temps eschatologiques. C'est l'antinomie du 'déjà' et du 'pas encore' qui est censée rythmer la vie de tous ceux qui reçoivent son message. Jésus parle de la venue définitive de Dieu, dans un avenir proche, pour mettre un terme au présent ordre des choses et établir sa souveraineté pleine et entière sur le monde en général et Israël en particulier. Il y a urgence car l'arrivée du Royaume est imminente. Il est déjà là et se réalisera entièrement lors du banquet eschatologique, à la fin des temps, où il sera 'tout en tous'.

- Convertissez-vous. Le mot employé est 'metanoia' qui veut dire 'changer de vie, de projet, ou d'idée' et non seulement se repentir d'avoir mal agi. JB oriente ses auditeurs sur la nouveauté de 'celui qui vient' pour qu'elle nous incite à réfléchir et la laisser modifier nos perspectives. Il appelle à ce que nous nommerions aujourd'hui une conversion de l'intelligence, ou encore un changement de paradigme, un changement radical d'univers mental. Ce thème est récurrent dans Marc (4:11-13; 7:18; 8:17-21; 9:32).

- Dès maintenant: Dès maintenant, les disciples sont invités à s'adresser à Dieu comme à leur Père, à prier pour le venue de son Royaume et à pardonner à ceux qui les offensent afin de pouvoir être pardonnés à leur tour. Dès maintenant, ils sont conviés à s'asseoir à la même table que Jésus, en particulier lors de la sainte Cène, signe et promesse de la participation au banquet final dans le Royaume. Dès maintenant, les pauvres, les affligés, les affamés seront heureux, car sûrs de la promesse faite par Jésus. Le Royaume à venir est donc un futur qui affecte le présent et le façonne.

1. 16-20: L'appel des premiers disciples (Mt 4:18-22; Lc 5:1-11)

- Appel personnel: Ici, Jésus appelle 4 disciples (André le premier appelé et Simon qui deviendra Pierre, le Coryphée des Apôtres dans le premier verset, puis Jacques et Jean, le disciple que Jésus aimait, plus loin). Trois (Pierre, Jacques et Jean)de ces quatre, appelés séparément en premier (deux paires de frères), sont ceux parmi les disciples qui joueront le plus grand rôle dans le ministère de Jésus, dans les Évangiles synoptiques. Il les choisira pour l'accompagner lors de sa Transfiguration, lors de sa prière au jardin de Gethsémani, etc. En mettant l'appel des quatre au début de son récit, l'évangéliste veut probablement montrer que la présence des disciples fait partie dès le départ de la mission de Jésus. Jacques, qui semble être l'ainé, est toujours mentionné en référence à son frère, Jean. Ils sont fils de Zébédée qui semble avoir une petite entreprise familiale de pêche (il est dit qu'ils laissent leur père et 'les employés' pour suivre Jésus v.18-20). Dans Actes 1é: 1-2, il est dit qu'il a été martyrisé vers 44. C'est la seule référence au martyre de l'un des apôtres dans le NT, sauf peut-être l'allusion de Jean 21:18-19 au martyre de Pierre. Jean, autre fils de Zébédée, probablement le 'disciple que Jésus aimait', l'auteur présumé du 4ème évangile, aussi celui des trois épître qui lui sont attribuées et enfin, le prophète de l'Apocalypse, qu'il aurait écrit, selon la Tradition, dans l'île de Patmos. Il semble avoir un tempérament impétueux, bouillant. Avec son frère, ils sont tentés par le royaume messianique (Mc 10:35, Mt 20:20). Il forme avec Pierre une sorte de paire apostolique, comme s'il y avait une complicité entre eux. Lors de la Cène (Jn 13:22-26); chez le Grand Prêtre; leur venue au tombeau vide; lors des apparitions de Jésus (Jn 21:15-19); dans Actes 3:1-4, 3:11, 4:13 et 4:18-20, mission chez Samaritains (Ac 8: 14-1). Jacques, Jean et Pierre sont appelés par Paul 'les colonnes de l'Église' (Gal 2:9). Quant à Pierre, il est le porte parole des Douze et on aura l'occasion d'en parler davantage plus tard. Jésus fait de nous ses collaborateurs. Il veut agir par nous, avec nous. De toutes façons, il nous faut mettre l'emphase sur le fait que c'est Jésus qui appelle. C'est lui qui exprime son choix. Le thème de l'élection est récurrent dans la Bible. Il montre la nature des relations de Dieu avec les hommes. L'élection est une invitation gratuite de Dieu, non liée aux qualités de l'élu. Il exige une réponse et charge d'une mission. Aux hommes d'y répondre par un 'Fiat' marial ou de l'ignorer. Ainsi ont été choisis Abraham, Isaac, Jacob et Juda. Ainsi ont été choisis les prophètes. Ainsi sont choisis les Apôtres. Toujours l'élu est mis à part. La situation est toujours actuelle. Tout baptisé est un appelé qui doit quitter ses préoccupations pour suivre celui qui l'appelle. Que sommes-nous en train de répondre à cet appel?

- Pour suivre Jésus, il faut 'jeter ses filets', et si nécessaire, laisser sa barque et son père, c'est-à-dire savoir se distancer de tous les soucis de ce monde. Il est à noter que Jésus ne choisit pas ici ses disciples parmi les pharisiens ou les gens aisés ou instruits, mais parmi les humbles. Il est probable que Jésus connaissait déjà la plupart des disciples, ayant pratiquement grandi avec eux, en Galilée.

- Venez derrière moi: Il s'agit de suivre Jésus, en confiance, là où il nous mènera, même si cela pourra nous mener à mourir avec lui, ou pour lui, car c'est là le seul gage de participer à sa Résurrection. Il s'agit de le chercher, dans tous les endroits de sa présence (Écriture, Liturgie, Prière personnelle, Eucharistie, Communauté des frères, tout homme en qui il a choisi d'habiter).

- 'Je ferais de vous': Seuls, les disciples ne peuvent rien faire dans l'accomplissement de l'œuvre de Jésus qu'ils sont appelés à aider. Jésus s'engage à faire d'eux des 'pêcheurs d'hommes'. Il le fera par son enseignement, mais surtout par l'envoi de son Esprit qui les transformera, les habilitant à leur ministère. Tout ministère est dépendant du Saint Esprit. Notre prière à l'Esprit 'd'habiter en nous' est une pré condition à toute action dans l'Église du Christ. Sans lui, nous ne pouvons rien faire de bon. C'est lui qui nous rappellera les enseignements de Jésus et nous donnera la force de devenir vraiment ses disciples et donc, comme les apôtres, de participer activement à son œuvre, à la construction du Royaume de Dieu.

- Des 'pêcheurs d'hommes': Dans l'AT, un filet qui attrape des hommes est toujours une image terrifiante de jugement, un jugement inéluctable qui va tomber du ciel. Avec Jésus, la perspective est inversée. Elle parle toujours de jugement, mais maintenant ce jugement n'est plus inéluctable, car il y a la possibilité du repentir et du pardon. Jésus n'appelle pas ses disciples simplement à annoncer le jugement de Dieu sur les coupables, mais aussi à annoncer la possibilité du pardon. C'est en cela que réside la bonne nouvelle. Il y a de nouveau de l'espoir pour l'homme.

- Pêcheurs de poissons et pêcheurs d'hommes: Un jeune du MJO a attiré mon attention sur la similitude entre ces deux catégories de pêcheurs. A tous deux, il faut beaucoup de patience et du temps. Tous deux doivent lancer 'la parole' (ou les filets) sans être sûrs du résultat qui reste entre les mains de Dieu. Plus ils s'éloignent du rivage et vont au large, c'est-à-dire, plus ils sortent des sentiers faciles et battus, plus ils auront de chance de faire une meilleure pêche.

1. 21-28: Enseignement avec autorité et lutte contre les esprits mauvais (Lc 4:31-37)

- Le jour du sabbat: On avait le droit d'enseigner en ce jour de repos où tout travail était interdit, à la fois en rappel du repos de Dieu le 7ème jour de la création (Ex 20:11; Gen 2:1-3) et de la libération d'Égypte (Deut 5:15). C'est un jour qui doit être consacré au Seigneur (Ex 16:23; 31:15; 35:2; Lev 23:2; etc.). Au retour de l'exil à Babylone, Isaïe renouvelle la signification du Sabbat en l'associant à la venue du Règne de Dieu et au rassemblement des peuples de la terre à Jérusalem (Is 56:1-7; 58:13-14; 66:18-23). On verra plus loin l'attitude de Jésus face au Sabbat. C'est ici que commence l'enseignement du Seigneur, dans la Synagogue de Capharnaüm. Une tradition dit que le responsable de cette synagogue était Jaire, qui a jugé que Jésus était apte d'enseignement et a dû l'y inviter à parler. Au chapitre 5, Jésus ressuscitera sa fille. Le premier récit (1:21-28) comme le dernier (3:1-6) de cette période galiléenne du ministère de Jésus se déroulent dans la même synagogue, le jour du Sabbat.

- Il ne parle pas comme les scribes: Les scribes étaient les docteurs qui interprétaient l'Écriture, conformément à la tradition des anciens pour en appliquer les prescriptions aux multiples situations de la vie courante. Ils jouissaient d'un grand prestige auprès du peuple et aimaient à se faire appeler Maître ou Rabbi. Ils parlaient un peu comme: 'Suivant l'enseignement de rabbi X et corroboré dans des écrits de rabbi Y et avec l'appui des œuvres de rabbi W, je vous dis que …'. Ceux venus de Jérusalem s'opposeront à lui.

- Il parle avec autorité: Contrairement aux scribes, Jésus dit: 'Amen, vraiment je vous dis …'. On verra plus loin qu'il interprète l'Écriture à sa propre manière, qui n'est pas sans causer de scandale. Mais, durant cette première prédication, il semble qu'il ait impressionné les présents. Sa parole ne consiste pas en des raisonnements, mais elle est percutante, avec l'autorité de quelqu'un qui connait la vérité qu'il annonce, autorité qui était vraiment celle de Dieu, étant lui-même ' le chemin, la vérité et la vie'. Il en donne, d'ailleurs, tout de suite la preuve, en faisant suivre ses paroles par des actes.

- Guérison de l'homme possédé tourmenté par un esprit mauvais:

Dans la Bible, le but des mauvais esprits est toujours de tourmenter, voire détruire les hommes, car ils s'opposent à tout ce que Dieu veut, à tout ce que Dieu aime. L'idée que des esprits mauvais pouvaient, non seulement faire souffrir les gens en exerçant sur eux une action extérieure (obsession démoniaque), mais qu'ils pouvaient s'introduire en eux et s'emparer de leur corps (possession démoniaque) était très répandue dans les cultures antiques. elle existe encore aujourd'hui dans bon nombre de cultures du tiers monde. A part la mention de l'esprit mauvais qui tourmentait le roi Saul (1S 16: 14-23; 18:10-11; 19:9-10), cette idée est pratiquement absente du canon hébraïque de l'AT. Dans la littérature post exilique on trouve dans le livre de Tobie (6: 7-8; 16:18; 8:3) des références à des obsessions diaboliques. Par contre, cette idée abonde dans la littérature intertestamentaire. Le roi Salomon y a la réputation d'expert en exorcisme. L'exorcisme est aussi très répandu à Qumran.

Jésus a pratiqué des exorcismes. C'est le type de guérison le plus répandu dans les synoptiques. Contrairement aux exorcistes de son temps qui s'identifiaient avec un pouvoir reconnu, une déité ou un objet saint, et qui faisaient des sortilèges par des incantations répétées, Jésus se contente d'ordonner, de commander et d'expulser. Vu le caractère primitif des connaissances médicales au 1er siècle, les maladies mentales, les troubles psychosomatiques et des phénomènes comme l'épilepsie, étaient souvent attribués à la possession démoniaque. Il faut se souvenir que toute maladie est un signe de la puissance de Satan sur les hommes (Lc 13:11). Satan étant à l'origine de la transgression de l'homme qui a rendu sa nature fragile et mortelle, on peut considérer qu'en principe toute maladie trouve sa véritable origine en lui. De toutes façons, les cas de possession dans l'Évangile, quel que soit le nom qu'on leur donne, représentaient pour Jésus autant de maux dont souffrait les humains et qu'il se devait de guérir. En affrontant ce genre de maladies, Jésus affronte les esprits mauvais qui ont pouvoir sur l'humanité pécheresse et ils les vainc dans leurs domaines. Les démons se croyaient installés ici bas en maîtres. Jésus est venu pour les perdre (Mc 1:24). C'est par l'Esprit de Dieu qu'il les expulse, ce qui prouve que le Royaume est déjà là.

Les premiers chrétiens considéraient qu'ils avaient reçu de Jésus le pouvoir d'accomplir des exorcismes. Cela fait partie du mandat donné à ses disciples quand il les envoyait en mission (Mc 6:7; 9:38-40). Les Actes présentent Paul comme exorciste (Ac 16:16-18; 19:12). D'ailleurs, le pouvoir exorciste des chrétiens était un argument souvent utilisé contre le paganisme. Déjà au 3ème siècle, la fonction d'exorciste officiel est établie dans l'Église de Rome.

Sans mettre en doute des cas de possession très nets (Mc 1: 23; 5:6), il faut considérer que certains cas de possession relatés dans les Évangiles semblent relever de la psychiatrie (Mc 9:20).

Après cette digression, revenons à notre texte. L'esprit mauvais connait le nom de Jésus. Il l'interpelle. Connaitre le nom de quelqu'un donne un pouvoir sur lui. Crier le nom de Jésus par les démons est une tentative de lui résister, de l'empêcher de les chasser. L'esprit, en appelant Jésus comme 'le Saint, le Saint de Dieu' veut aussi le troubler, car il savait que Jésus ne voulait pas encore révéler sa nature messianique (voir secret messianique dans l'Introduction). Aussi, Jésus lui ordonne de se taire et de sortir de l'homme. Jésus donne simplement un ordre. L'autorité de son enseignement est confirmé ici par l'autorité de son agir. La foule effrayée s'interroge: Quelle est donc cette autorité? Qui est donc cet homme qui prétend être aussi grand que David et être au-dessus du Sabbat? Il faudrait noter que ce premier miracle de Jésus, un jour de Sabbat, ne provoque pas de controverse, contrairement à ce qui se passera plus tard. Est-ce parce qu'il se passa juste après l'enseignement 'avec autorité' qui avait subjugué la foule?

1. 29-31: Lutte contre le mal et Guérison (Mt 8:14-15; Lc 4:38-39)

- Jésus avec des disciples choisis: confirmation de ce que nous avons dit plus haut. Jésus veut initier ses disciples et les faire participer à ses actes salvifiques.

- Jésus va chez Simon et André: Jésus cherche toujours un contact direct avec les hommes. Il aime souvent aller dans leurs maisons, y connaitre leur intimité.

- Première guérison de maladie: On peut lire ce récit à deux niveaux: (i) celui de la guérison de la belle-mère de Pierre, probablement relaté à Marc par Pierre lui-même. C'est le seul endroit dans NT où on dit que Pierre était marié. Ici aussi point de polémique. Jésus agit en privé, dans un petit cercle d'amis. Il agit par compassion, comme pour tous les autres miracles de guérison, non pour forcer par le miracle l'adhésion, ce qui serait une atteinte à la liberté. (ii) et celui d'une allégorie qui peut être comprise selon le schéma suivant: a) nous sommes tous malades de la fièvre mortelle du péché; b) Jésus s'approche de nous parce que nous ne pouvons nous approcher de lui, du fait de notre faiblesse; c) Jésus nous tend la main, un geste de compassion, d'amour et d'invitation; d) Ce geste nous demande une réponse. C'est à nous de prendre ou non la main tendue et offerte. La prendre veut dire que nous reconnaissons que nous sommes malades et que nos péchés nous séparent de Dieu et que nous avons besoin d'aide; e) Si nous la refusons, nous nous endurcissons dans notre refus. Ne serait-ce pas là le péché contre le Saint Esprit?; f) Par contre prendre la main offerte nous permettra de nous mettre debout, la fièvre nous quittera; g) Comme le belle-mère de Pierre, nous commencerons à servir le Seigneur et ses amis, par amour, par reconnaissance et pleins de joie.

- Guérison: travail de purification de l'homme pécheur en le tournant vers Dieu. Commencé dans la synagogue, ce ministère se poursuit dans la maison de Pierre, probablement pour le repas festif en milieu de journée du Sabbat. En guérissant un homme et une femme, le même jour, c'est l'humanité blessée par le mal que Jésus veut restaurer. Ce travail de restauration se poursuivra le jour d'après, 'le soir venu' du verset 1.32, montrant que pour Jésus, il n'y a plus de différence entre le Sabbat et les autres jours. Il inaugure le sabbat des temps nouveaux, annoncé par Isaïe.

1.32-34: Prédication, Exorcismes, Guérisons de maladie (Mt 8:16; Lc 4:40-41)

L'activité de Jésus se poursuit: prédication, exorcisme, guérison. Autant d'actions qui valident son identité comme le Messie de Dieu. Il répond à toutes les demandes. Là encore, Il ordonne aux démons de se taire, voulant cacher son identité. Par la prédication, il nous apprend qui est véritablement Dieu et comment le connaitre. Il nous apprend aussi qui nous sommes vraiment, que nous sommes faits pour Dieu, pour expérimenter son amour et le répandre par la participation à ses œuvres. Par la guérison, il nous apprend que la maladie et la souffrance ne font pas partie de la volonté de Dieu sur nous, mais qu'ils sont la conséquence du péché. Notre monde est déchu, il n'est pas comme Dieu l'a voulu et créé. Jésus est justement venu pour faire un travail de rétablissement, de remise en état. Jésus se révolte contre la maladie et la guérit. Les miracles de guérison sont des signes du temps messianique (Is 61: 1 … ). Ils inaugurent un temps nouveau. Par l'exorcisme, il nous apprend que le péché lui-même n'est pas la cause finale des ennuis des hommes. Il n'en est que le symptôme. Nous sommes soumis à une guerre réelle avec les forces du mal, le démon et ses mauvais esprits et il s'agit de s'en remettre à Jésus pour s'en débarrasser. En somme, Jésus affronte tout ce qui se révolte contre Dieu. Il a déjà affronté le démon au désert. maintenant, il s'oppose à ses serviteurs (par l'exorcisme), ses actes (par la guérison des maladies) et ses mensonges (par l'enseignement).

1.35: Jésus en prière (Lc 4:42-43)

- Chaque fois, après un contact avec la foule, Jésus fuit l'enthousiasme de la foule et s'isole pour se donner à une prière solitaire. Deux raisons le poussent à ce faire. D'abord, éviter que l'enthousiasme populaire n'éveille le désir d'un messianisme terrestre chez les juifs, ce qui les ferait ne rien comprendre à son enseignement. Puis, la nécessité mystérieuse de s'isoler pour parler avec son Père et se conforter pour continuer à faire sa volonté. Contrairement aux autres évangélistes, Marc montre Jésus en prière seulement trois fois: au commencement de son ministère, au milieu après qu'il aie donné à manger à des milliers, puis à la fin, dans le jardin de Gethsémani. Ici, au début de son ministre, Jésus a probablement besoin de s'entretenir avec son Père pour mieux tracer le chemin de son ministère. Quant à Marc, il semble vouloir montrer, après les nombreux miracles et les exorcismes, que la source de la puissance de Jésus est en sa vie d'union avec le Père, dans la prière. En prière, il se soumet au Père. Il cherche à discerner son chemin. Il se nourrit spirituellement.

- Ses disciples le cherchent: Ils considèrent que son retrait est une perte de temps. Devant les succès obtenus la veille, ils ont un souci d'efficacité. Ils n'ont encore rien compris!

1. 36-39: Insensible aux appels de la foule de rester chez eux, il continue son chemin

- Par son refus de se fixer en un lieu, Jésus indique qu'il veut atteindre le plus grand nombre pour leur annoncer la Bonne Nouvelle, qui est sa priorité primordiale. Les miracles et les exorcismes qui ont enthousiasmé la foule ne sont que des signes qui montrent sa compassion et son amour des hommes. Certes, ils confirment ses paroles, mais ils sont secondaires à ses yeux. Ce sont les paroles de Jésus qui leur donnent un sens. A ceux qui croiront à ses paroles, il sera donné non seulement d'en voir de plus importants, mais d'en faire eux-mêmes, au nom de Jésus. Le verset 39 résume en une phrase lapidaire l'œuvre de Jésus 'dans toute la Galilée' qui a dû durer plusieurs semaines, voire des mois. En compagnie des ses disciples, il y fait ce qu'il a fait à Capharnaüm. Marc semble vouloir éviter les répétitions. Jean dit à la fin de son Évangile qu'il y a encore plein de choses faites par Jésus dont on n'a pas parlé: ces actions en Galilée en font partie.

1. 40-45: La guérison du lépreux (Mt 8:2-4; Lc 5:12-16)

C'est la première fois que Marc parle de la guérison comme conséquence de la foi du malade: 'si tu le veux, tu peux me purifier'. Il a la foi, mais il s'en remet à la volonté de Jésus. La foi est confiance. Le récit montre aussi clairement que les miracles de guérison sont le résultat de la compassion de Jésus: 'Pris de pitié…'. De même, il réaffirme la nécessité du secret messianique qui est présent dans tout l'Évangile. Cependant le lépreux guéri ne s'y soumet pas, ce qui oblige Jésus à de nouveau 'éviter les lieux habités'. La lèpre était la maladie la plus redoutée en ce temps car inguérissable. Elle entrainait, en plus de ses conséquences physiques terribles, des conséquences sociales et religieuses. En somme, il était excommunié. Personne ne frayait avec les lépreux, par peur de contagion et parce qu'ils étaient considérés punis par Dieu pour un péché grave et sérieux, qui attente à la vie religieuse de la nation ou à la dignité de ses responsables (Nom12:1-10; 2 Rois 5:20-27, 2 Chroniques 26: 19-23). Le lépreux était donc absolument solitaire, abandonné de tous, chassé de sa famille et de sa ville, complètement exclu de la société. Il errait aux abords des villes. Et comme jésus fuyait souvent les villes, il était normal qu'il les rencontra. Ce miracle met l'accent sur une nouvelle raison de la venue du Seigneur: il ne guérit pas seulement la maladie du lépreux, mais il brise les tabous d'exclusion, il exprime sa solidarité: 'Il le toucha'. Il montre par ce geste qu'il est venu aussi pout tout exclu. En le touchant, il scandalise les autres, pour qui il ne peut y avoir de geste plus choquant, car il rend Jésus lui-même impur, aux yeux de la loi. Notons la répétition, dans ce récit, des mots 'purifier' et purification'. Au lieu des prescriptions interminables de l'AT pour accéder à la purification et par la suite la préserver, Jésus purifie d'un geste et d'une parole. Il ne s'agit plus de se plier à des prescriptions formelles. Il s'agit d'avoir seulement la foi. L'ayant guéri de la maladie, il lui demande de n'en parler à personne (secret messianique) et d'aller auprès des prêtres pour le 'purifier' religieusement, pour lever complètement la malédiction dont il était l'objet et le réintégrer dans la société. Les prêtres ne pouvaient rien pour sa maladie car ils estimaient que guérir de la lèpre était comme ressusciter de la mort, donc possible seulement à Dieu. Jésus veut donc leur montrer que lui, étant Dieu, peut le guérir. Les prêtres n'ont plus qu'à constater la guérison. Le lépreux s'en va 'glorifiant Dieu'. Il n'obéit donc pas à Jésus, ce qui oblige Jésus de nouveau à s'isoler des foules. Cette opposition, chez Marc entre le 'caché' et le 'pourtant révélé' est à noter. Elle n'est pas sans rappeler le Royaume 'accompli' et 'à venir'. Allégoriquement, ce récit nous interpelle. Toute action, tout péché qui nous séparent de Dieu et des hommes fait de nous des lépreux, des morts vivants spirituels, des êtres qui fraient avec la mort. Notre guérison viendra de notre confiance en Jésus, en nous jetant à ses pieds, en nous remettant totalement à lui. Comme le fils prodigue, nous découvrirons alors qu'il est entièrement solidaire avec nous, qu'il tient à nous guérir et rétablir les liens rompus avec son Père et avec la communauté humaine. Quelle que soit notre malheur, notre solitude, notre rejet par la société, par les églises ou leurs représentants, Jésus est toujours là pour nous tendre la main. En fait sa main est toujours tendue vers nous, dans l'attente de la nôtre.

Chapitre 2

2. 1-12: Retour à Capharnaüm et Guérison du paralytique (Mat 9:1-8; Lc 5:17-26)

- Absence de quelques jours et retour: Cette fois, la réclusion de Jésus s'allonge. Mystère incompréhensible de sa relation avec son Père. Il revient à Capharnaüm qui semble être sa base de départ pour son ministère galiléen. C'est là qu'il demeure normalement

- Image de la solidarité humaine retrouvée en présence de Jésus. Les quatre amis veulent tellement que leur ami soit guéri qu'ils ne s'arrêtent pas devant l'impossibilité de le faire entrer par la porte. Double sentiment de solidarité humaine et de confiance en Jésus. Encore une fois, grande confiance en Jésus, en sa compassion et en sa puissance. Jésus récompense la foi des amis. L'amitié spirituelle (philia) se place entre l'éros qui est un amour de désir captatif et l'agapè qui est le pur amour évangélique. Elle est une dimension importante de l'ère nouvelle. Jésus appelle ses disciples 'mes amis'. Ce récit de solidarité humaine et d'amitié vient ici contrebalancer la solitude et l'exclusion du lépreux.

- Enlever le toit: Les toits étaient composés de torchis, donc faciles à enlever, mais c'était quand même une grande histoire que de le faire.

- Tes péchés te sont pardonnés'. Le Fils de l'Homme peut pardonner: Dieu seul peut pardonner les péchés. Seul le Grand Prêtre pouvait, une fois l'an, le jour du Kippour effectuer à la fois une purification rituelle et demander à Dieu d'accorder le grand pardon pour les péchés de l'année écoulée (Lev 16). A Dieu seul appartient le pardon. Maintenant, le Messie peut pardonner les péchés sur terre. Il est dit 'le Fils de l'Homme' qui est une affirmation messianique utilisée par Jésus pour se nommer. C'est la première fois qu'elle apparait dans l'Évangile de Marc. C'est là encore une affirmation de la divinité de Jésus qui cause scandale aux pharisiens: 'c'est un blasphème'. Jésus esquive les réponses en posant des questions: Qu'est-ce qui est plus facile …? C'était une pratique rabbinique. Nous verrons plus tard que Jésus a délégué ce pouvoir de remettre les péchés à ses disciples, à son Église. Puis, il dira au paralytique de se lever et d'aller chez lui. En cela, Il prouve qu'il peut guérir à la fois l'âme et le corps de l'homme. Le miracle d'ordre spirituel vient en premier, car le péché est la cause de la maladie physique.

- Relation entre le péché et la maladie: Les paroles de Jésus lient clairement les raisons de la maladie (et de la mort) au péché. En effet, la maladie n'est pas un ouvrage de la main de Dieu et Dieu n'a pas fait la mort. En Genèse 1:31, il est dit que la création était 'entièrement bonne'. L'homme a été créé libre et en communion avec le Créateur. C'est le mauvais usage de son libre arbitre qui a causé le péché. Péché d'orgueil, d'affirmation de soi contre et sans Dieu qui a brisé la communion et rendu la nature humaine faillible et corruptible et exposée à la mortalité. C'est là la source des maladies, des souffrances et de la mort. Jésus vient justement pour inverser cette équation et vaincre tout mal venant du péché et rétablir l'homme dans sa dignité première. Dieu n'est pas la source des maladies, mais il les permet, disent certains Pères, pour manifester la pédagogie divine. Dans Deut 8:2-5n il est dit: 'Il t'éprouvait (Moise) pour connaître ce qu'il y avait dans ton cœur… et le Seigneur faisait ton éducation comme un homme fait celle de son fils'. L'épitre aux Hébreux confirme: 'C'est pour votre éducation que vous souffrez (12: 7-11). De plus, la maladie doit avoir pour résultat d'aiguiser la conscience du péché (Ps 38:2-6, 39: 9-12; 107:17).

- Le Christ 'médecin': 'Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin de médecins, mais les malades' (Mc 2: 17; Mt 9:12; Lc 7:31) . Jésus prend acte de la situation de l'homme après la chute. Il s'en émeut et se pose en médecin pour le guérir. Il n'est pas seulement le médecin des âmes, mais aussi des corps. En cela, il inaugure l'ère messianique. Il guérit tout d'abord par compassion, par amour des hommes. Il guérit aussi pour donner aux malades l'opportunité de 'glorifier Dieu'. C'est un thème récurrent de presque toutes les guérisons.

- 2: 13-15: Appel de Lévi et Entrée dans sa maison avec les publicains (Mt 9:9; Lc 5:27-28)

- Lévi: Lévi était un publicain, c'est-à-dire un collecteur d'impôts pour compte de l'occupant romain. Il était haï par les juifs, car considéré comme un collaborateur. Il était riche et pourtant il répond tout de suite à l'invitation de Jésus à le suivre et l'invite chez lui. Marc et Luc font une distinction entre Lévi et Matthieu (Mc 3:18; Lc 6:17), tandis que Matthieu le fait en disant de Matthieu qu'il était collecteur d'impôts (Mt 10:3). Les publicains étaient considérés comme des traitres. On ne frayait pas avec eux. Ils étaient une autre catégorie d'exclus. Jésus, encore une fois, se démarque de la foule. Il ne juge pas. Il ne manifeste aucun dégoût pour la vie d'un homme, quel qu'il soit. Il ne s'arrête pas aux apparences. Il sonde les cœurs. Noter que Jésus, après avoir choisi ses premiers disciples parmi les pêcheurs, n'hésite pas ici à choisir un riche, un bourgeois. L'important n'est pas la position sociale, mais la disposition du cœur.

2. 15-17: Jésus mange avec les publicains ( Mt 9:10-13; Lc 5:29-32)

- Jésus mange avec les publicains : Matthieu invite également ses collègues qui sont tous des publicains leur disant: 'venez voir, j'ai trouvé la perle de grand prix'. Il exerce l'hospitalité envers eux afin qu'ils rencontrent eux aussi son nouveau maître. Au grand scandale des soit disant 'justes', Jésus s'assied à la même table qu'eux. Il ne 'snobe' donc pas tous ces publicains. Ils sont exclus par leurs congénères. C'est une raison suffisante pour lui de s'intéresser à eux. Il mange avec eux. Donc il les considère des frères, la nourriture étant un des facteurs importants qui unissent les hommes.

- Les pharisiens sont scandalisés: Je suis venu pour les pécheurs. Ils en parlent aux disciples de Jésus, n'ayant pas encore le courage de l'affronter directement. C'est le début du conflit avec les scribes et les pharisiens qui s'en ira crescendo et qui aboutira à sa mise à mort. C'est Jésus qui répond à la place des disciples: 'Je suis venu appeler non les justes, mais les pécheurs'. Ils sont tout aussi dignes de mon amour et de la grâce. Cette scène rappelle la colère du fils aîné quand il voit son frère pécheur accueilli et restauré dans tous ses droits. Aux notions de pureté rituelle et formelle, il inaugure l'ère de la grâce, du pardon gratuit, de l'unité foncière entre les hommes, au-delà de leurs différences sociales. Dans les récits précédents, les malades et les pécheurs viennent vers Jésus. Ici, c'est lui qui va vers eux, qui prend les devants pour manifester sa miséricorde.

2.18-22: Discussion sur le jeûne (Mt 9:14-17; Lc 5:33-39)

- De nouveau, objection des scribes et des pharisiens: S'étant plaint des Jésus à ses disciples plus haut, maintenant ils se plaignent des disciples auprès de Jésus parce qu'ils ne jeûnent pas. Il est évident qu'ils manquent de courage pour dire les choses en face, peut-être à cause de la ferveur de la foule envers Jésus. Nous faisons souvent de même. Ayons le courage de dire la vérité de front, en veillant toutefois à ne pas blesser notre interlocuteur.

- Le jeûne: L'AT n'imposait que quelques jours de jeûne obligatoire. Il y avait un grand jeûne au jour de l'Expiation (Le Kippour) comme signe d'appartenance au peuple de Dieu (Lv 23:29), puis aux jours anniversaires des malheurs nationaux. En tout près d'une semaine, même moins. De plus, il y avait les jeûnes par dévotion personnelle. Ainsi les disciples de JB jeûnaient deux fois par semaine par ascèse. Les pharisiens aussi et ils s'en prévalaient comme signe de sainteté de leur vie. En Galilée, des jeûnes supplémentaires remplaçaient les sacrifices de réparation qu'il leur était difficile d'offrir au Temple de Jérusalem, vu la distance. Par contre, il était interdit de jeûner les jours de joie et de souvenirs de victoires. Il semble que les disciples de Jésus ne jeûnaient pas, ce qui les distinguait d'autres groupes juifs et en faisait une entité particulière, différenciée des autres.

- Chaque jour est un jour de joie en présence de l'époux: De nouveau, Jésus répond, utilisant cette fois une image nouvelle du Messie, celle de l'époux, qui est propre au NT, le thème des fiançailles étant l'apanage de l'AT, souvent rompues par des pactes conclus avec d'autres divinités. Le thème de l'époux, du mariage et des noces est thème majeur du NT (noces de Cana, parabole des dix vierges, les noces de l'agneau, etc.). Tant que l'époux est avec eux, c'est un temps de joie. Donc ils ne doivent pas jeûner. Face aux prescriptions de la Loi, Jésus revendique avec force la liberté de la grâce. Tant qu'il est avec eux, ils n'ont pas besoin de jeûner, car ils sont en communion avec lui. Plus tard, et déjà il fait référence à sa mort, il conviendra de jeûner pour être davantage consacré à Dieu , pour appeler sa présence, pour le rechercher et tendre de nouveau à vivre en lui. L'Église fait de même en interdisant le jeûne durant le temps pascal, temps par excellence de présence du Ressuscité parmi nous.

2. 23-27 Les épis arrachés et le Sabbat (Mt 12:1-8; Lc 6: 1-5)

- Les épis arrachés: non respect des règles interdisant tout travail le jour du Sabbat. Cela montre l'étroitesse d'esprit des pharisiens et leur observation méticuleuse de la Loi. Nous sommes toujours dans le registre de la nourriture. Jésus répond en s'appuyant sur l'exemple du roi David (1 Samuel 21:2-7; Lev 24:5-9) dans une situation exceptionnelle qui était alors celle du rejet du roi légitime, qui a mangé les pains normalement réservés aux seuls prêtres. Or maintenant, c'est aussi une situation exceptionnelle, car un roi, autrement plus important, le Messie fils de David, est là, et il va être rejeté par son peuple.

