Prêtres et laïcs entre le Nouveau Testament et les pratiques actuelles

 

Raymond Rizk - 2010


Des questions dérangeantes

Au cours du sermon, prononcé lors de la Liturgie de clôture de la Conférence pan orthodoxe préparatoire au Saint et Grand Concile en 1982, le Métropolite Méliton de Chalcédoine affirma, s'adressant aux laïcs: 'Nous avons fait la découverte que vous aussi vous existiez … non pas …dans le sens d’un petit nombre de personnes pieuses … mais que vous êtes la plénitude de l'Église dans le plein sens du terme … et nous avons dit … qu’il faut vous demander pardon … et que nous devons entamer un dialogue avec vous, non pas un dialogue général et abstrait, mais un dialogue de pasteur avec son troupeau, dans chaque lieu, c’est-a-dire dans chaque paroisse, dans chaque village, dans chaque Eglise autocéphale ..., un dialogue depuis les racines jusqu'au sommet'. (SOP, supplément 71-A).

Quant au Pape Benoît XVI, lors d’un discours prononcé le 29 mai 2009, à 'un changement de mentalité concernant particulièrement les laïcs, en ne les considérant plus seulement comme des collaborateurs du clergé, mais en les reconnaissant réellement comme co-responsables de l'être et de l'agir de l'Église' (cité dans Laïcs dans l'Église aujourd’hui, Mgr. Dominique Rey, Ed. Salvator, p. 11). D'ailleurs, il avait déjà demandé, le 17 mai 2008, aux évêques Catholiques, lors d'un séminaire d'études, organisé par le Conseil pontifical pour les laïcslaïcs, à ‘aller au-devant des mouvements (laïcs) avec beaucoup d'amour …Les mouvements ecclésiaux et les communautés nouvelles nelaïcs sont pas un problème ou un risque de plus, qui s'ajoutent à vos charges déjà lourdes. Non, ils sont un don du Seigneur, une ressource précieuse pour enrichir avec leurs charismes toute la communauté chrétienne' (cité dans Laïcs dans l'Église aujourd’hui, Mgr. Dominique Rey, Ed. Salvator, p. 87-88).

Pourquoi donc cette 'demande de pardon' et ce 'changement de mentalité', venant de la part de ces deux responsables importants de l'Orient et de l'Occident chrétiens? Pourquoi ces appels au 'dialogue' et à la 'coresponsabilité'?

Avant de tenter de répondre à ces questions, il nous faut, tout d'abord, rappeler la place des prêtres et des laïcslaïcs dans le Nouveau Testament, et son développement au cours des premiers siècles de l'Église, puis suggérer des voies de renouveau.

Parle-t-on de 'prêtres' et de 'laïcs' dans le Nouveau Testament?

Nulle part dans le Nouveau Testament n'existe la catégorie prêtre-laïc, dans la compréhension lui est donnée de nos jours. Tous les fidèles, sans distinction aucune, y sont considérés égaux dans l'honneur et sont appelés 'frères', 'disciples' (Ac. 6:1, 7:7, 9:1, 10:9), ‘croyants' (Ac.10:45, Ep. 1:2, Col. 1:2), 'saints' (Rm. 1:7, 1 Co. 1:1, 7:14), ou encore 'membres de la maison de Dieu' (Ep. 2:19). Ils sont tous, comme le montre l'auteur du livre des Actes, membres du peuple de Dieu, mettent tout en commun, et se montrent 'assidus à l'enseignement des Apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières' (Ac. 2:42-47).

De plus, le terme 'prêtre' n'est attribué dans le Nouveau Testament qu'à Jésus Christ ‘prêtre souverain à la tête de la maison de Dieu’ (Hé. 10:20). Mais, on y trouve cependant des paroles qui lient le sacerdoce à tout le peuple: 'Il a fait de nous une Royauté de Prêtres pour son Dieu et Père’ (Ap. 1 :6), qu’il nous faut rapprocher de ce que dit Pierre, dans sa première épitre : ‘Vous- mêmes, comme pierres vivantes, prêtez-vous à l’édification d’un édifice spirituel, pour un sacerdoce saint, en vue d’offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus Christ’ (2 :5), et ‘Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis’ (2 :9). Le sacerdoce n’est plus considéré comme un service limité à un groupe particulier, mais lié à toute la communauté. Le Christ, a inauguré pour nous tous, un chemin nouveau, nous faisant entrer, à sa suite, dans le Saint des Saints, et nous faisant participer à son propre sacerdoce (Hé. 10:19 et 20).

Charismes et ministères dans les premières communautés chrétiennes

Au sein du Peuple de Dieu, tous les charismes et les services 'sont établis en vue de l'édification de l'ensemble du Corps du Christ, dont les fideles sont ‘membres, chacun pour sa part’ (1 Co. 12: 27). Plusieurs listes de ces charismes sont données par Paul. Celle de la première épître aux Corinthiens comprend: 'premièrement apôtres, deuxièmement prophètes, troisièmement docteurs, puis les miracles, le don de guérir, d’assister, de gouverner, les diversités des langues' (1 Co. 12 : 28-30 ). Celle de l'épître aux Romains (12:6-8) en diffère dans l'ordre des priorités : ‘prophétie, service, enseignement, exhortation’. L'épître aux Éphésiens se rapproche de l'épître aux Romains: apôtres, prophètes, évangélistes, pasteurs et enseignants (4: 11). La préférence de l'Apôtre va en premier au charisme des Apôtres, suivi par celui des prophètes, puis les docteurs, enfin le charisme de ceux qui prêchent. Il est à noter que ces charismes sont nommés avant ceux des pasteurs et du 'gouvernement'. De plus, Paul ne fait pas de différence entre les responsabilités pastorales et les services faits à la communauté. On remarque que, dans la première épître aux Thessaloniciens, il ne nomme même pas ceux qui occupent les charges pastorales, se contentant de parler de 'ceux qui se donnent de la peine au milieu de vous, qui sont à votre tête dans le Seigneur et qui vous exhortent’'(5:12). Nous pouvons en déduire que les ministères, relatifs à l'organisation de la communauté, qui n'était d'ailleurs pas encore entièrement définie, viennent après les ministères proprement spirituels, et qu'il y avait une grande liberté de manœuvre concernant l'organisation ecclésiale. L'épître aux Philippiens mentionne dans son préambule 'ceux qui dirigent et les diacres' après 'les membres du peuple de Dieu' (1: 1). De toutes façons, il est évident qu'il n'existe pas une autorité monarchique au sein des premières communautés.

L'exercice des ministères

Les ministères sont donc divers, mais dans l'unité: 'Il y a certes diversité de dons spirituels, mais c'est le même Esprit; diversité de ministères, mais c'est le même Seigneur; diversité d'opérations, mais c'est le même Dieu qui opère tout en tous' (1 Co. 12: 4-5).

Cependant, il existe une primauté dans l'exercice des ministères. Les uns sont plus spirituels (1 Co. 12: 4-11, 28-31, 14:1-5, 22-24, Ep. 2:20, 3:5, 4:11), les autres plus administratifs (1 Th. 5:12-13, Ph. 1:1, Rm. 16:1). A leur tête trône l'amour (1 Co. 13 et 1 Pi. 4:10). Paul les groupe tous sous une triple caractéristique: ils trouvent tous leur origine en Dieu, 'dans une relation de subordination à son initiative première et non dans la revendication prétentieuse d'un pouvoir' (2 Co. 6:4, 3:6-8, 1 Tim. 4:6); 'ils ne constituent pas une fin en soi, mais ils sont ordonnés à l'édification de l'Église et à l'aide fraternelle' (Col.1:25, Ep. 4:12, 1 Pi. 4:10); 'ils ne donnent aucun droit sur les personnes, ils engagent sur une voie d'humilité et d'abaissement (1 Co. 9:19, 1 Pi. 5:2 et 3)' (Jean Rigal, Découvrir les ministères, DDB, p. 50-51) et beaucoup d'amour (1 Co. 13:13). Les ministères sont une participation à la diaconie du Seigneur qui avait déjà donné à ses disciples leur orientation principale: 'Quand vous avez fait tout ce qui vous était ordonné, dites nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait seulement ce que nous devions faire' (Lc. 7: 10).

Malgré la conscience très vive qu'il avait de son autorité apostolique (ou peut-être à cause d'elle), Paul montre toujours envers les frères beaucoup d'humilité, de charité (1 Co.4:21) et de douceur (1 Th.2:7), même dans ses remontrances. Il ordonne rarement, mais il supplie 'dans la charité' (Phil. 9). Par ses paroles: 'Nous ne voulons pas régenter votre foi ; nous contribuons à votre joie' (2 Co. 1:23), et 'Nous ne sommes que vos serviteurs pour l’amour de Jésus' (2 Co. 4:5), et son comportement, il rappelle que l'amour et l'attention bienveillante aux autres sont les conditions nécessaires de tout ministère, qu'il soit d'ordre spirituel ou administratif.

De plus, son apostolat montre clairement la complémentarité des ministères. Lui-même travaillait collégialement. Il dictait ses épîtres à des disciples. Les Actes donnent les noms de pas moins de 80 de ses collaborateurs. Parmi eux, nous trouvons des femmes, telles Tabitha (Ac. 9:36-39), Marie, mère de Marc (Ac. 12:12), Priscilla (Ac. 18:18). De même, nous trouvons des couples mariés qui semblent évangéliser ensemble, tels Pierre et son épouse (1 Co. 9:5), Priscilla et Aquila (Rom. 16:3).

Dimension charismatique des premières communautés

L'action de l'Esprit de Dieu est primordiale au sein des premières communautés chrétiennes. Elles vivaient trouvant 'sa source dans l'Esprit' (Rm. 8: 10), dans la même 'communion du Saint Esprit' (2 Co. 13: 13). Tous leurs membres sont animés d'une force pneumatique qui se manifeste différemment chez chacun. Cette communion (koenonia) en fait une fratrie, une fraternité (c'est ainsi qu'elles étaient appelées au tout début, et longtemps après), dont tous les membres étaient égaux, sans distinction de race, de statut ou de sexe. Tous sont libérés et libres dans et par l'Esprit, et engagés dans la mission de répandre l'Évangile et d'annoncer la venue du Royaume, manifesté par Jésus. Paul nomme leur liberté 'liberté de la gloire des enfants de Dieu' (Rm. 8:19), et en cela manifeste qu'elle est l'image de Dieu en eux, comme l'affirmeront plus tard nombre de nos Pères, dont Grégoire de Nysse. L'Église se comprend donc et fait ainsi l'expérience d'une d'une communion de personnes, à l'image de la Trinité, qui travaille d'une manière conciliaire pour édifier le Corps du Christ, qui est aussi le Temple du saint Esprit.

