Le MJO dans les années à venir

 

Raymond Rizk


L'avenir

Il y a près de cinquante ans, un des fondateurs du MJO se demandait s'il viendrait un jour où le MJO n'aurait plus de raison d’être. Je ne poserais pas aujourd'hui pareille question, car le vrai problème n'est pas dans la pérennité de telle ou telle autre organisation, mais dans la nécessité pour l'Eglise d'Antioche de se faire toujours obéissante aux injonctions de l'Esprit qui anime tout mouvement de renouveau. Certes, l'avenir est entre les mains de Dieu: le semeur, lui a à semer, sans connaitre le temps - ni l'étendue - de la moisson. Mais nous pouvons être sûrs que cet avenir sera le résultat, fructifié par l'Esprit de notre engagement d'aujourd'hui à être et à rester fidèles à notre premier amour et à mettre toute notre confiance en Celui qui a vaincu le monde.

Continuer à nous convertir à  l'orthodoxie

Une des tâches principales auxquelles s'est attelé le MJO, et il se doit de toujours la parfaire, c'est de nous avoir fait prendre conscience que chacun d'entre nous, de par son baptême et sa chrismation, est appelé à être un semeur dans le champ imparti à l'Eglise de Dieu qui est à Antioche, que cette responsabilité nous est commune à tous, et qu'elle doit se refléter dans notre vie et dans notre engagement.

En fait, il ne s'agit là que d'un appel à se convertir à la véritable Orthodoxie, un appel à devenir vraiment chrétien. Et pour cela, il n'y a d'autre voie que "celle qui a été livrée une fois aux saints'', et expérimentée par des générations de nos frères dans la foi, à savoir: se mettre à l'écoute de Celui qui, seul est « le chemin, la vérité et la vie ». Il faut donc continuer à nous mettre à la recherche du Seigneur dans tous les endroits de sa présence, si nous voulons qu'il nous soit donné de nous rendre compte, comme les disciples d'Emmaüs, que le Ressuscite est toujours très proche, mais que souvent nos yeux sent fermés, et notre esprit occupé à des considérations très '' sérieuses" qui nous empêchent de comprendre que Dieu est toujours "dans l'attente de la rencontre'' (Isaac le Syrien), et qu'il nous invite avant tout à nous transformer par et pour Lui. Il nous faut donc continuer à proclamer, haut et fort, à temps et à contretemps, que tout changement valable et en profondeur, que nous voudrions voir amorcer dans le monde et dans l'Eglise, ne peut être que la conséquence d'un changement en nous, d'une véritable révolution intérieure qui vient en premier et donne un sens aux autres, j'ose dire la révolution la plus efficace: la metanoia évangélique.

Et sans exclure d'autres parcours, il nous faudra continuer à affirmer gue la "voie royale" pour nous remplir de cette soif de Dieu et pour mieux entendre son appel incessant à devenir, par l'acquisition de son Esprit, des témoins de son Christ, est de nous engager dans la vie de son Eglise. C'est là, par excellence, et malgré la pusillanimité des hommes et le vermoulu des structures, que nous avons le plus de chances de rencontrer le Christ qui s'y offre à nous, dans le tête à tête de la prière, dans la Parole de la Bible, dans l'offrande de l'Eucharistie, dans l'assemblée et la communauté des frères, d'où il nous apprend à le retrouver aussi dans l'homme, dans tout homme en qui l a choisi de faire sa demeure et qu'il nous invite à servir.

Cet engagement dans la vie de l'Eglise doit, pour rester authentique, dépasser à la fois les tentations de la morale pharisaïque du "juste assez pour être en règle", du ritualisme coupé du monde, et de l'activisme pragmatique. La vie de l'Eglise, liturgique dans tous ses aspects, ne s'arrête pas à l'espace de l'église, tant il est vrai qu'il n'y a pas de véritable participation à la Liturgie, qui ne commence - et ne se poursuive - hors de l'enceinte du temple: avant, par la pénitence, et après, par un mode de vie évangélique et la participation au sacrement du frère.