- Le Fils de l'Homme est le Maître du Sabbat: En affirmant que le Fils de l'Homme est le Seigneur du Sabbat (Ps 8), Il veut surtout dire qu'il est opposé au rigorisme extrême et souvent arbitraire pour favoriser une approche plus humaine et modérée des observances. Il ne vient donc pas détruire la Loi, mais en rendre l'application plus conforme à son but initial, à savoir le service de l'homme. Le Sabbat est pour l'homme, non l'inverse. Il ne suffit pas de suivre les prescriptions rituelles pour être justifié. Serait-il possible que la Loi ait voulu interdire de faire le bien, un jour de Sabbat? Est-il possible que le Sabbat transforme un acte de miséricorde en une transgression? Jacques 4:17 nous dit que si nous pouvons faire le bien, et ne la faisons pas, nous pêchons. C'est là l'inversion des valeurs du NT. La loi du Christ est différente dans son caractère et son esprit de la loi de Moise.

- Mettre le vin nouveau dans des outres neuves: L'accomplissement de la Loi est dans l'amour et la liberté humaine que le NT inaugure. Il ne s'agit donc pas d'appliquer les prescriptions de l'AT aveuglément. Il faut les adapter à la nouvelle Loi de l'amour et de la Liberté. Le vin nouveau ne doit pas être mis dans des outres vieilles. Le judaïsme a fait son temps. Il doit maintenant passer la main. Les choses vieilles étaient révolues (2 Cor 5:17) et remplacées par la grâce, la puissance de Dieu et son amour. Les images du tissu viennent de l'AT (Deut 22:12).

- Pas de syncrétisme judéo-chrétien: Il ne peut y avoir de judéo-christianisme, une sorte de syncrétisme entre les deux religions, comme il est de mode en Occident de nos jours de promouvoir. Un christianisme respectueux du Judaïsme suit ses propres lois. Après la Résurrection, le Dimanche deviendra le Jour du Seigneur et remplacera le Sabbat. Durant ce jour, le chrétien se doit de glorifier le Seigneur. Quelque libre que soit le chrétien, il n'est affranchi du monde et de la loi, que pour servir et louer son Dieu.

Chapitre 3

3. 1-7 Guérison de l'homme à la main desséchée et suite de la controverse avec les scribes et les pharisiens (Mt 12:9-14; Lc 6:6-11)

- Encore une guérison le jour du Sabbat: De nouveau dans la Synagogue de Capharnaüm. 'On observait Jésus pour voir s'il guérirait le jour de Sabbat. Les opposants semblent s'organiser. Jésus défie ses détracteurs en ordonnant à l'homme guéri de se lever 'devant tous'. Le récit est construit à la manière d'un procès en plaçant l'homme au milieu et exposant le véritable enjeu: peut-on faire le bien plutôt que le mal un jour de Sabbat? Par la loi, Dieu a-t-il voulu interdire de faire du bien comme de faire du mal? Le Sabbat fait-il d'un acte de miséricorde une transgression? Ils n'osent pas répondre. Ils se taisent. En fait, la loi interdisait seulement les mauvaises actions (Lv 23): 'vous ne ferez en ce jour aucune œuvre servile'. Ils ne comprennent rien à la vraie dimension de la loi, se limitant à une application stérile. 'La lettre tue, l'esprit vivifie' (2 Co 3:6). Jésus n'hésite pas. L'incompréhension des chefs de son peuple a dû certainement l'attrister en profondeur. Il promène sur eux un regard de colère et Il guérit l'homme à la main paralysée. Le salut est déjà là. Ne pas sauver, c'est perdre. Si nous savons faire le bien et nous ne le faisons pas, nous péchons (voir Jacques 4:17). Pourquoi remettre au lendemain ce qui peut se faire aujourd'hui, même si c'est un Sabbat? On peut se demander quelle est la nature de la colère de Jésus. Nous, quand nous sommes en colère, nous sommes pris de fureur. Jésus ne connaissait pas la fureur. Il était pris d'une 'sainte colère', exempte de péché, comme le dit Paul dans l'épitre aux Éphésiens. Allégoriquement, l'homme malade représente ici le genre humain dont la main a été paralysée pour avoir cueilli le fruit défendu. En étendant ses deux mains innocentes sur la Croix, Jésus lui a rendu sa vigueur première.

- L'animosité des scribes et des pharisiens en arrive à délibérer comment le tuer. Leur cœur est tellement endurci qu'ils sortent de la synagogue et n'hésitent pas à consulter les hérodiens qui étaient leurs ennemis et considérés comme hérétiques, afin de trouver un moyen de faire mourir Jésus. Genèse 49:10 dit que le Christ viendra à l'extinction des princes de Juda. Comme cela s'était produit déjà, les hérodiens considéraient Hérode comme le Messie attendu. Les scribes et les pharisiens sont tellement sûrs de leur bons droits de défendre la Loi de Moise qu'ils sont près de s'allier à des hérétiques pour faire périr ce nouvel hérétique qui ne respecte pas la loi. Ils respectent la lettre de la loi, mais ils la violent en complotant pour faire périr un homme. Ils sont complètement incapables de comprendre la signification des signes de guérison, de purification et de pardon posés par Jésus. Ils ne sont pas conscients que le rapport au temps a changé. On n'est plus dans l'attente du Règne de Dieu. Le temps nouveau du grand Sabbat de la fin des temps est déjà là, et il s'agit de l'accueillir sans perdre de temps. Souvent, nous faisons de même, quand pour des questions formelles ou rituelles, nous anathématisons nos frères. Nous pouvons aussi faire un mauvais usage, comme les pharisiens, de la loi du Christ qui est très différente, dans son caractère et son esprit, de la loi de Moise. Bien que le joug du Christ est doux et léger, nous pouvons en faire un fardeau pesant et un véritable obstacle à l'effusion de la grâce. Aujourd'hui, souvent c'est le typicon par exemple qui prend symboliquement la place du Sabbat. Malheur à ceux qui s'en éloignent ou qui n'en respectent l'une des prescriptions. L'intégrisme, défendant tel ou tel aspect non majeur de la tradition, rappelle étrangement l'attitude des pharisiens. Sommes-nous conscients qu'en ce faisant, nous sommes en train de 'faire périr' nos frères, et donc le Seigneur?

3.8-12. Jésus se retire, mais la foule le suit. Il les guérit, puis les instruit à partir d'une barque (Mat 10:1-4; Lc 6:12-16)

- Il va vers la mer (le lac de Tibériade) qui n'est pas loin de Capharnaüm. Il se retire loin de la haine des chefs du peuple pour poursuivre son ministère d'amour. La foule le suit, venue de tous les coins du pays, et même de Tyr et de Sidon. Les étrangers viennent vers lui, quand une partie des siens complote pour le tuer. Ce mouvement vers la mer peut être compris aussi comme un mouvement de Jésus vers les nations. Il opère des guérisons et des exorcismes. Mais, la foule le presse de toutes parts, l'accable. 'Presser' n'est pas 'toucher', comme le geste de la femme hémorroïsse. Il est obligé de monter dans une barque pour s'éloigner d'eux.

- Les esprits immondes proclament qu'il est le Fils de Dieu et ils lui sont soumis. En fait, ce sont les gens possédés, évidemment pas les esprits , qui vocifèrent et disent ce que les esprits les pousse à proférer. Ils proclament qu'il est le Saint de Dieu et se lamentent qu'il soit venu les tourmenter. Comme d'habitude, il leur défend de le faire connaître. Toujours le secret messianique, mais aussi qu'il ne tient pas à recevoir un témoignage venant des démons.

3. 13-19: Institution des Douze (Mt 10:1-4; Lc 6:12-16)

- Il gravit la montagne, certainement pour prier. Dans Luc, on lit qu'il passa toute la nuit en prière avant de nommer les apôtres. De là, il 'appelle à lui ceux qu'il voulait pour compagnons'. Encore une fois, le thème de l'élection gratuite. Il en choisit douze, pour symboliser les douze tribus du nouvel Israël et les charge de mission, appelés à poursuivre son œuvre, puisque les chefs du peuple le rejettent. Rappel de Moise sur la montagne du Sinaï qui reçoit les Tables de la loi. La vraie rencontre avec Jésus se fait toujours 'sur la montagne', loin des soucis du monde, montagne atteinte suite à un effort.

- En plus de la mission de prêcher, il leur donne le pouvoir de guérir les malades et chasser les démons en son nom. Il en fait donc ses collaborateurs, ses partenaires. Il les fait participer activement à son œuvre. Il les instruit. La période d'instruction durera jusqu'au verset 6 du chapitre, après quoi ils entameront leur mission. Mais la véritable période d'instruction se fera durant les quarante jours après la Résurrection. Nous sommes aussi appelés aujourd'hui à être ses disciples et à continuer son œuvre, en l'imitant et en étant avec lui. La Synergie entre Dieu et nous est une constante de notre vie dans l'Église et notre témoignage dans le monde où nous sommes envoyés comme ses ambassadeurs.

- Il donne des noms différents et nouveaux à certains de ses disciples. Donner un nom à quelqu'un, c'est se l'approprier, c'est lui donner une mission nouvelle. Penser au changement du nom d' Avram en Abraham (Gen 17:5) et de Jacob en Israël (Gn 32:29, 35:10). Changer le nom de quelqu'un dénote aussi pour celui qui opère le changement une marque d'autorité suprême. Il le fait selon sa connaissance de leur caractère qui se manifestera plus tard. Ainsi, Simon devient Pierre (Céphas), en prévision de sa confession de foi: Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant" à Césarée, qui sera la pierre de la foi de l'Église. Jacques et Jean, fils de Zébédée, deviendront 'Boarnergès', c'est-à-dire 'Fils du tonnerre', ('celui qui entend et annonce les tonnerres célestes' dans Apoc), peut-être en prévision de leur intervention intempestive en Lc 9:52-56, où ils proposaient que 'le feu tombe du ciel et consume' les opposants à Jésus, ce qui leur vaudra une remontrance de Jésus, ou encore peut-être pour leur tempérament fougueux et plein de zèle.

- A part leurs noms, le NT donne peu d'information sur la plupart des apôtres. A part ceux dont on a déjà parlé, Barthélémy pourrait être Nathanael (Jn 1:45-51; 21:2); Judes de Jacques (fils de Jacques) se trouve seulement dans Marc. Il pourrait être le 'Judas non l'Iscariote' de Jean (14:22) ou peut-être Thaddée; Jacques d'Alphée (fils d'Alphée) est appelé plus tard 'le petit' par opposition à Jacques fils de Zébédée et pourrait être le frère de Lévi; Philippe joue un rôle important seulement chez Jean. Il est le compagnon d'André, tous deux disciples de JB (Jn 1:25-40, 43:44). Son nom est grec, ce qui explique que des pèlerins grecs aient eu recours à lui pour rencontrer Jésus (Jn 10:20-22). Il lui est donné un petit rôle lors de la Cène; André est le frère de Pierre dans Marc, il y est le premier appelé; Thomas est complètement occulté dans les Synoptiques, à part dans la liste des Douze. Il apparait tard dans Jean (11:16), il parle lors de la Cène (14:6) et surtout à cause de son doute (Jn 20:28, 21:2). Simon le Cananéen ou le zélote est seulement mentionné dans la liste. Il n'apparait pas possible qu'il soit un zélote (juif utilisant la violence pour libérer Israël), sinon un zélote converti. Ou peut-être un juif zélé dans la pratique de la loi; Judas l'Iscariote est mentionné pour son avidité (Jn 12:1-8) et sa cupidité (Mt 26:15), comme voleur. Luc prête à sa trahison une motivation démoniaque (22: 3-4), de même que Jean (13:27). On se perd en conjonctures sue la signification 'd'Iscariote'. certains pensent qu'il faisait partie des 'sicaris' (juifs terroristes), d'autres traduisent cette expression en 'l'homme du mensonge', d'autres la rattachent à la couleur rouge, prétendant qu'il était roux et de tempérament sanguin; d'autres encore le ramènent au village de Kérioth en Judée: dans ce cas, il serait le seul disciple non originaire de la Galilée. Les Douze sont donc un mélange hétéroclite , représentant l'ensemble d'Israël.

- Il redescend vers sa maison, mais de nouveau la foule les assiège, ne leur laissant même pas le temps de manger. 'Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père'. Le ministère public de Jésus est une affaire à plein temps. Il n'y a pas de repos.

3. 20-21 Démarche des parents de Jésus

- Ses parents, probablement poussés par les pharisiens viennent le reprendre, car ils trouvent qu'il déraisonne, qu'il a perdu le sens. Ses frères ne croient pas en lui, et sa mère n'a encore qu'une idée obscure de ce qu'il est en train de faire Cela a dû encore attrister encore plus Jésus: ne pas être compris et soutenu par ses propres parents.

3. 22-30 Calomnie des scribes (Mt 12: 24-32; Lc 11:15-23, 12:10)

- C'est par Belzébul qu'il chasse les démons. Soit le terme Belzébul vient de 'Baal Zebub', 'le Seigneur des mouches', une divinité adorée par les Philistins (2 Rois 1:2); soit de Baal Zébûl, 'le Seigneur de la demeure' , qui est une autre divinité. Face à celui qui chasse les démons, dont ils ne peuvent nier la puissance, les scribes ne trouvent pas mieux pour le discréditer auprès des foules, que de dire que ces miracles et ses exorcismes sont le fait du prince des démons. C'est une accusation très grave qui veut dire qu'il est lui-même possédé, donc impur. Folie des hommes! Au lieu de reconnaitre la bonté et la magnificence du Seigneur, ils attribuent ses œuvres à la puissance de Satan. Souvent, nous aussi nous refusons d'admettre les interventions de Dieu dans notre vie, car elles sont inhabituelles et bousculent nos habitudes. Après avoir affirmé que Satan ne peut chasser Satan, car il serait en train d'œuvrer contre lui-même, ce qui est évident, Jésus leur répond par une parabole, qu'un homme fort et puissant ne peut être spolié de ses biens et réduit à l'impuissance que par plus fort que lui.

- Tous les péchés peuvent être pardonnés, sauf le péché contre l'Esprit. Tout ce qu'ils disaient avant contre Jésus, à savoir qu'il ne respectait pas le Sabbat, que cet homme trompe le peuple et que nous ne croyons pas en lui, tout cela peut être pardonné, certes en cas de repentance. Mais , ne pas se plier à l'évidence de la puissance de Jésus, exprimée par ses paroles et ses actes, et refuser d'y reconnaitre le doigt de Dieu et le souffle de son Esprit, mais plutôt l'attribuer au prince des démons, c'est pécher contre l'Esprit, c'est vouloir entendre un esprit impur, une aliénation, là où parle l'Esprit saint, le souffle de la vérité. C'est appeler l'Esprit saint un démon. Ce péché ne peut être pardonné. C'est un outrage contre Dieu lui-même. C'est nier l'évidence d'une action qui ne peut venir que de lui et l'attribuer à l'adversaire. C'est se soustraire à la vérité qui vient vers nous pour révéler notre propre version des choses. Ce n'est donc pas une incrédulité ignorante, qui peut être pardonné, c'est un blasphème contre l'Esprit. C'est en fait un blasphème contre Dieu que le Lévitique (24:15) punissait de mort. En accusant le Messie qui vient, d'être un suppôt du diable, Israël se ferme à toute nouvelle espérance. Il bouche complètement son horizon de salut. La grâce pouvait pardonner à la nation, et c'est ce qui aura lieu lorsque le Seigneur reviendra en gloire, mais maintenant l'histoire d'Israël comme peuple de Dieu a pris fin. Israël a refusé son salut. Il a rejeté la responsabilité dont il avait été investi; Il est redevenu un peuple comme les autres.

3.31-35 Sa mère et ses frères et sœurs.

- Couper les liens avec Israël. C'est peut-être pour cela que Jésus renonce à toute relation selon la chair avec le peuple d'Israël. Il ne veut même plus reconnaitre sa mère et ses frères, qui l'avaient, eux aussi pris pour un fou. Qui est ma mère? Qui sont mes frères? Seuls, ceux qui font la volonté de Dieu, le sont. Ce sont le 'petit reste' qui prend la place d'Israël. 'Seuls ceux-là qui reconnaissent l'œuvre de Dieu en ce que je fais et rendent grâces, sont mes parents, et j'en ferais des fils de Dieu'. Ici se trouve formulée de façon abrupte l'interruption des rapports du Seigneur avec le peuple en tant que tel. Sa patience continuera à déployer la bonté de Dieu jusqu'à le Pâque. Mais, en fait tout était réellement fini pour ce peuple, du point de vue de la mission dont il avait été chargée. Il sera dorénavant un 'figuier stérile', qui ne porte aucun fruit. Paul, dans l'épitre aux Romains, laisse supposer une sorte de récapitulation du Peuple d'Israël dans un temps eschatologique, sans qu'on puisse vraiment comprendre ce qu'il en sera vraiment.

- Qui sont les frères de Jésus? En Orient, il existe une tradition très ancienne (Protévangile de Jacques 2ème s. et saint Epiphane de Salamine 3ème s.), qui affirme que les 'frères' de Jésus sont des enfants de Joseph d'un premier mariage. Donc c'étaient ses 'frères par alliance'. En Occident, une autre tradition, remontant à saint Jérôme (4ème siècle) dit que ce sont des cousins de Jésus, car le mot utilisé dans le texte grec 'adelphi' peut vouloir dire à la fois frères de sang et cousins.

- A la fin de ce troisième chapitre, il apparait que Jésus est concerné par deux devoirs: celui, primordial d'annoncer la Parole, faire entendre le message du Père qu'il présente. 'Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle'; et celui de répondre aux sollicitations humaines que les mal portants lui adressent, et qu'il ne peut rejeter par compassion et par amour. En somme, il incarne deux amours qui n'en sont finalement qu'un: Aimer et obéir à Dieu et aimer son prochain comme soi-même.

Chapitre 4

4.1-9 Enseignement en paraboles: la parabole du semeur (Mt 13:1-9; Lc 8:4-8)

- De nouveau, dans une barque, près de la rive, mais cette fois non pour guérir, mais pour enseigner. La foule est toujours aussi dense, ce qui montre l'attirance des gens simples envers Jésus et le gros effort fait par les pharisiens pour obtenir plus tard l'assentiment du peuple à le faire mourir.

- Qu'est-ce qu'une parabole?. Une parabole est un récit se basant sur des images de la vie quotidienne pour faire passer un message. Elle est une métaphore de la vie ordinaire ou de la nature, avec des éléments frappants censés capter l'attention et qui invitent à réfléchir et se poser des questions. Elle procède par comparaison et pose une énigme. De plus, c'est un récit à multiples facettes, chacun pouvant y puiser selon sa sensibilité propre: 'le semblable est reconnu par ceux qui lui sont semblables'. Jésus a adopté cette façon d'enseigner, qui était courante à son époque, parce qu'elle convient mieux à ses auditeurs, surtout des gens ordinaires, sans trop de formation ou d'éducation. En effet, les images s'incrustent mieux dans les mémoires que des discours secs. Il est à noter qu'un tiers de l'enseignement de Jésus dans les évangiles synoptiques se trouve dans les paraboles. Les paraboles sont comparées au nuage qui accompagnait le peuple juif durant l'Exode, montrant sa face sombre aux Egyptiens et sa face éclairée à Israël.

- Parabole du semeur. En fait, c'est aussi la parabole de la terre qui reçoit la semence. Pour mieux la comprendre, il nous faut connaître le système agricole de la Palestine, à l'époque de Jésus. Dans un premier temps, on semait partout dans les champs, même sur les chemins. Dans un deuxième temps, on labourait tout pour enterrer les grains. Semer dans les chemins n'était donc pas un gaspillage. La parabole dit que le semeur 'est sorti' pour semer. Sorti probablement de sa maison, de son village pour trouver un terrain, n'appartenant à personne, qu'il pourrait semer. Donc, il ne connaissait pas nécessairement la nature de ce terrain, la profondeur de la terre, s'il y pousserait des ronces. Il sème donc son bon grain partout. Il laboure partout et attend pour voir quelle sera la moisson. Nous connaissons bien cette parabole: il y a quatre types de terre, celle qui est très peu profonde dans laquelle il n'est guère possible de bien enfouir les grains qui sont donc picorés par les oiseaux; une terre pierreuse dans laquelle les grains ne peuvent pas vraiment s'ancrer; une terre pleine de ronces qui, grandissant en même temps que les épis, les étouffent; enfin une bonne terre, assez épaisse et pure qui donne une bonne récolte. Cependant, il faut noter que, même dans la bonne terre, la moisson n'est pas partout la même: trente, soixante, cent pour un). Jésus convie ses auditeurs à bien méditer la parabole pour en saisir le vrai sens: 'Celui qui a des oreilles pour entendre, qu'il entende'. Certes, tout le monde a des oreilles. Mais, il ne suffit pas d'avoir des oreilles, il faut bien les ouvrir pour entendre, et bien ouvrir son esprit et son cœur pour comprendre.

4. 10-12 Pourquoi Jésus parle en paraboles? Enseignement spécial aux compagnons et aux Douze (Mt13:10-15; Lc 8:9-10)

- Seul avec eux, comme ils n'ont rien compris, il leur explique ce qu'il entendait dire. Formation particulière de ceux qu'il a choisi et ceux qui forment son cercle le plus proche. Aux autres, secret messianique oblige, ils devront attendre pour arriver à une totale compréhension.

- Jésus parle en paraboles probablement aussi pour éviter des controverses inutiles avec les pharisiens blasphémateurs, tant le climat dans lequel il se meut est un climat d'ostracisme et d'incroyance. Toutes les paraboles relatées par Marc, dans ce chapitre, tournent autour du Royaume de Dieu. Elles analysent ce Royaume sous tous ses aspects, tel un prisme. Il s'agit de l'intervention de Dieu dans l'histoire humaine, en la personne de son messager, Jésus, dans le but de sauver le genre humain, et toute la création, et les appeler à la repentance pour devenir enfants du Royaume. Dans certaines paraboles, le Royaume est déjà là, en Jésus-Christ. Dans d'autres, il est à venir. Il faut donc veiller et rester vigilants. De toutes façons, rien n'est dit d'une façon ouverte ou criante. Jésus continue à parler du Royaume de Dieu, mais à mots couverts, sans heurter les pharisiens et leurs groupe de front, et sans que les occupants Romains ne puissent mal interpréter ses propos, quand il parle d'un Royaume qui est là ou qui vient. Cependant, il est évident que toute parabole est racontée pour être comprise. Elle le sera différemment selon le degré d'avancement spirituel et la maturité de celui qui écoute. C'est aux auditeurs eux-mêmes, qu'elle interpelle, de comparer ce qu'il dit à l'enseignement de leurs responsables religieux. Jésus veut promouvoir plus de responsabilité et d'engagement de la part de ceux qui l'écoutent.

- Parler en paraboles, c'est aussi encourager à contempler la nature. Jésus aime la nature. Associer la nature à la proclamation de la Parole, c'est reconnaître qu'elle aussi gémit dans l'attente du jour de son retour, ainsi que tout le créé, dans le giron de Dieu, comme au premier jour.

- Regarder sans voir, écouter sans entendre, 'sinon ils se ' ou 'pour qu'ils ne se' convertissent et reçoivent le pardon. Cette citation de l'AT (Is 6:10), ('pour qu'ils ne se' ), serait en relation directe avec ce qui s'était passé quand les pharisiens s'étaient permis de blasphémer contre Dieu. Jésus avait alors dit que le péché contre le Saint Esprit ne pouvait leur être pardonné. Ceux qui l'ont commis, 'ceux qui sont dehors', scribes et pharisiens, chefs du peuple juif, persisteront donc dans leur refus et de ce fait, quoiqu'ils entendent ou voient, rien ne pourra les détourner des ténèbres dans lesquelles leurs actes et leur blasphème les ont engouffré. C'est là un constat, pas une condamnation supplémentaire et arbitraire, comme le texte pourrait le laisser supposer. Ils s'entêtent dans leur incrédulité et iront jusqu'au bout dans leurs desseins maléfiques envers Jésus pour finir par le mettre à mort. Quant à ceux qui 'sont dedans', ils ont des oreilles pour entendre, et ils entendront et seront sauvés. Avec ('sinon ils se'), cette citation voudrait dire que ceux qui écoutent sans entendre et regardent sans voir (attitude très courante quand on est centré sur soi et obnubilé par ses propres problèmes) sont ici encouragés indirectement, par les paraboles, à faire plus attention et à se repentir, à 'faire attention à ce qu'ils entendent' , car ils pourront alors être pardonnés. Il faudra qu'ils passent par l'expérience de la Croix et de la Résurrection. Le P. Lev Gillet interprète ce texte ainsi: Il y en a ceux qui 'entendront d'une manière purement matérielle, sans comprendre. En les laissant dans l'obscurité, Jésus leur épargne le péché que constituerait leur refus pleinement conscient d'admettre le message divin'.

4. 13-20 Explication de la parabole (Mt 13: 18-23; Lc 8: 11-15)

- Les disciples 'qui sont dedans', veulent arriver au sens profond. Jésus le leur explique. La semence est la Parole de Jésus, la Bonne Nouvelle qu'il est venu apporter au monde. La terre ensemencée représente les humains. L'explication donnée par Jésus est très claire. D'une part, elle décrit les diverses situations déjà rencontrées durant son ministère public. Il a prêché partout, dans la synagogue, dans les villages, en plein air, au bord du lac. Il y avait ceux qui l'écoutaient comme en passant, par curiosité, intéressés surtout par ses miracles et ses exorcismes, par l'aspect merveilleux de ses actes, le sensationnel. Une fois cela oublié, il n'en restait rien. Il y a ceux qui avaient une bonne base pour accueillir sa Parole, mais, comme les pharisiens, ils étaient obnubilés par un nombre incalculable de tabous (les prescriptions mal comprises de la loi). Aussi, mêmes s'ils étaient capables de la comprendre, leurs tabous et leurs traditions les empêchent de la prendre au sérieux (voir aussi 7:13). Il y en a d'autres, ou peut-être ce sont les mêmes, qui ont un parti pris contre Jésus, qui le considèrent comme un faux prophète, et cette idée grandit en eux en même temps que la Parole et finit par l'étouffer. Il y en a qui ont accueilli la Parole en un premier temps et qui à cause des persécutions en rougissent (voir aussi 8:38). Enfin, il y a les nombreux gens ordinaires qui sont ouverts à la Parole et l'accueillent au plus profond de leur cœur, pour l'y mûrir et y conformer leur vie. Plus leur cœur est brûlant en eux (souvenons-nous des compagnons d'Emmaüs), plus ils sont prêts à le donner à Jésus et à sa Parole, plus ils produiront de fruits. Les fruits ne sont pas automatiques et pas identiques. Ils dépendent certes de Jésus et de Sa parole, mais aussi de l'attitude, du sérieux et de l'engagement de ceux qui la reçoivent. Une fois le message de la parabole compris et dévoilé, on ne s'arrêtera plus au contexte narratif et descriptif, car on aura atteint le but, mieux comprendre Jésus et le Royaume de son Père.

- Cette parabole s'applique tout autant à tout apostolat. Jésus veut dire à ses disciples que leur chemin sera semé d'embûches et qu'il s'agit de ne pas désespérer. Il veut aussi leur dire qu'ils ont à propager sa Parole partout , mais que les résultats de leur action restent entre les mains de Dieu. Il y a un mystère de la récolte.

- Et nous? Quels sont les 'endroits pierreux' en nous qui résistent à la pénétration de la Parole? Quelles sont les 'ronces' qui concurrencent l'Évangile? Quelle est la 'bonne terre' susceptible de donner des fruits? Faisons-nous vraiment attention quand nous entendons la Parole? La prenons-nous au sérieux? Avons-nous un minimum de vie intérieure (bonne terre)? Engageons-nous notre intelligence et notre cœur à l'accueil de la Parole? Lui laissons-nous une place dans notre cœur, si souvent encombré de mille et mille soucis? P Lev Gillet disait que Jésus s'y suffirait d'une petite place, même au milieu de nos salissures. Sommes-nous prêts à lui donner notre vie? Sommes-nous assez mûrs pour la comprendre et l'approfondir en nous? Sommes-nous prêts à lui donner le temps nécessaire pour germer en nous? Sommes-nous conscients que le Diable est aussi à l'œuvre pour nous distraire et nous empêcher d'entendre? Par quels moyens? Autant de questions que nous devons méditer et auxquelles nous devons répondre honnêtement, si nous voulons vraiment 'vivre en Christ'. Cette parabole nous apprend que la recette pour une bonne récolte, c'est a) de recevoir la Parole de Dieu, b) de la laisser pénétrer profondément dans notre vie, c'est-à-dire la méditer et la mettre en pratique, c) défricher en nous tout ce qui s'oppose à son approfondissement et maintenir notre priorité d'aimer Dieu et de le servir en tous nos frères. Tout disciple est auditeur de la Parole aussi bien que semeur. A cet égard, il doit faire attention à ce qu'il entend et savoir discerner les esprits.

- De plus, il faut veiller à ne pas nous tenir toujours sur la grande route, dans le brouhaha. Une certaine séparation d'avec le monde, un certain silence, du recueillement, préserverait la semence divine. Il nous faut aussi arroser souvent cette semence par de la prière et un effort quotidien et patient à surveiller notre âme et la purifier.

4.21-25 Parabole de la lampe (Mt 10:26; Lc 8:16-17)

- La lampe est Jésus et sa Bonne Nouvelle. 'Elle vient pour être mise'. Normalement on dirait que la lampe 'a été mise'. Elle est donc identifiée à une personne, Jésus. Il est à la fois la Parole et son dispensateur. Il est venu éclairer toute la maison (d'Israël) et y propager la Bonne Nouvelle. Cependant, la lumière est parmi les hommes, mais ils ne l'ont pas reconnu. Jésus de nouveau parle de lui-même et de l'accueil, ou plutôt du rejet des chefs du peuple juif. Jésus est aussi caché pour maintenir le secret messianique. Mais il ne le sera pas toujours. Tout ce qui est caché sera dévoilé. Il faudra alors se hâter d'enlever les boisseaux mis par eux, ou par lui-même temporairement, à la proclamation du Royaume.

- Aujourd'hui encore, plein de gens, plein de circonstances, les affaires et les passions de la vie, s'opposent au message de Jésus. Ils sont les collaborateurs de Satan qui agit dans ce monde. Ils agissent parfois au sein de l'Église. Ce sont autant de boisseaux qu'il nous faut écarter pour que sa lumière éclate. Il faut surtout veiller à ne pas devenir nous-mêmes des écrans devant sa face.

- La lampe, lumière du Christ, parle aussi de jugement. Rien ne sera oublié le jour du Jugement. Aucun acte de bonté ne sera omis, mais aussi aucune mauvaise action. Dieu sonde les reins et les cœurs. C'est notre homme intérieur qui sera dévoilé, nos pensées, notre vrai moi. L'être remplacera le paraître, dans lequel souvent nous nous complaisons. Jésus nous prévient que toute pensée et tout acte de notre vie sont importants et devraient être authentiques. Il s'agit de bien vivre pour bien mourir.

4. 24-25 Parabole de la mesure (Mt 7:2, 13:12; Lc 6:38, 8:18)

- 'Pardonne nous nos offenses comme nous pardonnons'. 'Aime ton prochain comme toi-même'. C'est une harmonique de l'enseignement de Jésus. 'Si tu dis que tu aimes Dieu sans aimer ton frère, tu es un menteur'. Si vous agissez ainsi avec vos frères, si vous faites du bien dans ce monde, le Seigneur vous récompensera au centuple. Sinon, il vous traitera en conséquence de vos actes. Souvenons-nous de la parabole du Jugement Dernier.

- Le texte de Luc 8:18 est encore plus explicite. Il dit: 'A celui qui n'a pas, on ôtera même ce qu'il croit avoir'. Dons, si vous avez tendance à vous auto justifier, à considérer que vous êtes bon, juste, etc., quand vous faites juste assez pour être en règle, ne pensez pas que vous serez justifiés. Devant Dieu, vous serez dénudés. Tout ce que vous avez imaginé avoir fait de bien (quelques miettes de pain données quant vous auriez pu vraiment partager votre pain), sera considéré à sa juste mesure.

- En somme, la façon dont on recevra la parole de Jésus sera déterminante. Si on la garde dans son cœur et on la met en pratique, du mieux que nous pouvons, nous serons récompensés au centuple. Sinon, si on fait semblant d'être chrétien, on se leurre et on leurre les autres. Même plus, on devient objet de scandale. Et 'malheur à celui par qui le scandale arrive!'.

4. 26-29 Parabole du grain dans le champ

- Après avoir parlé de la semence, de la façon de la semer, de comment la recevoir, Jésus parle maintenant du processus de sa croissance. 'La semence germe et grandit, on ne sait comment'. Elle n'est donc pas seulement fonction de la nature de la terre qui la reçoit, de la façon dont elle a été semée, de celui qui l'a semé. L'activité du semeur est importante, mais non cruciale. La semence, les grains semés, ont la capacité, de par leur nature, de pousser quand ils sont mis en contact avec la terre. Donc, le semeur doit semer et attendre. Le semeur sait aussi qu'il y a un long processus de germination et plusieurs phases successives de croissance avant la moisson: la germination mystérieuse sous terre, puis l'herbe, puis l'épi, puis le blé. On ne peut rien forcer. Il faut laisser au grain le temps nécessaire. Jésus fait allusion à la force extraordinaire, mystérieuse et divine qui le conduit et qui se manifestera dans sa propre mise en terre, sa descente aux enfers et sa Résurrection.

-Quant à nous, il nous faut proclamer la Bonne Nouvelle partout et ne pas forcer les gens à l'accepter de suite. Il faut lui laisser le temps de mûrir en eux. Il faut surtout leur donner le bon exemple, rester à leur disposition, les laisser tranquilles, prier pour eux et avoir confiance que le bon grain poussera en temps dû. Nous pouvons sauver les gens par ce que nous sommes, sans paroles, sans acte. Si nous sommes authentiques, si nous vivons la Résurrection du Christ, sa joie brillera dans nos yeux et sur notre visage, et portera témoignage. C'est là notre rôle. Ce que la Parole semée par notre intermédiaire, opère dans le cœur des hommes est secrètement accompli par le Saint Esprit. Ce n'est pas de notre ressort.

