LE CONCILE DE MOSCOU (1917-1918)
Raymond Rizk- Février 2006
La parution aux
Editions du Cerf, Paris, en Janvier 2006, de l’ouvrage de 500 pages intitulé, Le
concile de Moscou (1917-1918), La création des institutions conciliaires de l’Église
orthodoxe russe, du Père Hyacinthe Desteville, dominicain et directeur du
Centre d’études et de la revue Istina, est un évènement pour tous ceux qui
s’intéressent, non seulement à l’Église russe mais à toutes les tentatives de
réponse données par l’Église orthodoxe en vue de son « aggiornamento »,
face aux défis de la modernité et ses tentatives pour briser le carcan de
l’immobilisme dans lequel elle s’est laissée enfermer durant des siècles.
L’ÉGLISE RUSSE ENTRE L’ABOLITION DU PATRIARCAT PAR
PIERRE LE GRAND ET LES DEBUTS DU PROCESSUS CONCILIAIRE
Le commun des mortels pense que l’œuvre essentielle de ce Concile, réuni à la veille de la révolution d’Octobre, fut le rétablissement au sein de l’Église russe de l’institution patriarcale, abolie en 1721 par Pierre le Grand. Nous verrons plus bas que ce rétablissement ne représente que la « partie visible de l’iceberg » des réformes extrêmement importantes entreprises par ce Concile. Pierre le Grand, s’inspirant du modèle luthérien du gouvernement de l’Église et de ses relations avec l’État, remplaça le patriarcat par un « Collège ecclésiastique permanent », le Très Saint Synode, composé d’évêques et de deux ou trois prêtres mais dont toute l’activité était étroitement contrôlée par un haut procureur civil, nommé par l’empereur avec droit de veto et qui se trouvait pratiquement à la tête de l’appareil administratif de l’Eglise.
« Paralysie » de l’Eglise durant la période « synodale »
Comme le disait F. M. Dostoïevski, à la fin du XIX siècle : « L’Église
russe est paralysée depuis Pierre le
Grand ». En fait, cette paralysie était le résultat à la fois de la
décision impériale et de facteurs internes à l’Église. Ces facteurs avaient commencé
avec les dissensions du XVI siècle entre les « possédants » et les
« non possédants », disciples respectifs de Nil Sorsky et de Joseph
de Volokolamsk (voir article paru dans An Nour, No ? ), le schisme
uniate en Ukraine (union de Brest-Litovsk) en 1596, l’influence
grandissante de la théologie occidentale au sein de l’Église qui culmina en
1640 avec la Confession orthodoxe de tendance latinisante du métropolite de
Kiev, Pierre Moghila et le schisme des vieux-croyants (orthodoxes russes qui se
sont séparés de l’Église en 1652-1653, suite aux réformes de la langue
liturgique et de certains rites introduites par le patriarche Nikon).
Cependant, malgré l’asservissement de l’Eglise au pouvoir civil et les crises de la vie ecclésiale de la période précédente, la période « synodale » de l’histoire de l’Eglise russe expérimenta une vie religieuse intense et créatrice. L’objet de cet article n’étant pas de s’étendre sur ces aspects, nous nous limiterons à mentionner rapidement que ce renouveau affecta en profondeur à la fois la vie monastique, celle d’une partie de l’épiscopat et bâtit des ponts entre l’Église et les principaux tenants de la vie intellectuelle. De plus, il fut porteur d’un élan missionnaire inégalé.
Renouveau du monachisme
Parmi les grandes figures du renouveau monastique, mentionnons saint Tykhon
de Zadonsk (1724-1783), prophète d’un complet renoncement aux valeurs
mondaines, saint Païssy Vezlichkovski (1722-1794) traducteur en slavon en 1793 de
la Philocalie de saint Nicodème l’Hagiorite, et donc ferment du renouement de
l’Église russe avec la grande tradition hésychaste et patristique, sainte Xénia
de Saint-Pétersbourg (1720-1803), folle en Christ, qui a fait revivre cette
forme très caractéristique de la sainteté russe, saint Séraphin de Sarov (1759-1833), un des
plus grands parmi les saints orthodoxes modernes ainsi que les saints starets du
monastère d’Optino qui devinrent dans la deuxième moitié du XIX siècle les
directeurs spirituels de l’élite spirituelle russe. Au cours du siècle
précédant la révolution, le nombre de monastères fondés dépassait en nombre
tous ceux ouverts en aucun autre siècle de l’histoire de l’Eglise russe. Le
renouveau monastique ne se limitait point aux hommes. A côté de monastères
féminins traditionnels, de nouvelles formes de vie religieuse, consacrée au
travail caritatif, telles les « Sœurs de la charité », virent le jour
en 1877.