Présidence de l'assemblée communautaire et autorité

Cette égalité n'excluait pas direction et autorité au sein de la communauté. Le Nouveau Testament ne parle que très rarement de la personne qui préside la prière de la communauté, non parce que ce rôle ne revêt point d'importance, mais probablement parce qu'il était dévolu d'office aux Apôtres de leur vivant, et par la suite, généralement aux prophètes et aux presbytres, ses membres les plus en vue de la communauté. D'autres membres de la communauté semblent avoir aussi présidé, tel par exemple le propriétaire de la maison où se réunissait la communauté, et d'autres. Petit à petit, celui qui présidait régulièrement la célébration communautaire devint normalement son chef. Mais, le Nouveau Testament est unanime pour rejeter résolument toute direction hiérarchique, à la manière du monde. Jésus lui-même avait récusé les moyens de pouvoir du monde: 'Il n'en sera pas ainsi parmi vous' (Mt. 20: 25-28). Le ministère n'est jamais conçu en termes de droit et de pouvoir, mais en termes de service (diakonia), en vue de la croissance du Corps. L'œuvre de l'Esprit de Dieu y prime sur toute règle administrative d'organisation. L'autorité est un amour se faisant service. Il n'est jamais lié à un rang social, encore moins à un statut ontologique.

Tous les membres participaient aux fonctions royale, prophétique et sacerdotale du Christ lui-même. C'est pourquoi les Apôtres n'ont de cesse de rappeler aux 'premiers parmi des égaux' de ne pas céder à la tentation du prestige et de la domination (3 Jean 1:9, 1 Pi 5:2-3) , car l'autorité s'exerce non sur le peuple de Dieu, mais avec lui et pour lui. Il ne peut donc y avoir dans l'Église d'autorité qui ne soit utilisée au nom du Christ et en vue de l'édification de son Corps (2 Co. 10:8).

Développement des communautés chrétiennes entre le Nouveau Testament et les trois premiers siècles

On peut aborder le développement des communautés primitives selon diverses approches. Nous adoptons ici, l'approche chronologique, préconisée par Jean Rigal, dans le livre cité. On peut donc identifier, durant cette période, trois phases dans le développement de la vie et de l'organisation des communautés chrétiennes de la grande Église (le courant proto-orthodoxe), la première s'étendant des années 30 à 43, celle du jaillissement primitif et de la première mission, essentiellement dans les milieux juifs , la seconde de 43 à 65-70, celle de l'expansion missionnaire qui se clôt par la mort de la plupart des Apôtres et la chute de Jérusalem, et la dernière de 65-70 aux alentours de la fin du premier siècle, celle de l'apparition du souci d'organisation pastorale.

Les années 30 à 43

a. Durant les années 30 à 43, la vie des communautés se concentre autour des Apôtres, établis par le Seigneur et envoyés par lui, après sa Résurrection, pour répandre l'Évangile (Mt.28:19, Lc. 22:30). C'est l'ère des témoins oculaires (Lc. 1:2), 'témoins de la Tradition et de la Résurrection (Ac. 1: 8, 2: 32, 4:10, 4: 34, etc.), des 'serviteurs de la Parole' et du dessein salvifique de Dieu, établis pour le 'ministère de la réconciliation' (2 Co. 5: 18). Ce sont eux qui président le 'Repas du Seigneur', distribuent dons et offrandes (Ac. 4: 35-37) et assurent l'unité de la communauté. Leur comportement montre qu'ils dirigent la communauté (Ac. 15:2), dans un respect total de la liberté de ses membres qu'ils consultent pour les grandes décisions: élection de Matthias (Ac. 1: 22-26), choix des sept 'diacres' (Ac. 6: 1-7 ), assemblée de Jérusalem (Ac. 15: 6-31). Durant toutes ces occurrences, les Apôtres convient les 'frères' à se réunir, leur exposent les problèmes, écoutent leurs opinions, et finissent par adopter les décisions agréées par tous.

Les années 43 à 65-70b.

Durant les années 43 à 65-70, l'organisation des communautés change selon le lieu de leur présence.

Ainsi, la vie de la communauté d'Antioche se concentre autour de trois ministères-charismes, ceux des apôtres, des prophètes et des docteurs chargés de l'enseignement (1 Co. 12: 28). La mission des apôtres est une mission itinérante de la Parole. Ils établissent de nouvelles communautés, puis reviennent à leur communauté mère pour l'informer de ce qu'ils ont fait (Ac.14:27, 18: 22). La fonction 'apostolique' comprenait, au-delà des Douze et de Paul, d'autres missionnaires itinérants, tels Barnabé (1 Co. 9: 2-6) et Apollos (1 Co. 4: 6-9), Sylvain et Timothée (1 Th. 1: 1, 2: 7), Andronicos et Junias, peut-être un couple (Rm. 16: 7-8) et beaucoup d'autres. Les prophètes parlent sous l'inspiration de l'Esprit (1 Co. 14:29-32), œuvrant à l'édification des fidèles et encourageant leur engagement. 'Celui qui prophétise parle aux hommes: il édifie, exhorte et encourage' (1 Co. 14:3). Les actes donnent le nom de Judas et Silas (Ac. 15: 32). La Didachè, ouvrage du début du 2ème siècle, indique qu'ils président l'Eucharistie et ont la latitude de rendre grâce 'autant qu'il leur plaît' (10:7). Quant aux évangélistes, ils étaient responsables de l'enseignement de la foi d'une manière plus systématique (Ac. 13:1, Did. 15:1).Les docteurs, souvent associés aux prophètes (Ac. 13: 1), donnent un enseignement plus systématique. Ce sont des didascales

Après le martyre d'Etienne La communauté de Jérusalem est dirigée par un conseil d'Anciens (presbytres) (Ac. 21:18, Ga. 1:19), présidé par Jacques, 'frère du Seigneur' (Gal. 1: 19, Ac. 21: 18). Il en est de même pour les communautés de Cilicie et d'Asie Mineure (Ac. 14:23).

Quant à l'Église de Philippes, elle est dirigée par un conseil de 'surveillants et de serviteurs' (episcopoi kai diakonoi) (Ph. 1:1, Did. 15:1), dont le rôle se rapprochait de celui des anciens (presbytres). D'ailleurs, saint Jean Chrysostome mentionne, dans son commentaire de l'épître aux Philippiens, que les 'presbytres' étaient aussi nommés, autrefois, 'surveillants et serviteurs du Christ' (1:1). A ce sujet, il est utile de noter que, les appellations en grec de 'prebyteros', 'episcopos' et 'diakonos' sont traduites, dans certaines traductions du Nouveau Testament respectivement par 'prêtre', 'évêque' et 'diacre', ce qui surcharge le texte biblique de connotations développées ultérieurement et qu'il ne porte pas.

Dans d'autres Églises, la direction de la communauté fut confiée parfois à la famille dans la maison de qui elle se réunissait, telle la famille de Stéphanas (1 Co. 1:16, 16:15), ou même à une femme, telle Phoebé, 'qui travaille au service de l'Eglise de Cenchrées' (Rom. 16:1).

Période tardive du nouveau testament: L'organisation pastorale c.

Durant la dernière période, en nous référant surtout aux Epîtres Pastorales, écrites le plus souvent aux alentours de la mort des Apôtres, nous sommes amenés à trouver des situations qui semblent nouvelles, avec l'insistance qui y est donnée sur les responsabilités locales de chaque Église. Nous lisons par exemple, dans l'Épître à Tite, qu'il lui est demandé 'd'organiser la communauté et d'établir des presbytres dans chaque ville' (1:5). De même, il est recommandé à Timothée de n'imposer hâtivement les mains à personne' (1 Tim 5:22).

Il semble que les deux expressions, épiscopes et presbytres, sont appliquées aux mêmes personnes, en charge des communautés (Ac. 20:17, 28, Tt. 1: 5-7, 1 Pi. 5: 1-2). De nouveaux ministères voient le jour: les 'diacres' (1 Tim 3: 8-13), les 'évangélistes' (2 Tim 5: 4), ), les 'pasteurs' (Ep. 4: 11), et d'autres encore.

On trouve, dans les épîtres de cette période, une insistance sur les conditions requises pour exercer les ministères: 'être les modèles du troupeau' (1 Pi. 5: 3); 'être irréprochable, mari d'une femme, … hospitalier, … ni querelleur ni cupide , 1 Tm. 3: 4). Une grande importance y est aussi donnée à l'investiture des ministres par 'l'imposition des mains' (1 Tm. 4: 14, 2Tm. 1: 6).

Par contre, certaines adjonctions aux fidèles, par exemple de mieux s'occuper des veuves, laissent supposer que ce service n'était plus conforme aux anciennes pratiques. De même, on y note un changement d'attitude envers les femmes. Ainsi, la première épître à Timothée défend aux femmes de parler dans les assemblées et d'y enseigner (2: 12), ce qui est en contradiction avec les pratiques antérieures, attestées dans les Actes (les quatre filles de Philippe prophétisent - Ac. 21: 9), et l'affirmation de Paul qu'il est normal que les femmes prophétisent (1 Co 11: 5). Certains justifient ces 'changements' par l'accroissement du nombre des chrétiens, la nécessité d'instaurer plus de discipline durant leurs réunions, et pour assurer un meilleur service des pauvres. Maintenant que les témoins oculaires de l'œuvre du salut ne sont plus, quelqu'un devait veiller, plus particulièrement, à l'unité de la communauté et à son enracinement dans la foi apostolique, et il fallait que la vie communautaire soit mieux organisée. Ces mesures s'accompagnent d'un glissement de l'aspect charismatique de communion des communautés primitives, tendant à concentrer les charismes dans certains ministères, et à lier les ministères à des fonctions et des rôles bien définis. Il y a une plus grande affirmation des ministères locaux et une sorte de mise en sourdine des ministères charismatiques. On sent que l'attente de la venue du Seigneur se prolongeant, il faut organiser les églises. Les épîtres tardives sont ainsi adressées à des responsables de communautés plutôt qu'à des Eglises, comme il était d'usage précédemment. Les prophètes et les évangélistes itinérants se voient supplanter par les surveillants, les épiscopes et les presbytres. Il semble que l'épiscope ait été un des presbytres qui, dans certains endroits, présidait le conseil presbytéral. Par la suite, il fut désigné par le terme 'évêque' (Tite, 1: 5-7). On assiste donc, dans cette phase tardive du Nouveau Testament, à une accentuation dans le sens d'un renforcement hiérarchique vers le haut. 'Le charisme prophétique est d'abord concentré dans le charisme ministériel du collège presbytéral, ensuite il commence à son tour à se consacrer dans l'épiscopat monarchique' (E. Schillebeeckx, Plaidoyer pour le peuple de Dieu, Cerf, 1987, p. ). Cependant, il est évident que les trois dénominations d'épiscope, de presbytre et de serviteur (diacre) n'avaient pas encore le sens que nous leur attribuons aujourd'hui.