4.30-32 Parabole de la graine de moutarde (sénevé) (Mt 13:31-32; Lc 13:18-10)

- Jésus continue à décrire le Royaume de Dieu en termes de grains et de semence. N'oublions pas qu'il parle à un milieu de paysans qui travaillent le terre et qui trouvent dans leur propre expérience un écho à ses paroles.

- Comme le petit grain de moutarde qui peut produire un grand arbre, le Royaume de Dieu, proclamé humblement dans ce petit coin de Palestine occupée, n'aura de cesse à s'étendre au monde entier. Maintenant, il semble fragile. Celui qui l'annonce est un pauvre. Il fraie avec les pécheurs. Les chefs du peuple sont en train de l'attaquer. Plus tard, ils le mettront à mort. Mais, cela n'empêchera pas le Royaume de se propager, après sa mort, par l'action des ses apôtres, auxquels il en a confié la responsabilité.

- La moutarde est une épice, utilisée pour la nourriture et la médecine. La semer produit une plante utile aux hommes. Il en est de même du Royaume de Dieu qui veut sauver l'humanité et la réintégrer dans l'amour de Dieu.

- Enfin, l'image des oiseaux du ciel faisant leur nid dans l'arbre du Royaume de Dieu, est probablement une référence à ce que le Royaume sera proclamé à toutes les nations qui y trouveront leur place. Il n'est donc pas limité aux seuls juifs.

- Allégoriquement, on peut dire qu'une simple parole, dite avec authenticité et amour, peut changer toute une vie.



4. 33-34 Conclusion sur les Paraboles. Explications particulières aux disciples (Mt 13:34-35)

- 'Dans la mesure où on peut comprendre'. Dieu est un pédagogue. Jésus enseigne ce que ses auditeurs sont capables de comprendre. Comme dit plus haut, il ne veut pas les forcer. Il respecte leur liberté et leurs capacités d'entendement. Il commence là où ils sont, prêt à faire un long chemin avec eux pour les amener plus loin. Il raconte une parabole, explique pourquoi il l'a racontée et il en donne le sens à ses disciples seulement (secret messianique). Dieu propose mais n'impose point. Il attend devant la porte de notre cœur et frappe, attendant que nous soyons disposés et prêts à lui ouvrir.

4. 35-41 La tempête apaisée (Mt 8:23-27; Lc 8:22-25)

- En voulant aller sur l'autre rive du Lac, il monte dans la barque, et durant le parcours, il apaise une tempête. Dans ce récit, apparaît une dimension non encore abordée de la puissance et de l'autorité de Jésus. Jusqu'à présent, ses disciples s'étaient déjà rendus compte qu'il était un guérisseur et un exorciste. Ils découvrent maintenant qu'il a pouvoir sur les éléments naturels.

- Le récit parle de la fatigue de Jésus. Marc, plus qu'aucun autre évangéliste montre l'humain en Jésus. On le voit s'endormir de fatigue.

- Le récit est plein de détails concrets (les barques qui suivent, le coussin sous la tête de Jésus, à l'arrière de la barque) qui laissent penser que cet évènement a été relaté à Marc par un témoin oculaire, très probablement Pierre.

- Une soudaine et énorme tempête se lève, comme c'est souvent le cas sur le Lac de Tibériade. Même des pêcheurs expérimentés, comme les disciples, n'arrivent pas à maîtriser la barque. Ils ont peur et ils réveillent Jésus, lui reprochant de rester indifférent à leur sort. Ce reproche laisse supposer qu'ils croient qu'il peut faire ce dont ils ne sont pas capables. Ils sont convaincus qu'il est plus fort qu'eux, autrement plus puissant. Ils l'appellent 'Maître'. Mais, ils doutent aussi de son amour pour eux: comment peut-il les laisser se perdre? Cela pose le questionnement angoissé de tout homme. Dieu peut-il être indifférent? Se contente-t-il de regarder sa créature et se complaire de ses problèmes? C'est souvent le reproche des hommes, quand ils se sentent abandonnés, oubliant que Jésus lui-même a accepté de prendre leurs angoisses sur lui et qu'il a aussi vécu l'abandon du Père: 'Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?'. Il a choisi d'être 'Dieu avec nous' au milieu de nos problèmes. L'oublier, c'est peut-être pécher contre l'Esprit. D'ailleurs, ce cri de Jésus sur la Croix, était aussi le cri de la communauté chrétienne de Rome, en pleine persécution, auxquels est adressé l'Évangile de Marc.

- Jésus ordonne au vent et il dit à la mer: 'Tais-toi', 'Sois muselée', comme s'il parlait à quelqu'un. Serait-il en train de parler à Satan qui aurait suscité cette tempête pour le faire mourir, ainsi que ses disciples. Certains le pensent. Les forces du mal, qu'il est venu combattre pour en libérer l'homme, continuent donc de l'attaquer. Par une seule parole, il impose son autorité.

- Jésus gronde ses disciples à cause de leur peu de foi. Il le fera cinq fois dans Marc, toujours pour la même raison. Ils n'ont encore rien compris. Il en sera de même jusqu'à la Résurrection. Même alors, certains douteront. Qui est-il donc? Cette attitude est normale. On aurait fait autant. Il fallait la Résurrection pour rendre plausible l'Incarnation. Les disciples sont des humains comme nous et se conduisent comme tout un chacun. Cela nous les rend encore plus proches et peut nous convaincre que, malgré nos doutes et nos infirmités, nous pouvons, si nous voulons, devenir des pêcheurs d'hommes, mais à la condition de répondre convenablement à la question que se posent les disciples.

- Le Psaume 17:23-30 relate une situation similaire: 'Ils ont vu de quoi le Seigneur est capable et les miracles qu'il fait sur la mer… Un vent de tempête souleva les vagues … Tout leur savoir-faire était tenu en échec … Dans leur détresse, ils appelèrent le Seigneur à leur secours et lui les tira du danger …'. Le Psaume 88:10 dit: 'C'est toi (Dieu) qui maîtrises l'orgueil de la mer, quand les vagues se soulèvent, c'est toi qui les apaises'. Jésus accomplit donc des actions attribuées directement à Dieu dans le Psaume.

- L'image de Jésus protégeant ses disciples dans une barque au milieu d'une tempête est très vite devenue une image de l'Église. Pour les premiers chrétiens, elle était un réconfort, au milieu des persécutions.

- Quant à nous qui naviguons à travers l'océan souvent tumultueux de l'existence, il faut nous convaincre que les accalmies suivent toujours les tempêtes, et que le Seigneur ne nous laisse jamais seuls. C'est lui notre seul Rocher. La foi en lui est confiance totale. Nous resterons dans l'espérance.

Chapitre 5

5. 1-20 Le démoniaque gérasénien (Mt 8:28-34; Lc 8:36-39)

- Jésus arrive sur l'autre rive du lac, dans le pays des 'Géraséniens', dans la Décapole, donc dans une terre étrangère par rapport aux juifs, une terre païenne. La Décapole est une ligue de 10 villes situées à l'Ouest du Jourdain à caractère grec. Sa fédération resta en place jusqu'en 200 AD. Jésus débarque donc hors d'une ville, dans un endroit où abonde des grottes servant de tombeaux. Un lieu de morts. Un repère de hors-la-loi. Isaïe décrit de tels lieux et ceux qui les habitent: 'C'est un peuple qui me vexe … Ils se tiennent dans des sépulcres. Ils passent la nuit dans les grottes … Ils mangent de la viande de porcs …' (65:3-4). Zone et habitants impurs aux yeux des juifs.

- Jésus ne craint donc pas de se rendre dans cette région 'mal famée' . Il n'hésite pas à y entrer, malgré l'interdiction de la loi. et de parler aux plus maléfiques des hommes. Jésus n'a pas peur de se salir les mains pour le salut et l'amour des hommes. Il n'a pas de frontières. Son message doit parvenir à toutes les nations. Il rencontre donc un homme possédé d'esprits impurs qui vivait dans ces lieux isolés, car il était interdit de séjour dans les villes. C'était un païen et un possédé. Deux fois impur. Un intouchable.

- Cet homme était bien captif, plusieurs démons (une légion) habitaient en lui et le tourmentaient atrocement. Il était nu. C'est un homme séparé, abandonné à la fascination du néant et menacé de décomposition. C'est une âme dédoublée, partagée et brisée (Jacques 4:8). Les esprits qui habitent l'homme reconnaissent la puissance de Jésus. Le possédé le proclame. Comme il est seul avec les douze, Jésus ne lui impose pas le silence.

-Jésus lui demande: Quel est ton nom?. Il y a dans ces mots toute une thérapeutique, car Jésus veut ramener le possédé, qui a parlé comme s'il ne faisait qu'un avec le démon, à la conscience de sa propre identité.

- Satan, dont la tentative d'assassinat de Jésus sur le Lac venait à peine d'être déjouée, semble vouloir prendre sa revanche. Il accumule plusieurs esprits impurs. Jésus leur ordonne de quitter l'homme, et à leur demande, leur permet d'entrer dans un troupeau de porcs qui broutaient aux alentours. Les porcs étaient aussi considérés par les juifs comme des animaux impurs. Une fois possédés, ils se jettent dans un précipice et se tuent. Leurs propriétaires, considérant que la perte des porcs était autrement plus importante que le salut du possédé, chassent Jésus. Il revient à Capharnaüm.

- Ce récit est hautement symbolique. Le païen possédé représente les nations, et les porcs les juifs. C'est une préfiguration de l'action de l'Église. Les nations seront évangélisées et sauvées, tandis que les juifs, ayant refusé Jésus, l'ont en fait 'chassé', se désistant de la mission qui était la leur. De ce fait, ils se sont précipités dans leur perdition et leur ruine, sans espérance. Ils ont 'péché contre l'Esprit' et ne seront pas pardonnés dans le temps présent. Leur statut, à la fin des temps, reste dans le secret de Dieu.

- Une autre interprétation voit dans le passage des démons de l'homme aux porcs , la priorité donnée à l'homme et à son salut. Une fois sauvé, il devra sanctifier la nature entière, dont il a été fait responsable.

- Le possédé guéri veut suivre Jésus. Il l'en empêche, lui disant d'aller plutôt chez les siens (dans sa maison) proclamer ce que Dieu a fait pour lui. En cela, il veut le restaurer dans la vie sociale de la famille et de la cité et en faire un prédicateur à son tour. Celui qui rencontre Jésus et bénéficie de ses bienfaits doit convaincre les siens. Il doit remercier et rendre témoignage. Il est appelé à devenir lui aussi un 'pêcheur d'hommes'.

- C'est là un des miracles fait pour un païen, l'autre étant celui avec la femme syro-phénicienne (Mc 7: 24-30). Insistance sur l'appel des nations, bien que dans le second récit, Jésus semble avoir quelques réticences que nous analyserons plus tard.

- De plus, il nous faut noter que le possédé est le seul humain, avec le centurion lors de la crucifixion, à proclamer que Jésus est le Fils de Dieu, ici 'Fils du Dieu Très Haut'.

- Nous aussi, il nous arrive de chasser Jésus, chaque fois que nous donnons plus d'importance à nos possessions, notre richesse, notre pouvoir qu'aux hommes nos frères, dans lesquels Jésus a voulu habiter. 'Vous ne m'avez pas nourri, habillé, accueilli, … '.

5. 21-43 Guérison d'une hémorroïsse et Résurrection de la fille de Jaїre (Mt 9: 18-26; Lc 8: 40-56)

- Deux récits sont imbriqués l'un dans l'autre: Les deux miracles se sont-ils passés le même jour, ou c'est une composition littéraire voulue par Marc? Certains exégètes penchent pour la deuxième hypothèse.

- Jaїre est le chef de la Synagogue, donc un homme irréprochable, bien pensant, respectable et respecté par le peuple. Il pratique le loi et il a conscience de sa justice et de son rang. Son nom signifie 'Que Dieu nous éclaire'. Comme nous l'avons déjà dit, il semble qu'il sympathisait avec Jésus, l'ayant invité à parler dans sa Synagogue (Mc 1:21-28). Mais, maintenant que les scribes et les pharisiens s'opposent ouvertement à Jésus, il ne peut normalement les ignorer. Cependant, sa fille tombe malade et est sur le point de mourir. Il est atteint dans son plus intime. Il n'hésite donc pas à se démarquer des siens et à recourir à Jésus: 'Viens chez moi guérir ma fille'. Jésus le suit d'office.

- Sur le chemin, il fraie son passage dans la foule qui le presse de toutes parts. Une femme hémorroïsse, qui perdait son sang depuis des années, donc qui était considérée impure, interdite de synagogue, de mariage et de toute vie sociale, est convaincue qu'il lui suffit de toucher la frange de son vêtement pour être guérie. Vu son statut, elle ne pouvait pas l'interpeller, elle n'avait même pas le droit de le toucher. Mais, elle ose, imaginant qu'elle 'volerait' sa guérison, sans qu'il s'en aperçoive. Inutile, il le sait. Marc dit qu'il a senti qu'une force l'avait quitté. Il demande: 'Qui m'a touché?'. Ces disciples se moquent pratiquement de lui et de cette question, tant il est bousculé par la foule. Humblement la femme se dévoile et reçoit confirmation de sa guérison, à cause de sa foi: 'Va en paix et sois guérie'. Quand on a la foi et qu'on a la conscience de ses besoins, tout appel à Jésus, tout contact avec lui, ne peut rester sans conséquence. Il n'est jamais en vain. Cette scène a été souvent peinte par les premiers chrétiens, dans les Catacombes, pour signifier le salut qui nous est déjà donné, gratuitement, par Jésus sur la Croix, et qu'il nous suffit de reconnaître pour en profiter.

- Entretemps, le fille de Jaїre est morte. La rencontre de la femme hémorroïsse a retardé Jésus. Jaire lui annonce cette mort avec désespoir. C'est là une grande épreuve pour Jaire, un test de sa foi. Jésus lui dit: 'Ne crains pas, crois seulement'. Arrivés à la maison, la famille se moque de Jésus qui dit que la fille est simplement endormie. Jésus entre dans la chambre avec trois de ses disciples et les parents de la fille et lui ordonne de se lever: 'Thabitha Coumi', mots mentionnés en araméen dans le texte, ce qui accentue la véracité des faits.

- C'est la première résurrection des morts effectuée par Jésus. Les Évangiles en mentionnent deux autres, le fils de la veuve de Nain, par Luc et celle de Lazare par Jean. Le fait que Jésus ait ressuscité des morts est attesté par Jésus lui-même dans sa réponse aux disciples de JB: '… les morts ressuscitent …' (Mt 11:5; Lc 7:22). La croyance des juifs était que seul Dieu peut ressusciter les morts. Lui qui donne la vie, en est le vrai propriétaire et peut donc la redonner, après la mort. Seuls Elie et Élisée (1 Rois 17; 2 Rois 4: 18-37; 2 Rois 13: 20- 21) sont décrits dans l'AT comme ayant ressuscités des morts.

- Jésus continue son chemin de lutte contre le mal et le péché dont la conséquence ultime est la mort. Jésus se présente donc comme guérisseur, exorciste, comme ayant autorité sur les éléments naturels et ici comme celui qui peut ressusciter des morts. Marc a déjà passé en revue, en plus de son enseignement, ses activités les plus marquantes.

- Après avoir ressuscité la fille, Jésus demande à ses parents de n'en parler à personne. Requête étrange car il ne s'agit pas de secret messianique, l'identité de Jésus n'étant pas en cause, et le miracle ayant été fait c'est vrai dans une chambre fermée, mais à côté d'une multitude gens dans la maison qui était convaincue de la mort de la fille et qui ne pouvait donc ne pas se rendre compte qu'elle était de nouveau en vie.

- 'La fille n'est pas morte, elle est endormie. Pourquoi pleurez-vous?'. Après la Résurrection de Jésus, qui 'par sa mort a vaincu la mort', il n'y a effectivement plus de mort, mais passage d'un état de la vie à un autre. Quand nous vivons en Christ sur cette terre, nous nous endormons aussi en lui. Le Seigneur, qui est avec nous sur cette terre ne nous abandonnera pas après. Celui qui vit avec la 'Vie' ne doit pas craindre la mort. Il s'agit simplement de croire. La mort est derrière nous. Nous ne mourrons pas. Il n'y a pas lieu de pleurer, ni de rechercher 'le vivant parmi les morts'.

- Une fois ressuscitée, Jésus ordonne qu'on lui donne à manger. Infinie sollicitude. Jésus sait que nous avons besoin aussi de pain pour nourrir notre corps, et il nous a appris à prier son Père de nous le donner chaque jour.

- L'idée du Jésus allant vers la maison de Jaire en vue de guérir sa fille et la trouvant morte n'est pas sans rappeler les rapports entre Jésus et Israël. En effet, il est venu dans l'intention de le guérir, mais il était mort spirituellement et l'a rejeté. Ce jour-là, la foule (représentant le peuple d'Israël) l'entourait, mais il n'y eut pas de miracles. Cela n'empêche pas Jésus de guérir une personne qui l'avait sollicité et de ressusciter la fille de Jaire, en réponse à des appels individuels de foi. Jésus ne guérit pas des foules anonymes, mais des personnes ayant foi en lui, au sein de cette foule.

- Enfin, notons que la femme hémorroïsse était depuis douze ans exclue de la condition normale des femmes tandis que la fille ressuscitée avait douze ans, donc était en âge de devenir femme. Est-ce une coïncidence? Certainement pas. Les deux femmes de nouveau recouvrent la vie et peuvent maintenant la donner. En cela, elles sont des images d'une Eve ('celle qui donne la vie, la vivante) nouvelle. Dans le chapitre 6, Marc parlera de deux autres femmes: Hérodiade et sa mère, qui, par contre font œuvre de mort (celle de JB).

- Dans les deux péricopes précédentes (Jésus dort dans la barque, la fille est endormie), ainsi que celle du semeur 'en train de dormir' (4:27), il est partout fait mention du 'sommeil', comme signe que la vie commence à surgir, en dépit des apparences. Là aussi, insistance que la vie ne fait que sommeiller. Il n'y a pas de mort.

- La répétition du chiffre 'douze' aurait-t-elle un rapport avec les Douze? Marc voudrait-il dire que face à l'incrédulité des disciples choisis, tous de sexe masculin, les femmes quand elles sont visitées par la foi et la sollicitude de Jésus, sont elles-aussi appelées à être des témoins de Jésus, et elles peuvent être plus fidèles que les Douze, lesquels lors de la crucifixion l'avaient presque tous abandonnés, tandis que les femmes étaient soit aux pieds de la Croix, soit non loin d'elle?

- A ce stade de l'Évangile de Marc, on peut déjà desceller les trois clés qui redonnent la vie: la Parole de vie de Jésus; la matrice de la femme qui peut de nouveau donner la vie, à cause de sa foi; la résurrection de la jeune fille à laquelle, par compassion pour elle et pour son père, Jésus redonne la vie. Dans les trois cas, il faut accueillir la vie de Dieu pour vraiment renaître, et vaincre la mort.



Chapitre 6

6. 1-6 Visite à Nazareth (Mt 13:53-58; Lc 4: 16-30)

- C'est sa ville. Tout le monde le connaît. Il y est rejeté. D'où lui vient ce pouvoir? On peut bien comprendre la réaction des gens de Nazareth, car la surprise est de taille : un artisan, travailleur consciencieux dont tout le monde était satisfait (Luc 2:52), qui n’a pas appris les lettres auprès des grands théologiens, quoique, jeune encore, il pouvait étonner des docteurs de la loi par ses questions (Luc 2.47) … Aujourd’hui, pour être entendu, il faut d’abord la reconnaissance de quelques notables, un diplôme aussi est fort utile … Et tout homme est naturellement catalogué, ce qui fait qu’il y a souvent une certaine retenue à recevoir d’une personne ce qui n’est pas dans son statut de donner… Et il en est ainsi pour Jésus qui avait grandi à Nazareth, fils du charpentier, et charpentier lui-même. Cela attriste Jésus. Il s'attendait à mieux. 'Il n'y a pas de prophète dans son pays'.

- N'est-il pas le 'fils du charpentier'? Les habitants de Nazareth jugent selon la chair, malgré le fait que ce 'fils du charpentier' fait des prodiges et parle avec autorité. Cette absence de foi en lui et en son message, cette incrédulité, l'empêchent de faire aucun miracle.

6. 7-13 Envoi des Douze (Mt 10:9-14; Lc 9:1-6)

- Rien ne peut toutefois arrêter l’annonce de la Bonne Nouvelle. Si la réception de Jésus dans sa contrée est mitigée, cela n’empêchait pas d’aller plus loin, de ratisser plus large. Aussi les Douze sont-ils envoyés, deux à deux, avec la consigne d'enseigner, de faire des miracles et de chasser les démons en son Nom. Seul Dieu peut communiquer de tels pouvoirs à d'autres. C'est une nouvelle tentative, plus large d'appeler Israël à la conversion. Aussi, de faire participer ses disciples à son ministère.

- Il les envoie 'deux à deux'. Faut-il rapprocher cette consigne avec ce qu'il dit dans Jean () : 'Lorsque deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux'? Probablement. De plus, être en compagnie d'un frère, chargé de la même mission, ne peut que conforter et soutenir. La tradition monastique impose aux moines de ne jamais quitter leur couvent seuls, mais au moins à deux.

- Il leur donne d'autres consignes très précises: a) voyager sans rien, pourtant Luc dit qu'ils 'n'ont manqué de rien'. Quand on œuvre pour Dieu, lui pourvoie à nos besoins: 'Regardez les oiseaux du ciel, les lys des champs … ils ne manquent de rien'; b) porter des sandales. La sandale n’est pas la chaussure de celui qui va à la guerre (Marc 9:5), ni la chausse de cuir fin du notable (Ézéchiel 16:10). Les envoyés vont aller modestement, comme des pèlerins, annonçant la bonne nouvelle et rendant témoignage à Jésus. Ce n’est pas par leur apparence qu’ils seront reconnus. Des signes, des miracles, confirmeront leurs dires auprès des populations visitées; c) secouer la poussière de leurs pieds en sortant de chez ceux qui ne les acceptent pas, c'est-à-dire de les abandonner au sort qu'ils se sont choisi, celui du rejet de la Bonne Nouvelle, qui les condamne. Il faudrait noter que ces caractéristiques du 'missionnaire' sont conformes à celles des 'itinérants' qui ont répandu le message aux premiers temps de l'Église.

6. 14-16 Hérode, Jésus et JB (Mt 14: 1-2; Lc, 9: 7-9)

- Qui est Hérode? La dynastie des Hérode est vassale des Romains. Originaires d'Edom et d'Idumée, régions forcées à devenir juives en 125 avant JC. Ils ont succédé aux Maccabées. Hérode le Grand qui contrôlait un territoire aussi grand que celui de David et Salomon, n'était pas aimé par le peuple, tant il était cruel et levait de lourds impôts. D'une part, il a reconstruit le Temple de Jérusalem et plaidait à Rome pour les juifs de la diaspora, mais il favorisait, d'autre part, le culte de l'empereur Romain et la construction de temples païens. Il est mort en l'an 4 avant JC. Son royaume est alors divisé entre 4 de ses fils, dont l'un Hérode Antipas, tétrarque de Galilée et Pirée, est celui qui épousa Hérodiade, la femme de son frère, et fit tuer JB. Il fit aussi tuer plus tard l'apôtre Jacques et emprisonner saint Pierre. Il mourut en l'an 39.

- Hérode se pose des questions sur Jésus. Qui donc est ce Jésus dont tout le monde parle, tellement son passage en Galilée remuait les populations ? Est-il Élie qui devait venir (Malachie 4:5) ? Ce serait alors l’aube des temps messianiques. Ou bien Jésus est-il un prophète comme d'autres qui s’étaient succédés ? Ou alors; serait-il JB qui revient? Ces questions se posaient à beaucoup, mais quand la conscience n’est pas à l’aise, comme c'est le cas d'Hérode, alors la même question prend un tour bien personnel . Marc fait alors une digression pour dire pourquoi.

6. 17-29 Exécution de JB (Mt 14: 3-12; Lc 3: 19-20)

- Il est un fait que JB a été exécuté sur ordre d'Hérode, tel qu'attesté dans les Chroniques Juives de Flavius Josèphe. Il y est dit que la cause était la peur d'Hérode d'une sédition que pouvaient fomenter les nombreux disciples de JB. Seul Marc développe l'histoire d'Hérodiade, femme d'Hérode, et de sa fille d'un précédent mariage, Salomé (seulement nommée par Josèphe), ajoutant à la peur d'Hérode pour son pouvoir, celui de la passion charnelle qui s'exprime lors d'un grand festin. La passion de la chair et du pouvoir rejette et tue les prophètes.

6. 30-44 Rapport des disciples et Première multiplication des pains (Mt 14:13-21; Lc 9:10-17; Jn 6: 1-13)

- Les apôtres envoyés sont vraiment heureux de raconter ce qu’ils ont vécu. Le Seigneur les conduit en un lieu à l’écart, afin qu’ils puissent se reposer un peu et probablement parler plus ouvertement. Si l'on veut vraiment parler avec Jésus, il faut s'écarter, s'éloigner de la foule. Comparer cependant l'insistance de Marc sur la joie des disciples de Jésus après qu'il ait parlé de la tristesse de ceux de JB, après la mort de JB.

- La foule les suit. Jésus est 'ému de compassion' pour ces 'brebis sans berger'. Comme on l'a déjà remarqué, l’état des mentalités aux jours où le Seigneur parcourait la terre d’Israël, était un mélange de zèle pour Dieu (comme Paul lui-même en rendra compte dans Actes 26:7), d'un grand formalisme dû à l’élaboration de prescriptions qui, tout en se fondant sur la Loi, en détournent l’esprit (Marc 7:5-9), et aussi de disputes théologiques entre les différents courants du judaïsme de l’époque (Matthieu 22:34Actes23:6-8). Il faut revenir à la parole que Jacob prononça : "le Dieu qui a été mon berger depuis que je suis jusqu'à ce jour" (Genèse 48:15), et voir ce qu’il en est au temps du Seigneur : un peuple sans guide, ayant perdu ses repères.

- Chaque brebis suit son chemin. Ceux qui se tournent vers Jésus disaient alors, comme nous aujourd’hui : "Nous avons tous été errants comme des brebis, nous nous sommes tournés chacun vers son propre chemin" (Isaïe 53:6). L’homme reconnaît son indépendance personnelle, confesse s’être éloigné du berger.

- Constatant cet état de choses, le Seigneur est pris de compassion et il veut leur montrer qu'il est ce berger attendu, et qu'en lui s’accomplit la parole du prophète Zacharie : 'je me mis à paître le troupeau ... les pauvres du troupeau' (Zach 11:7-11). Plutôt qu'aux festins comme celui d'Hérode qui mènent à la mort, Jésus invite la foule à un autre festin.

- Le récit du don du pain (et des poissons) à la foule est rempli de réminiscences bibliques. Les faire 'asseoir sur l'herbe' évoque la mission du berger d'Israël qui fait reposer le peuple sur l'herbe verte (Ps. 23:2). La bénédiction rappelle la prière juive des repas. L'emploi du chiffre 5 (5 pains, 5000 convives) peut rappeler les 5 livres de Moise (Le Pentateuque). Les douze corbeilles font référence aux douze tribus d'Israël, dont Ézéchiel dit qu'aucune ne sera oubliée (Ez 47:13). Réminiscence aussi d'Élisée qui nourrit 100 personnes avec 20 pains (2 Rois 4: 42-44) et dont il y 'aura des restes'. Enfin, placer la foule en groupes de 100 et 50 rappelle Exode 18:21 et Deutéronome 1:15 . L'ensemble du récit est en parallèle au récit de l'octroi de la manne et des cailles par Dieu au peuple juif dans le Sinaï (Ex 16) et rappelle le texte du Psaume 131:15: 'Je rassasierai de pain les pauvres'.

- Après avoir dispensé le pain de sa Parole, Jésus offre maintenant le pain ordinaire. Comme pour la fille de Jaire, Jésus se soucie de notre bien-être, de la santé de notre corps, après celle de nos âmes. Les disciples veulent congédier la foule, sans lui donner à manger. Jésus refuse. Combien de fois, ignorons-nous, comme les disciples, ceux qui ont faim et qui frappent à notre porte?

- 'Donnez-leur à manger'. Le Seigneur charge ses disciples du service des tables. Ils ne sont pas là, seulement pour prêcher, mais aussi pour servir. Dans l'Église (déjà depuis les Apôtres), cette double et unique responsabilité a été malheureusement divisée. Seuls les diacres, un ordre 'inférieur' assurera le service des pauvres. Le font-ils? Le faisons-nous?

- Il est à noter que Marc parlera plus loin d'une autre multiplication des pains, quand Matthieu, Luc et Jean n'en mentionnent qu'une. Certains exégètes pensent qu'il n'y en a eu qu'une, mais que Marc (qui aime les doublets) a voulu consacrer le premier récit à un don aux juifs et le second, que nous analyserons en 8: 1-10, aux nations, voulant signifier que l'annonce de la venue du Royaume, inaugurée en terre d'Israël, s'élargira à tous les peuples de la terre. D'autres exégètes maintiennent qu'il y a en effectivement eu deux.

- Il y a un parallèle certain entre les gestes et paroles de Jésus, lors de la multiplication des pains, surtout d'ailleurs dans la deuxième version de Marc et ceux de la sainte Cène dans Mc 14:22-23. 'Et prenant (les 'sept pains' d'un côté, 'le pain' de l'autre), rendant grâces (le même texte), il ('les' dans l'un, 'le' dans l'autre) rompit, et donna à ses disciples (même texte). Dans l'esprit du Seigneur, la multiplication des pains voulait préfigurer à la fois, le don de son Corps et le grand festin du Royaume.

6. 45-52 La marche sur les eaux (Mt 14:22-23; Jn 6: 16-21)

- Jésus renvoie ses disciples, puis la foule et se retire sur la montagne pour prier, pour fuir la foule, dit Matthieu, qui voulait l'enlever pour en faire un roi.

- Les disciples, dans la barque, 'rament contre le vent'. Ils peinent dans l'effort et avancent très lentement, sans parvenir au but (l'autre rive du Lac). C'est la nuit, ils n'ont aucun point de repère. Ils ont peur. Peut-être se sentent-ils abandonnés par Jésus qui leur avait demandé de faire ce parcours. Lors de la précédente tempête, il dormait. Et voilà que maintenant, ils pensent qu'il n'est pas avec eux, les laissant seuls. N'est-ce pas souvent ce que l'homme expérimente? Effort sans résultat qui mène à la détresse humaine qui pousse au désespoir. Dieu veut pourtant que 'nous ramions'. Il veut nous voir travailler pour notre salut, en cheminant vers la vérité.

- En fait, Jésus n'est pas absent. Il est présent différemment; Les disciples viennent de manger 'son pain'. Il est Emmanuel qui veut dire 'Dieu avec nous'. L'important est de rester éveillés pour nous rendre compte de sa présence.

- Jésus vient vers eux comme s'il voulait les 'dépasser'. Par l'usage du verbe 'dépasser', 'passer', Marc se réfère à diverses occurrences de l'AT relatives à des apparitions de Dieu. Au Sinaï, devant Moise (Ex 33:18,34:6): 'Je ferai dépasser ma beauté et je prononcerai devant toi le nom de Yahvé'. Aussi dans Exode 33:22: 'Yahvé la dépassa et proclama Yahvé, Yahvé, Dieu'. De même, devant Elie (1Rois 19:11): 'il va passer'. Dans le combat de Jacob avec l'ange (Gen 32: 31-32) 'la face de Dieu passa'. Marc veut dire certainement qu'il s'agit là d'une épiphanie du Seigneur. Jésus veut se révéler à ses disciples dans sa majesté et sa puissance divine qui contrôle les forces et les éléments de la nature. Il marche sur les eaux. C'est une œuvre de Dieu, comme il apparait dans Job (38:1, 16), quand Dieu lui parle 'du sein de la tempête' et lui dit qu'il 'marche sur les eaux profondes des abîmes'. Ou encore dans Habaquq (3:15): 'Dieu foule aux pieds la mer avec ses chevaux' pour sauver le peuple d'Israël, soit une métaphore de salut pour Israël. Ou encore, le Dieu créateur qui 'piétine les hauteurs (le dos) de la mer' (Ex 3: 14-15). 'Ainsi parle Yahvé qui traça dans la mer un chemin' (Deut 43:16). Ou encore, à propos de la Sagesse divine: 'J'ai marché sur les vagues de la mer' (Sirach 26: 5-6). De même, le Psaume 76 loue Dieu pour être intervenu pour sauver Israël dans la mer des roseaux, parole qu'Isaïe associe dans Is 51:9-10 à des thèmes de création et de rédemption. En ce faisant, Jésus affirme qu'il réalise ce qui est attendu de Dieu lui-même.

- Jésus donc les rejoint. Il aurait pu les attendre sur l'autre rive. Il vient partager leur effort.

- Ils ne le reconnaissent pas. Les superstitions les effleurent. Est-ce un fantôme? Ils n'avaient pas compris le mystère de l'identité de Jésus quand il avait fait le don des pains. Leur cœur était bouché. Cela nous arrive très souvent, parce que nous voulons le voir seulement comme nous l'imaginons. Jésus nous apparait toujours à sa façon, pas toujours comme nous voudrions qu'il soit. Un des Pères disait qu'il ne pouvait jamais refuser l'aumône à aucun pauvre, parce que, 'peut-être était-il le Christ?'.

- Il leur dit: 'N'ayez pas peur, c'est moi (ego eimi). Ayez confiance'. Le 'ego eimi', le 'Je suis' est le nom même de Yahvé, révélé dans le buisson ardent (Ex 3: 14-15). Encore une fois, une affirmation de la divinité de Jésus. 'N'ayez pas peur, ayez confiance', 'gardez votre esprit en enfer et ne désespérez pas' a dit le même Jésus, il y a quelques dizaines d'années à saint Silouane de l'Athos. Le conseil est le même, de plus en plus actuel. Jésus est toujours là, même si nos yeux de chair ne le voient pas. Vivons dans l'espérance qu'il se dévoilera à nous, au moment venu. Luttons dans la confiance en sa promesse et en sa présence mystérieuse, mais si bien réelle. N'a-t-il pas dit que le ciel et la terre tomberont, mais pas une de ses paroles?.