Avec tous ceux qui le proclament, le MJO devra continuer patiemment à le dire et à le redire dans d'innombrables équipes d'enfants, de jeunes, d'adultes, mais aussi par divers autres moyens, dans des cercles encore plus larges: devenir chrétien suppose un changement de vie, un abandon de la religion-musée et de la religion-confession, religions de la lettre pour se laisser brûler au feu de la Parole vivante de Dieu. C'est prendre ses distances par rapport à l'esprit et aux pratiques de ce monde dans l'espoir de pouvoir un jour humblement balbutier avec l'Apôtre: "Quant à nous, nous avons l'esprit du Christ". C'est accepter, de plein cœur de nous mettre, à l'image du Maitre, "aux pieds" de tous. Un très beau texte antique, l'Epitre à Diognète, parlant des premiers chrétiens, dit simplement : qu’"Ils ne se distinguent des autres hommes, ni par leur patrie, ni par leur langage, ni par leurs vêtements…. Mais tout en se conformant aux usages locaux, ils donnent un admirable et extraordinaire exemple par leur comportement".

Catalyseur du renouveau dans l'Eglise

De même, le MJO devra prier avec beaucoup de ferveur pour qu'il lui soit donné de continuer à jouer, au sein de l'Eglise d'Antioche le rôle de catalyseur du renouveau. J'ai bien dit catalyseur, c'est-à-dire, celui qui suggère et rappelle des exigences, attise les ferveurs, aide à susciter projets et engagements, invite à l'action et se place aux premiers rangs des serviteurs; celui qui voudrait inébranlablement n'être que le "parti de Dieu", et de lui seul, dans une conscience aigüe d'appartenance à l'Eglise du Christ sur le sol d'Antioche, et donc de fraternité avec tous ceux qui la composent, partout où ils se trouvent, loin de tout institutionnalisme démesuré, mais dans une communion totale avec l'Evêque de chaque lieu.

Dans cet amour - celui-là volontiers démesuré - de l'Eglise du Christ, le MJO devra toujours, dans l'humilité et une conscience profonde des faiblesses de ses membres, œuvrer à amener cette Eglise à devenir encore plus elle-même, "toute resplendissante, sans tache, ni ride, ni rien de tel, mais sainte et immaculée"(Eph 5,27), et !'inviter à réaliser davantage qu'elle est appelée à être le cœur et la conscience du monde, et que cette vocation lui impose des exigences de renouveau dans ses aspects relationnels et institutionnels, ainsi que dans son témoignage et son approche des problèmes du monde.

Appeler à l'unité de l'Eglise orthodoxe d'Antioche

A cet effet, et tout en rendant grâces à Dieu, et à Lui seul pour !'explosion de grâce qui a secoué, durant les dernières décennies, notre Eglise d'Antioche, et pour les "visitations" réelles de !'Esprit dans les temps présents, je ne peux m'empêcher de constater, qu'ici ou là, des vieux démons ressurgissent, et que des urgences sont oubliées. Et il me semble parfois que le mouvement de renouveau dans l'Eglise d'Antioche risque de s'enliser dans des querelles de personnes, de clocher ou de diocèses.

Or, n'est-ce pas pécher contre !'Esprit que de ne pas prendre suffisamment conscience du scandale causé à "ces petits qui croient" par ces clivages qui se font jour parfois au sein du peuple de Dieu, et qui donnent l'impression, pour reprendre l'expression de Basile le Grand (Lettre 191), que "nous nous sommes enfermés dans des églises séparées où chacun de nous tient en suspicion son voisin". Réalisons-nous assez que la prière du Seigneur: "Qu'ils soient un pour que le monde croie", concerne d'abord et avant tout les membres de notre sainte Eglise d'Antioche, dont l'unité aujourd'hui, vécue dans l'amour et l'esprit de conciliarité qui est censé caractériser notre Eglise orthodoxe, est une condition sine quoi non du retour du monde qui nous entoure à la foi, et de l'impact de notre témoignage évangélique.