Des figures intellectuelles aussi importantes que Gogol, Dostoïevski, Vladimir Soloviev, Alexis Khomiakov, Léon Tolstoï et d’autres apprirent, au contact de ces starets, la grande tradition spirituelle de l’Orient et se mirent à rechercher dans l’Eglise, face aux tentations nihilistes et révolutionnaires montantes, un critère de leur inspiration. A la veille même de la Révolution, d’éminents intellectuels marxistes, tels Pierre Struve, Simon Franck, Serge Boulgakov et Nicolas Berdiaev, reviennent à la foi, tandis que la sainteté russe s’enrichit de Jean de Cronstadt (1829-1908), prêtre marié, curé de la plus misérable paroisse de Saint-Pétersbourg, totalement donné au bien-être de ses paroissiens, pauvre parmi les pauvres, thaumaturge, à la fois grand prêcheur de la Parole divine et promoteur d’une véritable action sociale dans la société par la création de centres professionnels pour les jeunes et des maisons d’accueil pour les vieillards et les impotents.
Durant cette période, de grands évêques, tels saint Ignace Briantchaninov
(1807-1867), saint Théophane le Reclus (1815-1894), saint Philarète
de Moscou (1782-1867) et d’autres contribuèrent au rayonnement de
l’Eglise. Des écoles de théologie, appelées « académies », furent
fondées, d’abord à Moscou (fin XVIII siècle), puis à Saint-Pétersbourg (1809),
Kiev (1819) et Kazan (1842) ainsi que de nombreux séminaires (au total 58).
Un élan missionnaire amena l’Eglise russe à poursuivre son expansion et établir des missions en Sibérie orientale (1724), Chine (1714), Alaska (fin XVIII siècle), Sibérie occidentale (1830), Japon (1861) et en Corée (fin XIX siècle). Dans tous ces pays, les textes bibliques et liturgiques étaient traduits dans les diverses dialectes parlés par les peuplades évangélisés. Ainsi, dans la seule région de Kazan, la liturgie de saint Jean Chrysostome était célébrée en 1903 en plus de vingt langues. De grands saints, tels Germain de l’Alaska (1757-1837), Innocent (1797-1879), Nicolas du Japon (1836-1912) et d’autres initièrent et développèrent ce travail missionnaire.
La période « synodale » fut donc, malgré la mainmise de l’Etat,
une période de grande fécondation spirituelle dont le Concile de Moscou de
1917-1918 fut une sorte de consécration et de couronnement. Après deux siècles
de silence au niveau de l’ensemble de l’Eglise russe, pour la première fois,
depuis le dernier Concile de Moscou de 1666-1667, elle faisait de nouveau
entendre sa voix par un Concile local, non seulement par la ré institution du patriarcat,
mais surtout par la réalité conciliaire elle-même et les décrets qu’elle
engendra.
LES CARACTERISTIQUES DU CONCILE
L’auteur de l’ouvrage écrit (p. 20-21) : «La particularité de ce Concile
tient … à sa préparation, longue de douze années, pendant lesquelles tous
les évêques furent invités à rédiger des rapports, trois commissions se
réunirent, d’innombrables articles et manifestes furent publiés par une presse
d’une étonnante vitalité. »
Il poursuit : « Unique, ce Concile l’est aussi par sa
composition : rassemblant 564 membres, dont 299 laïcs élus, représentant
tous les domaines de la vie ecclésiale, et jouissant tous de la voix
délibérative. Il l’est également par la qualité de ses membres, dont certains,
comme Eugène Troubetskoi ou Serge Boulgakov, illustraient le remarquable
renouveau de la théologie russe au début du XX siècle. »
L’importance de ses thèmes
Et, il continue : « Il l’est par l’ampleur des questions soulevées, qui touchaient l’ensemble de la vie ecclésiale, et nous semblent aujourd’hui d’une étonnante actualité : place des laïcs, mission, prédication, rôle des femmes dans l’Église ».
Ce Concile fut donc exceptionnel et particulier par sa préparation à
laquelle participèrent toutes les forces
vives de l’Eglise de 1905 à 1917; par sa composition qui donnait place à toutes
ces forces vives, plus de la moitié de ses membres étant des laïcs, le restant
composé des évêques et de représentants du clergé et des moines ; par
l’ampleur et l’importance des sujets abordés qui soulevaient toutes les
questions faisant problème au ministère de l’Eglise et empêchant son
rayonnement, sa mission et les relations harmonieuses et aimantes entre toutes
ses forces vives, et celles-ci avec la société.
Mais aussi son contexte historique
Il fut aussi, certes, exceptionnel par les circonstances historiques durant
lesquelles il fut convoqué et se déroula. Il fut tenu dans un « contexte
bouleversant… de guerre mondiale, de révolution communiste, qui devait
inaugurer une persécution chrétienne d’une ampleur jamais atteinte. Un grand
nombre de membres du Concile, évêques, prêtres, moines, laïcs, mourront en
martyrs pendant et surtout après ses travaux, transformant cette assemblée en
un véritable Concile de témoins de la foi, en la plus vaste assemblée de futurs
saints de toute l’histoire de l’Eglise russe » (p. 21).