- On peut voir dans ce récit comme une parabole vécue par les disciples, de ce qui devra encore se vivre, malgré l'intervention du Fils de Dieu, dans l'Église, durant des siècles, jusqu'à la fin des temps. Encore une fois, tout récit incluant une barque au milieu de la mer laisse penser à l'Église et à nous les chrétiens qui 'ont cru sans voir' Jésus venir physiquement et marchant sur les eaux.

- Aussitôt qu'ils prennent Jésus à bord, les vents s'apaisent et ils arrivent immédiatement à destination. Le message est clair. Ne nous embarquons jamais sans lui.

- Matthieu ajoute aux récits de Marc et de Jean l'épisode de Pierre allant vers Jésus, marchant lui-même sur les eaux, puis s'y engouffrant quand il perd confiance. Nous aussi, nous voulons souvent aller vers Jésus, le suivre. Cela nous donne des ailes. Des choses inimaginables se réalisent tant que nous maintenons le regard rivé sur lui. Sinon, nous tombons, comme Pierre.

6. 53-56 Guérisons près de Génésareth (Mt 14: 34-36)

- A Genésareth, bourgade proche de Capharnaüm, Jésus était connu. Dès qu’on le vit aborder, c’est avec précipitation que l’on conduisit à lui des malades et des infirmes, comme cela se passe désormais partout ou le Seigneur se rend. Les habitants de la région, et plus particulièrement ceux qui étaient en détresse, sont manifestement émus. Jésus les guérit. Il était pour eux la ressource providentielle qu’ils n’espéraient plus.

Chapitre 7

7.1-6 Pharisiens et scribes viennent de Jérusalem (Mt 15: 1-3)

- Toute la Galilée semble être en effervescence: des pharisiens et des scribes viennent de Jérusalem pour une sorte d'inspection de ce qui se passe avec Jésus. Il paraîtrait bien qu’il ne soit plus question de guérisons, de nourriture dispensée miraculeusement et de paroles avec autorité. Jésus serait-il un prophète ? Ou serait-ce Élie, selon la parole de Malachie (Malachie 4:5) ou encore le Messie, le Serviteur de Dieu qui devait rétablir Israël (Isaïe 42:1) ? La situation était devenue telle que les autorités se devaient d’examiner la question et fournir une réponse officielle afin que nul ne se détourne de la Loi (Marc 3:22).

7.7-13 Critique des disciples autour des lois de pureté (Mt 15:1-9)

- Ainsi que nous pouvons le lire, la tradition ajoutait règles sur règles. Ce n’était pas un fait nouveau, et il avait déjà conduit à un sévère avertissement du prophète Isaïe, bien avant l’exil à Babylone (Isaïe 29:13). Deux siècles plus tard, nous retrouvons une situation similaire parmi la descendance directe des rescapés qui revinrent à Jérusalem pour rebâtir le Temple (Malachie 1). Il semble que l’attachement à la Loi devint petit à petit, et dans une large mesure, une fin en soi, et était surtout compris comme une expression forte de l’identité nationale qui par ailleurs se satisfaisait de l’oubli de Dieu lui-même. Aux principes de la Loi de Moïse succédèrent des règles de plus en plus sophistiquées, loin de l’esprit de la Loi, et finalement en contradiction avec cet esprit.

- Il y avait plusieurs niveaux de pureté. a) la pureté rituelle, liée à des circonstances naturelles (donner naissance, tomber malade, vie sexuelle, menstrues, mort) qui devaient donner lieu à des ablutions et des rites de purification; b) la pureté morale, liée à des péchés considérés abominables (meurtre, péchés sexuels graves comme l'inceste, l'homosexualité et la bestialité, l'idolâtrie), toute action immorale de ce genre rendant la terre d'Israël impure (Lv 20:3). Le pêcheur est alors coupé du peuple, le Temple purifié, etc. c) La pureté généalogique, surtout après l'exil à Babylone, excluant les mariages mixtes; d) Les aliments et les animaux interdits. Le lavement des mains avant les repas était d'abord réservé aux prêtres au Temple (Ex 30:18-21; 40/ 30-32). Ceux-là devaient se laver les mains et les pieds ainsi que les récipients (Lev 11:32; 15:12). Ces préceptes furent plus tard étendus à tout le peuple pour sanctifier le quotidien. Au tournant de l'ère chrétienne, diverses tendances face à ces règles s'opposaient, tendant vers plus ou moins de sévérité dans leur application.

- Le texte de Marc est compliqué. C'est un fouillis. La plupart des exégètes pensent qu'il ne remonte pas à Jésus, mais est le produit de la communauté chrétienne. En effet, si Jésus avait lui-même dit que tous les aliments étaient purs, on voit mal pourquoi il y aurait eu une telle controverse entre Paul et Pierre et les chrétiens venus du Judaïsme. Il semble que la question de la pureté par rapport aux aliments et des règles de purification y afférentes n'était pas une question du tout. C'est pourquoi, ses disciples pouvaient se permettre de manger avec des 'mains souillées', comme les accusent les pharisiens.

- Les versets 3 et 4 disent 'tous les juifs'. C'est une erreur, il aurait fallu dire 'nous, les pharisiens'.

- Ils n'osent pas attaquer Jésus de face. Ils le font par le truchement de ses disciples.

7. 14-23 Ce qui souille l'homme (Mt 15:10-20)

- Le Seigneur parle d'abord à la foule, selon ce qu’ils peuvent comprendre (v 14-16), puis étant entré dans la maison, il s’adresse en particulier aux disciples. Toujours l'enseignement particulier pour leur formation.

- Il reproche d'abord aux pharisiens d'accorder trop de place aux préceptes formels au détriment des préceptes moraux. Il leur dit que ce ne sont pas les choses extérieures qui rendent impurs, mais ce qui vient du dedans de l'homme.

- Cette controverse à propos des règles de pureté pour les repas sert à préparer l'ouverture aux peuples étrangers de la table réservée aux juifs.

- Ces lignes sont une réelle mise en garde à l’égard de dérives légalistes, un chemin qui enferme l’homme dans des règles, au lieu de lui apporter la liberté que donne la conscience de l’amour de Dieu, et qui est toujours une de nos grandes tentations, dans l'Eglise. Il faut une conversion du cœur. 'Si ton œil est pur, tout ce que tu verras sera pur'. Au lieu d'éviter l'impureté (ce qui est une attitude défensive, négative), il faut aller de l'avant et avoir une attitude offensive. Dans la clarté du texte, nous discernons le peu de valeur des rites inventés par les hommes qui masquent en réalité ce qui est réellement dû à Dieu. Ce que Dieu apprécie, c’est autre chose. Les prophètes, défenseurs de la loi, en parlèrent si souvent: "Il t'a déclaré, ô homme, ce qui est bon. Et qu'est-ce que l'Éternel recherche de ta part, sinon que tu fasses ce qui est droit, que tu aimes la bonté, et que tu marches humblement avec ton Dieu ?" (Michée 6:8).

- Ce qui souille l'homme, ce sont les mauvaises pensées, le libertinage, le vol, le meurtre, l'adultère, la rapacité, la malhonnêteté, la fourberie, le regard envieux, la calomnie, l'orgueil, la déraison, etc. Les Pères du Désert, avant la science moderne, ont analysés toutes ces 'passions' et définis des voies pour les combattre.

- Les actes extérieurs, mêmes s'ils sont parfois requis ou conseillés, ne suffisent pas à mettre l'homme en présence de Dieu qui lui, sonde les cœurs. On est alors 'religieux', peut-être même pieux, sans posséder la sainteté: 'Ils m'honorent en vain' dit Dieu dans Isaïe.

7.24-30 Guérison de la fille de la Syro-Phénicienne ( Mt 15: 21-28)

- Les contradictions rencontrées en Galilée conduisent le Seigneur à aller plus loin, à la lisière des pays voisins. Ce n’est pas la première fois, car déjà nous avions vu le Seigneur en Décapole, à l’est du Jourdain. Mais ici, nous le trouvons au nord-ouest, aux confins de Tyr et de Sidon avant de se rendre à nouveau, plus tard, en Décapole. Ce sont des terres païennes.

- Les scènes que nous allons étudier, hors de la terre d’Israël, sont un réel tableau donné en écho aux débats avec les pharisiens. A l’occasion de ces contradictions, le Seigneur a du revenir aux fondements de la relation avec Dieu, et maintenant nous voyons la foi agissante, des oreilles ouvertes et enfin une assistance nombreuse nourrie par le Seigneur dans cette terre étrangère. Ce sont là les prémices de l'évangélisation des païens. Il y a tellement de foi hors d'Israël que Jésus n'hésite pas à y proclamer sa Bonne Nouvelle. Il avait commencé par Israël ('Les juifs d'abord' dans Rom 1:16), mais face à leur rejet, il s'oriente vers les païens.

- Ce texte reflète sans l'ombre d'un doute une tension vécue dans la communauté de Marc quant à l'ouverture envers les païens. Le ton employé par Jésus, dur et insultant, dénote par rapport à sa façon habituelle de parler dans tous les Évangiles. C'est vrai que 'chien' avait dans la Bible un sens péjoratif pour désigner l'impureté des païens. C'est vrai aussi que Jésus, en utilisant l'expression 'petits chiens' adoucit la violence du terme, comme s'il prenait un sens plus familier. Certains supposent que ces mots ont été prêtés à Jésus, et que c'est pour cela que Luc a omis cet épisode de son évangile. Il l'estimait peut-être peu authentique. D'autres expliquent qu'en agissant de la sorte, Jésus voulait éprouver l'intensité de la foi de cette femme.

- Dans un manuscrit syriaque ancien du texte, il est dit que la femme était veuve, ce qui rapproche le récit de la veuve dont Elie ressuscita la fille (3 Rois 17:9).

- Jésus soupire. La douleur qu'il éprouve à cause du rejet du peuple juif, l'oppresse. Il est triste de voir les nations venir vers lui et son peuple l'ignorer.

- C'est le seul cas où Jésus n'entre pas en contact direct avec la malade. Il se suffit de la foi extraordinaire de la mère qui n'est pas rebutée par ses propos et qui admet que la révélation doit être faite d'abord aux juifs, puis aux païens.

- Certains exégètes voient en ce récit une parabole, une parabole 'des enfants et des chiens'.



7.31-37 Guérison d'un Sourd Muet (Mt 15:29-31)

- Ces deux guérisons faites en terre païenne, font le pendant avec les deux guérisons faites plus haut en territoire juif. Dans un cas comme dans l'autre, ces guérisons servent de prélude à la multiplication des pains.

- Après avoir déclaré tous les aliments purs, selon Marc, et avoir ainsi abattu une barrière majeure entre juifs et nations, Jésus confirme cette approche en faisant apparaître sa puissance et son autorité contre le mal, au sein des nations.

- Les hommes de cette contrée avaient demandé à Jésus de s’en aller de chez eux, lors d'un premier miracle, mais maintenant, ils lui amènent un homme pour le guérir. Le Seigneur le mène à l’écart. Il l'éloigne de son peuple. Il le guérit à titre personnel. L'heure de la conversion des nations n'a pas encore sonnée. Elle le sera après sa mort et sa résurrection.

- Jésus opère de façon bien étrange avec cet homme. Les gestes qu'il fait (mettre les doigts dans les oreilles et de la salive sur la langue) semblent rappeler des gestes faits alors par des magiciens. Ainsi la salive était utilisée comme remède dans des contextes médicaux ou magiques, la frontière entre ces deux contextes restant alors imprécise. Il veut probablement rappeler et reprendre symboliquement le mouvement de Dieu lors de la création de l'homme, par lequel Dieu, par son Verbe, par la Parole sortie de sa bouche, modelait la boue primordiale. En effet, la guérison de ce païen signifiait le début de la création nouvelle parmi les nations.

- Tout cela reste quand même étrange. Peut-être est-ce pour cette raison que Matthieu et Luc omettent l'épisode de la salive, qui a dû les mettre mal à l'aise, dans cette guérison et dans celle de l'aveugle de Bethsaide, au chapitre 8.

- Il est vrai, une parole de Jésus aurait suffi, comme pour les autres guérisons, et cet homme sourd qui parlait à peine eût pu être délivré de son infirmité. Mais le geste du Seigneur semble faire écho à la difficulté d’entendre la parole, qu’il a constaté dans son pays, en Galilée voisine. Il avait dit alors : "que celui qui a des oreilles pour entendre" (Marc 7:16). C’était en fait la grande question qui se posait parmi les fils d’Israël, et ici, dans ce geste à l’égard d’un étranger, une sorte d’illustration est donnée aux disciples, pour qu’ils comprennent les difficultés rencontrées dans leur propre contrée. De même, le soupir du Seigneur (v 34) nous paraît se référer au fait que tant de personnes ont des oreilles pour ne pas entendre, contrairement à cet homme sourd qui a confiance en lui. Il soupirera encore quand, après tous ces miracles, un signe probant lui sera demandé (Marc 8:12).

- Il lui dit: 'Ephphrata', c'est-à-dire: 'Ouvre-toi'. Il s'adresse à la personne entière, autrement il aurait dire: 'Que tes oreilles s'ouvrent'. Une fois prise la décision de se convertir (s'ouvrir à la grâce de Dieu), les causes de toute maladie qui trouvent leur origine dans le péché, n'ont plus de raisons d'exister et d'agir dans l'homme. Il sera totalement guéri. Ce terme 'ouvre-toi ' a été utilisé très tôt dans le rite du Baptême.

- C'est le seul récit de miracle contenant une expression de l'araméen parlé par Jésus, ce qui ajoute à son authenticité.

- Là aussi, Jésus demande que le miracle soit tenu secret (silence messianique), mais toujours sans succès.

- Le sourd muet est une image de l'état des juifs au temps de Jésus. Ils n'entendent pas la Parole et refusent d'en être les hérauts pour l'annoncer, comme le fera le 'petit reste' d'Israël, représenté par les disciples et ceux qui accompagnent Jésus.

- Après le miracle, Jésus s'en alla à Dalmamitta (dans Marc) ou Magadan (dans Matthieu), en terre d'Israël. Ce sont probablement deux noms d'une même ville.

Chapitre 8


8.1-10 La seconde multiplication des pains (Mt 15:32-39)

- On l'a déjà dit, ce second don du pain est l'équivalent en territoire païen de la multiplication en terre juive. Ce récit est placé dans l'optique de la vision d'Isaïe (25:6) du festin pour tous les peuples de la terre, à la fin des temps. L'annonce de la venue du Royaume, inaugurée en terre d'Israël, s'élargit à toutes les nations. C'est la vision d'Abraham (Gen 12:3), répétée par les prophètes (Ez 38:23; Is 66: 18; Zacharie 16; Ps 2:8, 47:8,126:2).

- Ici, c'est Jésus qui attire l'attention des disciples que la foule avait faim, quand dans l'autre récit c'étaient eux qui avaient pris l'initiative. Le Seigneur seul peut considérer cette ouverture aux païens. Ses disciples sont encore braqués sur l'unicité du peuple d'Israël.

- Une autre symbolique numérique est utilisée. Le chiffre 4 (4000 personnes) signifiant les quatre points cardinaux, donc la totalité de la terre; Le chiffre 7 (7 corbeilles restantes) représente les 70 nations de la terre (Gen 10) et les 7 Églises de l'Apocalypse, représentant les premières Églises chrétiennes parmi les gentils.

- Comme déjà dit, il y a un parallèle certain entre les gestes et paroles de Jésus, surtout lors de cette multiplication des pains et ceux de la sainte Cène dans Mc 14:22-23. 'Et prenant (les 'sept pains' d'un côté, 'le pain' de l'autre), rendant grâces (le même texte), il ('les' dans l'un, 'le' dans l'autre) rompit, et donna à ses disciples (même texte). Dans l'esprit du Seigneur, la multiplication des pains voulait préfigurer à la fois, le don de son Corps et le grand festin du Royaume. Comme dans la première multiplication des pains, la prière et la bénédiction de Jésus et le fait de rendre grâce, rappellent, ou plutôt préfigurent la sainte Eucharistie, lors de la dernière Cène.

- De même, ici, Jésus donne la pain aux disciples leur ordonnant de le distribuer à la foule. Ainsi l'Eucharistie ('Faites ceci en mémoire de moi') a été confiée aux Apôtres, avec mission de nous la distribuer.


8. 11-13 Les Pharisiens demandent un signe (Mt 16:1-4, 12:38-39Luc 11:16-29)

- Reviennent les ennuis. Les Pharisiens lui demandent un signe du ciel pour croire en lui. Il soupire, car cette hypocrisie l'oppresse encore une fois. Tant de miracles avaient été réalisés. Tant de guérisons, d'exorcismes, de résurrection des morts, etc. et surtout la multiplication des pains, qui était un véritable 'signe du ciel'. Autant de signes plus que probants. Il avait parlé dans les synagogues avec autorité. Pourquoi fallait-il d'autres signes? Une demande pareille lui sera adressée sur la Croix: Descends et nous croirons en toi. Tout autant ignorée. Jésus ne veut pas s'imposer à nous. Il respecte trop notre liberté. Il leur dit donc: Il ne vous sera pas donné d'autres signes. Vous êtes des aveugles qui conduisaient une génération aveugle, elle aussi! Rappelons-nous Paul: 'Les grecs demandent une sagesse, les juifs un signe, mais nous prêchons Jésus crucifié, folie pour les grecs et abomination pour les juifs'.


- Nous aussi, nous supplions Dieu parfois de nous donner des signes, de nous parler, de nous illuminer et nous donner plus de lumière, quand il suffit de vouloir et savoir bien 'voir et entendre', quand il s'agit d'ouvrir quelques fenêtres dans notre maison!


8.14-21 Levain des Pharisiens et d'Hérode (Mt 16: 5-12)

- En naviguant, les disciples ont un souci d'intendance. Ils n'ont pas assez de pain. Et voilà Jésus qui leur parle du levain des Pharisiens et du levain d'Hérode. Encore une fois, ils ne le comprennent pas. Jésus s'étonne: Je pensais, qu'à l'encontre des Pharisiens et des Hérodiens, vous aviez des oreilles pour entendre et comprendre. 'N'entendez-vous pas?'. Jésus adresse souvent de tels reproches à ses disciples, qui malgré l'enseignement rapproché qu'il leur prodigue, balancent entre croyance et incrédulité.

- Dans l’Écriture, le levain est une substance en soit tout à fait noble, mais qui ne peut être brûlée sur l’autel avec les sacrifices. 'Aucune offrande de gâteau que vous présenterez à l'Éternel ne sera faite avec du levain. Du levain et du miel, vous n'en ferez point fumer comme sacrifice par feu à l'Éternel' (Lév 2:11). Ainsi, en parlant du levain, le Seigneur évoque les déformations graves de la pensée sur Dieu par le légalisme des pharisiens (Marc 7:13) et leur fascination du merveilleux ('des signes') et le judaïsme mondain des hérodiens, des juifs favorables au courant politique induit par Hérode le Grand, ami des Romains. Matthieu explique que le levain des pharisiens était l'hypocrisie, et celui des Hérodiens l'extrême esprit de mondanité. Il ajoute que celui des Sadducéens était un orgueil intellectuel poussant vers une extrême rationalité et de l'incrédulité. Rien n'aveugle plus l'esprit et l'intelligence que ces trois sortes de 'levain'.

8.22-26 Guérison de l'aveugle de Bethsaide

- Bethsaide (maison des pêcheurs), village de Galilée. Jean (1: 44) dit que Pierre, André et Philippe en étaient originaires.

- Un aveugle est conduit à lui avec confiance. Quelle scène étrange, différente de tous les autres récits de guérison. Comme un miracle en deux temps! Un premier geste, après quoi le Seigneur demande à cet homme s’il pouvait voir. La réponse de l’aveugle est positive, il voit cependant d'une façon imparfaite, voyant les hommes comme des arbres qui marchent. Les seuls arbres qui marchent dans la Bible se mettent en route en quête d'un roi à oindre pour le placer à leurs têtes (Juges 9: 8-15), donc un Messie politique. Il faut un autre geste de Jésus qu'il recouvre entièrement la vue. Il y a plusieurs tentatives d'explication dont celle qui dit que l'aveugle n'étant pas venu à Jésus par lui-même, sa foi n'étant pas probante, il lui pose des questions pour s'assurer de cette foi. Mais ce qui semble le plus plausible, c'est que Jésus veut donner une leçon à ses disciples qui sont seuls à assister à la scène . Eux sont maintenant en train de voir indistinctement. Ils reconnaissent en lui un homme puissant, un thaumaturge, un exorciste et plus encore, peut-être le Messie attendu. Mais quel Messie? Certainement pas un Messie souffrant. Cependant, en parlant de la deuxième partie du miracle de Jésus, Marc donne l'espoir d'une vision plus nette de la personne et de la mission du Fils de l'Homme (Mc 8:37; 9:37; 10: 33-45), comme Jésus le suggérera bientôt à ses disciples, lors de l'annonce de sa passion et la confirmation de sa gloire lors de sa Transfiguration. Mais, ils ne verront distinctement qu'après la Résurrection et la descente de l'Esprit. Cette guérison en deux étapes est bien le symbole de la croissance des disciples dans la connaissance de Jésus. Ils avaient besoin d'être 'touchés' une deuxième fois. Ce sera fait lors de la Pentecôte.

- Ce miracle est relaté seulement en Marc.

- Jésus conduit l'aveugle en dehors de la ville. Il le sépare d'Israël qui l'a refusé. Une fois guéri, il est renvoyé dans sa maison avec interdiction de parler de sa guérison, comme d'habitude pour respecter le silence messianique.

8.27-30 Qui dit-on que je suis? Et vous? (Mt 16:13-20, Lc 9:18-21)

- Jésus et les disciples sont 'en chemin' vers Césarée de Philippe. Comme, avec les disciples d'Emmaüs, Jésus aime marcher avec nous. C'est une occasion de poser les vraies questions, d'établir des échanges en profondeur. Marc mentionnera ces pérégrinations 5 fois (9:33, 34; 10:17, 32, 52) 'en chemin' vers Jérusalem. Césarée est aux pieds de l'Hermon, à deux jours de marche de Bethsaide, au Nord de la Terre d'Israël, près de la source du Jourdain. La ville avait été fondée par le tétrarque Philippe d'où son nom (Césarée pour César et Philippe pour le tétrarque).

- Cela donne le temps de converser, loin des foules, une véritable retraite au cours de laquelle le Seigneur leur parle. Que connaissent-ils vraiment de lui? Se suffisent-ils de ce que disent les autres? D'où cette question à deux temps, comme pour la guérison de l'aveugle.

- Une question importante: Qui est le Messie?. Le Messie est celui qui doit rétablir Israël; il est le Fils de David promis (Amos 9:14Osée 3:5), et attendu par tous les juifs qui comprenaient les paroles des prophètes seulement dans le sens d'un rétablissement politique. Non, ce rétablissement est pour un peuple qui aura opéré un rétablissement moral avant tout (Zacharie 12:10), des croyants entrés dans une nouvelle vie ainsi que Joël en parle : 'Et il arrivera, après cela, que je répandrai mon Esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards songeront des songes, vos jeunes hommes verront des visions' (Joël 2:28). Pour arriver à ce déploiement de miséricorde, il fallait établir les bases de la Nouvelle Alliance annoncée dès la déportation à Babylone (Jérémie 31:31). C’est pourquoi, à la fin de l’exil, le rejet et les souffrances du Messie ont fait plus que jamais l’objet de l’annonce des prophètes (Isaïe 53Zacharie 11 :13). C’est probablement ce que le Seigneur rappelle à ses disciples, quand ils lui disent que certains pensent qu'l est JB, Elie , ou l'un des prophètes.

- Et vous? Pierre, parlant au nom des disciples, affirme: 'Tu es le Christ' (le Messie). Matthieu ajoute: 'le Fils du Dieu vivant'. C'est sur cette foi de Pierre qu'est bâtie l'Église, selon la plupart des Pères. Chaque Evêque est le successeur de Pierre, dans la mesure où il confesse cette foi. Jésus leur recommande de garder cela secret.

- La déclaration de Pierre marque le point tournant de l'Évangile de Marc. Les disciples, jusque là aveugles, commencent à voir. Après 8 chapitres, arrivés au milieu de l'Évangile, les disciples, par l'entreprise de Pierre, nous font connaître pour la première fois leur opinion au sujet de Jésus: 'Tu es le Christ', reprenant à leur compte le premier des deux titres attribués à Jésus dans la première phrase de l'Évangile. Mais, de quel Messie s'agit-il? On verra que ce n'est encore pas clair pour eux.

- Et nous, aujourd'hui? Qu'en est-il de notre foi en Jésus?

8.31-33 Première Annonce de la Passion (Mt 16: 21-23; Lc 9: 22)

- Jésus peut maintenant leur parler ouvertement et leur apprendre qu'il 'fallait que le Fils de l'Homme souffre'. 'Et pour la première fois , il leur enseigna qu'il fallait que le Fils de l'Homme souffre … et que trois jours après il ressuscitera'. C'est vrai, il est le Messie, mais sa mission passe par la souffrance et la mort qu'il devra affronter avant l'annonce de ce 'il ressuscitera' auquel ils n'ont rien compris.

- On se trompe en présumant que le Règne de Dieu est puissance. Le nouvel enseignement de Jésus sur lui-même instaure une profonde discontinuité. Il perturbe l'image de force jusque là associée à son ministère, et donc au mode de présence de Dieu dans le monde.

- Ses paroles coupent net l’idée d’un rétablissement d’Israël dans l’état, mais sont clairement en phase avec l’enseignement des prophètes. Le royaume viendra, le Fils de David règnera, mais cela suivra un temps de jugement appelé le "Jour du Seigneur" (Zacharie 12 à 141 Thess 5:22 Thess.2:22 Pierre 3:7-10). Alors viendra le règne du Seigneur (Apocalypse 11:15). Mais auparavant doit se produire un événement exceptionnel dont seuls quelques-uns vont être témoins. Une annonce qui rend l’auditoire d’autant plus attentif au message qui leur fut adressé. Le Royaume de Dieu viendra, nul ne sait quand, mais il faut y être préparé.

- Une telle éventualité paraît inacceptable et même inconcevable pour Pierre. Il le reprend. Il ne voit pas encore clairement. Jésus le rabroue durement: 'Arrière de moi, Satan', car une telle réaction de la part de ses disciples apparaît comme un obstacle à sa mission, un renversement radical de sa perspective, comme une tentation. Et toute tentation vient de Satan, d'où son cri. Plutôt que de s'opposer au plan de Dieu et a sa propre mission, il s'attend que ses disciples le soutiennent et le suivent sur la route qui le conduira à Jérusalem, donc à la mort. Te texte utilise le verbe 'rabrouer' que Jésus utilise aussi avec les démons.

- Si Jésus succombait à la tentation de Pierre, s'il s'était manifesté avec la puissance propre à la divinité, s'il avait cherché à imposer aux hommes la volonté de Dieu, son action aurait probablement plu aux esprits 'religieux', mais elle n'aurait rien révélé de la nouveauté de Dieu. S'il avait fait cela, le Dieu qu'il aurait révélé aurait été le Dieu bon, tout-puissant et miséricordieux, tel que les hommes l'imaginent et le cherchent, mais ceux-là n'auraient rien compris de la kénose divine. Il n'auraient eu aucune intelligence renouvelée du Dieu qui se révèle en Jésus, fragile et volontairement désarmé.

- Ainsi, nous voyons combien utile sera ce long chemin jusqu’à Jérusalem. Un parcours marqué d’étapes au cours desquelles le Seigneur va montrer ce qu’il en sera de le suivre. Il apporte tous les rayons de la bonté de Dieu, mais la reconnaissance de cette bonté devra se vivre dans un monde qui, globalement, n’en veut pas.

8. 34-38, 9.1 Conditions pour suivre Jésus (Mt 16:24-28; Lc 9:23-27)

- Puis Jésus fait venir la foule pour indiquer que les conditions de le suivre dont il va parler s'appliquent à tous, et non seulement aux disciples, car si lui doit connaître la mort, cela manifestera l’opposition qui se fera jour également contre ceux qui Le suivent. Il se doit de les avertir.

- Gouter la bonté de Dieu, c’est tout d'abord se différencier, marcher à contre courant, car : 'la vraie lumière… venant dans le monde, éclaire tout homme. Il était dans le monde, et le monde fut fait par lui; et le monde ne l'a pas connu.' (Jean 1:9-10).

- Ses paroles: 'Si quelqu'un veut me suivre, qu'il renonce à lui-même et prenne sa croix et qu'il me suive', sont ainsi adressées à tous en forme d'avertissement. Devenir disciple ou être chrétien, c'est accepter de perdre sa vie à cause de Jésus et de l'Évangile. C'est donc en toute connaissance de cause que les hommes sont invités à prendre la décision de marcher à sa suite. Se renier soi-même, c'est se dire non, c'est volontairement renoncer à des choses qui pourraient être légitimes, mais qui pourraient nous distraire de l'essentiel.

- Il explicite ce parcours en une formule paradoxale: 'Celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie pour moi et l'Évangile, la sauvera'. Ce renversement de perspective est suivi par deux épisodes apparemment sans liens directs: la Transfiguration et la guérison de l'enfant possédé.

- 'Celui qui a honte de moi …'. Quel avertissement et quelle responsabilité nous incombe par rapport à notre propre jugement. Avoir honte de Jésus, c'est aussi avoir honte de ceux qu'il aime.

- 'Certains ne goûteront pas la mort avant de voir le Royaume de Dieu inauguré avec puissance'. Jésus parle de ceux de ses disciples qu'il conviera à l'accompagner, lors de sa Transfiguration, quelques jours plus tard. Aussi, par la suite, de tous ceux auxquels il sera donné de le voir après sa Résurrection. Et à travers eux, à tous ceux qui croiront sans avoir vu.


Chapitre 9

9.2-13 La Transfiguration (Mt 17:1-13; Lc 9:28-36)

- Trois des apôtres seulement sont appelés à accompagner Jésus. La tradition désigne ici le Mont Thabor, la plus haute montagne de Galilée, à une quinzaine de kilomètres au sud-ouest de la mer de Galilée, mais le chemin depuis Césarée jusqu’en Galilée recèle d’autres sommets plus élevés encore, par exemple l'Hermon. Toujours est-il que c’est avec trois disciples que Jésus y monte, les trois mêmes qui seront appelés à l’accompagner au jardin de Gethsémani, avant sa passion. Pierre et Jean se souvinrent toute leur vie de cet événement 'ayant été témoins oculaires de sa majesté' (2 Pi 1:16-18), et il marqua solidement leur ministère (Jean 1:14).

- En apparaissant transfiguré sur la montagne, entouré de Moise et Elie (représentant la loi et les prophètes), et en étant désigné comme le 'Fils bien aimé', Jésus indique que le but de sa mission est aussi de manifester pleinement la gloire qu'il tient de Dieu son Père. Tout le récit rappelle la manifestation de Dieu au Sinaï (Ex 24:1-17) et dans une moindre mesure l'expérience d'Elie sur le mont Horeb, quand il fut réconforté par le Seigneur alors qu'il fuyait ses adversaires qui voulaient sa mort (1 Rois 19: 11-15). Cependant, il s'en distingue aussi car la lumière rayonne directement de sa personne, et il se rend volontairement à Jérusalem sans fuir, comme Elie, l'épreuve qui l'attend.

- L'évènement a dû se produire au moment de la fête des tentes. Pierre veut monter trois tentes. La tente est un lieu d'accueil, de rencontre, de repos. Durant l'Exode au Sinaï, les israélites vivaient dans des tentes et une des tentes contenait les Tables de la loi. La tente suggère qu'il faut savoir s'arrêter pour rencontrer l'autre, ici le Tout- Autre, le Dieu qui vient à notre rencontre, et le mieux connaître.

- La nuée est la demeure du Père que personne, hors le Fils, ne peut voir (Mt 17:5). C'est d'elle que vient la voix. Les paroles 'Tu es mon Fils bien Aimé' ne sont pas sans rappeler les mêmes paroles, lors du Baptême. Elle ajoute: 'Écoutez-le', c'est-à-dire croyez en ce qu'il vous a dit concernant sa mort et ses souffrances. En cela, est le dessein salvifique de Dieu.

- Dans le 'Écoutez-le' pointe évidemment que dorénavant, c'est lui seul qu'il faut écouter, et que Moise et Elie ont fait leur temps. Jésus est pour nous la 'voix' du Père. Dieu a autrefois parlé par les prophètes. Maintenant, il parle par son Fils.

- La lumière divine. Dieu se rend réellement visible par la lumière qui l'enveloppe, parce que dans l'Église, le Royaume à venir est réellement anticipé, de même que le Christ se manifestait par avance aux justes de l'AT, car l'Esprit rend les saints dignes de la vision. La lumière est une énergie divine qui manifeste visiblement quelque chose de Dieu. C'est le reflet de sa gloire. C'est le 'vêtement dans lequel Dieu se drape' (Ps 104:2). En sa Transfiguration, Jésus anticipe sur l'état du Christ Ressuscité qui apparaîtra à Paul dans une lumière éclatante (Ac 9:3; 22:6; 26:13). Jean dit que Jésus 'est lui-même lumière' (1 Jn 1:5). Les élus seront illuminés de cette lumière en contemplant la face de Dieu (Ap 22:48). Penser à ce qu'ont fait les hommes avec la lumière (Hiroshima).

- Moise et Elie ne tardent pas à disparaître et Jésus reste seul. Ils étaient ses précurseurs, mais n'ont plus rien à faire sur la terre. L'Écriture avait parlé clairement qu'un prophète devait venir avant le Messie (Mal 4:5). Lors de la première apparition publique de Jésus, ce précurseur fut Jean le baptiseur. Lors de sa venue en gloire, cette fonction prophétique est confiée à Moise et à Elie qui sont ainsi les témoins de sa gloire.

- 'Ils ne virent plus personne, sinon Jésus seul'. Jésus doit occuper tout notre champ de vision. Tout ce qui n'est pas lui, doit être perçu à travers lui.

- Cette scène de la Transfiguration est elle-même une prophétie. Christ est le centre resplendissant de la gloire du Royaume, comme il l'a été au sommet de la montagne. Les saints (comme Moise et Elie) seront avec lui dans des conditions célestes. De même, il y aura sur terre des saints (les disciples choisis) qui verront sa gloire autant qu'il le leur sera donné.

- Pourquoi Marc indique 'après 6 jours'? Le chiffre 6 est une expression d'imperfection, car il lui manque 1 pour devenir 7 et indiquer la plénitude. Il veut signifier qu'après 6 jours, le septième jour est venu pour manifester la gloire de Dieu.

