Le rite de la sainte communion

 

Raymond Rizk


Aperçu historique

‘Prenez et mangez’

‘Or, tandis qu’ils mangeaient, Jésus prit le pain et, après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit et le donna à ses disciples en disant: ‘Prenez et mangez, ceci est mon corps. Puis, prenant une coupe, il rendit grâces et la leur donna en disant: ‘Buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de l’Alliance qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés’’ (Matthieu 26: 26-28, voir aussi Marc (14: 22-25), Luc (22: 19-25)). 

‘Le Seigneur Jésus, la nuit où il était livré, prit du pain et, après avoir rendu grâces, le rompit et dit: ‘Ceci est mon corps qui est rompu pour vous, faites ceci en mémoire de moi’. De même, après le repas, il prit la coupe en disant: ‘Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Toutes les fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de moi’’ (1 Corinthiens 11: 23-25). 

On ne connaît pas comment Jésus communia les Apôtres, lors de la Sainte Cène, mais il est évident qu’ils ont bu à la même coupe, et que le Seigneur remit à chacun d’entre eux un morceau du pain qu’il avait rompu, leur disant: ‘Prenez et mangez’. Le plus probable est qu’Il les a convié à prendre ce pain dans la main, car il est exclu qu’il l’ait mis directement dans la bouche, ou qu’il les ait invité à le prendre eux-mêmes leur part, dans le ‘plat’ mentionné dans deux des Synoptiques (Matthieu 26: 23, Marc 14: 20).

De plus, nous notons, dans l’Evangile de Jean (13: 26), que le Seigneur ‘trempant la bouchée, la prend et la donne à Judas’, ce qui indique que le Seigneur, et donc les Apôtres, utilisaient leur main pour manger, ce qui amène la plupart des chercheurs à conclure que les Apôtres avaient pris le ‘pain rompu’ dans la main, comme ils avaient bu à la même coupe.

 

Témoignage de la première communauté chrétienne

Les Actes des Apôtres affirment que les premiers disciples ‘se montraient assidus à l’enseignement des Apôtres, à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières’ (2: 40, mais ils ne disent point comment ils communiaient au pain rompu’. Il est hautement probable qu’ils aient suivi la manière appliquée par les Apôtres, lors de la Sainte Cène, mais il n’y a d’autre preuve à cela que la tradition qui en a suivi.

Certains[1] se basent sur ce que dit le Nouveau Testament sur le nouveau croyant qui accédait à la foi ‘avec toute sa maison’, pour conclure que les membres formant cette maison communiaient avec leurs enfants, et que ces enfants devaient recevoir la Sainte communion avec une cuiller.

 

Témoignages des 2ème et 3ème siècles

St. Justin martyr (+165) dit que ‘les diacres distribuent le pain et le vin et l’eau aux présents et les prennent aux absents’[2], et il ajoute que ‘chacun reçoit une part de l'eucharistie et on envoie aussi leur part aux absents par le ministère des diacres’[3]. Par ces mots, il confirme la description que fait la Didachè[4] de la réunion des chrétiens et du mystère de ‘rompre le pain’[5].

L’épitaphe de Pectorius fut découverte à Autun en 1839, et est probablement de la fin du deuxième siècle. Elle porte une inscription métrique grecque dont les vers de la moitié de l’acrostiche de sa première partie sont :

 

‘Mange à ta faim, bois à ta soif,

Tu tiens le Poisson dans les paumes de tes mains.

Nourris-nous donc, Maître et Sauveur, avec le Poisson’.

 

Le poisson (Ichthys) indiquant le Christ dans le langage symbolique des premiers chrétiens, ce texte a de toute évidence une signification eucharistique, et il affirme que le chrétien reçoit le saint Corps dans les ‘paumes de (sa) main’.

Clément d’Alexandrie (+215) parle obscurément de l’Eucharistie dans le Pédagogue, mais il indique dans les Stromates la préparation nécessaire à la réception du sacrement, à savoir ‘qu’après avoir, selon la coutume,  rompu le pain de l’Eucharistie, on permet à chaque fidèle selon la coutume, permettent à chacun des membres du peuple d’en prendre sa part’[6].

Clément d'Alexandrie (! avant 216/217) 8. Strom.1, 1, 5

Tertullien (+225) relate que les chrétiens se réunissent avant l’aube et que chacun d’entre eux prend le corps du Seigneur dans sa main, et qu’après en avoir communié à l’Eglise, il en prend dans sa maison. Et il affirme que ‘les mains des chrétiens touchent chaque jour le corps du Seigneur’[7], demandant aux nouveaux baptisés de bien ‘tenir le corps du Christ dans leurs mains qui hier encore sacrifiaient aux idoles’[8]. Et il leur demande de quitter tout travail ayant une relation avec les idoles, leur disant: ‘Il n’est pas d’autre alternative pour un fidèle que de pleurer en voyant un chrétien entrer dans la maison de Dieu après avoir juste quitté l’atelier des idoles, et élever vers Dieu le Père ses mêmes mains qui avaient façonné les idoles… et les étendre ensuite vers le corps du Seigneur’[9].

Et il dit dans un autre texte: ‘Nous recevons le mystère de l’Eucharistie de la main de celui qui préside, lors de nos assemblées qui se tiennent tôt le matin… Et nous craignons que rien ne tombe du calice et du pain par terre, car nous en souffrirons avec douleur’[10].

La Tradition Apostolique qui fut écrite durant la première moitié du troisième siècle et est attribuée à Hyppolite de Rome (+236) Elle indique que le Dimanche c’est ‘l’évêque lui-même qui distribue le pain consacré à l’ensemble du peuple de Dieu, après qu’il soit rompu par les prêtres et les diacres. Quand le diacre apporte (l'eucharistie) au prêtre, il présentera le plateau, et le prêtre prendra lui-même et il (le prêtre) distribuera au peuple de sa main. Les autres jours on communiera suivant les instructions de l'évêque’[11].