CE CONCILE : UN EXEMPLE DE RENOUVEAU POUR NOTRE TEMPS
Tout ces éléments réunis ont fait de ce Concile pour l’Église russe un évènement providentiel lui permettant de mieux aborder les tourments de l’ère soviétique et, comme le dit Mgr. Hilarion Alfeev dans l’Avant Propos du livre, d’aborder «avec un courage exceptionnel l’ensemble des questions que l’évolution de la société pose aux chrétiens : gouvernement de l’Eglise, mission, prédication, liturgie, monachisme, vie paroissiale ». Ajoutons : relations avec les schismatiques, les autres chrétiens, les autres religions, l’Etat, etc. Certes, beaucoup des décisions de ce Concile n’ont pu être mises en application en Russie pour des raisons évidentes. Il est cependant regrettable que les autres Eglises orthodoxes, du monde dit « libre » n’en aient pas profité pour faire leur propre « aggiornamento ».
Maintenant qu’une documentation plus substantielle sur les travaux du Concile devient accessible, il est grand temps que l’Eglise russe, sanctifiée du sang de ses martyrs et l’ensemble de l’Eglise orthodoxe, dont l’Eglise d’Antioche, se ressourcent à l’héritage inspiré de ce Concile, dans la mesure où elles réalisent vraiment l’urgence de leur renouveau et les défis du monde contemporain. Le livre du P. Hyacinthe Destivelle est un outil de travail remarquable pour faire connaître à tout un chacun les solutions préconisées par le Concile à beaucoup de leurs problèmes. Les solutions introduites par ce Concile sur le rétablissement du patriarcat, accompagnées de l’adoption du principe électif et représentatif à tous les échelons de l’Eglise et de l’élection des évêques dans leurs éparchies peuvent en particulier aider à résoudre les tensions entre les membres du peuple de Dieu et permettre une collaboration de tous, chacun selon les charismes qui lui sont donnés d’en haut. En avance sur toutes les Eglises chrétiennes, le Concile de Moscou a abordé des thèmes majeurs du renouveau de la vie ecclésiale que l’Eglise Catholique n’a, elle-même, abordé qu’à Vatican II, avec un retard par rapport au Concile russe de plus de cinquante ans. Examinons maintenant, avec plus de détails, les diverses étapes de ce Concile.
LE DEBUT DU PROCESSUS CONCILIAIRE
Le grand rayonnement expérimenté dans certaines sphères de l’Eglise russe
durant la période « synodale », exposé plus haut, peut être considéré
comme le ferment lointain qui a rendu le Concile possible. Durant cette
période, et surtout aux XVIII et XIX siècles, de nombreux projets de réforme de
l’Eglise furent présentés par divers évêques, mais ils restèrent souvent sans
suite. La préparation immédiate du Concile commença en 1905, soit onze ans
avant sa convocation en 1917. Tout débuta par la conjoncture de trois
initiatives : celle d’un groupe de trente deux prêtres de Saint-Pétersbourg ;
celle du Premier ministre, le comte Witte ; enfin celle du président du
Saint Synode, le métropolite Antoine de Saint-Pétersbourg.
Le mémorandum des trente deux prêtres
Ce mémorandum, intitulé « Sur la nécessité de changement dans le
gouvernement ecclésiastique russe », venait directement après le
« Dimanche sanglant » du 9 janvier 1905, durant lequel la police fit
feu sur une foule nombreuse menée par des prêtres, faisant plusieurs tués. Les
trente deux prêtres étaient témoins de ces évènements et en souffraient. Leur
mémorandum était accompagné d’une supplique au métropolite Antoine, dans
laquelle on pouvait lire : « La position actuelle du clergé … est
intolérablement pénible. De tout côté on entend des prières, des supplications,
des appels où s’exhale le sentiment d’âmes tourmentées ; on attend de nous
une réponse positive et nette à ces questions de la vie sociale que le temps
présent a posées avec urgence… Pour beaucoup…la question se pose de savoir si
l’on ira de l’avant sous l’aile de l’Eglise ou si l’on laissera celle-ci sur
son terrain comme ‘une institution qui a fait son temps’ indissolublement liée à l’ancien ordre des
choses ». Pour remédier à cette situation, ils proposent la
convocation d’un concile composé d’évêques, de prêtres et de laïcs, car « la
nécessité de cette convocation se fait sentir déjà depuis longtemps et s’impose ».
Ils demandent que l’Eglise, une fois libérée de la mainmise de l’Etat, instaure
la conciliarité à tous les échelons de la vie ecclésiale, au plan national, au
plan diocésain et au plan local des paroisses. En particulier, ils préconisent
la réduction de la taille des diocèses et l’élection des évêques par le clergé
et le peuple. Ce Mémorandum, approuvé par le métropolite Antoine, fut publié
dans la presse et ouvrit la voie à beaucoup d’autres articles.
Le mémorandum du Premier ministre
Pour celui-ci, l’asservissement de l’Église était non seulement contraire à
ses canons, mais il était préjudiciable à l’État, car il le privait « du
ressort spirituel et moral d’une religion vivante ». Il appelait à la convocation d’un concile
rassemblant évêques, clercs et laïcs, disant : « Pour que le
concile se présente effectivement comme la voix de toute l’Église russe, il ne
peut être réservé à un collège épiscopal….. Ni les Conciles œcuméniques, ni les
Conciles locaux ne furent jamais des collèges de prélats évêques, mais des assemblées des meilleures
forces de l’Église – laïcs ou issus du clergé ».