Cependant, il est avéré que, malgré ces changements 'organisationnels', les membres du peuple de Dieu formaient une seule et même communauté, et que les 'surveillants', épiscopes ou presbytres, se considéraient membres de ce même peuple et remplissaient leur rôle pour le service de tous leurs frères. Ainsi, par exemple, la position prééminente de Timothée, fils de Paul dans la foi (1 Tim 1:21), ne change en rien son statut de frère de tous et de collaborateur de Dieu, à l'instar de tous les autres membres de la communauté. 'Jamais ces ministres ne sont présentés pour eux-mêmes, comme si leur existence et leur rôle pouvaient avoir un sens en dehors de leur relation à la communauté, déjà rassemblée ou à fonder' (Jean Rigal, op. cité, p. 61). Il n'y a donc, au sein de la communauté aucune subdivision en deux groupes distincts, à savoir celui des clercs et des laïcslaïcs. 'La reconnaissance d'un ministère ne crée pas une classe à part, elle situe dans une relation fraternelle' (op. cit., p. 61).d.

Les 2ème et 3ème siècles

Ignace d'Antioche et ses contemporains

Nonobstant l'affirmation de Pierre, dans sa première épître, que le 'Christ seul est le pasteur de nos âmes et leur seul évêque' (5: 4), e. Ignace d'Antioche, vers 110, passa de la compréhension traditionnelle des ministères à l'émergence d'un évêque unique, tête d'une pyramide, assisté par un conseil de presbytres et des diacres. Les fidèles doivent lui être soumis ainsi qu'à son conseil (Lettres aux Éphésiens 2: 2 et 1: 4; aux Smyrniotes 8:1 et 12: 2), car il est 'l'homme qui fait l'unité' (Phil 4) et défend la foi et la catholicité de l'Église, face aux persécutions. Il nous faut cependant noter qu'Ignace n'utilise jamais les catégories de 'prêtres' et de 'laïcslaïcs'. Il continue de professer, en parallèle à son système épiscopal monarchique, la notion de sacerdoce royal de l'ensemble du peuple des fidèles. Certains chercheurs se demandent si le système administratif préconisé par Ignace, qui était alors une innovation encore marginale, faite de souhaits et de nuances, était réellement appliqué à Antioche, ou s'il n'était dans son esprit qu'un paradigme à atteindre. On peut cependant affirmer que le système préconisé, bien que n'ayant eu aucune influence sur d'autres églises de son temps, joua par la suite un rôle déterminant.

Les opinions de ses contemporains ou de ceux qui l'ont suivi de peu semblent conforter la seconde hypothèse. Ainsi, son contemporain, Polycarpe de Smyrne (135), ignore ce type d'organisation et continue de distinguer seulement dans les communautés les presbytres et les diacres. Sa lettre d'ailleurs s'adresse à eux, sans mention d'un quelconque épiscope. La Didachè parle d'épiscopes au pluriel, ce qui laisse supposer que ce sont des presbytres. Clément de Rome (vers 96) parle des presbytres de l'Église de Corinthe, sans mentionner aucun évêque qui jouirait des prérogatives indiquées par Ignace d'Antioche. Il en est de même dans toutes les autres Eglises, sauf à Alexandrie où il semble qu'il y ait eu très tôt un seul évêque.

Un peu plus tard, Irénée de Lyon (180) affirme: 'Là ou est l'Église se trouve l'Esprit de Dieu. Et là où se trouve l'Esprit de Dieu se trouve l'Église et toute grâce. L'Esprit est la vérité' (Adv. Ha 3:24). Hyppolyte (vers 220), quant à lui, parle de collège presbytéral à Rome.

Cyprien de Carthage

Ce n'est que près de deux siècles plus tard, que les idées d'Ignace d'Antioche apparaissent de nouveau, avec Cyprien de Carthage (258). Sans adopter la problématique ou le vocabulaire d'Ignace, il insiste sur la centralité de l'évêque, affirmant: 'L'évêque est dans l'Église et l'Église dans l'évêque et si quelqu'un n'est pas avec l'évêque, il n'est pas dans l'Église' (lettre 66: 8, 2).

Il nous faut pourtant préciser que, tout en affirmant la centralité de l'évêque, Cyprien croyait toujours que le peuple de Dieu dans son ensemble garde la foi et assume, avec l'évêque, les presbytres et les diacres, la responsabilité de toute l'Église. 'Depuis mon accession à l'épiscopat, je me suis fait une règle de ne rien décider sans le conseil des presbytres et des diacres et sans le suffrage du peuple' (lettre 14: 4). De son temps, les évêques, accompagnés des confesseurs et de l'ensemble du peuple des fidèles, jugeaient les prêtres défaillants (lettre 16:4). Dans l'affaire du jugement des lapsi (ceux qui avaient renié la foi face aux persécutions), il insiste que toutes les discussions se déroulent en présence 'des évêques, des presbytres, des diacres et de ceux du peuple restés fidèles' (lettre 55: 5). Dans une de ses communications avec l'Église de Rome concernant cette affaire, il affirme plus d'une fois que le peuple a le droit de donner son avis en ce qui concerne le gouvernement de l'Église.

De même, il est intéressant de souligner qu'il enseigne que l'évêque indigne ne peut plus transmettre la grâce des sacrements ainsi que la Parole de Dieu, et a perdu par conséquence son statut, comme s'il n'avait jamais été évêque (lettre 65: 2, 4). Il nous faut aussi mentionner qu'à Carthage, le candidat à l'épiscopat était présenté au peuple rassemblé qui le met à l'épreuve, car il a le pouvoir de choisir ou de refuser l'évêque proposé: 'Il faut préserver en toute minutie à la tradition divine et les agissements apostoliques et ne rien changer à ce que nous faisons chez nous et dans les autres provinces, à savoir qu'il faut, chaque fois qu'il faut introniser un nouvel évêque pour le peuple, que se réunissent les évêques de la province et que l'élection se fasse en présence du peuple qui connaît la vie de chacun des candidats et a expérimenté son comportement' (lettre 67: 5). Cyprien considère ce droit du peuple comme un droit divin et affirme: 'Il ne faut jamais imposer au peuple un évêque qu'il ne veut pas' (lettre 4: 5). Dans une autre lettre, il écrit qu'il faut donner au peuple 'le pouvoir d'élire des évêques dignes et d'exclure les indignes' (67: 3, 2), les 'dignes' pour lui, étant ceux qui jouissent des qualités requises dans le Nouveau Testament.

Glissement vers un épiscopat monarchique

Ce mouvement vers un épiscopat monarchique se faufilera dans l'ensemble des Églises, mais sera lent à se mettre en place. Il ne s'achèvera qu'au début du 4ème siècle. Il reste pourtant des exceptions. Ainsi, Jérôme, au 4ème siècle, continue de considérer l'évêque comme le 'premier des presbytres'. Une fois achevé, ce glissement concentra la plénitude des charismes de l'Esprit, autrefois ouverte dans les communautés primitives à l'ensemble du Peuple de Dieu, en la personne de l'évêque qui 'permet', par une sorte de magnanimité personnelle, à ses diacres et aux prêtres d'y participer, mais la 'refuse' aux autres membres de la communauté. Cette concentration des charismes est apparente dans la prière d'ordination (chirotonie), dans laquelle il est demandé que soit donné à l'évêque l'esprit de gouvernement pour paître le troupeau, celui de prophétie pour veiller à l'évangélisation et proclamer le Bonne Nouvelle, et celui du sacerdoce suprême pout lier et délier, présider l'Eucharistie et intercéder pour le peuple.

Sacerdotalisation du ministère et typologie avec le sacerdoce lévitiquef.

Après la destruction du Temple de Jérusalem en l'an 70 et surtout après la destruction de la ville et l'expulsion de la majorité de ses habitants en 135, un grand nombre de prêtres juifs et de lévites devinrent chrétiens. Ils contribuèrent à institutionnaliser le sacerdoce dans leurs nouvelles communautés, à l'instar de ce qui se faisait dans le judaïsme, le limitant à ceux qui présidaient l'Eucharistie. Nonobstant l'enseignement du Nouveau Testament, qui liait le sacerdoce à toute la communauté, en union avec le prêtre unique, Jésus Christ, avec la volonté de plus en plus affichée d'imiter le sacerdoce lévitique, le rôle de l'évêque fut petit à petit perçu comme celui du grand prêtre juif, titre qui lui fut attribué, du fait qu'il préside l'Eucharistie et y distribue les rôles. Au 3ème siècle apparaît ouvertement un vocabulaire sacerdotal. Ainsi, on entend Tertullien, au début du 3ème siècle, parler de l'évêque comme ' premier prêtre' (Du Baptême, 17: 1). Et Hyppolite de Rome d'affirmer en 220, dans la Tradition Apostolique, que 'Dieu institua des chefs et des prêtres' et que l'évêque jouit du 'souverain sacerdoce ' ( 3 ). A leur suite, Origène et Cyprien en rajoutèrent, Cyprien parlant de ceux qui ont 'l'honneur du divin sacerdoce et se sont engagés dans le devoir de la cléricature' (Lettre I, 1). La Didascalie des Apôtres, texte du 3ème siècle, va jusqu'à dire: ' L'évêque est le Lévite et le prince des prêtres … Les prêtres et les lévites sont maintenant les presbytres, les diacres' (II, 26: 3-8). De plus, la Tradition Apostolique n'hésite pas à lier son sacerdoce au pouvoir de pardonner les péchés: 'Qu'il offre les dons de la sainte Église, qu'il ait en vertu du de l'esprit du souverain sacerdoce le pouvoir de remettre les péchés … qu'il distribue les charges et qu'il délie de tout lien' (3). Ce fut la première fois que la succession apostolique, 'succession de communautés apostoliques', comme l'affirme J. Zizioulas (La continuité apostolique de l'Église et la succession apostolique au cours des cinq premiers siècles, 1995, SOP Document 217. A) fut comprise comme liée à un pouvoir. Tertullien qui admet que cette distinction entre ordre sacerdotal et peuple des fidèles 'a été créé par l'autorité de l'Église' (Exhortation à la chasteté 7, 3), témoigne, par ailleurs, qu'en son temps, cette distinction commençait à se répandre.