Et elle décrit le rite de la communion dans ces termes: ‘Que l’oblation soit présentée à l’évêque. Qu’il bénisse le pain… et le calice où es mêlé le vin… et le lait et le miel… Et après avoir rompu le pain, qu’il donne un morceau à chacun en disant: ‘Le pain du ciel dans le Christ Jésus’. Et que celui qui le reçoit réponde: ‘Amen’… Si les prêtres ne suffisent pas, que les diacres tiennent également des calices,… le premier avec l’eau, le second avec le lait et le troisième avec le vin. Que ceux qui en reçoivent goûte de chacune pendant que celui qui en donne dit: ‘En Dieu le Père tout-puissant’, ‘Et dans le Seigneur Jésus-Christ’, ‘Et l’Esprit Saint et l’Eglise sainte’, et que celui qui reçoit dise à chaque fois ‘Amen’’[12].

Et elle appelle les fidèles communiants à ‘prendre soin de l’Eucharistie… afin que rien n’en tombe et ne se perde, car c’est le corps du Christ qui doit être mangé par les fidèles… De même il faut veiller à ce que rien ne se répande du calice, lorsque tu l’as entre les mains’[13].

Origène (+254) recommande aussi aux fidèles ‘habitués à la participation aux mystères divins, d’être attentif en toute sollicitude et respect, quand ils reçoivent le corps du Seigneur et le tiennent (dans leur main), et de s’assurer à ce que la moindre parcelle n’en tombe à terre, et à ce que rien de l’offrande consacrée ne soit répandu’[14]. Et il demande ‘aux hommes qui veulent communier de se laver les mains, et aux femmes qu’elles aient un voile sur lequel poser le corps du Christ’[15].

Un des canons coptes qui nomme le pain consacré ‘perle’, alerte aussi sur le danger de faire tomber la perle au sol, disant ‘qu’il faut se méfier de faire tomber au sol une quelconque perle du saint pain, ou de la laisser se coller à ses doigts’[16].

Eusèbe de Césarée relate le contenu d’une lettre envoyé par Corneille, évêque de Rome (+253) à Fabius, évêque d’Antioche sur la façon avec laquelle le schismatique Novatien (+258) se comportait lors de la communion des fidèles. Il dit: ‘Quand il a fait l’offrande eucharistique et qu’il en distribue à chacun sa part, en la lui remettant… Il prend de ses deux mains les mains de celui qui reçoit l’eucharistie, et ne les lâche pas avant qu’il n’ait prêté serment… et qu’il n’ait dit, au lieu du ‘Amen’ ‘Je ne retournerai pas à Corneille’[17]. Au-delà des méfaits de Novatien, ce texte confirme l’usage de recevoir le pain consacré dans la main.

Denys d’Alexandrie (+265) raconte, dans sa cinquième lettre à l’évêque de Rome, l’histoire d’un homme ‘qui, ayant entendu maintes fois les paroles de l’Eucharistie, et après les avoir confirmé par son ‘Amen’, et tendu ses mains pour recevoir la sainte nourriture, et l’ayant prise il a communié au corps du Seigneur et à son sang’[18]. Une autre de ses lettres mentionne un vieillard mourant auquel on amène le pain eucharistique, lui recommandant de le mouiller avec de l’eau et de le mettre dans la bouche[19].

Cyprien de Carthage (+258) mentionne que ‘la main droite tient les dons et donc le Seigneur lui-même’[20]. Et il relate l’histoire d’un chrétien, qui, sortant des sacrifices idolâtriques, se présente à l’autel du Seigneur, et ose, avec les autres, se présenter pour recevoir .l’Eucharistie, ’mais il ne peut la porter à sa bouche, car en ouvrant ses mains il n’y trouve que de la cendre[21].

Et il écrit dans une de ses lettres: ‘Les soldats du Christ doivent s'y préparer (au combat du martyre) avec un robuste courage considérant que chaque jour le calice du sang du Christ leur est donné à boire, afin qu'ils soient en état de verser eux-mêmes leur sang pour le Christ’[22].

Et il est à noter que beaucoup d’autres témoignages mentionnent l’habitude des fidèles, courante en ce temps-là, de prendre les saints Dons à leur maison[23], ou durant leurs voyages[24].

 

Témoignages du 4ème siècle

Les témoignages se font plus nombreux chez les Pères de ce siècle, aussi nous n’en mentionnerons que les plus importants.

Ephrem le Syrien (+337) dit au nom du Christ: ‘Tu me vois quand tu me portes dans le creux de ta main’[25]. Et il fait dire au Christ, dans un de ses sermons: ‘Le tison a sanctifié les lèvres d’Isaïe. Mais maintenant, je viens vers toi sous l’apparence du pain pour te sanctifier. Les langues de feu desquelles Isaïe a pris la braise est une image de moi dans ce grand mystère. Isaïe m’a vu de la même manière avec laquelle tu me vois quand tu tends ta main et mènes le pain vivant à ta bouche. Les langues de feu sont ma main droite, et mon corps la braise enflammée. Vous êtes tous des Isaïe’[26].

Il appelle aussi  à prendre garde à ne pas perdre la moindre miette des saints dons, faisant dire à Jésus: ‘Ne croyez pas que ce que je vous ai maintenant donné est du pain, recevez-le, mangez-le, ne le brisez pas en miettes et ne le laissez pas tomber sous vos pieds,… car la plus petite de ses miettes peut sanctifier des milliers d’âmes, et suffit pour donner la vie à tous ceux qui la reçoivent’[27].

Aphraates (+345), le ‘Sage Persan’, dans son exposé sur l'humilité, terminé au plus tard en 337, en vient à parler, dans une admonestation, de certains rites de communion. Il dit: ‘Ta langue devra aimer le silence, puisqu'elle lèche les plaies du Seigneur. Que tes lèvres se gardent de s'ouvrir, puisqu'avec elles tu donnes un baiser au Fils du Roi‘[28]. Il parle de ‘lécher avec la langue’ en comparant les communiants qui ‘aiment Notre Seigneur et lèchent de leur langue Ses plaies comme un chien lèche son maître’[29]. Aphraate en vient aussi à parler de la sanctification des yeux dans son commentaire sur Lazare (Luc 16: 20 et s.), disant que ‘le pauvre à la porte représente Notre Sauveur… Il est dit que les chiens s'approchèrent et léchèrent ses plaies (Matthieu 7: 6 ; 15, 26 et s.). Les chiens qui s'approchèrent étaient en effet les peuples qui léchaient les plaies de Notre Sauveur et qui prennent son corps et le posent sur leurs yeux’[30]. Il confirme ainsi la pratique du regard posé sur le corps du Christ, avant la communion.