La conciliarité devrait être un état d'esprit permanent dans l'Eglise, car elle est le reflet de la vie trinitaire en elle, C'est vrai que cette conciliarité se manifeste d'abord dans l'expérience eucharistique et liturgique qui est expérience commune de réconciliation des hommes avec Dieu et entre eux, crucifixion de l'égoïsme personnel et collectif pour accueillir la vie du Ressuscité, fraternité vécue en Christ et pour le Christ, manifestée dans la diaconie pour les autres, et enfin expérience de la sainteté dans l'Eglise des pécheurs. Mais notre participation à la vie liturgique serait tâchée d'hypocrisie si cette conciliarité n'est pas aussi vécue comme une pratique régulière de la responsabilité commune des membres du peuple de Dieu à tous les niveaux de la vie et du gouvernement de l'Eglise, et si elle ne transparait pas dans la nature et le style des relations entre eux, et dans le fait que toutes leurs affaires se doivent d'être réglées en communion, que ce soit au niveau du conseil paroissial, du conseil diocésain, ou du saint-Synode, ou dans tous les autres organes ou plateformes d'unité qui existent ou qui devraient être imaginés pour asseoir encore plus et mieux l'unité et la co-responsabilité de tous les membres du peuple de Dieu. La responsabilité de promouvoir cet état d'esprit incombe en premier au Saint­Synode, mais je pense gue le MJO a un rôle important à jouer, du fait qu'il est une des rares plateformes d'Eglise regroupant réellement et dans une rencontre presque permanente des membres de ce peuple de Dieu, à travers, mais dans le respect, des frontières juridictionnelles, qui souvent, dans la pratique, sont en train de cloisonner ce peuple qu'elles sont censées unifier.

Il s'agit tout simplement de vivre notre théologie et de cesser de vouloir faire la théologie de notre état, de nos intérêts ou de nos passions. Notre vraie théologie, exprimée dans la "loi de base" de 1973 permet d'éviter tout à la fois les tentations d'un cléricalisme autoritaire, et celles d'une anarchie sécularisatrice soi-disant démocratique, selon laquelle tous les baptisés, même s’ils n'ont pas renouvelé et assumé les promesses de leur baptême, en entrant dans le chemin sans fin de reconversion au Christ, pourraient imposer leur volonté. Nous savons, et nous devons incessamment le redire que la théologie orthodoxe du sacerdoce place la ligne de démarcation - si démarcation il y a aux yeux de Dieu - non entre clercs et laïcs, mais entre clercs et laïcs engagés dans la metanoia évangélique et qui forment le "peuple de Dieu", d'une part et ceux -tant clercs que laïcs - qui ne se veulent rattaches à l'Eglise gue par des considérations d'ordre esthétique, socio-politique ou d'intérêt personnel ou collectif. Certes, l'Eglise du Christ ouvre ses bras et son cœur à tous les baptisés (et à travers eux à tout homme qui vient dans ce monde), et elle invite tous les croyants avec la même insistance, à confirmer leur appartenance au peuple de Dieu en participant activement à la vie liturgique et sacramentelle de l'Eglise, et en essayant de se comporter selon le modèle de vie évangélique qu'elle propose. La voie est ainsi ouverte, et la méthode définie à tous ceux qui veulent vraiment faire partie de ce "peuple qui, chez nous garde la foi", et en conséquence peut et doit prendre part aux décisions touchant la vie interne de l'Eglise.