'Ce courant de sacerdotalisation ne cessera de s'accentuer durant le 3ème siècle, prenant de la distance par rapport à la conception strictement ministérielle du Nouveau Testament, où les premiers chrétiens avaient voulu marquer que leurs ministres n'étaient pas les analogues des prêtres du judaïsme ou du paganisme, mais qu'il y avait une entière nouveauté avec la venue du Christ et de l'Esprit ... Elle sera consolidée par l'exploitation de la typologie lévitique de l'Ancien Testament. Consacrés à l'autel, les ministres ont droit de bénéficier des offrandes des fidèles, comme les prêtres de l'Ancien Testament' (Jean Rigal, op. cit., p. 71).

Alliée au glissement monarchique de l'épiscopat, la sacerdotalisation effectue, petit à petit, le passage 'd'un peuple de prêtres à un peuple des prêtres' (Alexandre Faivre, Ordonner la fraternité, Cerf, 1992, p. 82). La vision lumineuse de l'Église communion est remplacée, peu à peu, par une image de l'Église, comme une pyramide de 'pouvoirs', où la distinction entre les charismes se durcit en instrument de séparation et d'exclusion. C'est dans ce contexte que les catégories clercs et laïcs se répandirent, comme nous le verrons plus loin.

Quand est-ce que les catégories de 'prêtres' et de 'laïcs' furent-elles couramment utilisées? Se répandirent-elles sans opposition?

a. Clément de Rome

A partir du 3ème siècle avant Jésus Christ, l'expression 'laïc' fut utilisée, dans le langage civique pour distinguer entre le peuple et ceux qui travaillaient dans l'administration publique. Elle fut utilisée pour la première fois dans un contexte religieux dans l'épître de Clément de Rome aux Corinthiens, autour de l'an 96 A. D. Elle apparait dans la partie du texte où il décrit les fonctions relatives au fonctionnement du Temple de Jérusalem (Grand Prêtre, Prêtres et Lévites) et les responsabilités de chacune d'entre elles. Dans ce contexte, et après avoir parlé de chacune de ces fonctions, il ajoute: 'Quant à l'homme laïc, il est régi par les lois laïques'. Par ce rappel des principes d'ordre et de discipline dans les traditions du judaïsme, Il voulait encourager ses lecteurs à respecter, eux aussi, la discipline dans leur communauté, perturbée par les différends opposant des presbytres et des frères critiquant certains de leurs agissements. La plupart des chercheurs sont d'accord pour dire que l'utilisation par Clément de l'expression 'laïc', dans ce contexte, 'ne nous apprend … rien sur l'existence d'un laïcat chrétien à la fin du premier siècle' (A. Faivre, Ordonner la Fraternité, Cerf, p. 184) et qu'elle ne sous-entend aucune distinction réelle au sein des membres de ces communautés.

A part cette unique occurrence il n'existe, jusqu'à la fin du 2ème siècle, aucune évidence de l'existence au sein des communautés chrétiennes d'un groupe particulier qualifié de 'laïcs'. Prévalait encore alors la foi que les membres de ces communautés, étaient des disciples du Christ, ne reconnaissant d'autre maître et seigneur que lui, et jouissant des charismes du même Esprit pour le service de toute la communauté.

b. Justin et les Pères Apologètes

Ainsi, on ne trouve, dans les écrits de Justin le philosophe, entre 135 et 165, ni dans les écrits des autres Pères Apologètes, aucune distinction entre les membres du peuple de Dieu et leurs responsabilités communes au service de la communauté. Justin est fier de son titre de 'chrétien'. Il considère tous les membres de la communauté comme des 'frères', des 'disciples' ou de 'remplis de lumière'(Dialogues 17:1). Il affirme que l'Église 'regroupe des gens qui sont tous un' (Dialogues 4: 2). Pour lui, Dieu a donné 'la même dignité à ceux qui accomplissent ses commandements' (Dialogues 134: 3). Il confirme sa conception du sacerdoce royal en écrivant que le Seigneur nous a commandé 'de célébrer, nous qui formons une nation sacerdotale par excellence, le service du pain eucharistique' (Dialogues 116). Parlant de la réunion eucharistique, il mentionne 'celui qui préside', 'les diacres' et 'celui qui lit'. Il n'attache pas un intérêt particulier à la fonction du 'président'. Ce rôle devait probablement échoir à l'un des 'anciens' ou 'presbytres'. Il dit cependant qu'il est responsable de la distribution de l'aide aux pauvres. Il nous apparait donc que la communauté de Justin, semble adopter, un demi siècle plus tard, le mode de vie des communautés du Nouveau Testament.

c. Les persécutions et les martyrs

Les Actes des martyrs montrent que les fidèles ont affronté les persécutions romaines dans une totale unité, comme un seul corps, tous se prévalant de ne pas se reconnaître d'autre 'titre que celui de chrétien, car il n'y en a point d'aussi beau et d'aussi grand' (Actes de Carpos, 34).

d. Irénée de Lyon

Irénée, vers l'an 180, nomme tous les chrétiens 'frères', 'disciples' ou 'prêtres missionnaires'. Il ajoute que 'tous les disciples du Seigneur sont prêtres' (Contre les Hérésies, 33: 4), que tous 'célèbrent l'offrande' (17: 5) et qu'ils sont tous et toujours 'au service de Dieu et de l'autel' (4:8, 3). On ne trouve chez lui aucune séparation au sein du peuple de Dieu. Il a certes mentionné les presbytres, dont il était, témoignant de la dignité de leur vie et de leurs comportements. Il affirme, qu'en tant que 'collège presbytéral', ils assurent la succession apostolique et qu'ils ont le charisme de préserver la vérité. Les fidèles se doivent être d'accord avec eux. Dans la lettre d'introduction, envoyée par son Église à l'Église de Rome qu'il se proposait de visiter, il est écrit: 'Si nous pensions que sa fonction parmi nous en faisait d'office quelqu'un d'honorable, nous aurions commencé par dire qu'il est un de nos presbytres, ce qu'il est en effet' (2:4). Cette dernière remarque nous fait toucher du doigt que, plus de cent ans après l'apôtre Paul, la communauté de Lyon vivait encore comme les premières communautés et se comportaient comme elles.

e. Changements au 3ème siècle

Les catégories de 'prêtres' et de 'laïcs' ne furent donc jamais utilisées pour les opposer avant le 3ème siècle. Nous notons, par la suite, un début d'utilisation de ces expressions et leur application progressive à des réalités se rapprochant de celles comprises de nos jours. Cependant, cette utilisation ne se passa pas sans objections. Nous nous limiterons à parler de celles de Tertullien, Clément d'Alexandrie et Origène, tout en rappelant le témoignage d'autres textes écrits à cette époque, tels 'La Tradition Apostolique' (tout début du 3ème siècle) et la 'Didascalie' (vers 230).

Tertullien

Tertullien utilise ces termes, étant convaincu qu'ils décrivaient toutefois une réalité temporaire. Dans sa défense acharnée de la foi apostolique, ce 'maître' comme l'appelait Cyprien de Carthage, n'hésite pas à dire aux 'laïcs': 'Là où ne siège pas l'ordre ecclésiastique, toi laic, tu offres (l'Eucharistie) et tu baptises, autrement dit, là où il y a deux ou trois il y a l'Église, même si ce sont des laïcslaïcs' (Exhortation à la chasteté, 7: 3). En ces termes, et un siècle après lui, il se place en opposition résolue à Ignace d'Antioche, qui avait dit qu'il 'n'est pas permis de célébrer le Baptême ou l'Eucharistie hors de la présence de l'évêque' (lettre aux Smyrniotes, 8: 1-2). Il réaffirme sa foi dans le sacerdoce royal de tous les fidèles, proclamant: 'Même laïcs, ne sommes-nous pas prêtres?' (Exhortation à la chasteté, 7, 2-6). 'Dans son écrit sur le Baptême, Tertullien demande cependant aux laïcs de se 'comporter en toute réserve et discrétion … pour ne pas s'arroger le ministère de l'évêque', et affirme que 'la rivalité pour l'épiscopat est la mère de toutes les dissensions' (17, 1). D'autre part, il lui arrive d'interpelle l'évêque, disant: 'Tu dis que l'Église a le pouvoir de pardonner les péchés. Je suis tout à fait d'accord avec toi. Mais, je te demande de quel droit tu as fait main basse sur le pouvoir de l'Église' (De l'humilité 21: 7-17). Les paroles attribuées à Jésus, dans l'Apocalypse: 'faisant de nous le royaume et les prêtres de Dieu son Père' (1: 6), l'amènent à dire que 'tout ce qui est permis aux prêtres l'est aux laïcs également' (Exhortation à la chasteté 7). Il est avéré, qu'à la fin de sa vie, Tertullien se joignit à la secte des Montanistes qui, au milieu de quelques dérives doctrinales, voulait incarner la seule vraie Église du Saint Esprit, donnant libre cours aux inspirations prophétiques de ses membres et voulant s'opposer à l'accaparation des charismes de l'Esprit par le ministère sacerdotal. Alors, Tertullien opposera 'l'Église de l'Esprit' à une Église 'collection d'évêques'.

Clément d'Alexandrie

Clément, presbytre de l'Église d'Alexandrie, qui remplaça le fameux maître Panthène à la tête de 'l'école' d'Alexandrie, n'a mentionné le terme 'laic' qu'une seule fois, dans le sens de chrétien n'ayant pas accédé au presbytérat. Chez lui, le presbytérat est équivalent à l'épiscopat, ou au diaconat. Il considère aussi que les laïcslaïcs n'ayant qu'une seule femme peuvent accéder au sacerdoce ministériel (Stromates 3: 12, 90), introduisant en cela une distinction entre les élus, dont certains seraient 'plus élus que d'autres' (Quel riche sera sauvé? 36). Quant au comportement des presbytres, il dit: 'Nous les considérons dignes, non point parce qu'ils ont été consacrés presbytres, mais parce que leur dignité leur a permis d'accéder au presbytérat' (Stromates 13/ 106).