Basile le Grand (+379) confirme la tradition de recevoir le corps du Christ dans la main, et il justifie que des laïcs puissent donner la communion dans des situations d’urgence, disant: ‘Quant à la nécessité om l’on est dans les temps de persécution, en l’absence de prêtre ou de ministre, de recevoir la communion de sa propre main, il est superflu de montrer qu’elle n’a rien de pénible, parce qu’une telle pratique est confirmée par la longue coutume attestée par les faits eux-mêmes… A Alexandrie et en Egypte, chacun, même dans le peuple, a presque toujours la communion dans sa maison, et, quand il le veut, il se la donne à lui-même… Dans l’église le prêtre donne la part qu’on lui demande. Celui qui la reçoit la garde en toute liberté et la porte à sa bouche de sa propre main. Cela revient donc au même, que l’on reçoive du prêtre une seule part ou beaucoup de parts à la fois’[31].

Cyrille de Jérusalem (+386) décrit le rite de la communion pratiqué en son temps. Il dit: ‘Quand tu t’approches, ne t’avance pas en étendant les paumes des mains, ni les doigts écartés. Mais puisque le Roi va se poser sur ta main droite, fais-lui un trône de ta gauche, et reçois le corps du Christ dans le creux de ta main disant: ‘Amen’. Après avoir avec attention sanctifié tes yeux par le contact du saint corps, prends-le et veille à n’en rien laisser perdre. Que si tu en laissais perdre quelque chose, tu devrais considérer cela comme une amputation de l’un de tes membres’[32]. Et il poursuit disant: ‘Ensuite, quand tu as communié au corps du Christ, avance-toi aussi vers la coupe de son sang. Ne tends pas les mains, incline-toi, dis par manière d’adoration respectueuse: ‘Amen’, et sois sanctifié par la réception du sang du Christ. Et tandis que l’humidité du sang est encore sur tes lèvres, recueille-la de tes mains, et sanctifie tes yeux, ton front, et tes autres sens’[33].

Grégoire de Naziance (+390) écrivant contre la femme qui arrange sa personne en vue de la séduction, lui demande: ‘Tes mains ne sont-elles pas épouvantées de se voir tendues vers la nourriture mystique, alors qu'elles t'ont servi à peindre [sur ton visage] une beauté déplorable?’[34].

Cyrillonas, poète syriaque et neveu d’Ephrem le Syrien, a vécu à la fin du 4ème siècle, a laissé quelques rares hymnes (memré) dont nous avons extrait ce texte de l’un d’eux: ‘D'une seule parole ta volonté nous a créés; d'une seule goutte de ta grâce tu as guéri mes enfants et chassé mes douleurs! Si l'hémorroïsse qui saisit la frange de ton vêtement fut guérie, combien plus aurai-je en partage, moi qui ai saisi Ton corps tout entier!’[35].

Ambroise de Milan (+397) aurait dit à l’empereur Théodose, après qu’i eut ordonné les massacres de Thessalonique: ‘Comment peuvent ces deux mains oser de toucher le corps de notre Seigneur, après qu’elles aient fait ce que tu as commandé?’[36].

Jean Chrysostome (+407) a dit dans un de ses sermons: ‘Nombreux sont ceux qui disent aujourd’hui: ‘Comme j’aimerais voir le corps du Seigneur, son visage, ses habits, ses chaussures’... Ô homme, le voici lui-même qui se laisse non seulement voir, mais encore toucher, manger et recevoir au-dedans de vous’[37]. De plus, il va jusqu’à dire, dans un autre sermon: ‘Combien est-il merveilleux que tu te tiennes à côté des séraphins, Dieu t'ayant permis de toucher librement ce que les séraphins n'osent pas toucher… Mais les séraphins n'osaient pas se servir de leurs mains, mais seulement d'une pincette[38], et toi tu le reçois dans la main’[39].

Et dans sa catéchèse baptismale aux néophytes, il leur dit que le Mauvais ‘pour peu qu’il te voie revenir des festins du Maître,… et si tu lui montres ta langue teinte du précieux sang,… et ta bouche empourprée… il s’enfuira en courant’[40].

 Malgré toute vraisemblance, certains affirment que Jean Chrysostome a introduit l’usage de la cuiller, lors de la communion, parce qu’une femme macédonienne a méprisé les dons mis dans sa main[41], et pour éviter le vol des saints dons par des gens malveillants et leur mauvaise utilisation. De toute façon, si cette histoire s’avérait véridique, ce qui est très peu probable, elle n’a pas duré longtemps, car les choses sont revenues rapidement à l’usage traditionnel.

Et dans une autre de ses homélies, il indique qu’en ‘se rapprochant (des mystères) ne croyez pas recevoir le corps divin comme venant d’un homme, mais comme venant des séraphins eux-mêmes, avec une pince de feu, comme dans la vision d’Isaïe, croyez bien recevoir le corps divin. Et comme si nous appliquions les lèvres au côté divin immaculé, recevons ainsi le sang salvifique’[42].

Théodore de Mopsueste (+428), un des plus grands Héraults de l’Ecole exégétique antiochienne, et ami de Jean Chrysostome, décrit le rite de la communion comme suit: ‘Chacun de nous s’approche, les yeux baissés et les mains étendues… C’est la paume droite que l’on étend pour recevoir l’oblation qui est donnée, mais sous elle on place la gauche, en signe de profond respect... En distribuant l’oblation, le pontife dit: ‘Le corps du Christ’… Tu dois donc te présenter avec beaucoup de respect et un grand amour: avec respect à cause de sa dignité. Avec amour à cause de la grâce… Tu dis après le pontife ‘Amen’… Et la même chose est faite pour la coupe. Et lorsque tu as reçu le corps en tes propres mains, tu l’adores… Avec un amour grand et loyal, tu contemples le pain, tu le baises, et c’est à notre Seigneur le Christ, désormais proche de toi, que tu présentes tes prières… C’est en ces dispositions que tu reçois et consommes la communion… Après l’avoir prise, tu feras monter vers Dieu action de grâce et bénédiction’[43].