Œuvrer pour que soit vécu l'esprit de conciliarité à tous les niveaux de la vie ecclésiale doit être une priorité pour tous ceux qui aiment l'Eglise dans les années qui viennent. En plus de la nécessité de former, dans l'esprit et selon la lettre de la loi de 1973, les divers conseils et organes de conciliarité, il faudra amener toutes les forces de renouveau dans l'Eglise à se reconnaitre entre elles, à accepter la diversité de leurs charismes respectifs et à trouver la complémentarité de leurs approches forcement différentes. C'est le fait des néophytes de se définir en s'opposant, allons-nous accepter de rester indéfiniment des néophytes : Il faudra donc apprendre à réfléchir ensemble, à planifier ensemble, à délimiter ensemble les contours du "projet antiochien" pour le troisième millénaire. Il faudra inventer les moyens pour vivre la conciliarité de l'Eglise toujours plus dans les relations des hiérarques entre eux, dans leur relation avec les prêtres, les moines, les laïcs, dans les relations de tous ces derniers entre eux, etc... Il faudra nous convaincre de la nécessité de convier tous les croyants à venir prendre leur place et assumer leurs responsabilités dans la famille, sans exclusive mais, dans l'ordre et dans le respect des "premiers entre les égaux", et ce à tous les niveaux de la vie de l'Eglise. De même, il faudra que tous ceux qui se considéreraient comme des "ouvriers de la première heure", n'ayant jarnais abandonné la maison paternelle, soient d'urgence convaincus d'accueillir dans la joie l'apport des "ouvriers de la onzième heure" qu'ils auraient tendance à considérer comme autant de "fils prodigues". Il faudra enfin promouvoir tout ce qui peut nous amener à refléter davantage la "communion fraternelle" (Ac. 2,42), et à "revêtir l’amour "qui est le lien parfait" (Col. 3,14) auxquels notre appartenance à l'Eglise du Christ nous convie.

Appeler l’Eglise à retrouver son éternelle jeunesse et être ses intermédiaires avec la modernité

Un autre domaine où le MJO devrait encore servir le Christ clans l'Eglise consiste en ce qu'il se doit de continuer à mobiliser une avant-garde sensible aux interpellations du monde et appelant l’ensemble de l'Eglise à y répondre. Ce rôle, le MJO peut l'assumer parce qu'il est la plateforme d'Eglise où, sans exclure les adultes - d'ailleurs "devant le Seigneur, il n'y a ni jeunes ni vieux" -, les jeunes se font le plus librement et donc le mieux entendre. Or il est important que l'Eglise prête une oreille attentive aux cris et à l'impatience de ses jeunes. En plus de la disponibilité dont ils peuvent faire montre quand ils décident de se lancer de plein cœur dans l’aventure de la sainteté, l'apport des jeunes, malgré ou peut-être à cause de leur jeune âge - mais l'Apôtre des nations n'a-t-il pas dit : "que nul ne méprise ton jeune âge" (1Tim. 4,12) - est de poser des questions à l'ensemble de l'Eglise, de l'interpeller, de la "gêner", et par là-même et par leur engagement, de l'aider à retrouver incessamment son éternelle jeunesse.

Sensibles aux injustices, idéalistes, refusant tout compromis pouvant être blessants parce que blessés par la souffrance et les angoisses du monde et ce qu'ils considèrent - parfois à tort - comme les compromissions des adultes et des responsables dans l'Eglise dans leurs relations avec le pouvoir et les nantis, les jeunes sont bien placés au sein du peuple de Dieu pour être "les intermédiaires entre l'Eglise et la modernité", et donc convier toute l'Eglise à mieux comprendre les problèmes du monde et les priorités et les urgences qu'ils devraient susciter sur les plans de son action pastorale et de son témoignage.

Or, depuis une cinquantaine d'années, beaucoup de choses ont changé, et dans l'Eglise d'Antioche et dans notre monde, ramenant à l'ordre du jour d'anciennes priorités quelque peu tombées en désuétude et en suscitant de nouvelles, tant dans la vie interne de l'Eglise que par rapport à son témoignage. Ce n'est pas ici le lieu de nous étendre sur l’ensemble de ces priorités, aussi me contenterais-je d'en citer les plus importantes qui devraient nécessairement faire partie de tout "projet antiochien" pour les années à venir,
Et tout d'abord le partage.