Origène

Quant à Origène, le plus brillant des didascales chrétiens, il distingue entre 'l'Église que nous voyons et l'Église sans souillure' (Sermon sur 1 Cor, 1). Il montre son agacement et sa tristesse devant ce qu'il voit, disant: 'Il n'y a plus de vrais croyants de nos jours. Il y en avait dans le passé. Ils marchaient sur la voie étroite conduisant à la vie. Maintenant, les croyants sont nombreux, mais rares sont ceux qui méritent l'élection divine et la béatitude' (Sermon sur Jérémie 4: 3). Il n'hésite pas à affirmer que 'tout homme peut célébrer le service eucharistique devant le peuple. Mais rares sont ceux qui sont saints dans leurs comportements, fermes dans leur doctrine, préparés à l'acquisition de la sagesse et capables de proclamer la vérité de toutes choses et d'enseigner la foi' (Sermon sue le Lévitique 6: 6). Dans une critique indirecte des évêques, il dit encore: 'Que me sert d'être le premier sur le trône si je ne peux faire ce que requiert mon statut' (Sermon sur Ézéchiel 5: 4). De plus, il affirme à plusieurs reprises que tous les laïcslaïcs, en union avec les évêques, les presbytres et les diacres, concélèbrent l'Eucharistie (Discussion avec Héraclide 4: 22, 5). Il ne donne aucune importance aux titres et postes cléricaux sur cette terre, enseignant que tout le monde est appelé à la perfection qui trouve son sommet seulement dans le sacerdoce céleste, affirmant en cela que chacun pouvait retrouver sa fonction sacerdotale, dans le temps eschatologique. Il faut rappeler que, malgré sa grande érudition et son prestige de didascale, il ne fut pas, durant de nombreuses années, membre du sacerdoce ministériel, ce qui lui valut bien des déboires dans une Eglise qui commençait à s'institutionnaliser. Ainsi, quand l'évêque de Jérusalem Alexandre le convia à venir prêcher chez lui, l'évêque d'Alexandrie Démétrios en prit ombrage, objectant qu'il n'était pas permis à un laiclaïc de prêcher devant des évêques. Cela lui valut une réponse d'Alexandre affirmant qu'il était de coutume que des laïcslaïcs compétents prêchent pour 'aider les frères, et que de nombreux évêques leur demandent de le faire' (Eusèbe de Césarée, L'histoire ecclésiastique, 6: 19 et 17-18). Cette anecdote montre qu'au temps d'Origène, les laïcs compétents enseignaient et prêchaient dans les églises, devant le peuple et en présence d'évêques, comme il était de coutume de la faire. Mais, elle montre aussi que de nouvelles tendances commençaient à poindre. Du temps d'Origène, de nombreuses Églises se comportaient comme les premières communautés chrétiennes, considérant que leur premier devoir de tous leurs membres était de transmettre la Parole de Dieu.

La Tradition Apostolique

Ce texte, écrit probablement aux débuts du 3ème siècle, est le premier qui définit formellement les trois degrés du sacerdoce ministériel: évêque, prêtre, diacre. On y lit que la consécration à ces ordres (la chirotonie) se fait par l'imposition des mains, et que l'évêque doit être élu par le peuple.

A côté de ces trois degrés sacerdotaux, le texte montre que la communauté dans laquelle il a été écrit, avait un 'ordre' spécial pour les veuves. Il leur était demandé de prier nuit et jour, de servir les malades et de se prêter à beaucoup de jeûnes. La limitation aux veuves de ces demandes, qui concernaient autrefois tous les membres de la communauté, laisse entrevoir une régression dans la vie de cette communauté.

Ce texte parle aussi du ministère des docteurs, des lecteurs et de ceux qui s'occupent des catéchumènes. Il précise que tous les fidèles compétents, indifféremment prêtres ou laïcs, peuvent exercer ces ministères. On y lit, par exemple: 'Que celui qui enseigne, prêtre ou laic, impose les mains aux catéchumènes, avant leur renvoi' (19). Là encore, on se rend compte à l'évidence que le ministère d'enseignement pouvait concerner tous les membres de la communauté.

La Didascalie

Ecrit quelques dizaines d'années après 'La Tradition Apostolique', ce texte montre bien les brands changements qui se sont produits depuis. Bien qu'il affirme que les laïcs font partie de 'l'Église catholique, de l'Église sainte …. fiancée du Seigneur Dieu' (2: 26), il leur demande de se soumettre en toutes choses à l'évêque et de le vénérer: 'Aimez comme un père, craignez-le comme un roi, honorez-le comme Dieu' (2: 34, 5). Ce changement radical montre la rapidité avec laquelle le glissement se poursuivait. Les laïcs se doivent, écrit ce texte, d'assurer 'la subsistance du clergé' (2: 26), se devant 'de seulement donner, l'évêque ayant latitude totale de disposer de leurs dons' (2: 35). On y lit encore d'autres 'aberrations' étrangères à l'esprit évangélique, telles: 'La force du laic est de l'ordre des biens de ce monde' (2: 36). Tout rôle, autre que matériel, lui est dénié dans la vie de l'Église.

Ce texte confirme la présence des trois ordres sacerdotaux, auxquels il ajoute celui des diaconesses (3: 12). Quant à l'évêque, il le considère comme 'un médiateur entre Dieu et les hommes' (2: 3, 35). Il lui demande 'd'aimer les laïcs comme des enfants, œuvrant à les couver de son amour, comme la poule couve ses œufs avant qu'en sortent les poussins' (2: 20, 2). Cette infantilisation des laïcs se poursuit dans sa demande aux évêques 'de ne pas être durs avec eux, de ne pas les juger rapidement, de ne pas être sans pitié avec eux, et de ne pas mépriser le peuple qui est entre leurs mains' (2: 21). Aussi, il les adjure 'de ne pas être arrogants ou hautains avec eux' (2: 24, 2), et d'éviter d'être violents, ce qui laisse supposer qu'il en était parfois ainsi. Mais, aussi de ne pas écouter les laïcs, encore moins leur obéir: 'Il ne te convient pas, ô évêque, puisque tu es la tête d'obéir o la queue, c'est-à-dire au séculier' (2, 14, 12). Ce document canonico-liturgique, qui eut grande influence par la suite, a beaucoup contribué à créer dénaturer la nature des relations au sein du Peuple de Dieu, et à introduire dans l'Église une sorte d'esprit de 'classes'. L'Église en a beaucoup souffert et continue d'en souffrir de nos jours.

Confirmation du changement: les 4ème et 5ème siècles

Le christianisme, religion d'état et ses conséquences

Avec la reconnaissance du christianisme comme religion d'état après Constantin et surtout lors du règne de Théodose, le système administratif civil se faufila à l'intérieur de l'Église, donnant aux prêtres les nombreuses prérogatives des fonctionnaires de l'Etat. Ces prérogatives nouvelles eurent pour effet d'accentuer la différence de statut avec les laïcs. A part celui de continuer à assurer la subsistance du clergé, leur rôle au sein de l'Église en fut encore diminué. Ce nouveau glissement fut accompagné d'un surcroît de sacralisation des clercs. Ils devinrent comme un passage obligé des laïcs pour accéder au salut et leurs médiateurs avec la divinité. De nombreux évêques s'opposèrent à ces nouveaux glissements, refusant de se substituer au Seigneur Jésus, seul médiateur entre Dieu et les hommes. Par exemple, Augustin n'hésite pas à dire, dans son 32ème sermon: 'Si ce que je suis pour vous m'épouvante, ce que je suis avec vous me rassure. Pour vous, je suis l'évêque. Avec vous, je suis un chrétien. Evêque, c'est le titre d'une charge qu'on assume. Chrétien, c'est le nom de la grâce qu'on reçoit. Nous évêques, nous sommes vos serviteurs et vos compagnons … Nous sommes à la fois des supérieurs et des subordonnés. Nous marchons en tête seulement si nous contribuons à votre bien … Si l'évêque ne remplit pas cela, il n'est pas évêque. Il en porte seulement le nom' (cité dans J. Rigal, op. cté. p. 76). Ces paroles confirment que celui qui veut vraiment vivre de la foi apostolique, peut se libérer des circonstances et des contingences du moment, pour vivre libre dans l'Esprit.

Les prérogatives données par l'Etat aux clercs encouragèrent un grand nombre à vouloir intégrer leurs rangs, toutefois sans toujours une préparation suffisante ou de généreuses motivations. De plus, la christianisation de l'Empire s'accompagna d'un accroissement sans précédent du nombre des chrétiens, souvent à la va-vite, sans passer nécessairement par la longue préparation du catéchuménat. Sociologiquement, l'Église changea de visage. Confrontée au manque de préparation de ses adhérents et de ses cadres, sans attention suffisante à leurs charismes personnels, elle se voit obligée d'insister davantage sur l'obéissance et la discipline pour assurer un minimum de contrôle. Ce faisant, elle se distance encore plus de la vie de communion, de liberté et d'égalité dans l'Esprit, qui est censée être la sienne. Conscients de cet état de choses, de grands évêques, tels un Jean Chrysostome, passent de longues heures à exhorter les fidèles pour pallier à leur manque de préparation antérieure. Basile le Grand demande aux chorévèques de ne lui proposer pour le sacerdoce que des candidats qualifiés, (lettre 104, canon 89).

L'augmentation du nombre des clercs et leur éparpillement dans de nombreux villages autour de la métropole rendit leur participation au collège presbytéral autour de l'évêque pratiquement impossible, ce qui encouragea les évêques à l'exercice solitaire du pouvoir, augmentant les tendances monarchiques et réduisant le rôle du prêtre à la célébration de l'Eucharistie, les charismes, 'prophétique' d'enseignement et 'royal' de gouvernement, devenant l'apanage exclusif de l'évêque. Ce qui dans le Nouveau Testament est une diaconie ministérielle, un service, un amour attentif, s'exprime dorénavant souvent en termes de pouvoir. Ceux-ci étant assurés par les clercs, les laïcslaïcs tendant à se désengager du service ecclésial et de la mission. Ce qu'exprima ouvertement le cardinal Humbertus, au début du 12ème siècle en disant que 'le devoir des laïcs est de veiller seulement à leurs propres affaires … et celui des clercs est de veiller aux choses de l'Église', commença à devenir la règle. De plus en plus, le clergé fut caractérisé 'par référence personnelle et verticale au Christ, sans référence à la communauté' (Y. Congar, Dieu, Église, société, Centurion, 1985, p. 293).