- Il leur demande de ne rien dire, sinon après sa Résurrection. Secret messianique. En parlant de le transfiguration, il forcerait l'adhésion des gens et aliénerait leur liberté.

- Après être descendus de la montagne, les disciples doutent toujours. Leurs yeux étaient ouverts, mais ils ne voyaient pas encore clairement. Ils ruminaient les paroles de Jésus concernant sa passion, mais se demandaient ce que c'était de ressusciter d'entre les morts. Qu'il y eut une résurrection en laquelle Dieu ressusciterait tous les morts au dernier jour, ils n'en doutaient pas (Jn 11:24). Mais que le Fils de l'Homme soit manifesté par sa résurrection 'd'entre' les morts, voilà ce a quoi ils n(entendaient rien. Sans doute, ils recevaient les paroles du Seigneur comme véritables, comme ayant de l'autorité, mais ce qu'il voulait vraiment dire leur restait incompréhensible.



- Bien qu'ayant vu Elie présent lors de la Transfiguration, ils posent des questions à Jésus sur l'éventuelle venue d'Elie avant la venue du Messie, oubliant que JB était déjà venu selon la puissance et l'esprit d'Elie. Le peuple juif avait traité ce messager comme il n'allait pas tarder à traiter le Fils de l'Homme qu'il annonçait.



9.14- 29 Guérison de l'enfant possédé et nécessité de La prière et du jeûne (Mt 17:14-21, Lc 9: 37-42)

- Durant l'absence de Jésus, ses autres disciples, confrontés seuls à des scènes de péché, de misère et de souffrance, avouent leur inaptitude à aider la foule, malgré le mandat qui leur avait été donné (Mc 6:7-13, 9: 38-39). Ils sont inquiets. Mais, maintenant Jésus est là, serein. L'instant d'avant, les scribes avaient posé des questions embarrassantes aux disciples. Maintenant, c'est Jésus qui les interroge. C'est lui qui invite le père, dont les disciples n'avaient pas pu guérir le fils, et qui était déçu et égaré de douleur.

- 'Amenez-le moi'. On amène l'enfant possédé. Un 'possédé' est quelqu'un qui ne se possède plus, qui est aliéné par une puissance externe. Quelle que soit la nature de cette puissance, elle annule la liberté et la dignité du sujet, conditions essentielles à une réponse d'amour. Dieu ne peut admettre que nous soyons ainsi possédés, par respect de notre liberté qui, selon les Pères, est son image en nous. Ceux qui, comme les disciples, ne veulent ou ne peuvent pas admettre l'idée d'un Dieu 'dépouillé de tout' (Phil 2:6), qui a renoncé à posséder, aliéner et dominer quiconque, ceux-là appartiennent au 'peuple incrédule', face auquel Jésus s'impatiente, et ils sont incapables de chasser un esprit aliénant. Les disciples ont encore à faire une seconde conversion, à savoir faire le deuil d'une certaine idée 'convenable' de Dieu. Jésus les y invite par la pratique de la prière et du jeûne, soit d'adopter une attitude de confiance et une concentration entière sur cet essentiel qui doit les occuper. La foi seule n'est pas suffisante. Elle doit être confortée par la prière et le jeûne. La foi est un esprit de confiance en Dieu, la prière est un esprit de dépendance envers Dieu, et le jeûne est un esprit de séparation pour Dieu.

-Jésus nous invite à travers eux à repenser notre savoir sur lui, à prendre comme modèle la prière du père de l'enfant: 'Je crois, mais aide mon incrédulité'. Ce cri paradoxal appelle à identifier le non-croire enfoui dans la texture même du croire. Une parole merveilleuse, car qui pourrait dire qu’il a en lui une foi "qui transporte les montagnes" ? (Mt 17:201 Cor 13:2). Confier à Jésus notre 'incrédulité', quel signe extraordinaire de notre confiance en lui!

- Ce récit d'exorcisme est différent de tous les autres relatés dans Marc. D'abord, c'est le seul qui commence par l'incapacité des disciples d'agir. Puis, l'interlocuteur de Jésus n'est pas le démon, comme d'habitude. C'est le père de l'enfant muet (v 17) et sourd (v 21). Il faut aussi noter le véritable combat psychologique entre Jésus qui demande au père la foi comme condition de la guérison de son fils, et le père aimant qui ne sait à quel saint se vouer: 'Je crois, viens en aide à mon manque de foi'. Il faut ajouter que c'est la seule occurrence où Jésus parle de sa propre foi, comme source de ses miracles ('tout est possible à celui qui croit'). Enfin, il faut souligner le côté presque clinique de la description du mal de l'enfant qui montre à l'évidence que c'est un cas d'épilepsie. Matthieu dit qu'il était 'lunatique', terme qui exprimait la croyance d'alors que la lune était à l'origine de ce mal.

9.30-37 Deuxième annonce de la Passion et comment être un disciple (Mt 17:22-27; Lc 9: 43-46)

- Jésus se retire loin de la foule. Il en profite pour instruire de nouveau ses disciples sur ce qui l'attend.

- Gardons-nous d’être étonnés de leur difficulté de comprendre. Si les prophètes ont bien parlé des souffrances du Messie, et si les Psaumes y ont largement fait écho, dans le climat social et politique de la population juive de l’époque, l’attente du Messie était surtout attente du rétablissement d’Israël dans sa souveraineté, situation perdue lors de l’exil à Babylone, recouvrée très partiellement et dans la douleur au temps des Hasmonéens ; mais cette autonomie politique acquise au prix du sang au IIe siècle avant notre ère n’est en rien comparable à l’intervention du Seigneur venant établir son règne. Et Jean le baptiseur conduisait les fils d’Israël à de justes pensées en proclamant : "dans le désert, faites droit le chemin du Seigneur", afin qu’il y ait des Juifs préparés moralement à la venue du Messie. Corrigeant leur pensée, le Seigneur prépare ainsi les disciples à un avenir dont ils n’ont pas conscience encore.

- L'entendant parler de la prochaine venue de son Royaume, ils s'attendent à y avoir une place d'honneur. C'est pourquoi ils 'se querellent pour savoir qui est le plus grand'. Malgré tout ce qu'ils ont vu et entendu, Ils en sont encore là! Jésus les reprend et leur présente comme exemple un enfant. Celui qui reçoit un petit enfant innocent, faible et méprisé aux yeux du monde, reçoit le Christ. Et qui reçoit le Christ est reçu par son Père. Jésus leur parle aussi de ce que doit être le vrai serviteur, exprimant le grand renversement de valeur auquel il les convie: 'le premier sera le dernier et le serviteur de tous'.

- Sa réponse se trouve avoir une double portée. a) Le seul chemin qui mène à la vraie grandeur est celui qui fait descendre au plus bas, pour être serviteur de tous. Le premier des serviteurs est celui qui ressemblera le plus à l'abaissement du maître; b) la personnalité du serviteur a peu d'importance. Ce qui compte, c'est au nom de qui il vient.

9.38-51 Caractère des disciples: le sel de la terre

- Les disciples jouent à se montrer plus royalistes que le roi, extrêmement jaloux des prérogatives de leur maître. Ils lui disent qu'il y en a qui font des miracles en son nom; et qu'il faut les en empêcher. Réponse cinglante de Jésus: Celui qui n'est pas contre est pour. Laissez-les faire. Ne soyez pas jaloux du succès des autres, surtout que vous venez de prouver avec l'enfant possédé que vous n'êtes pas aptes à agir en mon nom. N'essayez pas de soumettre les autres à votre pouvoir ('ils ne nous suivent pas').

- Il continue: Gardez vous de scandaliser les petits. et vous-mêmes, séparez-vous de toute occasion de chute: si votre œil ou votre main vous scandalisent, arrachez-les, car cela vaut mieux qu'être condamnés.

- Vous êtes le sel de la terre. L'enseignement est plus saisissant qu'il pourrait y paraître. Le sel est un produit de conservation traditionnel, et aussi un exhausteur de goût. il augmente la saveur des mets. En parlant de 'sel de la terre', il faut penser à l'excellence des qualités humaines des disciples. Ils ont donc un chemin tracé par Jésus, un chemin d'humilité (Phil 2:5-8), une voie excluant les dérives sectaires (v 39), prenant soin des plus petits (Zach 11:7, 11), et veillant à ne pas détruire la foi des plus faibles (v 42-48; .t 12:20; Is 42:1-4). Paul nous le dit: 'Que votre parole soit toujours en grâce, assaisonnée de sel, afin que vous sachiez comment vous devez répondre à chacun' (Col 4:5-6). Les chrétiens sont appelés à être dans le monde des témoins d'une puissance qui non seulement purifie, mais qui préserve de la corruption. 'Ayez du sel en vous-mêmes' nous dit le Seigneur. Soyez vigilants!

- ' Si le sel perd de sa saveur? Si les chrétiens ne rendent pas témoignage, où trouver en dehors d'eux ce qui peut leur rendre leur goût? Il ne s'agit pas de juger les autres, mais de se placer devant Dieu, devenant ainsi le sel, l'ayant en soi-même. A l'égard des autres, on doit chercher la paix. C'est la vraie séparation de tout mal qui rend capable de marcher ensemble en paix.

- Le plus petit don fait au nom du Christ et pour l'amour du Christ a de la valeur aux yeux de Dieu et recevra sa récompense (v41). La réciproque est la condamnation pour celui qui cause scandale à un de ces petits qui croient (v 42).

- Dieu mettra toute chose à l'épreuve. Le feu de son jugement est appliqué à tous, aux saints comme aux pécheurs. Dans les saints; il consume les scories afin que l'or pur brille de tout son éclat. Dans les pécheurs, c'est le feu et les peines éternelles dus au fait de vivre loin de Dieu. Tout sacrifice sera salé de sel est une allusion à Lév 2:13. Le sel représente la puissance du Saint Esprit, pour nous garder de tout ce qui est impur, et produire la sainteté dans un cœur dévoué à Dieu.


Chapitre 10

10.1-12 Questions sur le divorce (Mt 19:3-12; Lc 9:52-57)

- Jésus et les disciples poursuivent leur route vers Jérusalem, par la route d’au-delà du Jourdain. Ils se trouvent maintenant à hauteur de la Judée, et la foule vient vers Jésus pour l’écouter. Ces déplacements ne laissent pas indifférents les pharisiens habitués à être eux-mêmes écoutés. Ils sont là pour créer une polémique dans le but de démontrer que son enseignement et sa pratique ne sont pas conformes à la loi (se rappeler leurs questions en 2:16, 18, 24; 3:6; 7:1, 3, 5; 8:11, 15).

- Ils lui posent des questions sur le divorce. La réponse du Seigneur est lumineuse. Le chemin tracé pour la société, en ce qui concerne la cellule familiale, est absolument clair. Il conduit à un engagement de vie entre un homme et une femme. Cependant les situations qui ne répondent pas au but de la création sont multiples, car l’homme est libre. Il existait, en Israël, une loi protégeant le conjoint abandonné par l’obligation d’une lettre de divorce. Ce n’était d'ailleurs pas l’apanage exclusif d’Israël, dans l’antiquité. Elle fournissait néanmoins un cadre de protection sociale et même d’égalité de droits entre les époux en difficulté qui représentait alors une avancée sociale majeure. Cette loi (Deut 24:1-4) a été cependant détournée de son but, pour aboutir à des pratiques loin de la voie tracée par Dieu. Bien qu'il soit apparent que Jésus rejette l'enseignement de Moise, en fait, il met en contraste la volonté de Dieu concernant l'union conjugale et la perversité humaine que la législation mosaïque prend en compte.

- Comme Marc considère que le Royaume est imminent, c'est avec circonspection qu'il faut supposer qu'il envisage la réponse de Jésus comme une ordonnance concernant le mariage, d'autant plus que la version de Matthieu est différente, car Jésus y apparaît comme admettant le divorce en cas d'adultère.

- Une fois encore, les disciples requièrent une instruction supplémentaire pour mieux comprendre. Si l'évangéliste a ajouté ce petit épisode narratif, ce n'est pas tant probablement pour clarifier l'enseignement de Jésus, que pour souligner à nouveau le manque de clairvoyance des disciples: ils continuent d'entendre, mais ne comprennent pas.

- Le verset 12 existe en deux versions: 'celle qui renvoie son mari' et celle qui part de chez un homme et en épouse un autre' se rend adultère. Il est à remarquer que ces textes vont bien au-delà de la pratique juive du divorce et du remariage, lorsqu'ils sont voulus par une femme, car le droit de divorcer n'était pas reconnu à la femme juive. Dans le deuxième texte, Marc parle probablement de celles qui quittent leur mari et se remarient en dehors de tout cadre légal.

10. 13-16 Jésus et les petits enfants (Mt 19:13-15; Lc 18:15-17)

- Un contraste absolu d’avec les inquisiteurs malintentionnés. Des petits enfants sont conduits à Jésus. Les disciples les rabrouent. Cela me rappelle ceux de nos prêtres qui font sortir les enfants de l'Église quand ils font quelque bruit. Nous aussi, nous pensons avoir bien entendu, mais nous n'avons rien compris. Les enfants, ces créatures encore innocentes, nous distraient des chose importantes que nous pensons être en train de faire, comme les disciples vis-à-vis de Jésus. Pourtant, il y avait seulement quelques jours qu'il leur avait demandé de ressembler à des enfants.

- Nous trouvons ici une séquence pleine de fraîcheur, en contraste total avec celle des pharisiens. Les premiers viennent vers lui en confiance et sont séduits par sa bonté, tandis que les pharisiens étaient là simplement pour contester et renier des évidences. Aller vers Jésus, sans trop de questionnements, en toute innocence et quoiqu'il soit en train de faire, il nous accueillera.

10.17-23 L'homme riche (Mt 19:16-22; Lc 18:18-23)

- Un homme riche aborda Jésus. Matthieu dit qu'il était jeune et Luc , un chef du peuple. La richesse peut advenir de plusieurs raisons, pas seulement de la richesse matérielle. En particulier, un jeune est toujours riche par son ouverture, son ambition, son intelligence, sa disposition permanente à aller de l'avant.

- Jésus l'aima. Le verbe utilisé signifie avoir une forte estime,' prendre plaisir à', 'avoir de la satisfaction à'. Marc a pour but non seulement de faire partager l'estime de Jésus pour une créature humaine qui se veut authentique et sincère, mais bien plus l'admiration pour le discernement montré par cet homme, dont la recherche à faire de son sort une vie éternelle, va au-delà de la seule observance des commandements.

- Jésus objecte contre son appellation de 'Maître'. Pourquoi? Jésus ne veut pas qu'on le prenne avant tout comme un rabbi ou un précepteur moral, bien que l'autorité de son enseignement le distingue des scribes. Il a toujours interdit de proclamer publiquement ses titres messianiques, mettant sans cesse en garde de révéler sa véritable identité. Il s'est toujours qualifié de 'Fils de l'Homme', ce qui laissait deviner l'humilité dans laquelle il se plaisait.

- ' Vends tout ce que tu as et suis-moi'. Jésus 'appelle cet homme, exactement comme il avait appelé ses premiers disciples, qui avaient tout laissé pour le suivre. Dans le cas de cet homme, les implications de la demande de 'tout laisser derrière soi' (v 28), étaient importantes, car il était très riche. Il avait de la difficulté à se détacher de cette richesse, aussi il s'en alla attristé. Quel prix faut-il payer pour entrer dans le Royaume?

- 'Tu n'es pas loin du Royaume' a une double application. D'une part, elle veut dire que tu es proche de l'enseignement qui mène au Royaume, et d'autre part tu es en présence de celui qui est le Royaume.

- Cet épisode ouvre la voie à l'enseignement de Jésus qui va suivre, sur les implications à le suivre en ce monde et dans l'âge à venir.

- Alors que le commentaire sur la richesse comme obstacle à l'entrée dans le Royaume et à suivre Jésus (explication de la parabole du semeur: 'le souci du monde et l'attrait des richesses et des convoitises … étouffent la parole qui devient sans fruit'), avait déjà été fait auparavant, Jésus en affirmant que 'ce qui n'est pas possible aux hommes l'est à Dieu', veut marquer l'opposition entre la bonté de Dieu et la perversité humaine, la bonté divine dépassant cette perversité. Il veut aussi rappeler que l'entrée dans le Royaume nécessite plus que l'observance des commandements et est liée à une grâce divine.

10.24-31 L'entrée dans le Royaume (Mt 19:23-30; Lc 18:24-30)

- Un accès difficile pour ceux qui ont quelque chose à perdre en ce monde. Comme un chameau d'entrer par le trou d’aiguille. Le 'trou de l'aiguille' était semble-t-il un passage très étroit, par lequel il était difficile, mais non impossible, à des chameaux de passer, à condition d'être débarrassés de leurs charges. D'autres disent que 'chameau' voulait dire, dans le langage populaire, 'une grosse corde', ce qui exprimerait aussi la grande difficulté. C'est une définition plus précise du 'tout laisser derrière soi', pour pouvoir entrer dans le Royaume, c’est-à-dire 'être sauvé', ou encore 'être réconcilié' avec Dieu (Rom 5:9-10) et donc être "reçu" auprès de lui (Rom 14:3).

- La réconciliation avec Dieu est au cœur de ce chemin de liberté qui fut donné à l’homme, et cela pour tous les hommes (1 Tim 2:4). Cette réconciliation est un don de Dieu, car le prix de la dette de l’homme envers Dieu fut payé sur la croix (Genèse 22:8-13). Dieu fait miséricorde à qui Il veut (Ex 33:19) et il a étendu sa miséricorde à tous (Jean 3:16). Cette grâce pourra être reçue par des hommes qui sont loin plus facilement quelquefois que par ceux qui sont près (Éph 2:17).

- Les disciples ne comprennent pas encore. Ils se soucient de leur propre sort. Ils demandent à Jésus: 'Qu'en sera-t-il de nous qui , contrairement à l'homme riche, avons tout abandonné et t'avons suivi? Serons-nous sauvés?'. Jésus confirme que celui qui a tout laissé 'pour lui et pour l'évangile', recevra son dû au centuple. Il y avait fait allusion lors du premier appel de Pierre et d'André: 'Je vous ferai devenir des pêcheurs d'hommes', dont la vraie signification ne sera cependant révélé que dans les discours apocalyptique (13:9-13). Comme JB et Jésus, qui avaient proclamé la bonne nouvelle et fini par en payer le prix de leur sang, ceux qui voudraient suivre Jésus devraient s'attendre au même sort.

- Le Royaume est à ceux qui ressemblent à des enfants. Ils auront une nouvelle famille, celle des amis de Jésus, comme il l'avait déjà fait entendre concernant sa vraie famille (3:31-35). Les derniers seront les premiers.

- 'Et pour l'Évangile'. Il leur indique qu'ils seront persécutés 'en ce temps'. C'est certes une référence aux persécutions qui avaient lieu à Rome et qui avaient provoqué la mort de nombreux chrétiens (dont Pierre et Paul) et à d'autres auxquelles les chrétiens devront faire face.

10. 32-34 Troisième annonce de la Passion (Mt 20:17-19; Lc 18:31-34)

- C'est la troisième et la dernière des prophéties de Jésus sur sa Passion. Elle est plus explicite que les deux premières.

- Il parle cette fois avec encore plus de précision. Il parle de la trahison, de la vindicte des principaux prêtres et des scribes, des mauvais traitements qu’il aura à subir. Le tableau est sombre, très sombre, et les disciples sont troublés et stupéfaits. Ils n'arrivent pas à comprendre comment celui qui d’une parole avait fait d'innombrables guérisons et exorcismes, qui avait commandé aux vagues et aux vents, comment allait-il perdre toute sa puissance face à des hommes . Ils entendent ses paroles, craignent pour lui (et aussi peut-être surtout pour eux), mais ne comprennent vraiment pas . La demande des Fils de Zébédée, dans les versets suivants, confirme que les disciples s'attendent toujours à autre chose, qui ne serait autre qu'un royaume terrestre.

10. 35-45 La demande des Fils de Zébédée (Mt 20:20-28)

- Nous pourrions dire que les ces leçons sont difficiles à apprendre, car la question d’être important dans le Royaume a déjà été évoquée, et le Seigneur y avait déjà répondu (Mc 9:34-35). Matthieu parlera même de l’intervention de la mère de Jacques et Jean (Mt 20:20-28) en leur faveur.

- Les récriminations des dix autres disciples laissent supposer qu'ils avaient caressé les mêmes espoirs d'autorité et de privilège que les Fils de Zébédée.

- Se mettre au service des plus petits plutôt que de chercher à être parmi les grands, c'est là le message du Seigneur (9:33-37; 10:35-45).

- Jésus choisit de souligner son propre état de serviteur, comme Fils de l'Homme dans ce monde et d'encourager ses disciples au service et à la subordination comme seul statut privilégié et approprié auquel ils devraient aspirer. "Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi. Il n'apparaît pas sur terre comme un 'prince', bien qu’il fut dit de lui qu’il sera appelé 'Prince de paix' (Is 9:6). Le texte est une claire allusion au serviteur souffrant en particulier dans Isaïe 53.

- 'Boire la coupe, subir le baptême'. Comme la coupe, dans le récit de Gethsémani (14:36), comporte déjà l'implication de l'acceptation par Jésus de son exécution, la référence au baptême (voir l'enseignement de Paul dans Rom 6:3) comporte la même implication. La croix est le seul chemin vers Dieu. Jésus s'y dirige, et il faut le suivre dans ce chemin. Jésus demande aux deux disciples s'ils peuvent faire cela, mais il est évident qu'ils ne comprennent pas ce qu'il veut dire, puisqu'ils en sont encore à regarder le glorieux âge à venir et la royauté de Jésus en termes terrestres, et veulent en partager les privilèges. Dans sa réponse, Jésus indique que Jacques et Jean en viendront, en temps dû, à accepter leur exécution par amour de Jésus et de l'Évangile (Jacques fut le premier martyr parmi les disciples). Quant aux privilèges dans l'âge à venir, Jésus ne peut en disposer, car ils sont soumis à la volonté de son Père.

- 'Donner sa vie en rançon pour beaucoup' est à mettre en parallèle avec Mc 14:24 et les paroles de Jésus sur le coupe et le 'sang de l'Alliance nouvelle, versé 'pour une multitude'.

- Il en résulte trois attitudes fondamentales du disciple de Jésus: a) fidélité dans leurs relations entre eux (le mariage); b) confiance filiale dans l'accueil du Royaume à l'exemple des enfants; c) pauvreté de la vie qui rend libre pour suivre Jésus (le riche). Être serviteur, c'est imiter Jésus lui-même qui s'est fait serviteur 'pour la multitude'. La boucle est donc bouclée. La règle de vie du disciple se termine sur l'évocation de la croix dont Jésus avait déjà parlé lors de la première annonce de sa Passion. Marcher à sa suite, c'est renoncer à soi-même et 'porter sa croix'.

10.46-52 Guérison de l'aveugle Bartimée (Mt 20:29-34; Lc 18:35-43)

- Selon Luc, le passage à Jéricho sera marqué aussi par le repas dans la maison de Zachée (Lc 19:1-10) et la parabole des mines (Lc 19:11-27). La rencontre avec l'aveugle se fait à l'approche de Jéricho. Quant à Matthieu, il parle de deux aveugles, au bord du chemin à la sortie de la ville, qui ayant appris quel était le motif des mouvements de foule devant eux, crient : "Aie pitié de nous, Seigneur, Fils de David." (Mt 20:30). Marc parle seulement de l’un d’entre eux et il souligne l’insistance de son appel. Il précise que c'est un mendiant, se tenant à la sortie de Jéricho, donc sur la route adoptée par les pèlerins en route pour Jérusalem, surtout en ces jours précédant la Pâque, qui étaient plus propices à l'aumône. Jésus l'appelle à venir le rejoindre.

- L'aveugle Bartimée est la seule figure dans l'évangile de Marc à s'adresser à Jésus avec le titre messianique de 'Fils de David'. Bien que Jésus réponde à cette adresse et à cet appel par compassion, il remettra en cause cette désignation messianique en 12:35-37, lorsqu'il enseignera dans l'enceinte du Temple. Mais, ce cri de l'aveugle montre qu'Israël, malgré sa cécité, est encore capable de se reprendre et de reconnaître en Jésus de Nazareth le Messie, le vrai Fils de David. Cet appel voit aussi en Jésus un nouveau Salomon, fils de David, qui avait une réputation de guérisseur et d'exorciste, comme la réputation que Jésus s'était faite. Le récit de l'aveugle de Jéricho est le point où commencent, dans les Évangiles synoptiques, l'histoire des dernières relations du Christ avec les juifs, avant sa Passion.

- Selon Isaïe, donner la vue, est un des signes que le temps messianique est inauguré (29:18, 35:5, 42:7, 61:1).

- C'est aussi un des rares exemples dans les synoptiques où celui qui demande la guérison est nommé. A part Jésus, les Douze et Jaire, il est en effet le seul. Marc ajoute qu'il est fils de Timée. Comme il a suivi Jésus après sa guérison, il est probable qu'il était devenu une figure connue dans la première communauté des chrétiens.

- 'Jésus, aie pitié de moi'. Il faut probablement trouver dans cette prière une des origines lointaines de la 'prière de Jésus' qui s'est par la suite propagée dans l'Église, à la suite des hésychastes.

- A l'opposé de l'aveugle de Bethsaide, où Jésus avait utilisé la salive et effectué une guérison 'en deux temps', Jésus guérit Bartimée simplement, sans aucune forme de complication.

- Il faut aussi noter que l'aveugle de Bethsaide avait été amené à Jésus, tandis que Bartimée l'appelle lui-même.

- Une fois guéri, il suit Jésus 'sur le chemin', chemin que les disciples suivaient aussi, mais dans la peur (v 32), le chemin que tout vrai disciple doit suivre (8:34).

- Apparemment, cet épisode semble n'être pas plus que le récit d'un autre miracle de guérison accompli par Jésus. Mais, en raison du fait que la séquence est focalisée sur l'enseignement de Jésus à propos de l'identité et de la nature du Messie, aussi bien que celle du vrai disciple, et sur le manque total des disciples à comprendre cet enseignement, nous devons nous demander si cette guérison de l'aveugle n'est pas envisagée par Marc dans le même sens que la guérison d'un aveugle à la fin de la séquence précédente (8:22-26). S'il en est ainsi, ce serait pour indiquer qu'il y a encore espoir pour les disciples d'être guéris de leur cécité, espoir confirmé d'ailleurs par Jésus quand il avait indiqué aux Fils de Zébédée qu'ils boiraient à sa coupe et subiraient son propre baptême. Ainsi, la séquence du voyage à Jérusalem, les prophéties répétées par Jésus sur sa prochaine souffrance et son exécution ainsi que les démonstrations répétitives des disciples à ne pas comprendre ce que Jésus leur avait enseigné, s'achèvent néanmoins sur un signe d'espoir que Jésus peut guérir de la cécité humaine et le fait réellement pour Bartimée.

- Les disciples apparaissent donc dans l'ombre de Bartimée. A leur opposé, il demande à guérir, quand ils sont encore embourbés dans leurs considérations mondaines de préséance et de pouvoir. Bartimée se sait aveugle et il veut voir. En tant que mendiant, il jouit des conditions de fragilité et de dépossession auxquelles Jésus appelle ses disciples, encore aveuglés par la gloire. Appelé par Jésus, Bartimée n'hésite pas à bondir vers Jésus, laissant derrière lui le peu qu'il avait 'son manteau'. Jésus le donne en exemple à ses disciples, juste avant sa Passion, pour qu'ils amorcent une seconde conversion, une dernière 'metanoia', et être mieux en mesure d'affronter avec lui ce qui les attend à Jérusalem.

- De Jéricho il reste tout au plus une journée de marche pour arriver à Jérusalem, mais il y a encore une halte à faire, à Béthanie, au mont des Oliviers, six jours avant la Pâque. Marc n’en parle pas ici, mais reviendra sur une soirée mémorable lorsqu’il relatera la trahison de Judas, car ce repas de Béthanie, et la maison emplie du parfum de nard pur, fut déterminant pour lui.

Chapitre 11

Préambule aux chapitres 11 et 12

- Nous voyons dans ces chapitres que Dieu veut qu'un témoignage complet, un triple témoignage, soit rendu au Christ, rejeté par les hommes, sous les trois caractères de Fils de Dieu, Fils de David et Fils de l'Homme. Le premier titre lui sera donné lors de la résurrection de Lazare (Jn), le deuxième à son entrée à Jérusalem (Mc, Mt, Lc et Jn) et le troisième lorsque les grecs demanderont à le voir et qu'il leur dit: 'L'heure est venue pour que le Fils de l'Homme soit glorifié' ( ). Mais, pour prendre vraiment possession de ces titres il fallait qu'il meure.

11.1-11 Entrée triomphale à Jérusalem (Mt 21:1-11; Lc 18:28-44; Jn 12:12-19)

- Le début de la semaine ne pût passer inaperçu des gens de Jérusalem et des environs. Tout d’abord un signe étonnant, en contraste avec ce que le Seigneur avait manifesté jusque là, son entrée glorieuse dans la ville, un signe fort qui fut annoncé par le prophète Zacharie (9:9). Le prophète Zacharie, cinq siècles auparavant, a prononcé des paroles étonnantes de précision, et notamment : 'Réjouis-toi avec transports, fille de Sion ; pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici, ton roi vient à toi ; il est juste et ayant le salut, humble et monté sur un âne, et sur un poulain, le petit d'une ânesse'. Cette joie était manifeste en ce premier jour de la semaine. Les manteaux étendus sur le chemin rappellent le geste des officiers de Jéhu pour son intronisation comme roi (2 Rois 9, 13). Les acclamations, encadrées par les deux 'Hosanna' ont un sens clairement messianique. 'Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur' reprend le psaume 117 (25-26) et 'Béni le règne qui vient celui de notre père David' trouve son équivalent dans la tradition juive (par exemple 'le règne de la maison de David qui vient' du Talmud de Babylone). L'invocation 'hosanna' serait la forme araméenne de l'hébreu 'Hoshi'ah na' du psaume 117:25 qui signifie 'donne le salut', 'sauve maintenant'. Au premier siècle, elle a dû prendre un sens nouveau pour exprimer une salutation ou un vivat, comme cela sera le cas pour la fête juive des cabanes (Neh 8:13-18). Rappelons aussi que Zacharie 14:16 annonce la venue des nations à la fin des temps à Jérusalem, dans le cadre de la fête des tentes.

- En entendant les enfants exprimer leur joie, les chefs du peuple s'indignent. Le Seigneur leur montre que le temps de les convaincre est maintenant révolu. Il en appelle au témoignage du psaume 8. Dieu avait prévu et prédit ces choses: 'Par la bouche des petits enfants et de ceux qui tètent , tu as établi ta louange'.

- Cet élan d'enthousiasme est éphémère, car les hommes n'ont aucun désir durable pour ce qui est juste, et la sainteté ne les attire pas vraiment. Les juifs cherchaient un salut simplement pour leur vie sur terre: être libérés du joug romain, et non de l'esclavage du péché.

- Car si, d’un côté, la prophétie de Zacharie devait s’accomplir, de l’autre cet accomplissement devait forcer l’attention de la population de la ville, et des notables parmi eux. Rendus attentifs, mais aussi rendus responsables. Luc rend compte de l’attitude des pharisiens, tandis que Jésus approchait de la ville et aussi des pensées de tristesse qui occupaient son esprit tandis que le cortège s’approchait de la ville. Il y a un réel contraste entre l’apparence de liesse et la douloureuse réalité (Luc 19:39-42).

- Cependant, comme les annales romaines ne font aucune mention de cet événement, il faut penser qu'il avait eu une moindre proportion que les textes évangéliques ne le laissent supposer.

- Arrivé à Jérusalem, Jésus se rend directement au temple qui sera le lieu de ses enseignements . Le mont des oliviers sert de point de départ et les mentions des deux villages qui se trouvent sur ses versants, Bethphagé (maison des figues) et Béthanie (maison des palmes, ou des pauvres, ou de Hanania) à trois kms de Jérusalem, préparent aux séquences qui vont suivre (le figuier stérile et l'onction de Jésus).

- Après être entré dans le temple le jour de son arrivée à Jérusalem, il 'regarde tout autour de lui'. Un tel regard n'est pas celui d'un simple touriste. C'est le regard de celui qui juge, qui évalue une situation (Mc 3:5-34; 5:32, 10:32). Jésus est le 'Fils de David', l'héritier de la promesse (2Sam 7:12), qui vient prendre possession de son héritage. Après ce premier contact, Jésus se retire à Béthanie.

11.12-26 Les marchands du temple et le figuier stérile (Mt 21:12-22; Lc 19:45-48; Jn 2:13-25)

- Cette tristesse du Seigneur, non pas sur lui-même mais sur ce que cette ville allait connaître, et que Luc nous relate, est bien en phase avec les actes du Seigneur dès le matin du jour suivant, le deuxième de la semaine, le lundi, lorsqu’il est dit de Jésus qu’il eût faim. Chez Matthieu et Luc, c'est le premier jour de la semaine.

- Jésus entre au temple de nouveau pour un épisode qui nous est rapporté dans un récit en forme de 'sandwich': l'épisode des vendeurs chassés du temple est en effet enchâssé dans celui de la malédiction du figuier. Cette construction particulière et fréquente chez Marc nous invite à interpréter les deux épisodes l'un par rapport à l'autre (voir 5:21-43, fille de Jaire et femme hémorroïsse). Il nous faut comprendre ces deux récits dans la perspective de ce qui va s'ensuivre: a) les derniers affrontements de Jésus avec les autorités de Jérusalem (11:27 - 13:1); b) le discours eschatologique qui débutera avec la prophétie de la destruction du temple (13:2), puis la désolation (13:14) pour arriver à la métaphore du figuier dont la pousse des feuilles est un signe que l'été (la moisson eschatologique) est proche (28-29); c) la mention dans le procès de Jésus de la supposée prophétie sur la destruction du temple 'fait de main d'homme' et son remplacement en trois jours par un autre 'non fait de main d'homme' (14:58), d) La dérision des passants devant la croix avec le rappel de la supposée menace de détruire le temple (15:29); e) enfin la déchirure du voile du temple après la mort de Jésus (15:32). Le figuier est le symbole du jugement de Dieu sur le temple.

