Olivier Clément (1921-2009) - In Memoriam

Raymond Rizk -  16.01.2009


Un intercesseur nous est donné !

La naissance au ciel d’Olivier Clément, le soir du 15 Janvier 2009, après une longue et pénible maladie, laisse un grand vide dans le cœur de ses nombreux amis et disciples et rend orphelin le monde de la théologie orthodoxe.

D’autres parleront de l’apport unique d’Olivier à la pensée orthodoxe de notre temps. D’autres écriront sur le dialogue ouvert et aimant qu’il a toujours tenté d’entretenir avec la modernité. On ne manquera pas de souligner son rôle de passeur entre l’Orthodoxie et l’Occident, lui qui avait utilisé ce même terme pour désigner  Paul Evdokimov et Vladimir Lossky, dont il était l’ami. Beaucoup de jeunes, j’en suis sûr, diront combien sa pensée leur a été salutaire pour découvrir la Face du Seigneur au milieu de leurs interrogations douloureuses sur les chemins de la foi. Ils évoqueront sa parole, vraie, prophétique, toujours hors des sentiers battus, courageuse et créatrice mais ancrée dans la pensée des Pères.

Je voudrais limiter mon propos à quelques expériences personnelles avec lui qui ont marqué mon cheminement spirituel.

Mon premier contact, encore très jeune, fut la lecture, dans une revue orthodoxe pour jeunes lycéens éditée à Paris, dont j’ai oublié le nom, d’un article vibrant où je me rappelle encore qu’il invitait les jeunes avec force à découvrir Dieu dans le monde, car Il y est enfoui et qu’il s’agit d’avoir le courage d’aller à Sa recherche. Cela était dit avec une fraicheur déroutante, dénotant avec les tons poncifs et moralisants, alors prédominants. Je n’avais jamais encore entendu parler de lui et je me suis promis d’essayer de le rencontrer lors d’une prochaine visite à Paris.

En attendant, je me mis à la quête de ce qu’il avait alors édité. Le premier de ses livres que j’eus l’occasion de lire, fut ‘Transfigurer le temps’ qui m’ouvrit des perspectives, jusque là inconnues. Bien d’autres suivirent qui furent autant d’étapes de découverte en profondeur de sa vision tellement rafraichissante de la vie et de la mission orthodoxes.

Quelque temps après, de passage à Paris, je lui téléphonais, lui disant que j’étais un jeune orthodoxe libanais qui avait lu un de ses articles et qui voudrait tant le voir. Il me fixa tout de suite un rendez-vous près du Lycée Louis-le-Grand où il professait, pour prendre contact. J’y courus. Et ce fut la première des nombreuses rencontres qui ont suivi et qui me firent, au fil des ans, le considérer comme un grand frère, un père et, aurais-je la présomption de le dire, un ami. Ce premier contact fut chaleureux. Comme je l’ai expérimenté souvent par la suite, il me bombarda de questions et me fit tout de suite me sentir à mon aise, comme si je l’avais toujours connu.

Aussitôt après cette première rencontre, il me demanda simplement de venir diner à la maison. Je ne m’attendais certes pas à tant. C’était me faire trop d’honneur. Ce fut un diner inoubliable où j’eus l’occasion de connaître Monique, son épouse, avec laquelle Léna et moi avons lié par la suite une solide amitié. Je notais, ce jour-là sur mon journal : ‘Merci mon Dieu que des personnes aussi authentiques puissent exister. Ils permettent aux autres de presque Te toucher du doigt’.

Venu en France pour compléter mes études à Marseille, je le rencontrais chaque fois que je venais à Paris. Un de mes grands soucis, alors, était d’établir un contact entre Olivier et

un autre grand spirituel, l’Archimandrite André Scrima, qui avait marqué les jeunes du MJO au Liban, où il séjournait au monastère de Deir El Harf, et qui faisait aussi de longs séjours à Paris. Après maints essais infructueux, j’eus la joie de savoir qu’ils finirent par se rencontrer. Olivier me parla plus tard de cette rencontre qui le familiarisa davantage avec l’expérience hésychaste roumaine, sous le joug communiste, qu’il évoque à plusieurs reprises dans ses écrits.

Les tristes évènements du Liban aidant, nous dûmes venir habiter à Paris, où nous eûmes l’occasion de multiplier les rencontres, à la Crypte, aux réunions de la Fraternité Orthodoxe, dans nos foyers respectifs.

Je n’oublierais jamais son attention aux autres, son intérêt pour le moindre de leurs problèmes et leurs soucis. Lors d’un diner chez nous à Paris, j’avais préparé nos jeunes enfants à son arrivée et les avait convié à profiter au maximum de sa présence. Au lieu de parler lui-même, le voilà les écoutant longuement, s’intéressant à tout ce qu’ils disaient en réponse à ses questions. Après son départ, l’une de mes filles me confia qu’elle ne s’était jamais autant sentie prise au sérieux par un adulte et que les silences attentifs d’Olivier lui avaient apporté beaucoup de réponses à ce qu’elle se proposait de lui poser comme questions.

A moi, qui venait toujours vers lui pour entendre une parole de vie, il m’assaillait de questions sur notre famille, le MJO, le Liban, le renouveau au Patriarcat d’Antioche, le dialogue avec l’Islam, etc. et j’étais toujours étonné de l’intérêt réel qu’il portait aux réponses que je m’évertuais à lui faire, du mieux que je pouvais, étant convaincu de mon indignité et de ma relative ignorance, en sa présence. Cette capacité d’écoute, cette attention aux autres et au monde, cette conviction que tout l’univers se résumait dans l’instant vécu dans le regard de l’autre, sont, pour moi, les marques des grands spirituels.

Entre autres, nous eûmes l’occasion, Léna et moi, de passer quelques jours chez les Clément à Marsiargues. Cela nous rapprocha davantage et nous confirma, s’il en fallait encore une preuve, combien ils vivaient loin de la société de consommation et de ses engouements, dans une vie de simplicité évangélique. Olivier nous guida dans cette Provence qu’il aimait tant, autour de saint Guilliem du Désert, où il avait passé une partie de son enfance. Il vibrait à l’unisson de la beauté de la nature et y trouvait matière à actions de grâce.

Cloué au lit par la maladie, il garda toute sa lucidité et prenait son mal en patience. Nous étions déjà rentrés au Liban. Chaque fois qu’il nous arrivait d’aller à Paris, nous allions les voir, Monique et lui. La dernière fois fut vers la fin de Septembre 2008. Son intérêt pour les autres était resté inaltéré. Malgré sa fatigue, il se hâtait de s’enquérir de nous, de nos enfants et tout ce qui nous entoure, de tout ce que nous avions en commun. La situation de l’Eglise souvent l’attristait. Il était impatient de voir les choses bouger dans le bon sens. Mais, l’espérance ne le quittait jamais.

Vers la fin de sa vie, son insistance sur la divino-humanité du Christ revenait comme un leitmotiv. Il y voyait la solution à tous les problèmes de l’humanité. Son souci était d’en convaincre le plus grand nombre, en toute humilité. Face aux déchirements du monde, face aux lenteurs et parfois les compromissions des milieux ecclésiastiques, il souffrait intensément mais proclamait, à toutes occasions : Le Christ est Ressuscité!

 

Que sa mémoire soit éternelle !


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