La tendance à cette sacralisation exclusive du sacerdoce s'en alla grandissant, jusqu'à atteindre des sommets étrangers à l'esprit évangélique, ainsi qu'il apparaît dans cette affirmation de l'évêque Narsaï de Nisibe, dans un de ses sermons: ' Tous les sacrements de l'Église sont au pouvoir du prêtre … Sans lui, personne ne peut se marier, l'eau ne peut être sanctifiée, ni les maisons purifiées … Quel que soit le degré de piété ou de pureté de ceux qui n'ont pas été ordonnés, ils ne peuvent célébrer l'Eucharistie. Quant au prêtre, même pécheur, il peut faire descendre l'Esprit. D'autres que lui ne le peuvent' ( cité dans E. Schillebeecksc, op. cit., p. 173 ). Cette chosification de la grâce et de sa gratuité, cette absence de vision de la vie de communion au sein du Peuple de Dieu, marqua, durant des siècles, l'histoire chrétienne. Nous sommes bien loin des affirmations d'un Jean Chrysostome que: 'nous sommes tous ensemble frères du Christ et tout nous est commun' (Homélie 4 sur la deuxième épître à Timothée), et malheureusement assez proches de ce qu'on entend parfois, ici ou là, de nos jours.

Cet état de choses se traduisit bientôt dans la législation ecclésiale. Le 4ème concile œcuménique de Chalcédoine qualifie les laïcslaïcs de 'chrétiens de ce monde'. Le 5ème leur interdit de 'parler publiquement des choses de la doctrine et d'enseigner' (canon 64). Même de grands Pères de l'Eglise, tel un Grégoire de Nysse, sont allés jusqu'à dire: 'Certains (les prêtres) enseignent, et certains (les laïcs) s'instruisent. Pourquoi veux-tu être une tête quand tu es un des pieds?'. Un peu plus tard, au 5ème siècle, Théodoret de Cyr en rajoute: 'le laic n'a qu'à dire Amen en réponse à ce que proclament ceux qui président l'Eucharistie' (commentaire sur la première épître aux Corinthiens, 14).

L'Esprit est à l'œuvre pour responsabiliser les laïcs

Mais l'Eglise n'étant pas seulement aux mains des hommes, l'Esprit en elle assura la participation active de tous les fidèles, leur donnant de se sentir responsables de tout ce qui se la concerne.

Il faut, tout d'abord, souligner qu'une telle séparation entre clergé et laïcs, malgré les pratiques désolantes, n'a jamais été un dogme de l'Église orthodoxe, et reste étrangère à la théologie orthodoxe du sacerdoce. La conscience du sacerdoce royal de tous les baptisés, transmise dans le Nouveau Testament, et confirmée par les rites d'initiation et les prières eucharistiques, ainsi que toute la vie liturgique (cycle liturgique, les grandes fêtes et les nombreuses prières de purification et d'intercession) ont continué à marquer la vie des laïcs et leurs coutumes. Le fait de voir leur évêque s'asseoir au milieu d'eux, à chaque liturgie, se vêtir de ses habits liturgiques devant eux, faisait grandir en eux le sentiment de faire partie d'un seul corps qui se manifeste dans l'Eucharistie, et les encourageaient à se consacrer au service de l'Église et à sa mission de transmission de la Parole de Dieu. De là, le grand nombre de théologiens, de missionnaires et d'enseignants, tout au long de l'histoire de l'Église. De là aussi la conviction, surtout en Orient, que tout le Peuple de Dieu, clercs et laïcs ensemble, avait mission de garder la foi de l'Église, comme l'ont affirmé les patriarches orthodoxes, dans leur lettre au Pape de Rome, au 19ème siècle.

Il n'en reste pas moins que certains saints hiérarques, bien qu'affirmant, avec raison, le 'sacerdoce ministériel', continuent de mettre en valeur le sacerdoce des fidèles, et par leur comportement, plein d'amour et de sollicitude paternelle, confortaient leur sentiment d'appartenance, et ce malgré des affirmations tonitruantes d'évêques totalement acquis à un strict institutionnalisme ecclésial. Citons, de nouveau, Augustin, commentant le verset de l'Apocalypse: 'Ils seront prêtres de Dieu et du Christ' (20: 6), précise: 'Ceci n'est certainement pas dit des seuls évêques et des prêtres qui sont spécialement appelés clercs de nos jours, mais comme nous appelons tous les fidèles chrétiens à cause du Chrême mystique, nous les appelons tous de même prêtres, parce qu'ils sont membres du prêtre unique. C'est d'eux que l'Apôtre Pierre dit: 'Peuple saint, sacerdoce royal' (La Cité de Dieu, L 20, c. 10, cité par J. Rigal, op. cit. p. 73).

Les laïcs se sont ainsi toujours intéressés à l'énoncé des dogmes et ont été partie prenante dans les controverses dogmatiques, comme le note Grégoire de Nysse qui, durant la crise arienne, assure avec une certaine dérision qu'il ne pouvait 'aller chez le savetier ou le boucher ou encore aux bains, sans entendre parler de la génération éternelle du Fils' (Sermon dogmatique sur la divinité du Fils et du Saint-Esprit). Pourtant, les cultivés parmi les laics ont souvent aidé à clarifier les articles de foi et à les défendre. Le prouvent les profondes réponses, dans les correspondances de Basile le Grand, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Augustin et bien d'autres, aux questions soulevées par certains d'entre eux.

De nombreux laïcs croyants, ayant assumé des fonctions importantes au niveau de l'Etat, ont joué un rôle primordial en vue de plus de justice sociale et de défense des opprimés. Une symbiose s'effectuait entre eux et de grands évêques pour atteindre ces buts, comme il apparaît, par exemple, dans les lettres de Basile le Grand.

Un rôle d'importance fut aussi joué par les marchands et les captifs chrétiens dans l'évangélisation des peuplades où les menait la poursuite des leurs affaires ou leur lieu d'incarcération. D'ailleurs, plusieurs d'entre finirent par devenir les évêques de ces Églises qu'ils avaient aidé à fonder.

Un autre domaine de l'action ecclésiale des laïcs fut leur rôle dans la préparation des catéchumènes. Chaque catéchumène avait un chrétien laiclaïc pour le parrainer et l'initier à la vie et à l'enseignement de l'Église. En fait, il jouait envers lui le rôle d'un père spirituel, dans l'attente de son Baptême. Les textes anciens indiquent que chaque catéchumène mâle devait être parrainé par un 'père', et la femme par 'une mère'. Avec l'augmentation des baptêmes des enfants (en opposition à celui des adultes), l'habitude de nommer un parrain laiclaïc pour tout enfant baptisé perdura, le parrain étant alors censé suivre l'évolution de l'enfant et veiller à son instruction ecclésiale.

'Les Constitutions Apostoliques', écrit de la fin du 4ème siècle, parle des pratiques liturgiques du milieu où il fut composé. Il est intéressant d'y noter, qu'en plus côté des trois degrés sacerdotaux habituels (évêque, prêtre, diacre), il mentionne ceux des diaconesses, des 'sous-diacres' et des lecteurs qu'il classe parmi les ministères 'consacrés' (8: 19-22).

Malgré les glissements successifs vers la cléricalisation et l'institutionnalisme dans l'Église, il apparaît que les laïcs ont su conserver, sur le plan individuel un rôle plus ou moins important au service de l'Église, et se sont toujours considérés membres de plein droit de son Corps, la pratique des mystères les ancrant toujours davantage dans la vie du Corps.


Mouvements de remise en question

Cependant, ces glissements, critiqués par les chrétiens du 2ème et 3ème siècles, se trouvèrent sérieusement remis en question, de temps en temps, par des mouvements plus organisés, qui étaient autant de petites 'révolutions' appelant au retour aux pratiques apostoliques.

Le monachisme, mouvement laïc

La première de ces remises en question apparaît avec le monachisme, aux débuts du 4ème siècle. Le monachisme est en fait, à l'origine, un mouvement de laïcs qui voulaient retrouver les dimensions de communion charismatique des premières communautés chrétiennes qu'il devenait difficile d'incarner, à l'ombre des dérives institutionnelles divisant le Peuple de Dieu en catégories distinctes. A moins d’être ordonnés, les moines sont toujours des laïcslaïcs, bien qu'on les considère d'habitude comme des 'religieux'. De toutes façons, le but premier des moines reste de former des communautés à l'image des groupes apostoliques, ou 'tout était commun' entre les frères. L'influence des grands moines, souvent des laïcs, dans l'histoire de l'Église, fut souvent primordiale et a maintenu vivants, face aux glissements contraires, le maximalisme chrétien et la tradition charismatique et prophétique de l’Eglise.

Remise en question par leLes grands spirituels

Basile le Grand

De grands Pères de l'Église se sont élevés aussi contre la marginalisation du rôle des laïcs et les ont encouragé à prendre conscience de leurs charismes et à les mettre de nouveau au service de l'Église. Parmi ceux-là, nous nous limiterons à parler de Basile le Grand. Etant encore moine, il écrivit ce qui fut considéré plus tard comme la première règle monastique, mais qui était, dans son esprit, une règle pour tout 'chrétien convaincu', sans distinction entre moine, laïc ou clerc. Comme l'ont établi les spécialistes de son œuvre, Basile n'avait pas l'intention alors d'établir un nouveau monastère, mais plutôt de convier les croyants qui le voulaient à vivre une vie chrétienne conforme à l'Évangile. Plus tard, devenu évêque, il veilla à ce que les groupes charismatiques ainsi constitués ne se dissolvent pas dans les paroisses, mais conservent leur spécificité pour devenir un levain parmi tous les membres de l'Église. Il écrivit alors son 'petit astérikon' qui invite des chrétiens laïcs à s'engager dans une vie communautaire, et à former des communautés, à mi-chemin entre ceux qui vivent au 'désert' (les moines) et ceux qui vivent dans la 'ville' (les autres laïcs). A part la vie commune et la mise en commun, il leur assigna de travailler dans l'Église locale dans le service social et hospitalier, et celui des pauvres. En fait, il préconisait avant l'heure, une sorte de vie laïque de 'moines dans la ville' se mettant totalement au service de leurs frères.