Il est à noter que la tradition de tenir le corps du Seigneur dans la main, et de boire son sang directement au saint calice est toujours vécue lors de la célébration de la liturgie de saint Jacques, comme elle était de règle dans la liturgie de saint Marc. Le prêtre proclamait, dans la première, juste avant la communion des fidèles: ‘Que le Seigneur nous bénisse et nous rend dignes de communier au tison enflammé avec des mains pures qui le porte à notre bouche’. Et certains canons de l’Eglise de l’Orient stipulent qu’il faut porter le saint corps à la bouche directement de la paume de la main, et non par l’intermédiaire des doigts.

Augustin d’Hippone (+430) mentionne les ‘mains superposées’ pour recevoir le pain consacré[44]. Ce qui laisse supposer que l’occident chrétien suivait les mêmes pratiques que l’orient.

Théodoret de Cyr (+457), dit commentant le rite de la communion: ‘Il nous faut faire attention comment prendre le corps de l’Epoux, lors de la célébration des saints mystères, le baiser et fixer le regard sur lui’[45].

L’abbé Shenouté (+466), fondateur du ‘monastère blanc’ en Egypte, mentionne, dans un de ses écrits qu’il a été obligé de réprimander un de ses moines, car il avait emporté l’ensemble des saints dons, à sa sortie de l’église après la Liturgie, empêchant le prêtre et les diacres d’en donner à ce qui en demandaient[46]. Cet incident démontre que la pratique de prendre les saintes espèces dans les cellules et les maisons était toujours admise, vers la fin du 5ème siècle, mais commençait à être contestée.

Le texte du ‘Testament du Seigneur’[47], parlant de la communion, laisse supposer que les fidèles prenaient le saint pain avant de le consommer, et buvaient directement au calice[48].

La lecture de Narsaï (+502), le fameux poète et théologien syriaque nous apprend qu’il y avait une façon de se présenter à la communion, ‘les mains jointes en forme de croix’, qu’il commente en disant: ‘Ainsi on reçoit le corps de notre Seigneur sur une croix’[49].


Témoignages des siècles ultérieurs (du 6ème siècle au onzième)

Ils forment deux catégories. L’une affirmant la pratique traditionnelle, et l’autre introduisant l’utilisation de la sainte cuiller.

Témoignages sur la pratique traditionnelle

Philoxène de Mabboug († 523) nous invite à parler à Jésus qui repose dans nos mains : ‘Adores le corps vivant que tu tiens dans tes mains. Ensuite parle-lui à voix basse : ‘Je te porte, Ô Dieu vivant, et te tiens dans le creux de ma main, Dieu de l’univers que l’univers ne saurait contenir... Vois comme mes mains t’enserrent avec confiance, rends-moi digne, Seigneur, de te manger de façon sainte, et de goûter à la nourriture de ton corps comme à la saveur de ta vie’[50]

Césaire d'Arles (+542) a dit dans un de ses sermons: ‘Ce que j'ai à vous dire n'est ni difficile, ni fatigant. Je parle de ce que je vous vois faire souvent: tous les hommes se lavent les mains lorsqu'ils veulent communier et toutes les femmes tendent de petits linges de lin propres sur lesquels elles reçoivent le corps du Seigneur’[51]. Et il déclare, dans un autre sermon: ‘Si nous rougissons et craignons de recevoir l'Eucharistie avec des mains sales, combien plus devons-nous craindre de recevoir cette même Eucharistie l'âme tachée’[52]

Le Synode d’Auxerre (tenu entre 561 et 605) prescrit de couvrir les mains des femmes, disant: ‘Il n'est pas permis aux femmes de recevoir l'Eucharistie la main non couverte’[53].

Il semble que soit apparu, au courant du 6ème siècle, ou plutôt du 7ème, d’abord en Syrie et Palestine, et par la suite en Occident, une nouvelle pratique pour communier, en mélangeant les saints dons et les mettant dans la bouche au moyen d’une cuiller métallique[54]. Le Concile œcuménique Quinisexte, in trullo, réuni en 691-692, refuse fermement la nouvelle pratique et stipule: ‘Celui qui s’approche pour communier au corps immaculé, au cours de la Sainte Liturgie, doit joindre ses mains en forme de croix. Quant à ceux qui veulent remplacer leurs mains pour recevoir les dons divins par des objets en or ou en d’autres métaux, il ne leur est absolument pas permis de s’approcher, car ils ont préféré un métal de ce monde à l’image de Dieu. Quant à ceux qui acceptent de les communier, qu’ils soient anathèmes’[55].

Il semble que cette interdiction ait fait son effet, car la pratique de recevoir l’Eucharistie dans les mains s’est maintenue, et n’a pas complètement disparu avant le 13ème siècle. Le patriarche d’Antioche et grand canoniste Balsamon (+1199) explique que la raison du changement préconisé venait ‘d’un sentiment de piété, estimant que la main qui touche maintes objets impurs n’est pas digne de toucher le corps du Seigneur. Cela a causé avec le temps un mal pour les âmes… car certains se considéraient supérieurs à leurs frères pauvres’[56]. Nicodème l’Hagiorite (+1809), qui a cité le commentaire de Balsamon, l’approuve et confirme que certains ‘utilisent, au nom de la piété, des objets en or ou en argent, au lieu de recevoir le pain sacré dans leur main. Et qu’il en a résulté des abus et un mal pour les âmes, ce qui a poussé le Concile à promulguer ce canon’[57]. Il est à signaler que ce canon insiste, dans son préambule, sur la dignité de la personne humaine, à qui Dieu a donné de pouvoir ‘participer à la grâce divine’[58].