- Jésus a faim, mais il ne trouve pas de figues dans le figuier sur sa route vers le temple. C'est alors qu'il le maudit, bien que 'ce n'était pas la saison des figues' comme le précise Marc. Bien que ce ne fut pas le temps des figues, il aurait dû y avoir beaucoup de figues vertes, promesse d'une fécondité à venir. Le figuier n'était bon à rien, il n'avait que des feuilles et ne devrait plus jamais porter des fruit.

- Cette incise nous oriente vers une lecture symbolique de l'événement suivant qui se déroule en trois phases: Jésus chasse les vendeurs, il renverse les tables des changeurs et les sièges des marchands de colombes et il interdit le transport d'objets. Ces activités concernent les animaux vendus pour les sacrifices, la perception de la taxe au temple pour les sacrifices quotidiens offerts en vue de la remise des péchés du peuple (Ex 30:11-16), et la préparation des sacrifices. En un mot, c'est tout le système sacrificiel du temple que Jésus remet en cause. Les mots utilisés par Jésus sont pris chez les prophètes : 'caverne de voleurs' (Jér 7:11); 'maison de prières' (Is 56:7).

- La malédiction du figuier nous aide à comprendre les gestes de Jésus au temple; le figuier est le symbole d'Israël (Juges 9:10-11) qui écoute et pratique la loi, et l'absence de figues est une image fréquente chez les Prophètes pour désigner la stérilité des œuvres pratiquées par le peuple. Par delà le figuier, c'est en fait Israël et le temple que Jésus est en train de juger et de condamner. Le figuier stérile signifie que les sacrifices du temple ne portent plus de fruits. De même, le peuple juif n'a pas reconnu la venue du Messie et a raté l'occasion de se fructifier (même en dehors de saison: à temps et à contretemps). Le temple de Jérusalem n'a pas aussi reconnu le roi qui est venu apporter la paix définitive et le pardon, le jour de sa visite et il sera détruit, car devenu inutile. Il faut noter que c'est la seule malédiction dans les 4 Évangiles. Elle exprime le jugement de Dieu envers le peuple qu'il avait choisi et qui n'a pas voulu recevoir son Fils.

- Jésus justifie ses actes en citant Isaïe 56:7 qui met en valeur surtout la 'maison' de Dieu comme 'maison de prière pour tous les peuples'. C'est la prière qui prend désormais le pas sur les sacrifices sanglants, comme l'indique la suite de l'enseignement de Jésus à ses disciples sur la prière de demande et sur la nécessité de pardonner afin de recevoir le pardon de Dieu. - 'Les gardiens de la maison en font un repaire de brigands'.

- Des maux similaires se manifestent en chrétienté. Souvent, la religion est transformée en entreprise lucrative, ce qui rebute un grand nombre. Aujourd'hui, la maison de Dieu n'est plus faite de pierres mortes. Elle est censée être formée de pierres vivantes, en voie de sainteté. Paul, dans sa lettre à Timothée, rappelle les écueils à éviter pour ne pas en faire un 'repaire de brigands' et conseille de ne pas 'aimer l'argent', de ne pas être 'avides d'un gain honteux', de bien comprendre que la piété ne doit pas devenir 'une source de gain', car elle est elle-même 'un grand gain'. Tout monnayement des mystères du Christ obscurcit ces mystères et expose l'Église à devenir 'un repaire de brigands'.

- Le petit groupe retourne encore à Jérusalem, et repasse devant le figuier desséché. Il est séché depuis les racines. Il n'avait pas de fruit, "car la loi n'a rien amené à la perfection" (Hébreux 7:19). Celui qui d’une parole rendit sec le figuier (Osée 9:16) pleurait en approchant de la ville de Jérusalem (Luc 19:41-42). Le mal qui a frappé le figuier a agi d'une manière qui n'est pas normale, sinon il aurait séché du haut jusqu'en bas. C'est donc bien une action de Dieu. Cela surprend Pierre qui attire l'attention sur ce point, ce qui amène Jésus à faire une double remarque sur ce qui est arrivé. Tout d'abord 'ayez foi en Dieu'. Il est fidèle, et il reste notre référence et notre 'rocher', quand une malédiction tombe sur le petit figuier que nous avons chéri. Littéralement, l'expression est: 'ayez la foi de Dieu', c'est-à-dire comptez fermement sur la fidélité de Dieu, peu importe ce qui peut se dessécher ou disparaître. Puis, il enchaîne sur l'importance de la prière dans la foi: 'quiconque dira … et ne doutera pas dans son cœur … mais croira … tout ce qu'il aura dit lui sera fait'. Les expressions 'quiconque' et 'tout ce que' donnent en font une déclaration absolue et des plus saisissantes, si nous en mesurons réellement toute la portée. Il s'agit avant tout de croire, d'avoir la foi. La foi n'est pas une sorte de chimère, ou un produit de l'imagination. Elle ne vient pas seulement de l'homme. Elle est cette faculté spirituelle en nous qui reçoit la Parole et s'évertue à la garder. Elle peut faire 'bouger les montagnes', c'est-à-dire qu'elle rend capable de faire des choses difficiles, selon ce que donnait le sens que donnait à cette expression la littérature rabbinique. Cette foi, qui ne demandera que ce qui est selon Dieu, sera toujours exaucée.

- Ce genre de prière assainit nos relations avec Dieu, mais n'est point suffisante, car elle doit être accompagnée par des relations saines entre nous. Le Seigneur rappellera alors aux disciples que la vie, la véritable vie, est de manifester les uns envers les autres ce que Dieu manifeste envers nous. Ayant été nous-mêmes objets de miséricorde et de pardon, nous devons être remplis de ce même esprit de miséricorde et de pardon envers tous les humains. C’est seulement en cela qu’un homme peut être un reflet de Dieu sur la terre. Entre le pardon de Dieu et celui de l'homme, la relation est circulaire: Le pardon de Dieu donne à l'homme la force de pardonner aussi, et le pardon de l'homme le rend capable d'accueillir celui de Dieu.

- Dieu répond toujours à notre prière, mais c'est seulement par la foi que nous pouvons pressentir ce qu'est cette réponse.

- 11.27-33 Contestations des prêtres (Mt 20:23-27; Lc 20:1-8)

- Entendant des paroles de grâce, voyant des œuvres merveilleuses, les chefs des prêtres et les scribes auraient dû y répondre positivement. Mais l’ivresse du pouvoir est sourcilleuse, jalouse, prompte à juger. Elle constitue une sorte d’apothéose de la vanité (Ecclésisaste 1:2). Ainsi, devant cet homme de bien, car celui qui ne voit pas en Jésus le sauveur d’Israël doit au moins reconnaître la bonté qui émane de Lui , les prêtres l’apostrophent avec dureté.

- Jésus est donc pris à partie dans le temple par 'les grands prêtres, les scribes et les anciens' ce qui correspond aux trois classes composant le Sanhédrin, la cour de justice. Ils l'interrogent sur l'origine de son 'autorité'. Cette question renvoie en fait au début de la mission de Jésus qui 'enseignait avec autorité' (1:22). Les scribes l'accusaient déjà d'usurper l'autorité de pardonner les péchés, réservée à Dieu seul (2:6-10), en l'attribuant à Béelzébul (3:22). Jésus répond, comme à son habitude, en leur posant une question se rapportant à l'autorité de JB. Ils n'osent répondre de peur de se compromettre. Jésus met ainsi en lumière leur incompétence, eux qui sont garants du 'savoir' en Israël.

- Ainsi, loin d’engager une discussion qui pourrait être longue, le Seigneur montre un chemin de sagesse. Les questions qui lui sont posées ne sont que prétextes, alors que le mal est ailleurs, à la racine, comme le figuier qui est sec "depuis les racines". Pourquoi disserter sur des feuilles desséchées alors que la racine ne produit plus de sève ? Le figuier a été rendu sec pour illustrer un autre figuier desséché par la faute de ses cultivateurs, qui n'est autre qu'Israël.

- 'Du ciel ou des hommes'?. Telle était la question concernant JB. Telle aussi celle qui concernait Jésus lui-même. JB n'était qu'un homme, mais son ministère était du ciel. Le Seigneur s'est incarné et a vécu parmi nous, mais il était du ciel, ainsi que son ministère. Tout autant, la Bible est un livre qui nous a été donné par des hommes, sans pour cela être une parole d'homme, car ceux qui l'ont écrit 'étaient poussés par l'Esprit Saint' (2 Pi 1:21).

Chapitre 12


12. 1-12 La parabole des vignerons homicides (Mt20:29-46; Lc 20:9-19)

- Cette parabole apparaît comme une relecture de l'histoire du salut qui s'inspire de l'allégorie de la vigne en Is. 5:1-7, à travers les serviteurs qui sont les figures des prophètes envoyés par Dieu et souvent maltraités. Chez Marc, le reproche fait aux vignerons porte sur le fait de garder pour eux les fruits de la vigne. Mais, lorsque le propriétaire envoie son fils, le conflit change de nature, puisque c'est l'héritage qu'ils veulent alors s'approprier. Avec la citation de nouveau du psaume 117 (22-23), Jésus laisse entendre qu'il est le fils que les responsables d'Israël se préparent à envoyer à la mort, mais qui, comme la pierre rejetée par les bâtisseurs, deviendra la pierre angulaire d'un temple nouveau. Comme l'héritier de la parabole, jeté hors de la vigne et tué, il sera emmené hors de la ville sainte e mis à mort.

- Le constat de Pierre touchant le figuier sec (Marc 11:21) a été illustré par les responsables religieux eux-mêmes . Alors vient l’explication. Il n’y a pas de fruit, mais il faut se poser la question : Pour qui donc travaillent les cultivateurs ? Comme le figuier, la vigne est une image bien connue du peuple (Osée 2:12Joël 1:7Habacuc 3:17), ce qui rend la parabole bien "lisible" de tout son auditoire, faisant écho à une parabole prononcée par le prophète Isaïe : "Je chanterai à mon bien-aimé un cantique de mon bien-aimé, sur sa vigne… Mon bien-aimé avait une vigne sur un coteau fertile…" (Isaïe 5:1).

- Par cette parabole, les chefs religieux contraires à Jésus voient leurs intentions dévoilées. Ils sont dans l’embarras, car la population de Jérusalem aime entendre Jésus. Et s'il demeure pour la foule quelques hésitations touchant sa personne, sa véritable identité, c’est bien parce que les chefs du peuple ont refusé de le recevoir. Toutefois, les paroles de Jésus interpellent, et la douleur sera grande lorsque ces gens de Jérusalem constateront la condamnation de Jésus (Luc 23:27).

- Cette parabole montre combien Dieu aime sa vigne (son peuple). Certains Pères parlent de l'amour 'fou' de Dieu. Devant son refus, il n'a hésité devant rien, plusieurs messagers, puis son Fils, tant il est fidèle à sa promesse, avant de se décider à donner le vigne à d'autres.

-'Il donnera la vigne à d'autres'. Cet avertissement concerne maintenant l'Église. Il s'agit de rester fidèle. La promesse que 'les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle' n'est pas faite à toutes les Église. Il y en qui ont réellement disparues (Afrique du Nord, par exemple), d'autres pourraient avoir le même sort.

- Les chefs des prêtres et les scribes ne comprennent pas l'appel à la conversion contenue dans ses paroles et cherchent désormais à l'arrêter.

- Et nous? Ne faisons-nous pas souvent comme les serviteurs de la vigne? Ne méprisons-nous pas souvent les messages et les appels répétés que nous envoie le maître de la vigne, par sa Parole, par ses anges, ses aimés et l'exemple de ses saints? Ne sommes-nous pas en train de partager la culpabilité des juifs dans le meurtre du Fils, chaque fois que nous détournons notre regard de lui, par nos péchés?

12. 13- 17 Le tribut payé à César (Mt 22:15-22; Lc 20: 20-26)

- Deux courants de pensée bien opposés s’accordent ici pour tenter de déstabiliser le Seigneur. La question est très sensible, car il s’agit ni plus ni moins d’un signe essentiel de l’assujettissement d’Israël à la puissance romaine, et donc un état qui sera complètement retourné par la venue du Messie pour régner. Des pharisiens et des hérodiens s’approchent donc, mielleux, de Jésus. comme on l'a déjà vu, ces deux factions sont rivales. Les pharisiens sont attachés à la Loi, "la secte la plus exacte de notre culte" dira Paul (Actes 26:5), et les hérodiens alliés du pouvoir et épris de culture grecque. Ils veulent donc le prendre en défaut dans l'espoir que sa réponse soulève l'hostilité de l'occupant romain.

- 'Rendez à César … et à Dieu …'. Cette controverse donne l'occasion à Jésus de renverser la situation en sa faveur, en montrant qu'il y a deux sphères d'autorité. A César , il faut faire acte d'allégeance civique et payer des impôts, lui rendre les pièces qui portent son effigie. A Dieu, il faut remettre les hommes qui portent en eux son image (Gen 1:26).

- Aurait-il simplement dit qu'il faut obéir aux ordres de César, ce qu'ils voulaient en fait entendre dire, il se serait opposé aux zélotes et heurté de front les aspirations nationales des juifs. Il ne prend guère partie. Son Royaume n'est pas de ce monde. Cependant, il pose des limites au pouvoir des gouvernants, quels qu'ils soient: César peut demander l'impôt, mais il n'a pas droit à l'adoration prônée par les Romains.

- Cet épisode représente le dernier récit de controverse avant la mort et la Résurrection de Jésus. Il n'est pas étonnant qu'il tourne autour de la mort et de la résurrection.

12. 18-27 Les sadducéens et la résurrection (Mt 27:23-33; Lc 20: 27-40)

- Les sadducéens sont en quelque sorte les rationalistes de l’époque. Ils n'acceptent que ce que la raison permet d'appréhender. Flavius Josèphe écrit qu'ils formaient un groupe de petite dimension et de la même souche, formé de prêtres du temple et de laïcs, centré à Jérusalem. Ils n'acceptent des écritures juives que la Torah et le Pentateuque. A l'inverse des pharisiens, ils ne croyaient pas en la résurrection des morts. Ils n'apparaissent qu'une fois dans Marc, et nullement dans tout le NT, sauf en Mt 3:7, 6:11-12 et 16:1.

- L'incongruité de la question qu'ils posent et l'ironie de l'exemple pris laissent apparaître leur hostilité à Jésus.

- La réponse du Seigneur est sans appel: 'Vous êtes grandement dans l'erreur'. La puissance de Dieu est sans limite pour qui met sa foi en lui. Il est donc capable de ressusciter les morts. Au passage, on remarquera la sagesse de Jésus qui part d’écrits acceptés par les sadducéens, à savoir un passage bien connu du livre de l’Exode, celui de l'apparition de Dieu à Moise dans le buisson ardent (Ex 3:6), ce qui ne leur laisse pas de place à la répartie. Dieu est le Dieu des vivants, d'Abraham, d'Isaac et de Jacob; et non des morts.

- Ceux qui ressusciteront seront comme les anges. Corps glorieux, comme celui de Jésus, après sa Résurrection?

12. 28-34 Sagesse d'un docteur de la loi et Double commandement d'amour (Mt 22:34-40)

- Un scribe se manifeste. C’est un homme qui sait écouter . Il fut témoin des controverses et a été touché par la qualité des réponses de Jésus. Il semble intègre et il vient vers Jésus avec droiture pour lui poser une question très sérieuse sur le premier (selon l'importance et ou le rang) commandement (l'amour de Dieu) qui faisait l'objet de débats et d'interminables discussions dans les cercles d'étude de la loi quant au nombre de préceptes qui y étaient associés. Dans Matthieu et Luc, ce scribe veut 'tenter' Jésus, contrairement au récit de Marc.

- Dans sa réponse, Jésus au lieu de se limiter à un commandement, comme le demande le scribe parle de deux, le premier et le second commandements. Il associe deux versets de deux commandements distincts de deux livres différents du Pentateuque (Deut 6:4-5) et (Lev 19:18) qui n'avaient jamais été reliés avant lui. Le premier est le shema traditionnel à la base du peuple d'Israël: 'tu aimeras le Seigneur ton Dieu et n'en adoreras nul autre'. Aimer dans ce contexte est avant tout une question de volonté et d'action, plutôt qu'émotion. Le second, tiré d'une liste d'obligations vis-à-vis des autres humains, dit: 'tu aimeras ton prochain comme toi-même'. Ce texte interdit la haine, la vengeance et la rancune envers les autres Israelites, non les étrangers. Ici aussi, aimer veut dire vouloir le bien et faire le bien, non pas éprouver un bon sentiment. Luc, en mettant juste après cet épisode la parabole du bon Samaritain, élargit la compréhension du prochain à toute personne dans le besoin. Matthieu ajoute qu'en ces deux commandements est résumée toute la loi et les prophètes et qu'il n'y a pas d'autre commandement. L'amour est donc supérieur à tout culte sacrificiel. Il relativise ainsi les sacrifices du temple mettant en valeur la relation aux autres.

- Le scribe approuve et par allusion à Osée 6:6, il rejoint la pensée de Jésus, affirmant que l'amour de Dieu et du prochain est 'plus important que toutes les offrandes et les sacrifices'. En lui disant qu'il 'n'est pas loin du Royaume de Dieu', Jésus veut probablement signifier qu'il est littéralement proche de lui, donc du Royaume qu'il incarne, et aussi qu'il lui faut encore croire en sa messianité pour pouvoir entrer dans le Royaume. La confession de foi monothéiste est vraie, mais incomplète sans une profession de foi christologique, car en Jésus s'accomplit tout ce qu'il y a de meilleur de la loi. Le Royaume est ouvert à tous, à condition de s'ouvrir à sa parole, ce que beaucoup d'autres scribes ne parviennent pas à réaliser, trop préoccupés par la recherche des premières places (Mt 12: 38-39). C'est pourquoi, il enchaîne en attaquant les scribes.

- Il faut noter que l'opposition entre les chrétiens et les juifs s'en allant grandissant, la figure du 'bon' scribe disparaît de la tradition synoptique ultérieure à Marc.

12. 35-40 Attaque contre les scribes (Mt 22: 41-46; Lc 20: 41-44)

- Jésus pose des questions sur l'enseignement des scribes sur le Messie et le titre de Fils de David, et en utilisant les Écritures, il leur montre que le Messie ne vient pas faire revivre le royaume terrestre et il les ridiculise. Il les dénonce pour leur ostentation religieuse, pour l'oppression qu'ils font subir aux pauvres et pour leur hypocrisie, ce qui a l'heur d'obtenir l'approbation de la foule, qui ne les aimaient guère.

- Après tous ces affrontements théologiques avec ses adversaires et un sympathisant, Jésus quitte le temple pour ne plus y revenir. Sachant qu'il n'y a plus à attendre de restauration du Royaume de David, ni du sanctuaire qui centralisait le culte sacrificiel d'Israël et en excluait les païens, Jésus annoncera la destruction définitive du temple. Et il met ses disciples en garde qu'il leur faut se méfier des faux séducteurs et se rappeler que la prédication de l'Évangile s'accompagnera de conflits et de persécutions. Il faut donc qu'ils soient vigilants.

12.41-44 L'obole de la veuve (Lc 21:1-4)

- L'épisode la veuve vient interrompre la série de controverses. Situé à la charnière de ces controverses et du discours sur la fin des temps du chapitre 13, il donne la clé de lecture de toute cette séquence de Marc. Les controverses laissent présager l'orage, l'avancée du complot. Jésus en sort toujours vainqueurs, ce qui ses détracteurs furieux et les pousse à mettre en exécution le projet déjà discuté en 3:6.

- Jésus se place 'face au trésor' et il voit que 'beaucoup de riches y jetaient beaucoup' d'argent. D'habitude on annonçait chaque fois la somme déposée, ce qui flattait les riches qui donnaient beaucoup. La répétition du mot 'beaucoup' accentue l'idée de l'abondance des offrandes pour le temple. Et voici qu'une humble femme, veuve et pauvre vient et jette 'deux piécettes', qui correspondaient à très peu d'argent. cette femme devait vivre au jour le jour, et peut-être lutter pour survivre. Malgré son dépouillement, elle donne son obole, petite somme, mais énorme pour elle. Elle avait mis sa confiance en Dieu. Le geste de cette pauvre femme exprime cette confiance, non par des paroles ou des demandes pour elle-même, mais par un geste qui vient du cœur. 'L’Éternel regarde au cœur' (1 Samuel 16:7). Son obole est donc très précieuse aux yeux de Dieu. Son geste a eu un tel impact sur Jésus qu'il rappelle ses disciples, absents durant les controverse, pour leur dire solennellement :'Amen je vous le dis', cette femme donne l'exemple du don total, sans commune mesure avec les riches qui n'ont 'jeté' que de leur superflu, tandis qu'elle a 'tout donné, tout ce qu'elle avait pour vivre', littéralement 'elle a pris sur son indigence, la totalité de sa subsistance'. Jésus met l'accent sur le 'don total' de sa vie qui fait contraste avec la double mention du 'beaucoup' des dons de riches. Elle a fait un acte symbolique qui préfigure le don total qu'il va lui-même faire au moment de sa mort.

- Cet épisode pourrait être aussi compris comme une attaque contre les autorités du temple en raison de leur exploitation des pauvres, et leur insistance sur des préceptes obligeant des pauvres, comme le veuve, de payer ce qu'elle croyait être requis par Dieu.

- En somme, ce que Jésus veut faire comprendre, c'est que le donateur est toujours plus important que le don.


Chapitre 13


13. 1-2 Prophétie sur la destruction du temple d'Hérode (Mt 24:1-3; Lc 21:5-7)

- En sortant du temple, les disciples laissent percer leur admiration de l'édifice, dont l'agrandissement et l’embellissement commencés par Hérode le Grand dès l’an 20 avant notre ère n’étaient pas encore achevés, mais qui faisait la fierté des Juifs. Cela donne l'occasion à Jésus de faire une prophétie sur la destruction du temple.

- En lisant les paroles du Seigneur, nous voyons l’annonce d’une réalité à venir. En parlant aux disciples, le Seigneur vise manifestement à les détacher de cet emblème de leur nation pour les faire venir à des réalités qui feront leur vie dans peu de temps. Quelque trente années plus tard, l’auteur de l’épître aux Hébreux accomplira la même pédagogie. Sans blesser en aucune manière les chrétiens d’entre les Juifs, encore attachés à la foi de leurs pères, il leur montre qu'en se tournant vers le Messie d’Israël, ils ont acquis des choses plus excellentes relatives à la Nouvelle Alliance. Peu après l’écriture de cette épître aux Hébreux, en l’an 66, des Juifs se révoltèrent contre la puissance romaine. Cette révolte quatre années plus tard, en l’an 70, se clôtura par la chute de Jérusalem assiégée et c’est au cours de la mise à sac de la ville que le temple fut détruit.

- Une fois faite la prophétie, Jésus fait un long discours, mêlant à la fois des événements de destruction et la fin des temps. C'est le discours eschatologique. qui en fait comporte davantage d'exhortations au discernement et à la persévérance dans le temps de l'histoire que des révélations sur le futur.

13.3-28 Discours eschatologique (Mt 24: 4-36; Lc 21:8-33)

- Il est raisonnable de supposer que ce texte reflète les événements de la révolte juive, les persécutions de Néron à Rome, l'assassinat de celui-ci en 68, son remplacement par trois empereurs en l'espace d'un an, ces événements qui poussaient à croire que l'empire courait un sérieux danger de dislocation, ce qui laissait penser à beaucoup que la fin du monde était proche, et pour les chrétiens de Rome en particulier, que le retour de Jésus était imminent. Le texte amoindrit ces tentations qui veulent voir dans ces signes avant coureurs une preuve de cet avènement.

- Ces pressentiments avaient probablement suscité l'apparition de gens qui prétendaient que le Messie était ici ou là, d'où le texte qui parle des faux prophètes qui prédisent des choses qui répondent aux désirs des hommes, et qui leur paraissent tout à fait raisonnables. Il y en a beaucoup de nos jours et les gourous sont de plus en plus à la mode qui se font passer pour le Christ. Jésus nous dit de faire attention à tous ceux-là.

- En fait, dans ce texte, il y en a deux. Le premier, celui qui parle du temps de la détresse, du soleil qui s'obscurcit, etc. , est effectivement un texte apocalyptique. Le style de l'apocalypse est d'annoncer, avec des images fortes, les secrets de la fin des temps. Les juifs ont écrit beaucoup d'apocalypses, chaque fois qu'il leur arrivait une grande catastrophe (division du royaume de Salomon, conquête de Babylone, exil à Babylone, etc.), Ils se demandaient alors si la fin du monde était proche et écrivaient une apocalypse. Il en est de même ici de Marc. Le deuxième texte vient à la fin du premier et dit presque le contraire. Il affirme que, certes le ciel et la terre passeront, mais que les paroles de Jésus ne passerons pas. Le premier texte dit qu'il y a des signes de la fin des temps qui donnent l'impression qu'elle est proche, tandis que la fin du texte affirme que personne ne connaît ni le jour ni l'heure de et événement, ce qui semble le reculer vers un avenir indéterminé.

- Dans le premier texte, Marc semble avoir récupéré ici des traditions apocalyptiques, probablement liées à la guerre juive contre Rome (ans 66-70), peut-être à la période troublée du règne d'Agrippa Ier (ans 40-44) durant laquelle les Romains avaient promis de transformer le temple en temple de Zeus et surtout ce qui se passait dans l'Empire. Les versets 7, 8, 9 et 12 (persécutions et calamités de tous genres), les versets 14-20 (abomination de la désolation qui est une allusion à Daniel 11:13) et les versets 24-27 (venue du Fils de l'Homme), ont un fond apocalyptique traditionnel, des thèmes classiques de l'apocalyptique juive, dont le rassemblement permet la mise en scène d'une gradation des détresses précédant la venue du Fils de l'Homme. Ce texte parle du 'commencement des douleurs' (tremblements de terre, éruptions volcaniques, famines, guerres, persécutions, etc.) que les disciples de Jésus auront à affronter, mais ne présagent pas nécessairement de la fin du monde. Ces signes sont importants, mais il faut savoir les relativiser, ce qui est évident dans la suite du texte.

- Il y a donc dans ce texte un mélange de dires sur le sort immédiat ('cette génération ne passera pas') des chrétiens à Jérusalem et à Rome et ce qui va leur advenir dans le futur, et des dires sur la fin des temps. On passe des uns aux autres sans transition, parfois on les juxtapose, ce qui rend l'intelligence du texte difficile.

- L'expression 'cette génération' parle à la fois de ceux qui l'entendent parler (qui verront bientôt la destruction de Jérusalem) et de ceux qui vivent au temps de Marc des persécutions (qui trouveront un réconfort dans la promesse d'un retour prochain de Jésus), et de ceux de la génération des chrétiens qui va se continuer jusqu'à la fin des temps (ce qui confirme aussi que cette fin n'est pas imminente).

- ' L'expression ' abomination de la désolation' désignait dans le monde juif la profanation de la spiritualité et de la foi, dont le temple était le symbole suprême, par exemple qu'une idole soit mise dans le temple (Ap. 13:14-15), comme la menace romaine de faire du temple un temple à Zeus. L’abomination qui cause la désolation est de fait une profanation complète de ce qui est saint, et donc l’apostasie. En reprenant cette expression, les chrétiens y voient la manifestation du jugement de Dieu sur Israël, donc un signe privilégié de la fin prochaine et du retour en gloire du Christ.

- La communauté chrétienne de Marc se trouve parfaitement à l'aise dans ce genre d'apocalypse qui n'a rien de spécifiquement chrétien dans sa teneur, encore qu'elle puisse tout aussi bien l'avoir produite elle-même. Il est évident que les versets 9 et 13 (annonce des persécutions à cause du témoignage rendu à Jésus), le verset 10 (évangélisation des païens), le verset 11 (promesse de l'assistance du Saint Esprit), et sans aucun doute la parabole contenue dans les versets 28-30 (parabole de crise sur l'urgence de la vigilance) qu'il faut faire remonter à Jésus, sont de leurs mains.

- 'Que le lecteur comprenne' (v 14) semble être une allusion aux événements qui mèneront à la destruction de Jérusalem et du temple et a pour but de signifier que maintenant tout est en train d'être dit de l'histoire des hommes.

- ''Et quand vous verrez…'. Un événement particulier doit donc avoir lieu, lequel précède de peu de jours (v.20) la venue du Seigneur dans sa gloire pour établir sa puissance (v.26-27). Ces paroles nous transportent dans l’anticipation d’un événement qui n’est pas encore arrivé et qui marque la fin de la période que nous connaissons sur la terre. Ce temps évoqué dès le paragraphe précédent ne peut que survenir après la crucifixion qui est imminente. Daniel écrit: 'Et après les soixante-dix semaines, le Messie sera retranché et n’aura rien' (9: 24-27). La suite de cette annonce prophétique évoque des guerres, une situation désolante et aussi la projection de choses abominables. Ceux qui seront témoins de ces choses comprendront, car ils seront témoins de la désolation qui s’ensuivra. Cependant, le Seigneur 'a choisi d'abréger ces jours' (v 20) 'à cause des élus', c'est-à-dire ceux qui auront persévéré jusqu'à la fin.

- Jésus avertit les disciples qu'ils auront à souffrir, autant d'occasions de lui rendre témoignage. Mais il les rassure que l'Esprit Saint sera avec eux pour leur apprendre ce qu'ils devront dire et faire devant leurs oppresseurs.

- L’annonce de cette destruction induit naturellement la question du temps où elle se produira, qui se fera après l'annonce de la bonne nouvelle à toute les nations, donc dans un avenir plus ou moins lointain. Le Seigneur n'y répond pas: 'Ni même le Fils ne le sait'. C'est là une autre indication de la kénose du Fils qui 's'est vidé de lui-même' (Phil 2:7) et s'est dépouillé de toute connaissance. Il est sur terre le Prophète de Dieu. Il n'entre pas dans sa mission de révéler ni le temps ni l'heure de la fin des temps.

- La façon dont la venue du Fils de l'Homme est décrite puise dans Isaie 13:10, 34:4; Daniel 7:13; Zacharie 2:10 et Deut 30:4 et dans l'apocalypse syriaque de Barrouch (27:2; 13:48; 32:79), et la lettre apocalyptique d'Ezra (9:3; 13:20). Précédé par un changement de la face de la terre, il apparaîtra en gloire et rassemblera tous les élus. A comparer avec Matthieu 25:31-46, 1 Cor 15:1 et Thess 4:13-18.



- Si ces choses sont annoncées, ce n’est toutefois pas pour que nous spéculions sur l’avenir (les problèmes écologiques, la crise climatique et la diminution de la couche d'ozone risquent de détruire la planète) . La fin du monde n'est pas une catastrophe, car elle s'ouvrira à l'avènement d'un autre monde, fait de justice, où ceux qui pleurent seront consolés, les derniers seront les premiers, etc. Le bouleversement du monde qui y est annoncé, nous conduit à l’idée que d’une part les fidèles doivent être "le sel de la terre", et que d’autre part la lumière est dans l’ensemble rejetée de ce monde qui plonge vers le néant (2 Pierre 3:7-12). "Or c'est ici le jugement, que la lumière est venue dans le monde, et que les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises" (Jean 3:19). La question, lors du Jugement se limitera à : 'Qu'as-tu fait de ton frère?' Qu'as-tu fait du message d'amour envers lui qui t'a été confié? Qu'as-tu fait de la nature que tu devais gérer? Il ne s'agira donc pas de catastrophe, mais de jugement, à la suite duquel, il n'y aura que du bonheur pour les élus.



13.33-37 Veillez ( Mt 24:42, 25:13-15; Lc 19:12-13; :38-40)



- Cette soirée, début du quatrième jour de la semaine, deux jours avant la Pâque, semble s’être prolongée. Marc nous fait connaître la conclusion du Seigneur dans la parabole du figuier. Matthieu apportera encore d’autres enseignements relatifs à cet avenir placé devant les disciples.

- Après avoir parlé des conditions de vie des disciples de Jésus en son absence, il était important de leur indiquer comment vivre ce temps et comment lutter contre les écueils, car le temps qui passe risquerait de voir faiblir leur vigilance (Mt 25:5). La vérité n'est pas dans ce qui se passera pour le soleil ou les autres astres, mais dans la Parole, dans le figuier qui pousse, dans le vivant. Il s'agit de donner de l'importance au vivant. Il faut être dans la Parole. S'intéresser au figuier c'est s'intéresser à la nature qui se renouvelle. La vie est comme une marche dans la nuit, au cours de laquelle le croyant est appelé à porter la lumière, comme une sentinelle : 'Mon âme attend le Seigneur, plus que les sentinelles n'attendent le matin, que les sentinelles n'attendent le matin' (Ps 129:6). Mais, la nuit se prolongeant, le danger est de baisser la garde, de s’endormir. Plutôt que de scruter les signes de la fin des temps, il faut rester éveillé. Il faut veiller en permanence, parce que ça peut arriver à chaque instant. Il ne faut pas s'endormir. Jésus insiste: 'Ce que je vous dis (les disciples), je le dis à tout: veillez'. Ce message s'adresse donc à nous aussi.

- Ainsi, le croyant est averti et appelé à veiller. Plutôt de se fixer avec angoisse sur les signes , Jésus introduit les apôtres dans une réflexion les concernant, leur indiquant ce qui va se passer pour eux et surtout les conditions dans lesquelles ils auront à vivre et à servir. Préparer le Royaume, c'est savoir regarder et interpréter notre monde pour y voir les signes de Dieu, y compris les signes du printemps qui vient et fait monter une sève nouvelle. Pas de fin du monde, mais fin d'un monde et naissance d'un monde nouveau.

- Le verbe 'veiller' est répété trois fois. Cela rappelle les trois fois à Gethsémani, où le Seigneur verra ses disciples incapables de veiller avec lui, comme si Jésus veut les avertir de l'attitude qu'ils devraient avoir à Gethsémani.

- Certains voient dans le verset 35 une allusion implicite aux étapes de la Passion, le 'soir' signifiant le dernier repas, le 'milieu de la nuit', la prière à Gethsémani et l'arrestation, le 'chant du coq', le reniement de Pierre et la comparution devant le Sanhédrin et le 'matin', la comparution devant Pilate et la condamnation.