Photios le Grand

L'histoire est remplie de laïcs ayant rendu à l'Église des services d'importance, tant dans le domaine de l'enseignement, que celui de la culture ou de la vie spirituelle. Certains d'entre eux devinrent, par la suite, prêtres ou moines. D'autres gardèrent leur statut de laïcs. Donnons-en quelques exemples. L'un d'entre eux est Photios le Grand, ce fin lettré et grand serviteur de l'Etat, qui gravit, au 9ème siècle, en l'espace de quelques jours, tous les échelons du sacerdoce, pour finir patriarche de Constantinople, à une époque où l'Église avait grand besoin de gens comme lui, et qu’elle semblait n’avoir pas trouvé parmi les clercs.

Siméon le Nouveau Théologien

Mentionnons encore Syméon le Nouveau Théologien (949-1022), qui rappela avec force la dignité apostolique de tous les chrétiens et la priorité à donner à la voix prophétique dans l'Église. Il conviait sans cesse tous les membres de l'Église, moines, prêtres et laïcs, à expérimenter véritablement la vie de la foi et d’y conformer leur comportement sans compromission aucune. Il était homme de confiance d'un des grands de son époque. Son travail l’amenait à aller quotidiennement au palais impérial. Mais le soir, il s'isolait, brûlant d'amour pour Dieu et les frères et priait d'un cœur ardent la 'prière de Jésus'. Il a près de trente ans quand il devient, en 977, membre du Sénat. C’est alors qu’il décida de se faire moine. Il enseignait que l'amour était 'le maître des prophètes, le compagnon des Apôtres, la force des martyrs, la source d'inspiration des Pères et des Docteurs, et la plénitude des saints'. Discerner les charismes de l'Esprit devait être au cœur du message de l'Eglise, qui doit toujours être en tension vers la vie des communautés chrétiennes primitives. 'Le baptême de l'eau, disait-il, ne s'accomplit pas sans une nouvelle naissance dans l'Esprit'. Il entra en un conflit ouvert avec les évêques dont il critiquait certains de ne pas avoir 'ouvert les portes du repentir'. Il disputa leur autorité, car à son avis, la vraie autorité est l'apanage exclusif des spirituels qui témoignent par leur vie, quel que soit leur statut ecclésial. La grâce des sacrements, disait-il, acquise par le canal de la succession apostolique représentée par l'épiscopat, donnait jour à des personnes ‘apostoliques’ jouissant du charisme de prophétie, qui renouvellent l'Église de l'intérieur, et l'empêchent de s'enliser dans la médiocrité de certains de ceux qui la dirigent. Malgré son enseignement, taxé par beaucoup d'offensif, mais peut-être aussi à cause de lui et de sa profonde expérience mystique, L'Église proclama la sainteté de Syméon, cinquante ans seulement après son décès, et lui donna le titre de théologien, dont elle a toujours usé avec parcimonie. En ce faisant, elle se reconnait dans les thèses qu'il défendait et exprime comme une nostalgie de ses sources premières.

Le Mont Athos

Dans ce contexte, le monachisme athonite, depuis son établissement à la fin du 11ème siècle, ne cesse de remplir un rôle privilégié dans la vie de l'Église orthodoxe, par son insistance sur la vie commune, la prière permanente et la conformité à l'Évangile, comme voies royales vers la sainteté. Il va de soi que la plupart des moines de l'Athos sont des laïcs, et que certains d'entre eux, indifféremment prêtres ou laïcs, sont des 'gérontes', des 'anciens' jouissant du charisme de la vraie paternité spirituelle, tellement galvaudée, par ailleurs, par ceux qui s’érigent rapidement comme tels.

Les Starets

Du même cru, les starets, souvent des laïcs, ont joué un rôle primordial dans les pays slaves, en particulier en Russie. Surtout aux temps de troubles et de persécutions, ils ont été des phares éclairant tous les membres de l'Église, prêtres autant que laïcs.

La Philocalie

Venue de l'Athos et des Pères anciens, la Philocalie, ce recueil de textes 'hésychastes' autour de la 'prière de Jésus', a eu une influence déterminante sur l'évolution spirituelle de tous les membres de l'Église, même les plus simples des laïcs, comme en témoignent les récits du 'pèlerin russe'.

Hommes de science et de culture

Le rôle joué par de grands savants, romanciers ou hommes de lettres chrétiens, la plupart des laïcs, a contribué à transmettre la foi et évangéliser la science et la culture. Dans les temps anciens, un de ceux-là Psellos, qui a vécu au 11ème siècle, avait une telle conscience de sa dignité de chrétien, qu’il se permit de dire, un jour, au Patriarche: 'Moi aussi, j'ai un trône en rien moins important que le tien'. Zonaras, un des plus grands canonistes orthodoxes, qualifié de 'maître des canons', est resté, sa vie durant, un laïc, et n’est devenu moine que dans sa vieillesse. Plus près de nous, Dostoïevski et Soljenitsyne, pour ne mentionner qu'eux, ont baptisé réellement la culture de leurs pays, et contribué à faire parvenir la foi chrétienne au plus grand nombre.

Les 'fols en Christ'

Les fols en Christ représentent un autre aspect du témoignage des laïcs qui mérite un détour. Ayant vu le jour au 6ème siècle (Syméon Salos, par exemple) en Syrie, ce genre particulier de spiritualité se perpétua à Constantinople (André le fol, au 11ème siècle), puis se répandit en d'autres endroits et dans les pays slaves, surtout en Russie. La plupart de ces 'fols en Christ' étaient des laïcs qui, , à travers leur comportement inhabituel, essayaient de critiquer les aspects institutionnels au sein de l'Église et de l'Etat qui ,souvent, distraient de l'essentiel, et occultent la 'meilleure part' de l'Évangile, manifestée dans l'amour, l'humilité et la fraternité.

Les missionnaires

L'élan missionnaire de l'Église continua d’être soutenu par des laïcs toujours soucieux de transmettre la bonne Nouvelle. Il serait fastidieux de les mentionner tous, à travers les âges. Contentons-nous de dire que le laïc, Méthode, a évangélisé avec son frère le moine Cyrille, au 9ème siècle, les slaves. De même, les missionnaires qui ont fondé les missions russes en Asie, au 19ème siècle, comptaient parmi eux un certain nombre de laïcs, ainsi que ceux qui travaillent de nos jours dans les missions africaines.

Parmi les théologiens anciens: Nicolas Cabasilas

Nous avons déjà dit que beaucoup de théologiens orthodoxes sont des laïcs. Une place spéciale doit être réservée à Nicolas Cabasilas. Aristocrate et homme d'Etat du 14ème siècle, il nous a laissé un des plus importants ouvrages sur la Liturgie (Explication de la Divine Liturgie) et les sacrements (La vie en Christ), qui continuent de nos jours d'être des livres de grande inspiration.

Parmi les théologiens modernes et les contemporains

Mentionnons les nombreux professeurs des Académies théologiques russes, qui à la veille de la révolution, ont contribué, à côté de grands hiérarques, à lancer l'aggiornamento de leur Église, cinquante ans avant que d'autres Églises songent à lancer le leur. Entre autres choses d'importance, ils ont décidé de revenir aux pratiques anciennes, stipulant que les conciles généraux de leur Église ne soient pas composés seulement d'évêques, mais soient ouverts à des représentants qualifiés des prêtres, des moines et des laïcs. Mentionnons aussi les grands théologiens grecs et russes, surtout laïcs, qui, au cours du 20ème siècle, se sont attelés à faire sortir la pensée de l'Église orthodoxe, de 'l'exil de Babylone', dans lequel elle s’était débattue des siècles durant. Parmi les théologiens laïcs grecs, citons Panayotis Nellas, Nikos Nissiotis, Photis Kontouglou, Christo Yannaras et bien d'autres. Parmi les russes et d’autres nationalités, citons Vladimir Lossky, Paul Evdokimov, Georges Fédotov, Léonide Ouspensky, Olivier Clément et de nombreux autres.

Les confesseurs

Le sens d'un ministère et d'une responsabilité commune partagée s'est manifestée de façon éclatante par les nouveaux martyrs de l'Eglise orthodoxe, durant les persécutions des temps modernes, en Grèce, en Russie et dans les pays de l'Europe de l'Est. Surpassant parfois en ferveur les martyrs des premiers siècles, ces nouveaux confesseurs, indifféremment prêtres et laïcs, étaient conscients de représenter toute l'Église, et souvent heureux de donner leur sang pour Celui qui les appellent à la 'gloire des fils de Dieu'.

Les remises en question populaires et réformistes

De plus, à plusieurs reprises dans l'histoire orthodoxe, se sont constituées des organisations et des fraternités, composées essentiellement de laïcs, poussées par un mystérieux élan de l'Esprit, furent amenées à s'associer, se donnant pour mission de poursuivre des objectifs déterminés de charité, de sainteté, de mission ou de renouveau charismatique, et répondre ainsi aux besoins particuliers de l'Église de leur époque.

Les dérives hérétiques

Certaines de ces organisations se sont fourvoyées dans une recherche intempestive de la démocratie au sein du peuple de Dieu, usant des procédés de ce monde, et ont fini par se situer en marge de l'Église, rejetant toute notion d'épiscopat en elle, ce qui est irrecevable, car en contradiction avec la tradition apostolique. Le mouvement bogomile répandu, à partir de la Bulgarie au 11ème siècle, et celui des zélotes en Grèce, en font partie.

La Réforme protestante

La Réforme fut tout d'abord un mouvement de renouveau spirituel et d'opposition à l'état de déchéance dans lequel se trouvait l'Église de Rome, par ses alliances avec le pouvoir temporel, l’autocratie du clergé, l'ignorance du peuple et la déchéance des mœurs. A ses débuts, ce mouvement voulait retrouver les pratiques de l'Église primitive et la vie en communion de tous les membres du Peuple de Dieu. Aurait-il pu frayer alors avec l’Orthodoxie, la face du monde chrétien en aurait peut-être changé.

Les fraternités orthodoxes

Ces fraternités, apparues dans divers pays orthodoxes, à divers moments de l'histoire, étaient formées essentiellement de laïcs. Ayant retrouvé l’importance de leur rôle dans l'Église ils œuvrèrent à son renouveau, dans des périodes de crise ou de décadence. Parmi elles, celle qui apparut au 16ème siècle en Ukraine pour protester contre l'épiscopat dont la majorité des membres s'étaient unis à Rome, qui réussit à défendre la foi orthodoxe, en faisant un grand travail d'édition et en appelant les fidèles à un réveil spirituel d'envergure.