Il a été demandé à l’évêque syriaque Jacques d’Edesse (+708) s’il est permis à certains de prendre ce qui leur est donné à l’église du corps du Seigneur, et ‘de le mettre dans un chiffon, et de l’attacher à leur cou, ou de l’accrocher au-dessus de leur lit, ou sur les murs de leur maison, comme une amulette’. Et lui de répondre: ‘Ceux qui font de telles choses scandaleuses avec les mystères du corps du Christ et de son sang adorables, et qui les considèrent comme objets usuels pouvant être utilisés pour protéger leurs biens… sont exclus de la communauté eucharistique pour une durée de quatre ans’[59]. Au-delà de l’utilisation qui en est faite, ces textes prouvent que la communion était toujours distribuée dans les mains des fidèles.

Quant à Jean Damascène (+749) il écrit: ‘Nous nous approchons de lui, animés d'un désir brûlant et les mains disposées en croix. Et, après y avoir posé les yeux, les lèvres et le front, nous consommons le charbon divin, afin que le feu de notre désir, attisé en outre par le feu du charbon, consume nos péchés, éclaire nos cœurs et que nous soyons totalement enflammés et divinisés par la participation au feu divin’[60]. Parmi les prières avant la communion, il en est une attribuée au Damascène qui dit: ‘Ouvre-moi les entrailles de ton amour pour les hommes et accueille-moi, moi qui m’approche de toi et qui te touche, comme tu l’as fait pour la courtisane et pour l’hémorroïsse’[61]. Le fait d’utiliser le verbe ‘toucher’ est assez explicite.

Témoignages sur l’usage de la cuiller

Sophrone de Jérusalem (+638) est le premier à avoir mentionné l’usage de la cuiller. Il s’agit d’une communion de malade, hors Liturgie. Il relate le fait dans son récit du martyre de Cyrille et Jean. Il dit que les deux martyrs ont apparu à un évêque monophysite paralysé, et lui proposèrent de communier avec eux dans un calice où se trouvaient mélangées les saintes espèces[62].

Anastase le Sinaïte (+ après 700) mentionne que la communion d’un moine stylite ne s’est point déroulée selon l’usage antique, mais au moyen d’une cuiller qui puisait les saintes espèces dans un calice où elles étaient mélangées. Et il ajoute que cela se faisait parfois pour la communion des malades[63].

Jean, métropolite de Dara, au Nord de la Mésopotamie (première moitié du 9ème siècle) a écrit un traité sur l’offrande eucharistique où il explique le symbolisme de la sainte cuiller. Il dit qu’elle ‘symbolise l’Esprit Saint par lequel nous recevons le corps du Logos. Elle symbolise aussi la nature des saints anges qui sont les premiers à avoir accéder au mystère divin. Et elle symbolise aussi la main de Dieu qui a pris de l’argile et façonné le premier homme’[64]. C’est là le genre de raisonnement touffu, plein de symbolisme, qui a prévalu chaque fois qu’on voulait déguiser une trahison de l’ordre ancien et authentique en prônant un rite nouveau.

Le dixième canon du Concile de Constantinople de 861, au temps de Photius le Grand, condamne ‘tous ceux qui profanent les objets liturgiques, y compris le calice, la patène et la cuiller’[65]. Le texte ne dit pas quelle est l’utilisation de la cuiller, mais son inclusion avec des objets eucharistiques, tels le calice et la patène, rend légitime de comprendre qu’elle se réfère à la communion.

Bar Hebraeus (+1286) a fait le récit d’une conversation qui a eu lieu entre le gouverneur de Bagdad et Abraham, Catholicos de l’Eglise de l’Orient, durant laquelle le gouverneur voulait savoir quelles dénominations chrétiennes faisaient usage de la cuiller pour la communion. Il lui fut répondu que l’Eglise de l’Orient, ainsi que les Arméniens ne l’utilisaient pas, contrairement aux Jacobites qui s’en servent, probablement à partir de la première moitié du dixième siècle[66].

Dans son Nomocanon, il mentionne, dans son commentaire du Canon 4. 5, l’usage de la communion dans son Eglise jacobite de Tikrit, disant que le pain est distribué aux fidèles qui boivent le sang dans le calice. Mais dit-il, si cela s’avère impossible, le prêtre peut distribuer les deux espèces liturgiques ensemble, après avoir introduit le pain dans le calice, et distribuer l’ensemble avec une cuiller, comme le font les Jacobites occidentaux, hors le Maphrianat de Tikrit. Il dit aussi que l’évêque distribue la communion de la sorte, c.à.d. avec une cuiller, aux prêtres et aux diacres[67].

En pleine crise entre les patriarcats de Rome et de Constantinople qui a conduit le légat romain, le Cardinal Humbert de Silva Candida (+1061) à déposer en 1054 sur l’autel principal de Sainte Sophie une bulle d’excommunication du patriarche Michel Cérulaire, après avoir établi une liste exhaustive de ce qu’il considérait comme les ‘erreurs des grecs’. Et il leur demande: ‘Comment justifiez-vous l’usage de la cuiller pour donner le pain de la vie éternelle mélangé avec le sang dans le calice? Le Seigneur lui-même n’a pas ainsi mélangé le pain avec le vin, et il n’a pas dit à ses disciples: ‘Prenez et mangez avec la cuiller, ceci est mon corps’, mais il a béni le pain, le rompit et en distribua une partie à chacun’[68]. Et il poursuit, décrivant la tradition ecclésiales des Eglises de Rome et de Jérusalem,  et disant: ‘Ils n’ont pas de cuiller de communion, comme le fait l’Eglise grecque, et ils ne mélangent pas les dons dans le calice, comme elle le fait, mais elles communient le peuple le pain séparément… et puis le sang répandu dans le calice, car nous n’avons pas connaissance que le Seigneur aie donné à aucun de ses disciples du pain mouillé dans le sang, sauf à Judas qui l’a livré, pour montrer qu’il était un traitre’[69].

Le texte des ‘miracles de saint Georges’, écrit entre les onzième et quatorzième siècles, relate qu’un musulman vit ‘le prêtre donner en communion un corps d’enfant et son sang, avec une cuiller’[70], ce qui reflète l’usage qui en était fait, au temps de l’écriture du texte.