Le rôle du Saint Synode et l’enquête auprès des évêques
Comme suite à ces trois memoranda, le Saint Synode finit par présenter un
rapport à l’Empereur lui demandant de convoquer, « en temps opportun,
le Concile local de tous les évêques diocésains de l’Eglise orthodoxe russe …
pour la constitution du gouvernement synodal, l’élection du patriarche et la
solution des questions » relatives à la vie de l’Eglise. Il est à
noter que le projet du Saint Synode limitait la participation au Concile aux
seuls évêques. Cette requête fut cependant décisive vis-à-vis de l’Empereur qui
donna son approbation en principe tout en retardant l’exécution, « quand
sera venu le temps opportun », à cause de la guerre russo-japonaise.
Malgré son opposition à ce projet, le haut procureur proposa au Saint Synode de
lancer une vaste enquête auprès de tous les évêques sur les réformes
pressenties. Un questionnaire fut donc envoyé en Juillet 1905 à tous les
évêques diocésains leur demandant de répondre avant Décembre 1905. Entre-temps
eut lieu la révolution de 1905, qui mit fin à la guerre et donna l’impulsion à
un mouvement général de réforme en Russie, ce qui amena aussi l’Empereur à
demander au Saint Synode d’aller de l’avant dans la préparation du Concile. Les
réponses à l’enquête, largement favorables au principe conciliaire, furent
publiées dès janvier 1906 en quatre gros volumes.
La presse et les débats publics
Tous les
memoranda, enquêtes et rapports furent donc publiés rapidement dans la presse
et furent l’objet d’un grand intérêt de la part de l’ensemble des fidèles,
clercs et laïcs, qui les commentèrent abondamment. Il ne s’agissait pas, comme
il est de mode aujourd’hui, de vouloir à tout prix, « laver le linge sale
en famille », c’est-à-dire garder les choses secrètes, ouvertes aux seuls
initiés, mais d’en assurer une large diffusion, la famille étant perçue comme englobant
l’ensemble du peuple de Dieu.
A deux reprises,
ce fut la pression des circonstances tragiques du contexte social de la Russie,
tout d’abord le « Dimanche sanglant », puis la révolution d’Octobre
1905, qui donna l’impulsion pour initier le processus de la préparation du Concile.
Il semble que ces évènements extérieurs aient joué le rôle de catalyseur pour des
prêtres, un métropolite, un premier ministre et enfin l’Empereur, pour réaliser
la nécessité des réformes dans l’Eglise et leur urgence. Il semble que les gens
d’Eglise aient souvent besoin d’être secoué, d’avoir peur, pour agir. Sinon, la
tendance normale serait de se laisser aller à l’autosatisfaction et au maintien
du statu quo.
LA COMMISSION PRECONCILIAIRE (janvier - décembre 1905)
Le Saint Synode forma, en Janvier 1906, une Commission de trente neuf membres (neuf évêques, sept prêtres dont cinq professeurs et deux curés de paroisse, et vingt et un laïcs dont dix-neuf professeurs des universités et des académies ecclésiastiques), chargée de rassembler, sous la présidence du Métropolite Antoine de Saint-Pétersbourg, les résultat de l’enquête auprès des évêques et d’en tirer les conclusions pour élaborer des propositions à soumettre au Concile.
Les Sous Commissions
Cette Commission
se répartit en sept sous commissions, chacune devant étudier une des questions
suivantes :
-
Réforme de l’organisation ecclésiale
-
Le Tribunal ecclésiastique.
-
La paroisse, les écoles qui en dépendent, les
congrès diocésains, la participation du clergé aux œuvres sociales.
-
Les écoles de théologie.
-
Questions doctrinales, relations avec les
vieux-croyants.
- Mesures à prendre pour préserver la foi et la piété face aux dangers et défis des changements dans l’Etat et la société.
Les délibérations
des sous commissions et de la Commission durèrent une dizaine de mois, à la
suite desquels la Commission préconciliaire présenta ses
décisions, généralement modérées et prudentes, sur ces diverses questions. Ses
intenses travaux préparatoires furent réunis en six volumes et publiés début
1907.
La participation au Concile des prêtres et des laïcs
La question de la participation au Concile des prêtres et des laïcs aux côtés de l’épiscopat domina les débats de la Commission. La discussion autour de ce thème posa la question de l’interprétation des canons et de la nature de l’Eglise. Deux partis s’opposèrent : d’une part une minorité de partisans de la voix délibérative du clergé et des laïcs et d’autre part une majorité qui la refusait.