Chapitre 14


14.1-2 Complot contre Jésus (Mt 26:2-5; Lc 22:1-2)

- Nous pourrions dire qu’en ce milieu de semaine, à l’aube de ce quatrième jour de la semaine, l’étau se resserre autour de Jésus, mais certes ce qui est près d’arriver était prévu, annoncé des siècles à l’avance. En effet, si les sacrifices offerts tous les jours au Temple n’étaient chaque fois que l’évocation du seul sacrifice pouvant être agréé de Dieu, celui de l’Agneau dont Dieu s’était pourvu, ainsi que l’affirmait Abraham (Genèse 22:8), depuis l’exil à Babylone les consciences étaient préparées à ce que le Messie connût la souffrance (Ésaïe 52:13-53:12), et le prophète Zacharie n’avait-il pas prononcé ces paroles magnifiques : "Et on lui dira : Quelles sont ces blessures à tes mains ? Et il dira : Celles dont j'ai été blessé dans la maison de mes amis." (Zacharie 13:6). Et il évoqua même le prix de la trahison (Zacharie 11:13).

- Quelle jalousie de la part des personnes qui détenaient le pouvoir religieux ! La notoriété de ce charpentier (Marc 6:3), la force de ses paroles (1:22), la puissance de ses actes, et le bonheur avec lequel tant de Juifs allaient l’écouter (12:37) portait ombrage aux détenteurs de l’autorité, à ceux qui s’étaient assis dans la chaire de Moïse (Matthieu 23:2) et se disaient détenteurs du magistère… Ainsi, une fois de plus, ils tiennent conseil, mais avec la détermination d’en finir.

- S’il se trouve parmi les Juifs divers courants religieux, parmi lesquels les hérodiens, les sadducéens et les pharisiens, 'le courant le plus exact' (Actes 26:5), l’autorité en titre dans les affaires religieuses était la classe sacerdotale, et notamment les scribes qui enseignaient la Loi. Et ils voyaient leurs ouailles se détourner pour écouter Jésus. Alors ils convinrent de s’en débarrasser, mais craignaient de provoquer du trouble.

- Chez Marc, le récit de la passion n'est pas destiné à émouvoir, mais plutôt à faire réfléchir le lecteur, appelé à devenir lui-même un témoin. Ce qui lui importe, à force de citations et d'allusions scripturaires, c'est de faire comprendre comment le scandale du 'Messie crucifié' entre dans le plan de Dieu. Non seulement, Jésus sera condamné par ceux de sa nation et livré par eux aux Romains, mais il est aussi trahi, abandonné et renié par les plus proches, ses disciples.

- En tout cas, le récit de la Passion est le sommet des quatre Évangiles. Tout ce qui précède y prépare. Quelqu'un aurait dit que les Évangiles sont l'histoire de la Passion du Christ, avec une plus ou moins longue introduction. Il y a une conformité générale entre, non seulement les Synoptiques, mais aussi l'Évangile de Jean, même si l'on note quelques différences de détail, chacun des Evangélistes ayant retenu des aspects qui servaient le but qu'il s'était fixé. Tous établissent un lien entre les événements de la Passion et les Prophéties.

14.3-9 L'Onction de Béthanie (Mt 26:6-13; Jn ; Lc 7:36-50)

- Embaumer les corps était considérée comme une bonne œuvre chez les juifs. Marc en fait ici un acte d'amour fou, en rupture avec le sens commun et les conventions sociales.

- Le vase de parfum est 'rompu', comme le sera le pain partagé lors des dons de nourriture et surtout lors de la Cène où le pain représente le Corps de Jésus, ce corps qui sera rompu sur la croix pour le salut des pécheurs, pour lequel Jésus n'a pas hésité à payer le prix fort, comme la femme en achetant un parfum très cher. Devant les critiques de l'assistance, Jésus l'excuse, mettant à son tour un baume sur son cœur brisé d'amour: 'Ne la grondez pas. Elle a fait ce qu'elle a pu. Elle a embaumé mon corps pour la sépulture', dont elle avait probablement, avant les autres, eu le pressentiment.

- Le prix indiqué de 300 pièces d'argent équivalait à 300 journées de travail pour un ouvrier agricole, soit une année de travail. C'est certainement excessif, comme le prix payé par Jésus. Le véritable amour est toujours excessif. Il occasionne une rupture avec les mœurs normales. Ainsi, il en est de Marie, la sœur de Marthe, qui se permet de se dispenser des occupations ménagères pour rester aux pieds de Jésus. Elle se met en rupture avec les conventions sociales. De même, la pécheresse de Luc, est en rupture avec le socialement et le religieusement correct quand elle mouille de ses larmes les pieds de Jésus et les sèche avec ses cheveux.

- Il est intéressant de noter que la prière des saints est comparée, dans l'Apocalypse, à un parfum.

- La femme est pécheresse. Seul, Jean la nomme: Marie.

- 'On racontera partout ce qu'elle a fait'. On ne peut estimer les conséquences et les suites d'un acte authentique d'amour.

- 'Les pauvres, vous les aurez toujours avec vous'. Jésus veut dire que la préoccupation essentielle de ses disciples doit être maintenant de se préparer à affronter et accepter sa mort et à reconnaître en lui le Fils de Dieu. Une fois cela fait, l'amour du prochain sera suscité par leur amour pour lui, leur Dieu.

- Le parfum qui s'échappe du vase brisé se répand dans la maison de Simon le lépreux et le purifie en quelque sorte. Jésus, ici encore, entre dans une maison mal famée et fraie avec des gens impurs et pécheurs. Il n'y a pas de lieu digne ou indigne pour la manifestation de la grâce.

14. 10-11 La Trahison de Judas (Mt 26:14-16; Lc 22:3-6)

- Marc fait ici un retour en arrière, car s’il doit présenter l’action funeste que commit Judas, il est bon d’en faire connaître l’origine. Cela se passait six jours avant la Pâque (Jean 12:1), le soir du sabbat précédant l’entrée royale de Jésus à Jérusalem.

- Deux jours avant la Pâque, les choses étaient décidées et une somme d’argent mise de côté pour la remettre à Judas. Celui-ci se trouvait à nouveau au milieu des disciples, auprès du Seigneur, attendant le moment d’accomplir ce à quoi il s’était engagé. Et Jésus, le sachant, n’en dit rien jusqu’au moment de lui donner lui-même l’occasion d’agir (Jean 13:27). N’avait-il pas été dit, lors de la transfiguration, que Moïse et Élie "parlaient de sa mort qu'il allait accomplir à Jérusalem" (Luc 9:31).

- Quelles sont les raisons ayant poussé Judas à la trahison? Serait-ce simplement l'appât du gain, les trente deniers représentant une somme appréciable? Ou plutôt serait-ce le résultat de la déception de Judas qui aspirait à la libération du joug romain, quand il se rend compte que la voie suivie par Jésus n'allait pas du tout dans ce sens? C'est plus probable.

14.12-16 Préparation du Dernier Repas (Mt 26:17-19; Lc 22:7-11)

- C’est le Seigneur qui conduit tous les événements conduisant à sa mort sur la croix. De même que l’ânon était prêt pour l’entrée glorieuse à Jérusalem (Marc 11:2), la chambre est réservée pour le repas de la pâque. On ne sait où cela c'était exactement passé. Certains pensent que la maison était celle de la mère de Marc, où se réuniront plus tard souvent les premiers chrétiens. Mais, peu importe. L'important n'est pas le lieu, mais ce qui s'y passe.

14.17-31 La Cène et Institution de l'Eucharistie (Mt 26:26-35; Lc 22:19-31; Jn 13:36-38)

- Lors du premier repas pascal, le dernier soir que les fils d’Israël passèrent en Égypte, ils avaient "les sandales aux pieds, et le bâton à la main" (Exode 12:11), ils étaient en partance. Lors de cette commémoration, il en était moralement de même pour les disciples. Ils devaient être préparés pour un autre départ, non celui de la libération de l’esclavage, mais celui qui fondera une libération combien plus grande, car à cette occasion le Seigneur annonce le fondement d’une meilleure libération (Galates 5:1).

- Il leur annonce qu'un d'entre eux allait le trahir et qu'il allait souffrir, ce que Pierre, comme à son habitude, dénigre. Le Seigneur lui annoncera alors qu'il allait le renier.

- A la fin du repas, le Seigneur institue l'Eucharistie, seul mystère (sacrement) avec le baptême, l'imposition des mains et la rémission des péchés qu'il avait institués. Il leur dira que c'est le dernier repas qu'il prendra sur terre avec eux, voulant insinuer que sa mort était imminente. Cependant, pour apaiser leur douleur, il leur annonce qu'ils participerons ensemble au dernier festin eschatologique, à la fin des temps, en référence à Isaïe 25.

- Comme nous le lisons, le vin ancien n’a rien amené à perfection (Hébreux 7:19). Le Messie est rejeté, et il faudra une nouvelle effusion de l’Esprit de Dieu pour que le Royaume puisse être établi. C’est déjà ce qu’annonçaient les prophètes (Joël 2:28-29Ézéchiel 36:24-2739:29). En attendant le rétablissement de toutes choses (Actes 3:21), le rassemblement se fera autour du mémorial de la croix, les chrétiens se rassemblant pour la fraction du pain, prenant part au pain et à la coupe qui assurent sa présence réelle parmi eux, en mémoire de Jésus (1 Corinthiens 10:16-1711:23-34).

- Les paroles utilisées ont une connotation typiquement liturgique. Elles représentent celles que les chrétiens disaient lors de l'Eucharistie dominicale.

- 'Ceci est mon Sang, le sang de l'Alliance nouvelle, qui sera répandu pour la multitude'. Il s'agit donc d'une Alliance qui remplace celle conclue avec Moise, au Sinaï (Ex 24, 8). A la place du sang utilisé par Moise pour asperger l'autel afin de le purifier, Jésus donne son propre Sang, qui une fois bu, établira une communion réelle avec lui. Ce Sang sera 'répandu pour la multitude'. Cela rappelle Marc 10:45 et fait référence à Isaïe 53:10-12 où le serviteur souffrant a fait de sa personne 'un sacrifice d'expiation … par la faute de la multitude'.

- Dans l'Évangile de Jean (18:19 ss), est relaté l'épisode du lavement des pieds des disciples par Jésus, enseignement, oh combien sublime, par l'exemple, après l'avoir été par la parole. Un disciple de Jésus se doit être prêt à laver les pieds de ses frères.

- Le Seigneur conduit maintenant les disciples vers le Mont de Oliviers, dans l’idée de passer la nuit au jardin de Gethsémani. En route, il leur parle de la solitude qui sera sienne, et rappelle la parole prophétique: 'Je frapperai le berger et les brebis seront dispersées'(Zacharie 13:7). Jésus dit cela avec tristesse, mais il leur dit aussi qu'il priera pour eux pour qu'ils demeurent dans la foi, car le prophète dit aussi que les 'pauvres du troupeau', les 'petits' seront rassemblés sur une base nouvelle, une fois le berger revenu.

14.32-42 Gethsémani (Mt 26:36-46; Lc 22:39-46; Jn 18:1)

- Le petit groupe étant arrivé au jardin de Gethsémani (pressoir à olives ou à huile). Pierre, Jacques et Jean sont invités à accompagner le Seigneur pour y être les témoins de sa supplication et de son acceptation, comme ils le furent de sa puissance, lors de la résurrection de la fille de Jaïre (Marc 5:37) et de sa gloire lors de la transfiguration (Marc 9:2). Ici, ils sont les témoins du don absolu de lui-même.

- Les synoptiques parlent de Gethsémani, sur le Mont des Oliviers. Jean parle d'un lieu 'au-delà du torrent de Cédron'. En fait, Jérusalem était séparé du Mont des Oliviers par un torrent et le passage du Cédron qui conduisait à Gethsémani. C'est donc le même lieu, sauf que Jean parle d'un jardin. peut-être fait-il allusion au jardin d'Eden où Adam avait rompu la communion avec Dieu, comme le fait maintenant Judas.

- Nous entrons ici au cœur du mystère de la grâce. Cela était annoncé dans les paroles d'Isaac, demandant où trouver l'agneau pour le sacrifice, et la réponse de son père: 'Mon fils, Dieu se pourvoira de l'agneau pour l'holocauste' (Genèse 22:8). Isaac ne savait pas, mais Jésus sait qu'il est l'agneau, et que l'heure de sa mort approche. Référence est aussi faite aux 'ligatures' d'Isaac: 'lier avec des cordes le sacrifice aux cornes de l'autel'. Les Israélites en avaient été avertis par le prophète : "Certainement, lui, a porté nos langueurs, et s'est chargé de nos douleurs; et nous, nous l'avons estimé battu, frappé de Dieu, et affligé; mais il a été blessé pour nos transgressions, il a été meurtri pour nos iniquités; le châtiment de notre paix a été sur lui, et par ses meurtrissures nous sommes guéris' (Isaïe 53:4-5). De même, Michée avait dit que le juge d'Israël devait être soumis au jugement des hommes'. Mais les juifs n'avaient rien compris, tellement ils appelaient de leurs vœux un Messie terrestre, qui ne pouvait souffrir. Jean Baptiste l’avait pourtant compris, lorsqu’il a dit : 'Voilà l'agneau de Dieu qui ôte le péché du monde' (Jean 1:29).

- Comment décrire la tristesse, l’angoisse même, de Jésus? Comment entrer dans ce que fut la douleur de l’abandon qu'il anticipait? Il fait une triple prière angoissée, durant lesquelles sa nature humaine est saisie de crainte et se rebiffe. L'homme en lui vacille. Il est seul et sent lourdement cette solitude. Il vient vers ses disciples chercher quelque réconfort. Mais ils dorment. Il leur recommande de veiller, mais n'en ont cure. Il repart prier. Il parle avec son Père dans une extraordinaire familiarité: 'Abba' (papa). Il supplie pour que la coupe s'éloigne de lui. Il fait probablement référence à la 'coupe de la colère divine' (Is 51:17; Ps 11:6). Il est effrayé de prendre sur lui le jugement divin. Et pourtant, c'est pour cela qu'il s'est incarné. Il s'en remet donc à la volonté du Père, pour accomplir le dessein du salut.


- Tel est le fondement de la grâce, la réponse à cette affirmation prononcée des siècles auparavant : 'Un homme ne pourra en aucune manière racheter son frère, ni donner à Dieu sa rançon, car précieux est le rachat de leur âme, et il faut qu'il y renonce à jamais' (Psaumes 49:8). Et le fondement de cette affirmation de Jésus touchant le salut : 'Et ils s'en étonnèrent excessivement, disant entre eux : Et qui peut être sauvé ? Et Jésus, les ayant regardé, dit : Pour les hommes, cela est impossible, mais non pas pour Dieu; car toutes choses sont possibles pour Dieu' (Marc 10:26-27).


14. 43-52 Arrestation de Jésus (Mt 26:47-56; Lc 22:47-53; Jn 18:2-11)

- Le repas pascal pris en famille dans toutes les familles juives, l’est naturellement aussi dans les familles sacerdotales, les prêtres et les scribes. Et ni ce repas pascal, ni la préparation des services religieux du premier jour des Pains sans levain n’ont empêché les principaux prêtres d’envoyer de nuit un groupe d’hommes avec des épées et des bâtons pour prendre Jésus. Ils voulaient agir de nuit pour ne pas créer des mouvements de foule, durant cette période de l'année où il y avait près de 200000 personnes dans la région de Jérusalem. Les Juifs étaient nombreux dans la ville, venus de tout le pays, car la Pâque, le premier jour des Pains sans levain, était une des trois fêtes de pèlerinage pour lesquelles les Israélites se rendaient spécialement à Jérusalem (Deutéronome 16:16Luc 2:41Jean 11:55). Pour cela, ils avaient accueilli avec joie la proposition de Judas de les mener aux endroits fréquentés par Jésus, quand il s'isolait avec ses disciples, loin de la foule.

- Au début de la nuit, le repas pascal n’étant pas terminé encore, le Seigneur dit à Judas : 'Ce que tu fais, fais-le promptement' (Jean 13:27). Celui qui suivit le Seigneur pendant plusieurs mois se rend chez le Grand Prêtre et une petite troupe est rapidement formée, une garde juive étant attachée au Temple, encadrée toutefois de soldats romains (Jean 18:12). L’homme qui les conduit (Judas) connaît bien le lieu où Jésus et ses disciples prenaient d'habitude du repos. Car en effet, cette semaine là, ils étaient à Jérusalem tous les jours et ne s’en écartaient donc guère la nuit. Il devait s’y être trouvé lui-même avec Jésus les soirs précédents.

- Jean Chrysostome dit que Jésus leur avait facilité la tâche: "Jésus se rendait avec empressement en un lieu que connaissait le traitre. c'était épargner à ses ennemis tout effort et toute peine. c'était montrer à ses disciples la pleine spontanéité de son sacrifice'.

- La nuit, les visages ne se discernent pas avec certitude et, parmi ceux qui accompagnent Judas, il s’en trouve peu qui soient capables de reconnaître Jésus, quoiqu’ils dussent l’avoir vu au Temple au cours de cette semaine. Judas prend les devants et salue Jésus d’un baiser, comme il était de coutume de faire, à l’époque.

- L'Évangile de Jean donne plus de détails que celui de Marc. Jésus prend les devants et questionne la troupe: 'Qui cherchez-vous?'. Quand ils disent: 'Jésus le Nazaréen', il répond: 'Je suis', affirmant souverainement sa divinité, en utilisant les mots même qui désignaient Jahvé dans l'AT. Jean nous dit, qu'à ces mots, la troupe recule et tombe. Il veut probablement dire que le Christ est déjà le vainqueur de ce monde.

- 'Laissez aller ceux-là'. Jésus confirme sa promesse d'assurer la protection de ses disciples, 'pour qu'aucun d'eux ne se perde'. Émouvant témoignage de sa tendresse envers eux, envers nous aussi qui tâchons d'être ses disciples.

- Là où les synoptiques disent que l'un des disciples a tiré l'épée, Jean indique que c'est Pierre. Lui seul aussi donne le nom du serviteur du Grand Prêtre dont l'oreille avait été coupée, puis guérie par le Seigneur, ainsi que les divers dialogues qui se passent lors de l'arrestation. Souvenirs de témoin oculaire marqué par l'événement?

- Tout ce récit est mis sous le signe de la violence ('mettre la main sur', 'frapper', 's'emparer de'). le texte mentionne trois fois des armes (v 43, 47, 48).

- Le récit de Marc et de Matthieu mentionnent la fuite des disciples, épouvantés par ce qu'ils ont vu et complètement abasourdis par la ruine de toutes leurs espérances. Luc et Jean n'en parlent pas.

- Il y a d'autres différences entre les Évangiles: Mt ajoute la parole émouvante et pleine de reproche de Jésus à Judas, quand il l'embrasse; Luc parle de la guérison de l'oreille du serviteur pour souligner le pouvoir divin; même au beau milieu de l'arrestation; Luc et Jean parlent de l'ordre de Jésus de remettre l'épée dans le fourreau, car ceux qui font périr … périront à leur tour; Mt seul parle que Jésus aurait pu être aidé par douze légions d'anges, mais ce n'est pas le cas, car l'Écriture doit être accomplie; etc.

- Marc seul mentionne ici qu'il y avait, en plus des disciples de Jésus, un jeune homme qui était resté après leur fuite et qui, en s'enfuyant pour échapper à la capture, laissa son manteau et s'en alla nu. Comme nous l'avons déjà mentionné, la mention de ce détail a donné à penser qu’il s’agit là de Marc lui-même qui vivait alors à Jérusalem avec sa mère et dont la maison fut aussi un lieu de rencontre des disciples pendant des années (Actes 12:12). Le même terme grec (sindôn) est utilisé par Marc pour parler du drap dont se revêtait le jeune homme, et plus tard le drap acheté par Joseph d'Arimathie pour envelopper le corps de Jésus, qui était complètement nu sur la croix, après que les soldats se soient partagés ses vêtements. Ce sont là les deux seules occurrences de l'utilisation de ce mot, ce qui a laissé certains se poser des questions sur la possibilité que ce soit le même drap (??). De même, le mot grec décrivant le 'jeune homme' est 'neaniskos'. Ce mot apparaît seulement ici et pour décrire le jeune homme devant le Tombeau vide. Marc voulait-il insinuer par ce double emploi du même mot, que le jeune homme nu, qui serait lui-même, serait le témoin privilégié de la Résurrection? L'hypothèse peut paraître tirée par les cheveux, mais reste séduisante pour nous rappeler que pour trouver, ou retrouver Jésus, qui n'est pas parmi les morts, il faut, comme le jeune homme, se laisser dépouiller de son surplus pour revêtir Jésus lui-même. Il faut que quelque chose meure en nous pour que surgisse la vie éternelle.

- Allégoriquement, cet épisode nous rappelle que se convertir au Dieu déroutant de Jésus-Christ c'est consentir à une aventure, c'est quitter toute certitude humaine, c'est abandonner peu à peu les sécurités religieuses et autres dont nous nous drapons comme d'un manteau, pour enfin s'admettre aveugle et mendiant. Alors, par un simple geste pour le toucher, nous serons guéris.

14.53-65 Chez le Grand-Prêtre (Mt 26:57-68; Lc 22:54-71; Jn 18:12-24)

- Il semble que la mission de cette petite troupe chargée d’arrêter Jésus ait été rapidement accomplie. Nulle résistance, sinon le geste de Pierre immédiatement corrigé par le Seigneur lui-même. Ne l’oublions pas, Jésus allait 'accomplir sa mort' (Luc 9:31), et il maîtrise donc tous les événements. Ce n’est certes pas le sentiment de ceux qui l’avaient enfin entre leurs mains qui ont un sentiment de victoire, d’autant plus qu’ils ne doivent pas craindre d’opposition, car en cette nuit de fête célébrée en famille, l’événement devait passer inaperçu, et de toute façon nul n’aurait le temps ou même l’idée de réagir à leur encontre. Ils sont nombreux à se retrouver chez le Grand Prêtre. Même les membres du Sanhédrin sont présents. Certes ces derniers ne pourront se réunir durant la nuit en tant que tribunal, car celui-ci ne peut siéger avant l’offrande du matin, mais ils sont là à attendre l’heure de l’offrande du matin pour que le Sanhédrin puisse statuer définitivement sur le sort de Jésus, ce qui à leurs yeux était une affaire déjà instruite.

- On présente tout d'abord des faux témoignages, fabriqués de toutes pièces qui reprochent à Jésus d'avoir parlé contre le temple, ce qui n'est nulle part relaté dans Marc, sauf si la prophétie en 13:2 qui fut dite aux seuls disciples, pouvait être considérée comme telle. C'est en Jean (2:19-21) que Jésus dit: 'Détruisez ce temple et je le relèverais en trois jours', voulant parler de lui-même et de sa Résurrection. Une déclaration pareille aurait pu être mal interprétée, et servir à l'accuser. En tout cas, finalement les témoins ne sont pas d'accord entre eux.

- Lors de l'interrogatoire du Grand Prêtre, Jésus répond à la question: 'Es-tu le Messie?' en affirmant pour la seule fois, dans cet Évangile, qu'il est en effet le 'Fils de Dieu'. Cette affirmation rejoint le tout début de l'Évangile où se trouve une affirmation identique. Jésus associe la figure du Messie, Fils de Dieu avec la figure du Fils de l'Homme de Daniel (7:13), voulant signifier que celui qu'ils jugent sera leur juge, à la fin des temps. Il nous faut noter que tous ses titres, Fils de Dieu, Fils de l'Homme, Messie et Fils de David se retrouvent dans la réponse de Jésus.

- Le grand sacrificateur déchire ses vêtements, bien que le Lévitique (21:10) l'en empêchait totalement: 'Il ne découvrira pas sa tête et ne déchirera pas ses vêtements'. C'est le signe d'une grande émotion, ou d'une adroite mise en scène pour simuler l'outrage et hâter la condamnation.

Un procès peu équitable, qui mène finalement à une condamnation à mort.

- Suite à ce jugement, Jésus fut enchaîné et livré aux outrages de la foule. Sa cause était donc entendue, même avant d'être condamné par Pilate. Le fait d'être lié rappelle Gen 22:9 quand 'Abraham lia son fils et le mit sur l'autel'.

- Le Fils de l'Homme est ainsi livré aux mains des pécheurs, comme il l'avait maintes fois annoncé à ses disciples, en 9:13 et 10:33. Après s'être livré lui-même à la troupe, il est livré aux chefs des prêtres et aux scribes, qui le livrent à leur tour à Pilate, c'est-à-dire aux païens.

- Pierre, quant à lui, ne peut se résoudre à rester en arrière. Il essaie de trouver un moyen de se rapprocher de Jésus qui est mené au Prétoire, auprès de Pilate.


14.66-72 Reniement de Pierre (Mt 26:69-75; Lc 22:55-62; Jn 18:15-27)

- Un disciple connu du Grand Prêtre introduit Pierre dans la cour où avait été conduit Jésus (Jean 18:15-16), mais il fût reconnu pour être de ceux qui accompagnaient Jésus. La servante chargée de l’entrée l’avait reconnu, le lui dit et, non convaincue de sa dénégation, en parla à d’autres qui à leur tour le questionnent, ainsi qu'une autre servante qui affirme qu'il est Galiléen. Pierre a peur et renie.

- En fait, il s'agit là du procès de Pierre. Comme prédit par Jésus, il succombe aux tentations, contrairement à Jésus qui a résisté trois fois à la tentation de laisser tomber et de rebrousser chemin. Au lieu de se renier soi-même et se faire le serviteur de tous, comme tout disciple de Jésus, selon l'enseignement de Jésus (8:34, 10:44), c'est lui, Pierre, qui renie Jésus, à l'instigation d'une servante.

- On peut voir dans la servante une sorte d'antithèse de la femme de l'onction de Béthanie. La pécheresse aimait Jésus d'un amour extrême. La servante est parmi ceux qui se moquent de lui et elle est objet de tentation à l'un de ses disciples.

- A travers Pierre et la servante, c'est l'humanité entière, homme et femme, qui se déchire et tombe dans l'accusation et le même rejet du Christ. Il y a certes là un rappel évident d'Adam et d'Ève se rejetant la responsabilité du premier rejet de Dieu (Gen 3: 9-13).

- De plus, on pourrait argumenter que Pierre était d'une certaine façon sincère en niant connaître 'cet' homme, car le Jésus qu'il croyait connaître même en l'appelant Messie, il ne le reconnait pas en ce Jésus-là qui accepte de se livrer et de se déposséder de tout. Il ne voit pas en lui le visage de Dieu qu'il cherche (14:66).

Chapitre 15

15. 1 Devant le Sanhédrin (Mt 27:1-2; Lc 23:1)

- Cette nuit de fête, le commencement des Pains sans levain, ne l’oublions pas, n’a pas arrêté ces quelques notables religieux dans l’accomplissement de leur propos. Ils avaient entre leurs mains Jésus de Nazareth, l’homme qui perturbait 'leur' ordre public. Mais ce n’était que le préambule à ce qui devait être fait, car s’ils avaient une relative autonomie pour le maintien de l’ordre au Temple, ils n’avaient pas le droit de condamner à mort. Ce droit était réservé au pouvoir occupant. Il fallait dès lors présenter le prévenu au prétoire, le tribunal romain où siège le gouverneur, et, pour cela, avoir un motif de condamnation acceptable.

- Une condamnation officielle du Sanhédrin était le préalable approprié. Or, ce tribunal religieux ne pouvait se réunir qu’au matin, après le sacrifice du jour. L’acte est bien vite établi. L’affaire avait été instruite au cours de la nuit. Un passage rapide devant le Sanhédrin, et voilà Jésus officiellement inculpé et conduit au prétoire.

15.2-15 Parution devant Pilate (Mt 27:11-26; Lc 23:2-25; Jn 18:28-40; 19:1-16)


- Rendre justice était une des missions du gouverneur, mais il en était une autre dont il était redevable devant Rome : veiller au calme dans la province confiée à sa juridiction. Entre ces deux objectifs, Rome lui ferait rendre des comptes avant tout si des troubles s’élevaient en Judée. D'où sa prudence extrême.

- Il paraît clairement que les chefs multiplient les titres d’accusation, et ce n’est certainement pas l’accusation de blasphème qui est avancée au prétoire. Mais Pilate n’est pas dupe. Il sait que Jésus a été livré par envie, et il tente de plusieurs manières de se décharger de cette affaire. L'Évangile de Luc relate, qu'ayant su que Jésus était Galiléen, il l’envoie à Hérode Antipas, tétrarque de Galilée et de Pérée, fils d’Hérode le Grand qui se trouvait à Jérusalem à l’occasion de la fête. La question fut rapidement traitée, et Jésus, traité avec un profond mépris, fut renvoyé à Pilate (Luc 23:7-12).

- Pilate restait donc avec cette question difficile. Un autre essai pour en sortir fut de saisir l’occasion qu’apportait une coutume pratiquée en ce temps là, celle de délivrer un captif lors de la Pâque. Mais la foule ne veut pas de Jésus, mais plutôt d'un criminel, Barrabas. Le texte de Marc est particulièrement sobre, davantage encore que celui des autres évangiles. Mais les choses sont dites. Une foule est là devant le prétoire, non pas tout le peuple de Jérusalem, loin de là, mais des gens probablement manipulés par les principaux prêtres. Et nous savons qu’un groupe de personnes manipulées et survoltées ne réagit plus d'une façon réfléchie. Tout cela se faisait dans le but de perturber Pilate et de lui forcer la main.


- Aux questions de Pilate, Jésus choisit le silence, comme le 'serviteur souffrant' dans Isaïe (53:6-7) qui 'n'ouvre pas la bouche'.

- Pilate se lave les mains pour signifier que bien qu'il l'envoie à la mort, il ne se considère pas responsable, rejetant cette responsabilité sur les juifs qui l'acceptent volontiers: 'Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants' ( ). Que de fois ne faisons-nous pas de même?

15.16-21 Du prétoire au Golgotha (Mt 27:27-31; Lc 23:26-32; Jn 19:17)


- Il est de nouveau livré à la troupe qui s'en donne à cœur joie, selon le sadisme avéré des troupes de soldats, quand on ne leur met pas de frein. On lui met une couronne d'épines pour marquer la dérision devant ce qu'ils considèrent comme une revendication illégitime de son statut royal. On lui crache dessus. On le frappe. Chez le Grand Prêtre, il était raillé sur sa qualité de 'prophète' (14:65). Ici, c'est pour sa qualité de 'roi des juifs'. Les soldats agissent envers lui avec la cruauté et le mépris bien caractéristiques d’une armée d’occupation. L’homme remis entre leurs est à leurs yeux un criminel, n'ayant plus aucun droit. L'accusation des juifs qu'il se déclarait roi contre César a aussi due les impressionner et augmenter leur hargne. Que d'humiliations encourues pour nous!

- Mais la rumeur de l’arrestation de Jésus s’étant répandue, comme dans toute petite ville, des habitants viennent nombreux, peut-être pour ne pas rater le spectacle, peut-être encore contrits pleurant sur le condamné dont les paroles les avaient tant impressionné (Luc 23:27).

- On l'emmène donc en dehors de la ville, au lieu appelé Golgotha, ce qui veut dire 'lieu du crâne' peut-être parce que c'était la forme du rocher qui s'y trouvait. Origène y voit l'endroit du tombeau d'Adam, Jésus étant le nouvel Adam qui vient chercher le premier pour le tirer du tombeau. Cette idée est caractéristique de la croyance chrétienne de la Descente aux enfers.

- Comme il est extrêmement fatigué et ne peut porter seul sa croix (probablement seulement la partie transversale, car la partie horizontale était préparée sur le lieu de la crucifixion), on oblige un paysan revenant des champs, Simon de Cyrène, à l'aider. Il semble que ce Simon devint l'un des premiers chrétiens, car l'Évangile cite le nom de ses deux enfants, et saint Paul envoie une salutation à l'un d'eux dans son épitre aux Romains (16:13). Jésus se propose maintenant continuellement pour nous aider à porter notre croix, à nous la rendre plus légère. Oh! combien devient facile le chemin de la vie en telle compagnie.

15. 22-32 La Crucifixion (Mt 27:32-44; Lc 23:33-43; Jn 19:17-27)

- Bien avant que le soleil ne soit chaud, les croix sont dressées et il est mis en croix. il est environ neuf heures du matin, la troisième heure selon le comptage du jour qui commençait au lever du soleil. C’est dire que les choses sont allées vite. Cette journée sera rythmée de trois en trois heures : réunion du Sanhédrin à l’aube, crucifixion à trois heures, et vers midi (sixième heure) le ciel complètement obscurci, jusqu’à trois heures (neuvième heure), quand Jésus lance un cri juste avant d'entrer dans la mort. Ses disciples prennent alors soin de sa sépulture. A six heures du soir (douzième heure), avant que ne commence le sabbat, tout est achevé. Cette subdivision laisse supposer l'influence de la pratique liturgique de la communauté chrétienne de Marc.

- La crucifixion est un supplice habituel utilisé par les Romains. Il est attesté que les crucifiés étaient cloués au bois. Pour un Israélite, cette condamnation est une réelle malédiction (Deutéronome 21:23Galates 3:13), une mort particulièrement humiliante que Jésus endura volontairement, 'à cause de la joie qui était devant lui' (Hébreux 12:2), c'est-à-dire le salut du monde.

- Les soldats se moquent de lui. Mais le Seigneur subit toutes les humiliations sans un mot : 'Il a été opprimé et affligé, et il n’a pas ouvert sa bouche. Il a été amené comme un agneau à la boucherie, et a été comme une brebis muette devant ceux qui la tondent ; et il n’a pas ouvert sa bouche' (Isaïe 53:7). Il y a trois types d'insultes et de dérisions: par les passants qui répètent les paroles des faux témoins: 'Toi qui détruis le temple … '; par les grands prêtres et les scribes qui en disent de même selon les paroles du psaume: 'Tous ceux qui me voient me raillent, ils ricanent et hochent la tête: tourne-toi vers le Seigneur … qu'il te libère, qu'il te sauve puisqu'il t'aime' (Ps 22:8-9); les deux bandits. Jésus est dans une solitude totale, celle du juste persécuté du psaume, sans aucune aide.

- Le vin mêlé de myrrhe agissait comme soporifique pour alléger les douleurs et les rendre plus supportables. Jésus refuse d'en boire, voulant boire la coupe jusqu'à la lie. Il veut vivre ses souffrances dans une lucidité totale.

- Les quolibets qu'on lui lance: 'Descends de la croix …' etc. rappellent les tentations de Satan au désert. Là aussi, il les rejette, ne voulant toujours pas forcer notre adhésion par une expression de sa puissance.

- Marc s'en tient seulement aux faits bruts. C'est par Luc et Jean que nous connaissons les paroles de Jésus en croix, son pardon à ceux qui l'ont conduit à la croix (Luc 23:33-37), ses paroles au brigand repentant (Luc 23:39-43), et enfin son attention à Marie, sa mère (Luc 23:34,43 et Jean 19:26-27). D’un côté des insultes, et de l’autre le pardon, la grâce et la bonté.