Une lettre attribuée au Patriarche de Constantinople, Michel II Courcouas Oxeitis (+après 1146), indique que l’usage de la cuiller de communion était considéré nouveau et soulevait des objections. Il y mentionne plus particulièrement qu’autrefois ‘tous les fidèles, et non seulement les serviteurs de l’Autel, recevaient le pain céleste dans leur main, et ils le baisaient, le mettaient sur leurs yeux avant de le manger… tandis que maintenant tout le peuple reçoit la nourriture qui donne la vie par l’intermédiaire d’une cuiller’[71].

Le Patriarche Théodore Balsamon, dans son commentaire du canon 101 du Concile Quinisexte, confirme que l’usage de la cuiller de communion s’est généralisé, dans beaucoup de régions, au milieu du douzième siècle, et que l’usage antique de la communion dans la main s’était maintenue au moins jusqu’alors dans certaines régions[72].

Un écrit polémique anonyme du 12 siècle, attribué à l’Eglise de l’Orient, accuse les ‘melchites’ chalcédoniens et les Jacobites de ne plus communier le peuple directement du calice[73].

 Il existe un ensemble de textes liturgiques byzantins, s’étalant de l’onzième siècle au treizième siècle, se référant à la cuiller de communion[74].

 

Sommaire de l’aperçu historique

Il est évident donc que le fidèle, qu’il soit prêtre ou laïc, recevait le corps du Seigneur dans ses mains, et buvait son sang directement du Calice, sauf peut-être lors de la communion des enfants et des malades ne pouvant participer à la Sainte Liturgie, et ce depuis l’âge apostolique.

 Il est possible que l’usage de la cuiller de communion ait vu le jour, en Palestine, au cours du septième siècle, et il a suscité maintes objections, dont son interdiction au Concile Quinisexte s’est fait l’écho.

 A partir du neuvième siècle, cet usage se développe, peu à peu, dans certaines régions, tant en Orient qu’en Occident. Mais la majorité des Eglises garde l’ancienne tradition, au moins jusqu’au onzième siècle, ou légèrement plus tard.

Malgré qu’elle ait introduit, à partir du troisième siècle, une différence entre clercs et laïcs parmi ses fidèles, l’Eglise du premier millénaire continuait à les considérer tous comme membres de plein droit du Peuple de Dieu, des saints (Colossiens 1: 22, 1 Pierre 1: 15, etc.), des ‘concitoyens des saints et membres de la famille de Dieu’ (Ephésiens 2: 19), appartenant à une ‘race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis’ (1 Pierre 2: 9), ‘oints de l’onction’ (2 Corinthiens 1: 21) et ‘héritiers du Royaume’ (Jacques 2: 5). Ils sont donc  tous en droit d’avoir contact avec le sacré et de toucher les Saintes Espèces, ‘les saints dons (qui sont) aux saints’, comme nous proclamons dans la Sainte Liturgie.

La cuiller fut utilisée pour la communion des laïcs (les clercs appliquant toujours l’ancienne tradition), dans la plupart des Eglises de l’Orient, à partir de la moitié de l’onzième siècle, et elle fut généralisée partout après la moitié du douzième siècle, ou au plus tard vers les débuts du treizième.

En Orient, Il n’y a aucune trace que cette utilisation ait été promulguée dans un concile général, tandis que son interdiction avait été décidée dans un Concile œcuménique. Quant à l’Occident, plusieurs synodes[75], à partir du 9ème siècle, interdisent de mettre la communion dans la main des fidèles, mais l’utilisation de la cuiller s’est généralisée après le douzième siècle.

 

Les raisons derrière l’utilisation de la cuiller

Nicodème l’Athonite cite parmi ces raisons la rareté des diacres dans la plupart des paroisses, rendant impossible au prêtre seul de distribuer le corps à tous les fidèles, en un temps raisonnable, et puis les faire boire au Calice. Il s’avérait plus simple de mélanger les saints dons et de les porter directement à la bouche des fidèles au moyen d’une cuiller. Et il mentionne d’autres raisons, plus traditionnelles, à savoir la peur que des miettes ne tombent par terre, et qu’elles ne soient utilisées à des fins non avouables[76].

Les 9ème et 10ème siècles ont vu le fossé entre clercs et laïcs s’élargir, et il est de plus en plus exprimé en termes d’opposition entre le ‘sacré’ et le ‘profane’, les clercs ayant accès directement au sacré, et les laïcs seulement par leur intermédiaire. Cette opposition avait été indirectement influencée par l’importance grandissante donnée à l’œuvre du Pseudo Denys l’Aréopagite qui a donné une justification ‘mystique’ à l’organisation de la communauté ecclésiale à l’image de la Hiérarchie céleste. De plus, en établissant un partage de plus en plus net entre sacré et profane, il renforça cette distinction, en disant que le simple fidèle (donc le laïc) attribue spontanément à Dieu les noms dont use l'Écriture, mais que le ‘mystique’ (donc le clerc dans la pensée des tenants du cléricalisme) les dépasse. Une conséquence de cette compréhension douteuse de la pensée de l’Aréopagite, mêlée à certains courants monastiques ‘intégristes’, fut, entre autres, l’utilisation de la cuiller pour la communion des laïcs qui furent interdits de toucher les saints dons, car ils n’y pouvaient prétendre, nonobstant leur sacerdoce royal, du fait de leur non-consécration  au sacerdotale ministériel.

Ce ‘cléricalisme’ de la pensée introduit beaucoup de changements dans la pratique ecclésiale. On peut en citer l’élévation du mur de l’iconostase qui devient véritable séparation entre clercs et laïcs, l’interdiction faite aux laïcs d’entrer dans le sanctuaire om se trouve l’autel, symbole, s’il en est, du sacré, la récitation des paroles de l’Anaphore ‘à voix basse’ parce que ‘trop sacrées’ pour être entendues par de simples fidèles, et bien d’autres pratiques qui ont transformé la ‘communauté de frères’ en communauté ‘d’enseignants et d’enseignés’, et la firent passer ‘du. peuple de prêtres au peuple des prêtres’[77], qui doit obéissance à ces prêtres. Cela s’accompagna souvent d’un abandon par les chrétiens du sentiment de filiation, confiante en Dieu et en son amour, et d’une adoption d’un sentiment de frayeur, sinon de terreur devant lui et son jugement final.