Tout en reconnaissant l’absence de détermination canonique sur la question de participation des clercs et des laïcs, les partisans de leur donner une voix délibérative en appelaient à ne garder des canons que ce qui directement découlait de l’esprit de l’Eglise des premiers siècles. Cet esprit devait être dégagé, en premier lieu, de la conception paulinienne de l’Eglise comme Corps du Christ : l’unité organique du Corps du Christ étant brisée lorsque certains en sont réduits à un rôle purement passif, car l’Eglise n’est pas seulement la hiérarchie, mais le corps des fidèles unis à leurs pasteurs. De même, cette opinion s’appuyait sur la description, dans les Actes des Apôtres, du Concile apostolique de Jérusalem et affirmait que c’est l’unanimité de tous qui donne sa force à la décision. Ils rappelaient aussi la réponse de 1848 des patriarches orientaux au pape : « Chez nous, ce ne sont pas les patriarches ni les conciles qui pourraient introduire une nouveauté quelconque, car le gardien de la religion chez nous est le corps même de l’Eglise, c’est-à-dire le peuple ». De plus, ils affirmaient la conception slavophile de la catholicité de l’Eglise, la sobornost, qui soulignait la dimension essentiellement collective, ‘catholique’, de l’Eglise, et le fait que tous les membres du peuple de Dieu jouissaient des mêmes droits et devoirs.
La plupart des membres de la majorité n’étaient pas hostiles à la participation des clercs et des laïcs, mais seulement à leur octroi d’une voix délibérative. Ils étaient pourtant d’accord de leur accorder une voix consultative. Ils se basaient sur l’histoire des conciles, où les évêques seuls votaient et où les non évêques se voyaient proposer d’approuver par acclamation les décisions des évêques. De même, ils avançaient que chacun des membres du Corps du Christ remplît une fonction différente selon sa charge et les charismes qui s’y rattachent. Cependant, ils étaient conscients qu’il existait un problème réel de méfiance de larges tranches de l’Eglise envers l’épiscopat et craignaient l’émergence d’un schisme si les clercs et les laïcs n’étaient pas admis comme membres de plein droit. Un second mémorandum des Trente Deux prêtres était allé jusqu’à dire : « Pour que la décision conciliaire ait un caractère obligatoire dans toute l’Eglise russe, il faut que ceux qui doivent siéger et décider… soient l’organe de la conscience ecclésiastique et la voix des fidèles, comme c’était le cas dans l’ancienne Eglise. Or, nos évêques, s’ils sont seuls, ne sauraient remplir ce rôle dans le temps actuel. Avant tout, ils ne sont pas élus par leur communauté diocésaine. En outre, ils ne connaissent pas, pour la plupart …leur troupeau …Ils n’ont pas de lien étroit avec leurs ouailles. Il n’est pas rare que les deux tiers des laïcs … ne les aient jamais vus. De pareils évêques n’oseraient pas … parler au nom du troupeau, comme ils devraient le faire au Concile. Ils ne seraient pas reconnus par leurs ouailles comme les interprètes de leurs sentiments … ».
Une voie de conciliation fut proposée par Mgr. Serge, archevêque de Finlande, et qui devait être par la suite métropolite de Moscou et finalement élu patriarche en 1943. Partisan des thèses de la majorité, il reconnaissait cependant l’avantage d’une représentation du clergé et des laïcs au Concile, et même d’une représentation active : « Dans l’état actuel des choses, on ne peut guère espérer que les non évêques se contentent d’une simple voix consultative… Qu’arrivera-t-il, dit-on, si le Concile ne fait que renforcer le rôle de la bureaucratie dans notre Eglise ?… Pour ne pas s’occuper de ces craintes, il faudrait être indifférent aux destinées et au rôle de l’Eglise, ou professer à l’égard des évêques une confiance et une soumission idéales. Or, la réalité… nous dit que cette confiance n’existe pas ».
Mgr. Serge
proposa donc la constitution d’une seule assemblée à laquelle prendraient part,
aux côtés des évêques, des clercs et des laïcs. Ces derniers seraient pour une
partie élus par un système à trois niveaux : paroisse, groupe de paroisses
et diocèse. Tous auraient le droit de parole et de vote. Le Concile, cependant
comporterait deux niveaux ; un concile composé de tous les membres et un
autre où siègeraient seulement les évêques et qui aurait un certain droit de
veto sur les décisions prises par le premier concile. Et le P. Desteville de
dire (p.79) : « Ainsi, le fait ancien de la participation de
clercs et de laïcs aux conciles (rappelé au cours des discussions :
Concile apostolique de Jérusalem, Concile de Carthage) était institutionnalisé,
mais sous la forme nouvelle d’une assemblée représentative ».
LE COMITE CONSULTATIF PRECONCILIAIRE (1912-1916)
La situation du
pays s’étant quelque peu calmée, le processus des réformes fut de nouveau bloqué et la
préparation du Concile ne connut aucun progrès pendant cinq ans. Un Comité
consultatif préconciliaire fut créé en février 1912 pour synthétiser les
suggestions de la Commission. Il en compléta l’œuvre par cinq volumes de
travaux publiés de 1912 à 1916. Le temps des commissions avait donc duré douze
ans.