Plusieurs textes du Nouveau Testament, en particulier des Actes des Apôtres, nous rappellent gue les premiers chrétiens "mettaient tout en commun" (Ac. 2,44). Je voudrais pourtant vous citer un extrait d'une apologie du Ile siècle qui, parlant des chrétiens d'alors, dit: "S'ils ont parmi eux un homme pauvre ou dans le besoin et qu'ils n'ont pas les choses nécessaires en abondance, ils jeûnent deux ou trois jours pour fournir à celui qui est dans le besoin la nourriture qui lui est nécessaire". Je sais qu'il nous faut malheureusement beaucoup plus que deux ou trois jours de jeûnes pour subvenir aux besoins grandissants de nos frères, et c'est pourquoi notre Eglise, aujourd'hui et pour de nombreuses années à venir, doit retrouver les accents des plus grands de nos Pères pour nous convier au don en nous rappelant que "le pain gue tu gardes appartient à l'affamé" (St. Basile), et gue "ne pas venir au secours d'autrui, c'est renier l'agape du Seigneur" (St. Irénée de Lyon), mais aussi pour considérer que la création et le renforcement de nos institutions sociales font partie intégrante de son action pastorale.

Le renouveau liturgique

Une autre priorité qui semble piétiner, et donc régresser c'est le renouveau liturgique en profondeur pour retrouver le véritable sens de la liturgie comme œuvre commune de l'ensemble du peuple de Dieu. Et cela implique, entre autres, une relecture et peut-être la refonte de certains textes, l'introduction de tout ce qui peut faciliter une plus authentique participation et une meilleure compréhension (ainsi, par exemple l'habitude de lire à voix intelligible les "prières secrètes" qui commençait à devenir courante ici ou là semble très en régression), la clarification et l'unification de nos pratiques concernant le sacrement de pénitence, la communion, etc...

Renouveller notre catéchèse et utiliser les médias

De plus, il faut nous rendre compte que le monde qui nous entoure change à une allure vertigineuse, avec des conséquences souvent tragiques pour notre témoignage. Devant la montée de la sécularisation, de l'attrait des biens de consommation et de la dissolution des mœurs, un athéisme pratique est en train de s'installer chez nous. L'influence grandissante des sectes et le fait qu’un pourcentage important de nos enfants soit instruit dans des écoles non orthodoxes ou laïques, ainsi que la désintégration de la famille en tant qu'unité de base de l'Eglise font gue beaucoup de ceux qui se disent encore orthodoxes ne le sont plus gue de nom.

Nos paroisses sont tellement étendues, le nombre de nos prêtres est tellement insuffisant que nous ne pouvons plus seulement compter sur les sermons (quand ils sont faits), les contacts des prêtres avec la population, ou même les "écoles du dimanche", car dans les meilleures des hypothèses ils n'atteignent qu'un pourcentage minime des membres de notre communauté.

Il est donc extrêmement urgent de multiplier les moyens de faire parvenir la "bonne nouvelle" aux gens chez eux, dans leurs maisons, leurs écoles, leurs lieux de travail. Pour cela, et en plus de la nécessité d'un effort missionnaire qui amènerait de plus en plus nos prêtres, nos moines et nos laïcs engagés à faire du porte à porte, et en plus de la nécessité de conscientiser nos institutions culturelles pour qu'elles développent une pensée et une éducation nourries de la vision orthodoxe, il nous faut à tous prix recourir à l'écriture, au son et à l'image, donc à l'édition et aux médias écrits et audio-visuels.

Il est aussi extrêmement urgent de repenser notre catéchèse pour la rendre plus parlante et plus intelligible, d'apprendre à sortir des sentiers battus pour dire aux hommes que Dieu les aime, qu'il s'est fait homme pour leur donner la possibilité de devenir des dieux, et que son Eglise, loin de les infantiliser, leur permet d'accéder à "la grande liberté des enfants de Dieu", et les aide à retrouver le sens perdu des êtres et des choses, et à réapprendre à épeler son Nom à travers la beauté et la culture.

Il est évident que l'initiative prise récemment dans ce diocèse de faire parvenir le bulletin paroissial aux gens chez eux va tout à fait dans ce sens. J'espère qu'elle sera bient6t suivie ailleurs, et surtout qu'elle est le signe d'une approche ecclésiale plus responsable de l’édition et de l'utilisation des moyens modernes de communication.