 

Raison de ceux qui ne veulent plus utiliser la cuiller

Elle consiste simplement dans la peur que la cuiller puisse transmettre les virus. Cette raison soulève une question grave: Est-ce que la communion peut transmettre une maladie? Et elle nous met devant deux problèmes en relation avec la foi et la pastorale.

 Nous croyons fermement, du point de vue de la foi, que le corps du Christ et son sang sont ‘pour la guérison de l’âme et du corps’ pour ceux qui les reçoivent avec foi et ferveur, et sont un remède qui ouvre la voie vers la vie éternelle. Il n’y a pas lieu de douter de cette vérité, et beaucoup de Pères la confirment[78].

L’union de la nature divine avec la nature humain’ en la personne du Christ, n’empêche pas la nature humaine de préserver ses caractéristiques propres. C’est pourquoi Jésus s’est fatigué, il a eu faim et soif, il a eu sommeil, s’est ému et a pleuré. Mais il n’est pas tombé malade, car il n’a pas connu le péché qui amène les maladies et la mort. Le Christ n’est pas mort que parce qu’il l’a voulu, et il a expérimenté, en mourant sur la Croix, un véritable déchirement existentiel.

De même, le pain et le vin, devenus corps et sang du Seigneur, sont toujours du pain et du vin, et n’ont pas perdu les caractéristiques de leur composition organique, malgré la présence du Christ en eux[79]. D’ailleurs les conseils donnés aux prêtres, en cas d’apparition de moisissure sur les Espèces conservées (pour les malades ou la Liturgie des Présanctifiés) prouvent que l’Eglise a bien envisagé ce problème et donné des directives pour s’en prémunir. Dans son commentaire du canon 28 du Concile Quinisexte, Nicodème l’Athonite écrit qu’il faut admettre des dispositions spéciales en cas d’épidémie, que les objets liturgiques et la cuiller, qui ont servi à donner la communion à un malade ‘soient placés dans du vinaigre’ pour les désinfecter, et que ce vinaigre soit versé dans un endroit qui n’est pas de passage, afin qu’il ne soit empiété. Cela laisse supposer qu’une cuiller particulière fut utilisée pour chaque malade, et qu’elle soit désinfectée après chaque utilisation[80].

Jésus était donc comme nous, hors le péché. Quant à nous, le péché est lié à notre propre vouloir. Il ne nous est pas imposé de l’extérieur, le Mauvais nous poussant seulement à le commettre. De même, le mal (ou l’épidémie) peut affecter les éléments du pain et du vin, ainsi que la cuiller qui les porte à notre bouche et le voile avec lequel on s’essuie la bouche, sauf en cas d’intervention divine miraculeuse. Et l’on sait que Dieu laisse pleine liberté à ses créatures d’agir.

D’un point de vue pastoral, il nous faut considérer avec un grand soin le scandale que l’utilisation d’une seule cuiller pour communier des multitudes, cause à ceux craignent une contamination, malgré les affirmations que cela ne s’est jamais produit à travers les siècles[81].

L’important est le corps du Seigneur et son sang, et la vie spirituelle des fidèles qui les reçoivent, et non la cuiller, qui n’est autre qu’un moyen, sans aucun effet sur la foi. Elle n’a d’autre ‘sainteté’ que celle du Saint qu’elle transporte vers la bouche des fidèles. C’est pourquoi il s’agit de considérer le ‘scandale’ de la cuiller avec beaucoup de compréhension et de rationalité, et lui trouver une solution, préférablement puisée dans la Tradition, qui préserve à la fois la sacralité du mystère et pacifie les fidèles.

 

Solutions

Dans les paroisses qui ne s’attachent aveuglément à la lettre de la Tradition, et qui ne considèrent point  que tout ce qui leur a été transmis est sacro-saint, et peut donc être changé, pour répondre aux exigences pastorales, maintes solutions ont déjà été trouvées et appliquées: cuiller spéciale pour chaque fidèle, retour à la mise du pain consacré mouillé dans le vin consacré dans la main, amener sa propre cuiller, etc…

 Faut-il remarquer à ceux qui ne veulent rien changer que la tradition de la cuiller à laquelle ils s’attachent, sans remarquer l’amoindrissement du nombre des communiants, ne remonte pas aux temps apostoliques, mais qu’elle a été instituée il y a plus de mille ans, pour remplacer la tradition apostolique de mettre le saint corps dans la main des fidèles.

Les Eglises qui n’ont plus d’apostolique que le nom, se retranchent dans leur tour d’ivoire, lançant des anathèmes et se souciant très peu de leurs fidèles et de la santé du monde.

 Puisque l’usage de la cuiller n’a pas fait l’objet d’une décision conciliaire, rien n’empêche que chaque évêque trouve la solution adéquate dans son diocèse. Le souci d’unanimité, au sein d’une Eglise indépendante, ou au sein de l’Orthodoxie, n’ont fait qu’encourager la désunion et l’immobilisme.

Que Dieu nous donne de rechercher vraiment sa volonté au lieu de confondre nos intérêts nationaux et ethnique aux siens.

 

 




[1] Par exemple, l’évêque serbe Iréné de Beksha, dans un article paru dans orthodoxie.com, le 20.05.2020.

[2] Apologie 65.

[3] Apologie 67

[4] Connu aussi comme ‘Ma doctrine des douze Apôtre’. Ecrit vers la fin du premier siècle.

[5] Didachè 9, 5.

[6] Stromates, 1, 4.

[7]  Patrologie latine 1, 669.

[8] De idolotria 7, 1.

[9]  Ibidem.

[10] De corona militis 3, 4.

[11] Tradition Apostolique 24.

[12] Tradition Apostolique 23.

[13] ibidem 32.

[14] Homélies sur les psaumes 37 II, 6. PG 12, 391.

[15] Hoùélie 227, 5.

[16] Voir le Corpus Canonum copte.