LE CONSEIL PRECONCILIAIRE
ET LA CONVOCATION DU CONCILE
Encore une fois, ce furent les évènements extérieurs qui hâtèrent la convocation du Concile. La révolution de février 1907 ayant entraîné l’abdication de l’Empereur, le Saint Synode, dans un message aux évêques, clercs et laïcs, prit l’initiative d’annoncer en avril 1917 pour très bientôt cette convocation. De même, il annonça la formation d’un Conseil préconciliaire de 62 membres, dont 12 évêques, 10 clercs et 40 laïcs. Ce Conseil travailla de juin à août 1917. Il comportait dix commissions qui eurent à traiter des diverses questions qui se posaient à l’Eglise, telles que déjà examinées par les commissions précédentes.
Aidé par toute la
documentation préparée par la Commission préconciliaire de 1905 et le Comité
consultatif préconciliaire de 1912, ce Conseil prépara dans le détail les
projets à soumettre au Concile ainsi que le Règlement suggéré. La plupart de
ces documents furent imprimés. Dans le contexte révolutionnaire que vivait la
Russie, ces projets furent abondamment débattus par l’ensemble des fidèles. La
longue préparation et les nombreux débats publics expliquent que tant de
travail ait été accompli par le Concile, une fois réuni, en un relativement
très court laps de temps, du 15 août 1917, date de sa convocation, jusqu’au 7
septembre 1918, date à laquelle les travaux durent être interrompus sous la
pression des évènements extérieurs, soit pratiquement un an, en trois sessions
de près de quatre, deux et deux mois et demi respectivement.
La Lettre de convocation du Saint Synode disait clairement que le Concile serait composé « d’évêques, de moines, de clercs paroissiaux et de laïcs. Le Règlement joint à la convocation précisait que les membres du Concile étaient de plusieurs types : les membres ex officio (les évêques en fonction), les membres invités (essentiellement des représentants d’autres Églises) et les membres élus. Le Règlement prévoyait que chaque diocèse devait envoyer au Concile, en plus de son évêque, cinq délégués (deux clercs et trois laïcs) élus. L’élection des membres devait se dérouler en trois étapes. Chaque assemblée paroissiale devait élire des laïcs pour la représenter à l’assemblée de ‘doyenné’ (district, groupe de paroisses). L’assemblée du doyenné, qui comprenait ces laïcs élus et tous les prêtres du doyenné, élisait à son tour ses représentants à l’assemblée diocésaine. Cette dernière qui incluait, en plus de l’évêque et les représentants élus, des représentants des écoles ecclésiastiques du diocèse, élisait les délégués du diocèse au Concile. Par ailleurs, les évêques vicaires, les monastères, les académies ecclésiastiques, les universités, certains organismes de l’État (la Chambre des députés par exemple) avaient droit à un certain nombre de représentants. Comme nous l’avons évoqué plus haut, il y avait 564 membres dont la grande majorité était élue : les 9 membres du Saint Synode (ex officio ), les 73 archevêques et évêques (ex officio), 330 membres élus par les diocèses à raison de 5 par diocèse (2 clercs et 3 laïcs), 11 vicaires, les 4 supérieurs des grands monastères (les laures), les supérieurs des 4 monastères les plus importants, 12 membres élus par les monastères ainsi que 121 divers autres clercs (22) et laïcs (99), nommés ex officio ou élus. Il y avait 79 évêques, 20 moines, 166 prêtres et autres clercs et 299 laïcs. Les laïcs représentaient donc plus de la moitié des membres. Parmi eux, des théologiens, des juristes, des scientifiques, de simples paroissiens et des hommes politiques, ce qui n’en faisait pas un bloc compact, mais représentatif du peuple des fidèles. Par ailleurs, leur immense majorité était solidaire de l’épiscopat.
Le principe de deux Assemblées
Le Règlement
distinguait dans le Concile deux types d’assemblée : l’Assemblée générale
qui comprenait l’ensemble des membres du Concile (y compris les évêques), et la
Conférence des évêques qui rassemblait tous les évêques ayant part au Concile.
Cette distinction des deux assemblées était une solution originale qui alliait
d’une part la ‘monarchie’ des évêques et la ‘démocratie’ des membres non
évêques. Dans un premier temps, toutes les propositions faites, soit par le
Saint Synode, soit relatives à des questions préalablement discutées et
adoptées dans les diverses Commissions du Concile, devaient passer par
l’Assemblée générale, où les décisions étaient prises à la majorité absolue des
voix, les évêques d’une part et les autres clercs et des laïcs d’autre part,
ayant le même poids. Dans un deuxième temps, les décisions de l’Assemblée
générale étaient soumises à la Conférence des évêques qui avait droit de veto,
consécutif à leur charisme ecclésial.
Le Règlement prévoyait l’élection par le Concile d’un Conseil conciliaire qui devait veiller au bon déroulement des travaux et de vingt deux commissions qui devaient s’atteler aux thèmes indiqués ci-dessous. Tous ces organes, sauf la commission pour la paroisse étaient présidés par des évêques.