- A leur insu, tous les protagonistes du drame contribuent à accomplir les Écritures. Isaïe (53:12) parle des brigands de chaque côté; Is 52:14 de son visage défait plus que celui d'aucun homme; Michée (5:1) dit que le juge d'Israël a été frappé avec une verge sur la joue; le Ps 22:18 dit qu'ils m'ont mis du fiel et dans ma soif, ils m'ont abreuvé de vinaigre, etc. Au moins 24 prophéties ont été accomplies durant cette journée de 24 heures.

- Les traitements subis, les coups, la souffrance de la crucifixion, et l’humiliation absolue de la mise en croix ('celui qui est pendu est malédiction de Dieu') (Deutéronome 21:23Galates 3:13) ne sont rien devant le sentiment poignant de Jésus quant à son abandon par Dieu (Psaume 22:1Marc 15:34). Le jugement de Dieu devait s’exercer, pour qu’en toute justice le pécheur puisse être lavé de ses fautes (Isaïe 53:4-51 Pierre 1:18-20), mais personne n'aurait imaginé que le Fils en arrive à ce stade: 'Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'abandonnes-tu?'. Il est probable que Jésus récitait le psaume ??? qui commence par ces termes et qui se poursuit dans une attitude de remise de soi entre les mains de Dieu. Mais, de toutes façons, quelle déchirure ontologique encourue pour nous et nos péchés!

15.33-41 Les Ténèbres et la mort de Jésus ( Mt 27:45-56; Lc 23:44-49; Jn 19:28-37)

- Le Fils de l’Homme attaché à la croix se trouve donc dans la solitude la plus absolue. Et l’on entend ce cri douloureux de l’abandon, la quatrième parole de Jésus sur la croix. Sommet de la kénose divine.

- Il est difficile d' oublier cette douleur extrême de Celui qui s’est donné lui-même en sacrifice pour que la miséricorde de Dieu puisse s’exercer. Dieu disait: 'Je fais miséricorde à qui je fais miséricorde' (Exode 33:19), exprimant ainsi son autorité. Mais Jean nous dit, qu'après la mort de son Fils, Dieu fait miséricorde à tous ceux qui acceptent sa grâce, ayant foi en la parole qui leur est annoncée (Jean 1:12).

- Tout est accompli (Jean 19:30), l’agneau de Dieu a été offert (Genèse 22:8), le sacrifice de la croix est consommé et le fondement de la miséricorde divine est parfaitement établi. Jésus est venu pour accomplir sa mort, pour attester dans ce don de lui-même l’amour de Dieu, afin que ce ne soit pas seulement par des proclamations d’amour mais par un geste absolu et unique (Hébreux 9:26-281 Pierre 3:18) que l’homme comprenne que toute sa dette est apurée, que le prix en a été payé, que le jugement a été accompli et qu’il peut, étant rendu libre, se présenter de nouveau devant son Créateur. La prophétie d'Isaïe (55:1-3) se trouve elle-aussi accomplie: ' Ho ! Quiconque a soif, venez boire, et vous qui n'avez pas d'argent, venez, achetez et mangez ; oui, venez, achetez sans argent et sans prix du vin et du lait. Pourquoi dépensez-vous l'argent pour ce qui n'est pas du pain, et votre labeur pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez-moi attentivement, et mangez ce qui est bon …. Inclinez votre oreille et venez à moi ; écoutez, et votre âme vivra : et je ferai avec vous une alliance éternelle, les grâces assurées de David.


- Le dernier acte est maintenant achevé. L’entrée dans le mort, cette mort que Jésus était venu accomplir, cette mort qui ne pouvait atteindre l’homme parfait (Romains 5:12), celui qui avait porté les péchés du monde sur la croix (1 Pierre 2:24), cette mort dans laquelle il est rentré lui-même volontairement pour attester sa victoire sur elle par sa résurrection. La Crucifixion est la dernière étape de la Passion, la mort est, quant à elle, la première étape qui ouvre sur l'annonce de la Résurrection.

- Midi introduit une véritable rupture dans la progression narrative. L'événement est au-delà de toute mesure. Il est normal qu'il ait des répercussions d'ordre cosmique (les ténèbres) et théologiques (le voile qui fermait le Saint des Saints dans le temple se déchire pour signifier le libre accès auprès de Dieu pour tous les hommes, même les païens, à commencer par le centurion, dont la proclamation de Fils de Dieu est le signe que celui qui a été rejeté par les juifs est reconnu par un païen; les morts sortent des tombeaux puisque Jésus est descendu aux enfers les relever; etc.).

- Ce n'est pas en voyant le Ressuscité que le centurion reconnait le Fils de Dieu, mais devant Jésus mort, victime d'une violence que Dieu refuse d'utiliser, mort en exprimant un état d'abandon total, en criant vers un Dieu qui ne bouge pas. Personne ne pouvait imaginer, y compris les disciples, que Jésus aurait éprouvé dans cette mort comme une absence de Dieu. L'événement déborde toute imagination et rend Jésus encore plus proche de nos angoisses et de nos doutes. Ce cri de Jésus devant le silence divin signe en creux le choix radical de Dieu pour la non puissance et le rend encore plus proche.

- Marc offre la parole de foi du centurion comme réponse au cri de Jésus. Après l'affirmation du narrateur (1:1), c'est la première et la seule parole humaine qui désigne Jésus comme Fils de Dieu. C'est la parole d'un seul humain qui interprète ce qu'il voit. Chez Matthieu, la parole est collective. C'est ce même centurion qui sera amené à confirmer la mort de Jésus, suite à la demande de Pilate et qui donc mit en train la mise au tombeau.

- A travers tout ce que Jésus s'est laissé faire sans résister, ni s'imposer, nous découvrons un Dieu que l'amour kénotique rend faible, sans défense, vulnérable, humble et humilié donc bien différent de cette entité impassible à l'amour possessif et castrateur que trop souvent nous imaginons. Saint Paul parle à juste titre de la folie de Dieu (1 Cor 1:17), et Nicolas Cabasilas de son 'amour fou' des hommes.

- Comment témoigner par la Croix ? Certainement pas en faisant de la Croix un signe de rassemblement contre les autres ou un moyen pour défendre ce que nous considérons être nos droits et nos prérogatives. Le Christ est mort lui-même sur la croix pour les autres. Si la croix que nous arborons est la sienne, pas celle de nos passions, elle doit être le signe que nous sommes prêts à agir comme lui. À quoi servent ces croix que nous portons et qui devraient nous accompagner dès notre baptême ? Sont-elles seulement des objets d’ornement, des bijoux à la mode ? À quoi riment ces signes de croix que nous avons tendance à faire parfois machinalement, sans trop réfléchir ? Le signe de croix est attesté pourtant dès le IIe siècle. Pour Clément d’Alexandrie ce sont les 'Signes du Seigneur'. Pourquoi les croix ornent-elles les frontons de nos églises et ornaient-elles autrefois ceux de nos maisons, comme il est toujours possible de le voir sur d’anciennes demeures ? D’après Tertullien, au IIe siècle de notre ère déjà, les chrétiens faisaient le signe de la croix « à chaque pas et à chaque mouvement, en entrant et en sortant, quand on s’habille ou qu’on met ses chaussures, quand on prend son bain ou que l’on se met à table, quand on allume une lampe…, à l’occasion de tous les actes de la vie quotidienne… » Pourquoi donc cette insistance sur la Croix ? Pourquoi l’Église, au beau milieu du carême, nous demande d’honorer la Croix ? La croix devint un signe d’opprobre pour les Grecs et les Romains, qui se servaient de la croix pour châtier les brigands et les esclaves, puis pour les Juifs (qui à l’origine donnaient la mort par lapidation) mais chez qui la croix devint un instrument de torture et de mort. Une des raisons du refus des Juifs de reconnaître le Christ en Jésus crucifié venait de leur conviction que le Christ ou Dieu ne pouvait être soumis à une telle humiliation. Les musulmans aussi se refusent à admettre un Dieu qui meurt. Pour eux, il est impensable que Dieu puisse permettre à un saint prophète de mourir sur une croix. C’est là une différence fondamentale entre nous. Durant les premiers siècles, les païens se moquaient des chrétiens, qu’ils appelaient 'les dévots de la croix ', et ils ajoutaient : 'ils vénèrent ce qu’ils méritent'. Aujourd’hui, les Témoins de Jéhovah et d’autres sectes considèrent aussi cette vénération comme un acte d’idolâtrie.

- 'Par la Croix tu as fait jaillir l’immortalité'. Tout d’abord, la Croix est notre planche de salut. Par sa mort sur la croix, le Christ nous a sauvés. Sur la croix, le Christ a pris sur lui nos péchés, toutes nos peurs et nos angoisses. Lui, l’innocent, il a accepté de souffrir, participant ainsi à nos souffrances, qui sont mineures comparées à celles qu’il a assumées. Comme nous, il a eu soif. Il a même été jusqu’à douter, jusqu’à ressentir l’abandon de Dieu, comme cela nous arrive si souvent (« Pourquoi m’as-tu abandonné ? »). Mais, justement par sa mort, il nous a appris que Dieu ne nous abandonnait jamais, et qu’en lui, il restait avec nous au cœur de la tourmente. Il n’y a donc plus de moment d’abandon (saat at takhali). C’est un dogme fondamental du christianisme que la mort du Christ sur la croix a apporté à l’humanité tout entière déchue la rédemption et la réconciliation avec Dieu. Il faudrait souligner que la crucifixion du Christ sur la croix et sa mort rédemptrice sont des mystères insondables et inexprimables qui ne peuvent être décrits avec précision dans le langage humain sans risque d’en déformer ou d’en réduire le sens et la portée. La raison humaine non éclairée par la grâce considère que la croix du Seigneur est inacceptable et inconcevable, alors que pour nous, croyants, elle est une « force invincible et incompréhensible et divine » (grandes complies). Comme le souligne saint Paul : « Nous, nous prêchons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens, mais puissance de Dieu pour ceux qui sont appelés » (1 Co 1,23-24). Loin de la notion juridique de réparation par le Fils afin d’apaiser le courroux divin du fait de l’errance humaine, la perspective orthodoxe, fondée sur les Saintes Écritures et la tradition liturgique et patristique des origines, met en avant le fait que Dieu n’a pas voulu laisser l’humanité aller à la dérive dans son choix du mal. L’œuvre de réconciliation s’est faite en Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme qui, en se livrant volontairement à la mort, en a brisé irrémédiablement la puissance. Mort à cause de nos péchés, il nous a rachetés par son sang. Le prophète Isaïe l’avait prédit avec force : 'Ce sont nos souffrances qu’il a portées, et ce sont nos douleurs qu’il a supportées… Il a été transpercé à cause de nos péchés, broyé à cause de nos perversités… et dans ses plaies se trouvait notre guérison… Affreusement traité, il n’ouvrait pas la bouche… Il a porté les fautes des multitudes et il a intercédé pour les pécheurs' (Is 53,4-7,12). Au début de chaque liturgie, durant la proscomidie, le prêtre reprend cette prière qui résume la foi de l’Église dans la puissance rédemptrice et salvatrice de la Croix : 'Tu nous as rachetés de la malédiction de la Loi, par ton précieux sang. Cloué à la croix et percé de la lance, tu as fait jaillir l’immortalité pour les hommes. ô notre Sauveur, gloire à toi'. Ou encore, lors de la fête de l’Exaltation de la Croix, le 14 septembre, nous chantons : 'Venez, toutes les nations, prosternons-nous devant le bois béni, par lequel se manifeste la justice éternelle : car celui qui par l’arbre a rendu captif notre père Adam est lui-même captif par l’arbre de la Croix… par le sang divin est lavé le venin du serpent '. Au XVIIIe siècle, le métropolite Philarète de Moscou soulignait que dans le mystère de la Croix, s’exprimait 'l’amour du Père, l’amour du Fils crucifié, l’amour de l’Esprit Saint, triomphant par la force de la Croix. Car c’est ainsi que Dieu a aimé le monde'. La Croix est donc manifestation de l’amour de Dieu, symbole de sa victoire et appel à la joie, car elle ouvre la porte de notre salut et conduit à la Résurrection à laquelle elle est inséparablement liée. 'Par la Croix est venue la joie pour le monde entier'.

- Notre propre mort : vivre dans la conscience permanente de la présence du Christ. Devant la croix du Christ, et après avoir médité sur ses souffrances, il est normal que nous pensions à nos propres souffrances et à la peur que nous cause la mort. Tout homme craint la mort – elle est contre-nature : aux origines l’homme a été créé pour la vie. La Croix nous apprend à apprivoiser la mort, à la craindre moins, en nous permettant de nous rapprocher davantage du Seigneur. Les Pères nous convient à faire toujours mémoire de la mort, pour nous aider à vivre mieux, à moins nous attacher aux biens et aux plaisirs de ce monde, et à accepter avec moins d’angoisse et de révolte les problèmes qui nous accablent. Par la mémoire de la mort, de notre propre mort, nous commémorons aussi celle du Seigneur et nous participons ainsi à ses souffrances. Notre croix nous apparaîtra alors plus légère devant celle qu’il a portée pour nous. Aux questions légitimes que nous nous posons souvent sur la justification de la souffrance humaine, la véritable réponse réside dans le choix de Jésus de partager nos souffrances et d’être constamment présent avec nous dans la tourmente. Dans la conscience permanente de sa présence, nous trouverons consolation et découvrirons devant nous grandes ouvertes les portes du Royaume. Il s’agit de ne pas désespérer, même si notre esprit se trouve au plus profond de l’enfer, comme l’a dit le Seigneur à saint Silouane l’Athonite, un moine du début du XXe siècle. Par la mémoire de la mort et le détachement auquel elle nous convie, nous ferons nôtre l’adage qui dit : 'Celui qui meurt avant sa mort, ne mourra pas à l’heure de sa mort'.



- Une charte de vie : l’amour des ennemis. Ayant évoqué notre propre mort et réaffirmé notre confiance en Jésus Crucifié, remettons-nous, ainsi que tous nos frères, à sa compassion et demandons-lui de nous aider à le reconnaître, malgré le sang qui cache sa face, répandu à cause de nos péchés. Sur la croix, Jésus, par ses actes et par ses paroles, nous a tracé une charte de vie. ' Pardonne-leur parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font': cette parole a fait voler en éclats toutes les règles religieuses et morales qui l’ont précédée. Personne n’avait jamais prôné l’amour des ennemis. C’est là sa marque, la marque du Christ. Ce devrait être la nôtre, si nous voulons être ses disciples. À ce signe, lié à la Croix, nous serons reconnus comme des chrétiens. Affirmer l’amour des ennemis et non seulement des frères, de tous ceux qui nous ressemblent, et le mettre en pratique, quel qu’en soit le coût, c’est une marque essentielle du témoignage que nous apprend la Croix.

- Si nous acceptons d’être comme le bon larron… Sur la croix, Jésus a confirmé que le Royaume était ouvert à tous ceux qui, comme l’un des deux larrons, font pénitence et lui ouvrent leur cœur. Le mystère de la Croix, on l’assimile par le repentir et la repentance. Ce n’est pas pure coïncidence qu’il y ait eu deux larrons autour de sa croix. L’autre larron, lui, blasphème. Il est semblable à ce que souvent nous sommes, refusant la grâce et posant des conditions à Dieu, selon notre logique propre, qui est loin d’être la sienne : 'Descends de la croix, et nous croirons ! '. Or, lui est justement venu pour monter sur la croix pour nous, parce qu’il nous aime d’un amour fou. Paul fait bien de dire que la Croix est signe de folie pour les païens. Elle est dans la logique de la folie d’amour de Dieu. La Croix est aussi folie pour d’autres que les païens. Ne l’est-elle pas parfois pour nous, chaque fois que nous voulons faire prévaloir le langage de la force et du chantage pour arriver à nos fins ? Le Dieu des chrétiens accepte de mourir. Les chrétiens ont souvent tendance à s’accrocher à la vie, même au prix de celle des autres. La Croix sera témoignage véritable si nous acceptons d’être comme le bon larron, cloués à côté de la croix de Jésus, œuvrant à changer de vie, à ouvrir notre cœur à Jésus et aux hommes qu’il aime, à aimer à notre tour, et à essayer de faire nôtre son amour. Les autres seront pris de court par une telle attitude. S’ils en demandent la raison, nous leur dirons que ce n’est là qu’un pauvre reflet de ce que Jésus nous appelle à faire, par sa Croix, dont nous avons voulu faire le centre de notre vie. Nous leur dirons aussi que, pour nous, Jésus crucifié est notre passage obligé. Bien mieux que de longs discours, ce sera là notre meilleure façon de témoigner.

- Prendre Marie comme mère. Méditons aussi ces paroles de Jésus sur la croix, adressées à sa Mère et à Jean, son disciple préféré, qui nous représente tous, toute l’humanité, au pied de la croix : 'Celui-ci est ton fils', 'Elle est ta mère'. Prendre Marie comme mère, c’est affirmer notre fraternité avec Jésus et avec les autres. Le témoignage de la Croix est aussi le témoignage que Marie, grandement vénérée dans l’islam, est la mère de tous les croyants. Elle peut être un pont entre nous et les musulmans, un facteur de rencontre et de rapprochement que l’on ne devrait pas hésiter à mettre en avant.

- Être convaincu que la mort est morte : notre voyage sur terre est une pâque incessante. Le témoignage de la Croix nous impose de ne jamais oublier que la Croix est à la fois sanglante et glorieuse, l’aube de Pâques luit déjà sur la croix. La crucifixion de Jésus n’est qu’une étape, certes importante, du dessein salvifique de Dieu, qui commence sur terre par l’Incarnation et se poursuit par la Croix et la Résurrection, jusqu’à la Pentecôte et la venue de l’ Esprit Saint. La théologie et la vie liturgique qui l’exprime ne séparent pas l’œuvre salvifique du Christ sur la croix, de la Résurrection et de l’ensemble de son œuvre de salut. Témoigner de la Croix, c’est ainsi témoigner de la Résurrection. Comme le dit saint Paul, 'si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine (vide) et vaine (vide) aussi notre foi' (1 Co 15,14). Nous ne devons jamais dissocier la Croix de la Résurrection, mais nous devons être convaincus que la mort est morte, qu’il n’y a pas de mort, que nous n’avons pas peur d’elle, car 'ceux qui ont peur de la mort ont peur de la vie'. Ce n’est qu’en regardant la mort en face, en lui donnant un sens, celui de notre propre résurrection et de notre entrée dans le Royaume, que nous serons capables de vivre sans crainte et au maximum de nos possibilités. Toute mort est suivie d’une nouvelle naissance. Notre voyage sur terre est une pâque incessante, une traversée de la mort vers une nouvelle vie. Chaque soir, quand nous nous endormons, nous expérimentons un avant-goût de la mort, puis nous nous réveillons comme si nous ressuscitions d’entre les morts. L’essentiel est de savoir toujours 'remettre notre âme entre les mains de Dieu'. Témoigner par la Croix, c’est donc témoigner contre la mort. Malheureusement, ce n’est pas toujours notre cas…

- Savoir vivre en permanence la joie pascale : la résurrection du Christ comme un espace de non-mort. Un tel témoignage implique que nous nous comportions comme des témoins oculaires de la Résurrection, en attente de notre propre résurrection. Notre conviction doit se refléter sur nos visages. Il nous faut oser témoigner et 'avoir le courage de dire, de vivre (de mourir et de vivre) la résurrection du Christ, en sa profondeur, comme un espace de non-mort, où tout peut basculer dans la lumière' (Olivier Clément). Il nous faut savoir crier, avec Syméon le Nouveau Théologien, un grand mystique byzantin du XIe siècle : 'Je sais que je ne mourrai pas, puisque je suis au-dedans de la vie et que j’ai la vie tout entière qui jaillit au-dedans de moi'. Il nous faut imiter Séraphin de Sarov, qui accueillait tout le monde en disant : 'Ma joie, le Christ est ressuscité'. Il nous faut savoir retrouver cette 'grande joie' dont parle l'Évangile de Luc (2,10 ; 24,52) et dans laquelle Jésus nous invite à demeurer. À l'accusation d'un Nietzsche affirmant que 'les chrétiens sont sans joie', il nous faut, par la pratique de la vie liturgique, dans ses dimensions les plus profondes, retrouver le sens de la fête, savoir vivre en permanence la joie pascale, renouvelée à chaque liturgie, et la faire rejaillir dans notre regard, par notre sourire, sur notre visage, pour avoir la chance de convaincre le monde que le Christ est vraiment ressuscité, et que sa Croix est un signe de victoire et d’espérance en notre propre résurrection. Cette joie, qui caractérise l’Église d’Orient, et que nous vivons si intensément le jour de Pâques, devrait nous habiter en permanence. Elle sera alors un élément essentiel du témoignage de la Croix dans notre vie de tous les jours, en cet Orient où Dieu a voulu nous faire naître.

- Se mettre assidûment à la recherche du Christ là où il est présent. Enfin, témoigner par la Croix, c’est permettre à celui qui est cloué sur la croix de témoigner lui-même. Nous n’avons pas d’autre alternative que la recherche de la sainteté, afin que Jésus fasse sa demeure en nous et puisse parler à travers nous. 'Ce n’est plus moi qui vit, c’est lui qui vit en moi' (Ga 2,20). Il nous faut incarner dans la vie de tous les jours l'esprit évangélique. C’est cela, porter notre croix personnelle. C’est comme cela que nous participons à la Croix du Christ. Il n'y a d'autre voie que de se mettre à l’écoute de celui qui, seul, est 'le chemin, la vérité et la vie' (Jn 14,6). Il faut donc se mettre assidûment à la recherche du Christ là où il est présent : dans le face à face de la prière ; dans la metanoia évangélique et l’ascèse ; dans une vie sobre, ne se laissant pas distraire par les tentations de la société de consommation ; par une participation au Christ dans l'offrande eucharistique ; dans sa rencontre en lisant les Écritures ; dans la conscience de sa présence dans l’assemblée des frères ; et enfin dans la conviction que c’est lui que nous côtoyons dans tout homme qu'il nous appelle à servir et à libérer. Il s'agit d’établir une relation personnelle avec le Christ, j'oserais dire, une relation « d'homme à homme ». Il s’agit de vivre en permanence en sa compagnie. Il faut surtout nous demander, en dehors des sentiers battus que les gens d’Église ont tendance à nous recommander, sans les ignorer, ce que le Christ aurait fait dans telle ou telle situation, et lui demander de nous aider à conformer notre comportement à son enseignement et à sa révolution évangélique.

- La vie en Christ n’est pas simplement une affaire de bonnes mœurs, de comportement adéquat. Le dialogue entre Jésus et le jeune homme riche (et chacun d’entre nous est riche d’une façon ou d’une autre) est significatif : il ne suffit pas de suivre les commandements, il faut suivre Jésus lui-même. Il faut que lui vive en nous. Il faut accepter qu’il nous mène là où lui va, c’est-à-dire vers son Père, en passant par la Croix et la Résurrection. Le monde n'a pas besoin de doctrinaires qui lancent des anathèmes et usent de tabous, mais d’imitateurs vivants du Christ, qui prouvent par leur mode de vie, que loin d’être absurde, 'la vie est offrande', qu'elle est 'service et partage' et qu'elle est un 'chantier du Royaume ' (Costi Bendaly). Il n’y a de véritable christianisme qui ne fasse prévaloir 'l’être' à 'l'avoir' ou au 'paraître', sans un esprit de détachement à l’égard des biens terrestres, sans gratuité, sans partage, sans joie, sans tendresse à l’égard du créé. C’est là le vrai témoignage de la Croix. C’est là la véritable révolution du christianisme. Nous avons trop tendance à oublier que nous sommes appelés à devenir de vrais révolutionnaires, dont la seule violence est celle qu’ils doivent se faire à eux-mêmes.

- Par la Croix, tout redevient possible : 'je me suis éloigné, sors à ma recherche', car dans la tourmente le Seigneur est avec nous. Le monde a beau avoir abandonné Dieu, Dieu lui reste fidèle, les mains tendues sur la Croix, dans l’attente de la rencontre. Notre témoignage est efficace dans la mesure où nous sommes des témoins vibrant d’amour pour Dieu et les hommes, toujours aux pieds de la Croix, toujours devant le Tombeau vide. À ceux de notre entourage qui ne voient dans la Croix qu’un morceau de bois, apprenons à adopter la prière de saint Isaac le Syrien, adressé à Jésus, et disant : « Je t’ai abandonné, ne m’abandonne pas. Je me suis éloigné, sors à ma recherche ». Et, si nous prions ainsi, avec un cœur pur, nous le verrons venir à notre rencontre, et il établira sa demeure en nous.

15. 42-47 La mise au tombeau ( Mt 27: 57-67; Lc 23:50-56; Jn 19:38-42)

- La fin de cet après-midi, avant que ne commence le sabbat, un acte d’humanité, mais surtout de piété, est accompli par un disciple de Jésus qui était demeuré , jusque là, très discret sur sa foi. Il était accompagné d'un autre notable croyant (Jean 19:38-39)

- En cette fin de journée, il n’y a plus ni soldats ni foule, au moins dans le texte que nous lisons. Seulement une scène intime où nous voyons ces deux disciples et des femmes les regardent de loin en train de le faire descendre de croix et de veiller à son ensevelissement. Joseph d'Arimathie, membre du Sanhédrin demande à Pilate de recevoir le 'corps' (soma) de Jésus. Lors de l'onction de Béthanie, la femme avait parfumé son corps (soma). Le même mot avait été utilisé lors de la Cène: Ceci est mon corps (soma). Il s'agit d'un corps vivant, tandis que Pilate parle de 'ptôma', c'est-à-dire 'cadavre'.

- La mise au tombeau s'est passée le soir venu, à la veille du Sabbat, à la fin de ce jour qui avait été englouti dans les ténèbres, de même que le repas pascal avait commencé 'le soir venu' (14:17). Le Sabbat de Jésus au tombeau est le temps du passage des ténèbres à la lumière sans déclin, de la mort à la vie éternelle. Comme le dit Zacharie (14:7): 'le jour du seigneur sera un jour unique, connu du Seigneur, où il n'y aura plus de jour et de nuit, mais à l'heure du soir, brillera la lumière'. Ce sabbat sera celui du repos du 'corps' de Jésus au tombeau.

- Marc nous dit que les femmes, apeurées mais toujours présentes, regardaient de loin 'où on l'avait mis'. Comme nous l'avons remarqué, les femmes jouent un rôle de pointe dans l'expression de la Bonne Nouvelle et l'attachement à Jésus. C'est une femme qui pressent sa mort, quand ses disciples hommes n'y pensent guère. Ce sont des femmes qui l'accompagnent, même si de loin, lors de sa crucifixion et sa mise au tombeau, quand la plupart de ses disciples hommes disparaissent de la circulation. On verra dans le prochain chapitre, que c'est une femme (Marie) qui sera le premier témoin de la Résurrection, et que c'est à des femmes que Jésus se montre en premier.

Chapitre 16

16.1-8 Les femmes se rendent au sépulcre (Mt 28:1-7; Lc 24:1-12; Jn 20:1-2)

- Au soir de ce jour de douleur, le sabbat commence. Un temps de repos, sans doute, mais surtout un jour d’attente pour les femmes qui avaient vu le sépulcre et avaient toute leur attention et leur affection tournées vers le crucifié, dont le corps reposait derrière la lourde pierre du sépulcre.

- Le sabbat terminé, il leur fallut attendre encore jusqu’au matin pour pouvoir s’approvisionner comme elles le souhaitaient. Et quoiqu’une question majeure se pose, celle d’ouvrir le tombeau, elles s’y précipitent quand même aussitôt.


- Elles trouvent la pierre roulée et le tombeau vide. Un jeune homme, vêtu de blanc, leur dit qu'est passé le temps de s'occuper des morts, car le Crucifié est maintenant le Ressuscité. Elles ont peur. Marc dit qu'elles ne disent rien à personne. Comment expliquer ce silence? Comment le concilier avec la demande d'informer les disciples qui est attestée dans les autres Évangiles et dans Marc de le rejoindre en Galilée? Certains disent que Marc a voulu montrer par ce silence jusqu'à quel point l'homme peut être dépassé par ce que Dieu fait et révèle à travers la vie, la mort et la résurrection de Jésus. D'autres estiment, qu'en faisant cela, Marc veut inciter le lecteur à prendre le relai du témoignage que les femmes ont encore peur de proclamer. Il veut insinuer que désormais, la prédication de l'Évangile n'appartient plus ni aux disciples, ni aux femmes, mais à celui qui, grâce à la lecture de l'Évangile, vient de revivre l'événement Jésus et sa résurrection.

- Le jeune homme vêtu de blanc rappelle l'épisode du jeune homme revêtu d'un drap du jardin de Gethsémani. Nous avons déjà parlé de la possibilité que Marc ait voulu faire une allusion à lui-même. L'ange pourrait aussi rappeler la figure du Christ transfiguré (9:3) et maintenant ressuscité. Il pourrait aussi être une allusion aux baptisés qui sont revêtus de blanc au baptême.

- L'ange est 'assis à droite'. Cette position pourrait renvoyer à la venue du Fils de l'Homme 'siégeant à la droite du Tout-Puissant', annoncée par Jésus (14:62) et donc suggérer son Ascension 'à la droite du Père' (16:19).

- Tant les femmes que Pierre, ayant vu le Tombeau vide, n'ont pas été convaincus. Seul Jean croit aussitôt (Jn 20:8). Si les femmes et les disciples eurent tant de mal à croire, nous devons être très attentifs et patients envers ceux qui, de nos jours, ont des difficultés à croire et qui sont sceptiques. Il faut se mettre à leur écoute, à leur service et faire montre envers d'une attention respectueuse.

- Jésus demande aux disciples de le rejoindre en Galilée. C'est là où tout avait commencé. Maintenant, il les convoque pour un nouveau départ, en vue de la proclamation de l'Évangile à 'toute la création' (16: 15, 20; 13:10). Il mentionne plus particulièrement Pierre, comme indication qu'après son repentir, il lui a pardonné et admis de nouveau parmi ses amis.

- Les renvoyer en Galilée, c'est aussi les renvoyer à leur pays, à leur quotidien, à leurs combats de tous les jours. Cela rappelle les demandes de Jésus à ceux qu'il guérissait de retourner dans leur ville, leur maison, pour proclamer la gloire de Dieu.

- Depuis, la Résurrection est devenue le centre absolu de la prédication des apôtres qui se résume en ces trois affirmations: Jésus a été crucifié, et il est mort, mais Dieu l'a ressuscité. Il est le 'premier-né d'entre les morts'. C'est là l'enseignement de Pierre (Actes), de Philippe à l'eunuque éthiopien, et de Paul, tant aux juifs qu'aux païens. Jésus est le 'premier de ceux qui dorment' (1 Cor 15:20). Il est 'la résurrection et le vie; Il est descendu aux enfers (Mt 27:52). La vie chrétienne est une résurrection anticipée: 'nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie' (Jn 3:14).



- Matthieu parle des événements 'cosmiques' qui ont accompagnés la Résurrection, utilisant des images de l'AT pour essayer de décrire une réalité ineffable, indescriptible (tremblement de terre, clarté aveuglante, etc.), autant de signes effrayants qui font que les soldats qui gardent le mort deviennent eux-mêmes comme morts (Mt 27:56). Il parle aussi de l'argent donné aux soldats par les juifs pour taire la nouvelle et dire que les disciples sont venus le prendre (mais alors pourquoi leur garde?). Cela rappelle l'argent donné à Judas pour aider à prendre Jésus. Ils sont conséquents avec eux-mêmes et refusent systématiquement d'admettre leur erreur et de se convertir (Mt 28:15).



- Matthieu dans ces textes parle 'des juifs', pas des grands prêtres ou des scribes, comme d'un groupe qui est devenu, de son temps, étranger et hostile à la communauté chrétienne naissante. Le mensonge répandu par les soldats à l'instigation des juifs, continue à circuler, dit-il, 'de nos jours', c'est-à-dire vers les années 80, date de rédaction de l'Évangile de Matthieu.



16. 9-18 Apparitions de Jésus (Mt 28: 8-10; Lc 24:13-52; Jn 20: 11-18)



- Comme on l'a dit, dans l'introduction, cette partie de Marc est tardive, et elle est puisée dans les récits d'apparition du Ressuscité des autres Évangiles (Jn 20:1; Lc 24: 13-35; Lc 24: 36-52; Mt 28:19, Ac 1:8).

- Ce premier jour de la semaine, le jour de la résurrection du Seigneur, est un jour de rencontre avec le Ressuscité. D'abord Marie, puis le groupe de femmes qui l'avaient accompagné au tombeau, puis Pierre et enfin les deux compagnons d'Emmaüs, avant que le Seigneur n'apparût aux disciples rassemblés, au soir de la journée.



- Paul a établi une liste de ces apparitions (1 Cor 15: 5ss) qui diffère quelque peu de celle établie par les évangélistes. Ces apparitions durent 40 jours (Ac 1:3), ou de 'nombreux jours' 5Ac 13:31). On voit Jésus et on le touche (Lc 24:36-40; Jn 20: 19-29). On mange avec lui (Lc 24:29ss; Jn 21:9-13; Ac 10:41). Son corps échappe aux conditions habituelles de la vie terrestre (Jn 20:19, 20:17). Il répète les gestes qu'il faisait durant sa vie terrestre, ce qui permet de le reconnaître (Lc 24:30; Jn 21:6-12).

16. 19-20 L'Ascension (Lc 24:50-53; Ac 1: 6-14)

- Des jours se passent durant lesquels le Seigneur rencontre encore les disciples, d’abord à Jérusalem, sans puis avec Thomas (Jean 20:26-28), puis en Galilée (Mathieu 28:16-20Jean 21), et enfin sur le mont des Oliviers où se passe la scène de l'Ascension (Luc 24:50-53Actes 1:6-14). Durant ce temps, il ne cesse de les enseigner, leur promettant l'envoi de l'Esprit Saint. L'Ascension de Jésus apparait comme le signe du commencement de la mission universelle. Cette mission est à la fois l'action des apôtres et du Seigneur qui agit avec eux et confirmait leurs paroles par les signes qui les accompagnaient. Jésus veut collaborer avec nous, en synergie. Malgré les faiblesses et toutes les misères, la parole du Seigneur est annoncée dans le monde entier.





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