Les Charismes d' Elizabeth Behr-Sigel

 Raymond Rizk


Olga nous a décrit avec beaucoup de maîtrise la personnalité et l’œuvre d’Elizabeth. Il y aurait très peu à ajouter. Je voudrais signaler seulement quelques uns de ses charismes qui m’ont le plus marqué :

 

a)      J’ai toujours été séduit par sa capacité d’allier avec un extrême bonheur les intuitions spirituelles des Pères et leur langage souvent poétique, avec la rigueur de l’esprit cartésien. Cela nous changeait du langage souvent stéréotypé des livres de théologiens orthodoxes et donnait de l’Orthodoxie une image plus proche et plus intelligible à l’Occident chrétien.

b)      A noter aussi son souci permanent d’établir un dialogue, aimant et raisonné, avec le monde moderne et les douloureux questionnements des jeunes d’aujourd’hui. L’étude magistrale qu’elle avait menée sur un théologien russe du 19ème siècle, alors pratiquement oublié, Alexandre Boukharev, qui avait lutté pour faire sortir l’Eglise de son temps d’un conservatisme aride pour l’exposer au risque du renouveau, en est un signe probant.

c)      Son esprit cartésien était lié cependant à une profonde vie spirituelle. Elle avait trouvé le moyen de faire habiter son esprit et son intelligence dans le cœur. Elle ne ratait pas une célébration liturgique. Elle continuait à se nourrir de la spiritualité des saints russes qu’elle avait, parmi les premiers, introduit à l’Occident, par son essai sur la ‘Prière et la sainteté dans l’Eglise russe’. Ce livre avait été, avec ‘l’Eglise Orthodoxe’ de S. Boulgakov, traduit en français par son ami, le Père Lev, et la ‘Théologie mystique de l’Eglise d’Orient’ de V. Lossky parmi les rares ouvrages qui nous ont introduit, en plus de l’enseignement de Mgr. Georges (Khodr), dans la deuxième moitié des années 1950, à l’Orthodoxie. Là aussi, se reflète sa méthode de classification systématique des ‘types’ de sainteté, expérimentés dans l’Eglise russe, qui en a rendu la compréhension plus aisée à nombre d’entre nous.

d)      Cette femme jouissait d’une vraie humilité, qu’elle puisait dans sa totale immersion dans la vie de l’Eglise. Ayant beaucoup réfléchi au ministère des femmes dans l’Eglise, et étant intimement convaincue de la légitimité de leur ordination sacerdotale, ordination qu’elle avait défendue à force d’arguments bibliques et théologiques très valables, elle refusait les réactions hâtives sur un sujet aussi délicat et acceptait simplement de se plier à la décision de l’Eglise, au temps et dans les circonstances voulus par Dieu. Elle n’a jamais polémiqué, mais offrait humblement et dans une obéissance déroutante, le fruit de ses recherches à la réflexion des membres de l’Eglise et s’en remettait à Dieu.

e)      En général, la pensée d’Elizabeth était en phase avec celle qui a nourri le MJO qu’elle avait appris à aimer par le Père Lev. Elle avait cependant une difficulté à admettre notre opposition au sionisme et notre refus de le justifier par l’Ancien Testament. Elle était sensible au drame palestinien, mais tout autant à ce qu’elle considérait comme un ‘droit’ des juifs à vivre sur le terre de la promesse, oubliant qu’après l’Incarnation, il n’y avait plus de terre sainte. Elle trouvait que nous frisions l’antisémitisme et n’était pas sensible à nos objections véhémentes. Peut-être cela remontait-il à ses racines familiales et protestantes et aux expériences révoltantes qu’elle avait vécues avec la déportation des juifs, lors de la dernière guerre mondiale.

f)       Finalement, je voudrais dire que pour moi, Elizabeth est intimement associée au Père Lev et à Olivier Clément, dont elle était l’amie fidèle. Le qualificatif de ‘passeur’, qu’Olivier avait utilisé pour désigner Vladimir Lossky et Paul Evdokimov, qui avaient tant contribué à rapprocher l’Orient et l’Occident, peut certainement s’appliquer à eux trois. Tous trois étaient venus à l’Orthodoxie d’horizons différents, le Père Lev du catholicisme, elle du protestantisme et Olivier, qui nous a quitté il y a quelques jours, de l’athéisme. Par leur pensée ouverte vers les profondeurs de l’expérience mystique de l’Orient et sa jubilation pascale et vers la nécessité du témoignage et de la diaconie trouvée dans le génie de l’Occident chrétien, ils forment tous les trois, chacun selon son charisme, des exemples lumineux de ce que pourrait et devrait être le chrétien de demain, suite aux retrouvailles entre l’Orient et l’Occident.

g)      Je mentionnerai, pour conclure, son étonnante jeunesse et sa hardiesse. Malgré son grand âge, Elizabeth, Liselotte pour amis, était toujours partante, faisant du ski à 90 ans et conduisant son vieux tacot et s’étonnant de notre étonnement et de nos mises en garde. Elle vivait presque hors du temps. Elle se formalisait quand ses amis, par crainte de voir l’œuvre inachevée, la pressait de terminer la biographie du Père Lev, tant elle était convaincue qu’elle avait tout le temps devant elle, et qu’il n’y avait pas lieu de se presser. Elizabeth était la grand-mère de l’Orthodoxie, mais elle se comportait comme sa jeune fiancée.

           

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