Quant à la liste
des thèmes, elle fut établie comme suit :
-
La législation
-
Le gouvernement suprême de l’Église
-
Le gouvernement diocésain
-
Le tribunal ecclésiastique
-
La paroisse
-
La situation juridique de l’Église
-
La liturgie, la prédication et la tenue des
églises
-
L’économie ecclésiale
-
La discipline ecclésiale
-
Les missions intérieure et extérieure
-
Les vieux-croyants
-
Les moines et le monachisme
-
Les académies ecclésiastiques
-
Les établissements d’enseignement ecclésiastiques
-
Les écoles paroissiales
-
Le catéchisme
-
Les problèmes liés à l’autocéphalie de l’Église de
Géorgie
-
La Bible
-
L’édition
-
Le personnel lié au Concile
-
La rédaction des résolutions et actes du Concile.
LES SESSIONS DU
CONCILE
Les travaux du Concile se passèrent en 170 séances, réparties entre ses trois sessions, entrecoupées par les grandes fêtes liturgiques (Noël/Epiphanie et Pâques).
La première session vit essentiellement le rétablissement du patriarcat, la définition du gouvernement suprême de l’Église, introduisant les principes de la conciliarité à tous les niveaux de la vie ecclésiale, de la paroisse jusqu’au diocèse, le Saint Synode et le Concile. Elle posa aussi les principes des relations entre l’Église et l’État et encouragea la prédication. De même, elle procéda à l’élection du patriarche Tykhon.
La deuxième session travailla dans un contexte de persécution de plus en plus menaçant. La persécution véritable commença dès la fin de 1917 par des fermetures d’églises et les assassinats de prêtres. Le patriarche anathématisa les bolcheviques et protesta contre les confiscations des biens de l’Église. Malgré l’atmosphère survoltée, cette session se pencha sur l’organisation des diocèses et surtout sur le Règlement paroissial, appliquant à ces deux niveaux le principe de conciliarité.
La troisième session travailla dans des conditions encore plus difficiles et dût se terminer avant que le Concile n’aie terminé l’examen de tous les rapports présentés par les commissions. Cette session commença par un office pour le Tsar assassiné et se termina par la lecture d’une liste de néo-martyrs (alors seulement trois évêques et des dizaines de prêtres et de laïcs). Elle discuta quand même longuement les problèmes des moines et du monachisme, des diocèses et de la participation des femmes à l’activité des églises.
LES DECRETS DU CONCILE
Nous nous limiterons à parler ci-dessous des décrets qui nous semblent les plus actuels et les plus porteurs de réforme pour les Eglises orthodoxes de par le monde et en particulier notre Eglise d’Antioche. Ceux qui voudraient être informés sur l’ensemble des décrets promulgués par le Concile peuvent se référer aux nombreuses pages du livre sous recension qui y sont consacrés.
LE
GOUVERNEMENT SUPRÊME DE L’EGLISE
« Le Patriarcat est rétabli et le gouvernement des affaires ecclésiastiques est présidé par le patriarche ... Le patriarche est premier parmi les évêques, ses égaux ... Le gouvernement des affaires ecclésiastiques appartient au patriarche, conjointement avec le Saint Synode et le Conseil suprême de l’Eglise ». Il a le droit d’introduire les affaires à traiter par tous les organes qu’il préside. « Le patriarche, conjointement avec les organes du gouvernement ecclésial, est responsable devant le Concile ». « Le patriarche est élu par un Concile composé d’évêques, de clercs et de laïcs ». Le patriarche doit être commémoré dans la liturgie. C’est lui qui préside à la consécration du Myron. Il jouit également de droits propres à caractère moral sur l’ensemble des fidèles. Il a le droit de leur envoyer des lettres pastorales, de donner la bénédiction spéciale au nom de l’Eglise, le droit de grâce et surtout le droit d’intercession auprès du pouvoir civil. Ce dernier droit en fait un véritable défenseur du peuple face à ce pouvoir. De même, le patriarche doit « veiller au bien intérieur et extérieur de l’Eglise » et en rendre compte au Concile qu’il convoque et préside. De plus, il a un droit de visite sur les diocèses et il doit veiller à l’occupation des sièges épiscopaux. Il exerce, à l’égard des évêques, un pouvoir disciplinaire et juridique : octroi des congés, remontrances, arbitrage dans les litiges entre évêques, réception des plaintes contre les évêques. Il a un droit de veto au cas où il estimerait « que les résolutions prises (par le Saint Synode et le Conseil suprême) ne contribuent pas au bien de l’Eglise ». Si le patriarche manque à ses devoirs, trois membres du Saint Synode ou du Conseil suprême de rang épiscopal peuvent lui donner des « conseils fraternels ». Si un deuxième « conseil fraternel » échoue, l’affaire est portée devant la session commune du Saint Synode et du Conseil suprême, c’est-à-dire devant douze évêques et douze clercs et laïcs élus, Cette session commune peut alors confier le jugement à un concile de tous les évêques à une majorité minimum de deux tiers des voix. Le père G. Florovsky, cité à la page 145 du livre, dit : « Le patriarcat ne fut pas tant rétabli que créé de nouveau … Il s’agissait de la créativité de la vie … Ce n’était pas un retour au XVII siècle, c’était une courageuse rencontre avec le futur qui s’amorçait ».