Incarner l'unité théologique réaffirmée avec les non­ chalcédoniens

Il ne suffit pas de rendre grâce à Dieu pour les efforts qui ont abouti à la reconnaissance réciproque de l'orthodoxie de la foi des églises-sœurs dites chalcédoniennes et non chalcédoniennes, c'est-à-dire notre Eglise orthodoxe et les Eglises orthodoxes syriaque, copte, arménienne et éthiopienne. Il nous faudra dès maintenant et dans les années à venir mettre en pratique les orientations pastorales que notre Patriarche et les Pères du Saint-Synode ont récemment promulguées pour que cette unité retrouvée de la foi s'incarne dans l'union des cours, l'acceptation de la différence du frère comme enrichissement, et le dépassement des haines ou de l'ignorance réciproques, résultat de siècles de luttes fratricides, inutiles qui ont déchiqueté le tissu de notre christianisme oriental et défiguré notre témoignage. Il faudra conscientiser les membres de notre Eglise sur l'importance de l'enjeu et la nécessité d'aller encore plus avant dans la rencontre de nos frères retrouvés, et à travers cette rencontre, encore mieux vivre, entrelacées à nos racines grecques et arabes, nos propres origines syriaques.

L'unité de tous les chrétiens

Un autre enjeu d'importance qui doit susciter l'ardeur de ceux qui aiment l'Eglise du Christ, est celui de la rencontre dans la charité et la vérité avec les frères qui, au cours des siècles se sont séparés de nous, choisissant de s'unir pour des raisons diverses aux Eglises d'Occident. Il est vrai que nous devons pratiquer une Orthodoxie ouverte, que le temps des ghettos, mêmes spirituels, sont définitivement révolus. Mais cela ne veut dire ni syncrétisme, ni œcuménisme sentimental à la va-vite appelant à des "hospitalités eucharistiques" sauvages, ni prééminence contre-nature de la charité sur la vérité. Il faudra veiller de plus en plus à éviter le double langage à la libanaise, la non conformité des actes aux paroles, tout ce qui pourrait mener à l'effritement de l'appartenance ecclésiale de nos enfants, ainsi que tout rassemblement des chrétiens à tout prix dans un quelconque esprit de croisade. Notre Patriarche disait récemment que, loin de tout esprit de croisade, il faut apprendre à nous reconnaitre frères dans "l'esprit de la croix, qui est le Saint-Esprit", et donc nous mettre, ensemble à l'écoute des chuchotements de cet Esprit pour prier ensemble, effectuer un retour commun aux sources, acquérir les uns et les autres, les uns par l'exemple des autres, un style de vie et de témoignage authentiquement évangélique, en répudiant les pratiques de prosélytisme qu'on aurait voulu pouvoir reléguer au passé, et en unifiant nos efforts au service de taus les hommes. L'unité nous sera alors donnée par Celui qui a prié pour elle, quand nous l'aurons ainsi mérité, par un dialogue et une action commune en profondeur, loin de l'hypocrisie et des salamalecs orientaux, car les "murs de la séparation ne montent pas jusqu'au ciel".

Le dialogue avec l'Islam

Il faudra aussi réanimer et réactiver toujours plus le dialogue avec les croyants d’autres religions. Ce fut là la grande espérance amorcée par l'expérience libanaise des années 1960-1970, et qui semble avoir une chance de reprendre aujourd'hui. C'est l’une des priorités de notre témoignage de chrétiens d'Orient, et c'est un des services les plus importants, malgré les embûches qui y sont inhérentes, que nous pouvons rendre au monde.