[17] Cité dans Histoire ecclésiastique, 6, 43, 18-19.

[18] Mentionné dans Histoire Ecclésiastique d'Eusèbe de Césarée, 7, 9, 4.

[19] Histoire Ecclésiastique, idem, 6, 44.

[20] Homélie 11, 7.

[21] De lapsis 26.

[22] Lettre 58 aux fidèles de Thibaris (en Tunisie actuelle).

[23] Tertullien, Ad uxorem 2, 5. Cyprien de Carthage, De lapsis 26 et bien d’autres.

[24] Se reférer à Ambroise de Milan, Excess fratris, 1, 43, 46 et bien d’autres.

[25] Hymnes sur lafoi 10, 8 et 10, 15.

[26] Mimré 4.

[27] Ibidem.

[28]  Les Démonstrations 9, 10.

[29]  In commentaire de (Juges 7, 5).

[30] Les Démonstrations 20, 8.

[31] Lettre 93.

[32] Catéchèse Baptismale 23, 21.

[33] Ibidem.

[34] Adv. mulieres 299. PG 37, 906.

[35] Memré 6, 14 pour la fête de tous les saints.

[36] Cité par Théodoret de Cyr, dans son Histoire de l’Eglise 5, 18.

[37] Homélie 82, 4  sur Evangile de Matthieu.

[38] Isaie 6: 6.

[39] Homélie 6, 3 vidi Dominum.

[40] Ad neophytos, 12.

[41] Sozomène, Histoire ecclésiastique 8, 5, 4-6.

[42] Homélie 9 sur la pénitence.

[43] Homélie 16, 27-29.

[44] Contra epistulam Parmeniani, 2, 7, 13.

[45] Commentaires du Cantique des Cantiques, 1, 1. PG 81, col. 27.

[46] Mentionné dans ‘Schenute Von Atripe Und Die Entstehung Des National Aegyptischen Christentums’, Johaness Leipoldt, 2012

[47] Ecrit durant la deuxième moitié du 5ème siècle, en Syrie ou en Asie Mineure.

[48] Testament du Seigneur, Texte arabe, 23, A.T.E.N.E., 1975, pp. 136-137.

[49] Memré sur l’Eucharistie.

[50]  Testament du Seigneur, Texte arabe, 23, A.T.E.N.E., 1975, pp. 136-137.

[51] Sermon 277, 5.

[52] Sermon 44, 6.

[53] Canon 36.

[54] Voir l’article du Père Robert Taft sj, ‘les cuillers de communion byzantines. Une revue des faits’, Dumbarton Oaks papers, 5, 1996 , p. 209-228. Il semble que le premier qui a utilisé les cuillers, mais pour communier les malades, fut Sophrone de Jérusalem (+638).

[55] Le canon 101.

[56] Cité dans ‘A Note on the Common Communion Spoon’, père Alkiviadis Calivas, Orthodox Observer News.

[57] Cité dans le Pédalion.

[58] Le canon 101.

[59] Cite dans ‘Die Canones Jacob’s von Edessa’, C. Kayser, Leipzig, 1866, pp. 13-14.

[60] De la foi orthodoxe 4, 13. PG 94, col. 11498.

[61] Neuvième prière avant la communion

[62] Cite dans l’article de R. Taft, B 2.

[63] Narrations, 43.

[64] Traité sur l’offrande eucharistique 2, 28. Cité dans l’article sus-mentionné de Robert Taft, B 1, 5.

[65] Cité dans l’article de Taft, B 2, 2.

[66] Chronicon 2, 46.

[67] Article de R. Taft cite.

[68] ‘Contre les erreurs des grecs’, 32.

[69] Ibidem 33.

[70] PG 100, col. 1204.

[71] Michael the Oxite, Regestes 1022 , ed. M. I. Gedeon, Constantinople, 1911, 1.1:40.4-10:

[72]  PG 137, col. 865.

[73] Cité dans l’article de Robert Taft B 2, 7.

[74] Codex Sinai Georgian 89 pour le onzième siècle, et Reggio Messina Euchologions plus tard, Taft B 3, 1 et B 3, 2.

[75] Synode de Cordoue (839), et synode de Rouen (vers 878) qui aurait promulgué les instructions suivantes au prêtre: ‘Qu'il ne dépose [la communion] ni dans la main d'un laïc, ni dans celle d'une femme, mais seulement sur les lèvres, en prononçant les paroles suivantes : Que le corps et le sang du Seigneur contribuent au pardon de tes péchés et te conduisent à la vie éternelle. Si quelqu'un enfreint cette prescription, qu'il soit exclu de l'autel, puisqu'il méprise le Tout-Puissant et refuse de l'honorer‘.

[76] Le Pedalion 410.

[77] L’expression est de Alexandre Faivre, dans. ‘Ordonner la fraternité’, Cerf, 1992, p.83.

[78]Par exemple Origène dit, abordant cette réalité, que ‘beaucoup de gens sont faibles et malades parmi les chrétiens, et que beaucoup meurent’ (Homélie sur le psaume 27 2, 6) parce qu’ils se présentent à la communion sans préparation adéquate. Il confirme cela dans un autre dire: ‘Celui qui communie au corps du Seigneur et à son calice sans préparation, s’affaiblit et tombe malade ou meurt, parce qu’il se drogue en mettant sa confiance dans la force du pain’ (Homélie sur Evangile de Matthieu PG 13 901-904).

[79] Et pourtant Cyrille de Jérusalem a dit qu’il est interdit de considérer le pain et le vin de l’Eucharistie ‘comme seulement du pain et du vin’, car ‘ils sont devenus le corps et le sang  du Christ. ‘Qui osera encore hésiter?... Et qui le mettra en doute ?’ (Homélie baptismale 22, 1). Et de poursuive: ‘Le pain et le vin te seùblent en leur état purement naturel, mais ne t’y arrête pas’ (ibidem 22, 6).

[80]  Pédalion 322.

[81] Il manque à cet argument des preuves palpables, car il s’avère difficile au fidèle contaminé par la cuiller de l’admettre aisément, parce qu’il recherche d’autres causes à son mal, par peur de manquer de respect aux saints dons.

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