De même, fut fondée en 1907 en Grèce, la fraternité de théologiens Zoe pour appeler au renouveau dans l'Église. De nombreux mouvements de jeunesse, d'ouvriers, de scientifiques, de professeurs et de maîtres d'école, hommes et femmes, ne tardèrent pas à voir le jour, issus de cette fraternité, tous agissant pour un réveil spirituel et une mobilisation des membres de l'Église à se mettre à son service. En 1970, cette fraternité se scinda. Il en sortit le mouvement Sotir.

L'Action chrétienne des Etudiants Russes (ACER) fut fondée en Russie, immédiatement après le Révolution d'Octobre, et œuvra en Russie et de nombreux pays d'accueil des réfugiés russes, à aider les autorités ecclésiales et les fidèles à faire face aux problèmes liés à l'émigration. Elle s'occupe de l'encadrement d'enfants et de jeunes et organise des congrès où la présence des laïcs est généralement prédominante.

En plein régime communiste, des groupements formés essentiellement de laïcs virent le jour clandestinement, dans le but de propager la foi, souvent au péril de leur vie, en formant, souvent au péril de la vie de leurs membres, des cercles d’études religieuses, et faisant circuler en sous main des textes religieux (samizdats). Après la chute du communisme et la reprise de liberté des Églises de l'Est européen, de nombreux mouvements de renouveau virent le jour dans pratiquement toutes ces Églises, formés de clercs et de laïcs, se mobilisant dans de nombreux aspects du service ecclésial.

La Fraternité orthodoxe en Europe Occidentale, œuvrant avec la bénédiction de l'Assemblée des évêques orthodoxes canoniques en France, s'occupe de promouvoir la catéchèse, l'édition (revue Contacts), l'information (SOP), et des congrès réguliers qui groupent des représentants de pratiquement tous les pays d'Europe occidentale et qui sont autant d'évènements charismatiques et de communion fraternelle. Notons qu'il existe des fraternités similaires dans d'autres pays européens.

Syndesmos, fédération internationale des mouvements de jeunesse orthodoxe, fondé en 1953, regroupe une centaine de mouvements de jeunesse dans l'ensemble du monde orthodoxe, et atteste de la vitalité de l'engagement des jeunes laïcs dans le travail ecclésial.

Le Mouvement de la Jeunesse Orthodoxe du Patriarcat d'Antioche (MJO), qui fut l'un des fondateurs de Syndesmos, fut lui-même fondé en 1942 par un groupe de jeunes universitaires, avec le but de promouvoir le renouveau dans tous les domaines de la vie de l'Église. Monseigneur Kallistos Ware en parle en 1963, dans son livre 'L'Orthodoxie, Église des sept conciles', disant: 'Jusqu'à très récemment, le patriarcat d’Antioche pouvait être considéré comme le type d’Eglise endormie. Mais elle montre aujourd’hui des signes de réveil, et ceci principalement grâce à son Mouvement de Jeunesse Orthodoxe, remarquable organisation, fondée par un petit groupe d’étudiants … Ce Mouvement de jeunesse a organisé des cours de catéchisme et des groupes d’études ; il assure aussi la publication d’un périodique arabe. Il s’occupe d’œuvres sociales qui luttent contre la pauvreté et procurent une assistance médicale. Il encourage la prédication et essaie de rétablir la communion fréquente. Sous son influence, des communautés monastiques … ont été fondés … C’est en grande partie des laïcs qui mènent cette campagne …’. (p. 190).

Toutes ces fraternités et ces mouvements montrent à l'évidence que les membres du Peuple de Dieu, se remettent en question, partout dans le monde, se révoltant contre l'exclusion et les pratiques monarchiques dans l'Église, et se mettant humblement, mais avec détermination, à vouloir faire fructifier les charismes de l'Esprit, au service de l'ensemble du Corps du Christ.

Les interpellations du monde contemporain

Des changements importants ont vu le jour dans le monde depuis la fin du 19ème siècle. D’une part, les mouvements de libération, la révolution féminine, la laïcité, la séparation de l'Église et de l'Etat, le développement technologique, la globalisation, le relativisme moral, la remise en cause de l'autorité et des magistères et le pluralisme des sociétés post modernes, ont profondément changé nos sociétés, et n’ont pas manqué d’affecter les Eglises. Celles-ci ont vécu certes un renouveau liturgique, biblique et patristique, mais doivent faire face à la diminution des vocations sacerdotales et religieuses et à une déchristianisation de masse, et une remise en question, surtout par les laïcs, de leur statut dans l'Église, et un questionnement de l'Eglise sur le fait d’avoir mis en cause, très tôt dans l’histoire, son propre éthos d'Église-communion, et de s’être laissé contaminé par l’esprit du monde. Il y a urgence. Il ne s'agit plus de tergiverser, mais de promouvoir un retour aux origines, préservant à la fois les bases de la succession apostolique et des mystères, tout en essayant de libérer l'Esprit des carcans que lui impose souvent l'institution ecclésiale. Redonner à chacun des membres de l'Église la possibilité de remplir le rôle que lui a dévolu l'Esprit, en communion avec tous ses frères, et dans le respect du 'premier parmi les égaux' à tous les échelons de la vie communautaire, n’est pas un luxe, mais une nécessité impérieuse.

Y a-t-il un réveil des Eglises ?

L'Église Catholique a réalisé avant d'autres cette urgence. Au concile de Vatican II, elle amorça une relecture de sa compréhension de l'Église, traditionnellement centrée sur une notion pyramidale de l'épiscopat, dans le sens d'une insistance nouvelle sur la réalité du Peuple de Dieu, au sein duquel agit l'épiscopat. Il en résulta une reconnaissance et un encouragement des mouvements de laïcs qui apparurent en abondance en son sein, au 20ème siècle, et dans les Église orientales qui en dépendent. Cela permit à ces mouvements de s'étendre en un très court lapse de temps à l'échelle du monde. Dans ce contexte, il est utile de rappeler ici quelques textes probants. Le Cardinal Ratzinger (maintenant le Pape Benoit XVI) affirme que 'la vérité n'est pas le privilège de la hiérarchie, mais qu'elle est l'apanage de l’Epouse du Christ' ( Le Nouveau peuple de Dieu, Aubier-Montaigne, 1971, p. 77). Il ajoute que, lors de la crise arienne, 'la plupart des évêques semblent par moments succomber, mais que seule l'attitude indéfectible des fidèles assura la victoire de la foi nicéenne' (op. cit., p. 76). Par conséquent, 'tous les fidèles ont part ‘à la compréhension et à la transmission de la vérité révélée', comme le dit le Catéchisme de l'Église Catholique, article 91. On y lit aussi que 'le Baptême et le Saint Chrême consacrent le fidèle à un saint sacerdoce'. De même, la Constitution de l'Église, publiée en 1983, dit: 'Les fidèles ont le droit, et parfois le devoir, de donner leurs avis aux pasteurs en tout ce qui concerne le bien de l'Église, et de faire parvenir ces avis aux autres fidèles, tout en préservant la fidélité à la foi qui nous est transmise, et le devoir de respect dû aux pasteurs, le bien commun et la dignité des personnes' (article 212: 3). De plus, l'article 37 du texte relatif à l'Église de Vatican II, appelle 'les pasteurs à reconnaître la dignité des laïcs et leurs responsabilités dans l'Église, à les encourager, à ne pas hésiter à les consulter, à leur confier des missions au service de l'Église, et à leur laisser une marge de liberté de parole et d'action'. Dans le décret sur l'évangélisation et les laïcs, le même Concile stipule: 'L'intégration des laïcs au Christ leur donne le droit et le devoir d'être des apôtres. C'est le Seigneur lui-même qui les convie à la mission'.

Quant à l'Église orthodoxe, son attitude commença par une tentative d'ignorer la réalité du problème, quand un des évêques affirma, lors de la première réunion de la Commission Préparatoire au Saint et Grand Concile, qu'il n'y avait pas aucun problème de laïcs dans l'Église orthodoxe qui a 'préservée jusqu'à nos jours, la vision du Nouveau Testament en ce qui concerne le Peuple de Dieu' (Episkepsis). Cette assertion fut accueillie par de nombreuses protestations, indiquant que la vision est une chose, mais que sa mise en pratique en est une autre, qu'il ne fallait pas faire la politique de l'autruche, mais s'atteler à l'examen et la résolution de ce vrai problème. Depuis, l'Esprit Saint a certainement agi pour inspirer, lors d'une réunion subséquente de la même Commission, les paroles par lesquelles nous avons débuté cette étude. L'Église doit tenter, le plus sérieusement du monde, de retrouver dans sa pratique ce que le Seigneur et ses Apôtres nous ont transmis et que nous avons bradé, au cours des siècles, pour des raisons liées à une compréhension humaine de l'exercice de l'autorité dans l'Église, qui, ne l’oublions jamais, est dans le monde, mais n'en est pas.

Qu'en est-il de l'Église d'Antioche?

La crise vécue récemment dans le diocèse d'Alep, en Syrie, la façon dont le Saint Synode l'a résolue (mais l'a-t-il vraiment résolu?), l'attitude de plus en plus monarchique de nombre de nos évêques, n'ayant de comptes à rendre à personne, la 'théologie cléricaliste' qu'ils préconisent, parlant d'Église enseignante et d'Église enseignée, tout cela nous fait craindre pour la pérennité du renouveau de notre Patriarcat, et nous conforte dans notre conviction que nous avons besoin, aujourd'hui avant demain, de la convocation d'un congrès général antiochien, en présence de toutes les composantes du peuple orthodoxe, pour discuter des défis internes et externes qui nous interpellent, et pour essayer de concerter nos efforts afin d'empêcher nos jeunes de déserter cette Église que Dieu lui-même nous a confié. La solution à nombre de nos problèmes serait de 'cesser de prendre le Saint-Esprit en otage', selon l'expression de notre Patriarche, dans une interview au SOP, en 1987, et à ne pas mettre un frein à sa liberté dans son Église. Peut-être que cette parole prophétique, ainsi que les citations de deux grands responsables ecclésiaux, citées au début de cette étude, nous aideront-elles à nous ressaisir et à tenter de nouveau de nous rapprocher de la communauté ecclésiale le des Actes des Apôtres, et à vivre en profondeur notre fraternité en Christ Jésus.

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Article publié dans le numéro 7 de la revue An Nour, Novembre 2010. Traduit de l’arabe.

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