La dignité de l'homme et la lutte pour la justice et la paix

Il n'en reste pas moins, cependant que l'un des critères essentiels de l'authenticité de l'engagement du MJO au service de l'Eglise réside dans le sérieux de l'engagement de ses membres dans la lutte, menée avec toutes les âmes de bonne volonté pour la dignité de l'homme, l'instauration de la justice, le refus de la violence et la recherche de la paix. En effet, souvent "ce n'est pas de la manière dont un homme parle de Dieu, mais par la manière dont il parle des choses terrestres qu'on peut mieux discerner si son âme a séjourné dans le feu de Dieu" (Simone Weill). Dans notre pays, écartelé par les haines et les intérêts des uns et des autres, il devient de plus en plus urgent de donner à l'Evangile toute sa portée sociale, sans distinction aucune d'appartenance religieuse, ethnique ou confessionnelle. Il est aussi urgent que notre communauté puisse continuer à être une présence d'Eglise au sein de la mosaïque des "confessions" libanaises, prônant la nécessaire convivialité, le refus du mensonge fait institution et la justice pour tous. Etre une communauté de pacificateurs, une communauté-pont, engage à de grands sacrifices et fait courir des risques énormes: les ponts, on les piétine, on les passe, ou pour le mieux, on se rencontre dessus, mais sans eux, ceux qui campent sur les rives opposées pourront difficilement se rencontrer. Il nous faut continuer à assumer notre histoire, et pleinement nos devoirs de concitoyens sans cesser pour autant d'être les témoins de la douceur évangélique. C'est 1à une grande responsabilité qui doit engager l'ensemble des forces vives de notre communauté, sans oublier l'apport des jeunes qui, peut-être plus que d'autres, ressentent dans leur chair les blessures d'hier et d'aujourd'hui et seront appelés, le moment venu, à porter le poids très lourd de l'œuvre de reconstruction et surtout de ré-humanisation de la réalité libanaise.

"Viens et vois!"

La liste pourrait encore s'allonger. Le Seigneur frappera tous les jours aux portes de notre cœur et nous indiquera, si nous sommes fidèles, les urgences et les nouveaux endroits où nous pourrons le rencontrer et le servir.

Les membres du MJO devront continuer à traduire dans le réel leur fidélité au Christ en augmentant toujours davantage le nombre de ceux qui parmi eux, sont disposés à consacrer toute leur vie à son Eglise, dans la prêtrise, le monachisme et le laïcat engagé. C'est ainsi qu'il sera toujours possible sur cette terre apostolique, de répondre à tout homme en quête de vérité : "Viens et vois".

Oui ! "Viens et vois ! ". Tu verras certes beaucoup de faiblesses et de défaillances. Tu verras le vieil homme rejaillir ici et là, tu verras les tentations du pouvoir, de l'argent, de la politique partisane qui sèment la zizanie au sein du peuple de Dieu...

Mais, tant qu'il y aura des hommes et des femmes, clercs et laïcs, qui, assumant la consécration de leur chrismation et renouvelant les promesses de leur baptême, se reconnaissent frères et co-responsables de l'Eglise de Dieu, et qui, dans la communion et le partage se réunissent autour de leur évêque en communauté eucharistique, il te sera donné de voir, avec les yeux du cœur, les langues de feu redevenir agissantes...

Tu verras alors que les grains de sénevé font toujours bouger les montagnes ...

Tu réaliseras, qu'au milieu des menaces et des dangers qui ne peuvent que tuer le corps, la joie de la Résurrection fait reculer la peur et qu'une grande espérance jaillit des ténèbres...

Tu retrouveras alors, par ces gens qui s'aiment, par ces gens qui aiment, ou plutôt tu retrouveras par Celui qui les habite le goût de la liberté, de la beauté et de l’amour.

Frères du MJO, frères de notre Eglise, voilà ce à quoi nous sommes appelés. C'est là notre vocation, personne ne pourra nous la ravir. C'est en cela que réside la preuve de notre fidélité à l'Orthodoxie. Rien ne pourra mieux perpétuer l'œuvre de renouveau dans notre Eglise gue la présence de saints, si Dieu veut bien les susciter, et si nous voulons bien entendre ses appels. C'est aujourd'hui qu'il faut réactualiser notre conversion pour que nos communautés et notre Eglise deviennent encore plus le ferment du monde, préfiguration et annonce du Royaume où le Christ sera tout en tous.

Qu'il nous soit donné d'être conscients à tout instant que par la sainteté de notre vie, nous "hâtons" la venue de ce Royaume (2 Pi. 3,12).

"Viens Seigneur Jésus. Viens … car à qui d’autre irons-nous: Toi seul tu as les paroles de la vie éternelle" (Jean 6, 68).

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