Le Concile local
Le Concile décréta
que « le pouvoir suprême – législatif, administratif, judiciaire et de
contrôle – appartient au Concile local, convoqué périodiquement, à des dates
déterminées, et composé d’évêques, de clercs et de laïcs ». Ce Concile
local ordinaire est convoqué par le patriarche, tous les trois ans pour élire
les membres des organes du gouvernement suprême de l’Eglise (le Saint Synode et
le Conseil suprême de l’Église). Le Concile extraordinaire est convoqué pour
l’élection du patriarche. Le Concile local, dit plénier est convoqué tous les
neuf ans, plausiblement (le Concile n’ayant pas eu le temps d’en définir les compétences)
pour débattre de graves problèmes qui se posent à l’Eglise et à son témoignage.
Le Saint Synode
Le Saint Synode est l’organe épiscopal comprenant le patriarche et douze évêques, un d’entre eux permanent (celui de Kiev), six élus par le Concile local pour trois ans et cinq convoqués à tour de rôle pour un an. Le Saint Synode est compétent pour « les affaires à caractère hiérarchique et pastoral qui se rapportent principalement à la vie interne de l’Eglise ». Ses compétences sont l’enseignement de la foi, le contrôle du dogme, du canon et des traductions de l’Ecriture sainte, les relations avec les autres Eglises orthodoxes, les missions, la liturgie, la formation théologique, le gouvernement et la discipline ecclésiastique, etc.
Le Conseil suprême de l’Eglise
Si le Saint
Synode s’occupe davantage du domaine ‘spirituel’, le domaine de
l’administration de l’Eglise est du ressort du Conseil suprême. Présidé par le
patriarche, il est composé de trois évêques membres du Saint Synode, de cinq clercs,
d’un moine et de six laïcs, ces trois dernières catégories de membres étant
élues pour trois ans par le Concile. Son domaine est l’administration
ecclésiale, l’économie ecclésiale, la gestion des écoles de théologie et des
publications, les affaires de contrôle et d’inspection ou relevant du
juridique. Dans les questions à caractère mixte ou concernant l’ensemble de
l’Eglise, le Saint Synode et le Conseil suprême prennent leurs décisions en
séances communes, en particulier l’approbation des budgets des institutions
ecclésiales, l’examen des comptes du Saint Synode et du Conseil suprême, la
nomination aux hautes fonctions de l’administration ecclésiale centrale, etc.
LE GOUVERNEMENT DES DIOCESES
Les principes de conciliarité mis en place dans le gouvernement suprême de l’Eglise se retrouvent dans l’administration diocésaine. L’évêque ne gouverne pas seul. Il dirige son diocèse « avec le concours conciliaire du clergé et des laïcs ». Cette direction conciliaire est réalisée par l’Assemblée diocésaine et le Conseil diocésain. L’Assemblée diocésaine est « l’organe suprême avec lequel l’évêque dirige le diocèse ». Composée de représentants du clergé et des laïcs en nombre égal, élus pour trois ans, elle débat des questions inscrites à l’ordre du jour par l’évêque qui la préside, questions touchant à l’ensemble de la vie du diocèse : évangélisation, éducation, administration, économie. Le Conseil diocésain est « l’institution administrative exécutive permanente, composée de membres élus, avec le concours de laquelle l’évêque diocésain administre son diocèse ». Ses cinq membres sont élus par l’Assemblée diocésaine pour six ans. A l’instar du patriarche pour le Saint Synode et le Conseil suprême de l’Eglise, l’évêque jouit du droit de veto contre toutes les décisions de l’Assemblée diocésaine ou contre celles du Conseil diocésain. Dans ces cas, l’affaire est transmise à l’autorité ecclésiale suprême. Cependant, le Concile prit des mesures pour empêcher que l’évêque fasse mauvais usage de ce pouvoir. Ainsi, un évêque qui s’opposerait à la haute autorité ecclésiale, « doit être interdit de ministère et livré au tribunal ecclésiastique », et après trois refus, « doit être exclu du rang épiscopal ».
L’évêque est élu selon une procédure à trois étapes associant des «évêques, des clercs et des laïcs ». Dans un premier temps, le Saint Synode compose une liste de candidats incluant les candidats du diocèse. Dans un deuxième temps, les délégués du Saint Synode ainsi que des clercs et des laïcs du diocèse élisent ensemble un candidat qui doit avoir les deux tiers des voix. Enfin, ce candidat doit être confirmé par l’autorité suprême de l’Eglise. Le Concile a décidé aussi que « l’évêque doit rester sur sa cathèdre jusqu’à sa mort ». De même, il a rappelé que l’évêque « jouit, selon la volonté divine, de toute la plénitude de l’autorité hiérarchique dans les domaines de l’enseignement dogmatique et moral, de la liturgie et de la pastorale ».
Les évêques
vicaires, nommés par le Saint Synode, sur présentation de l’évêque diocésain,
gouvernent des parties de diocèse, sous la direction générale de ce dernier,
avec les droits d’évêque indépendant.
LE REGLEMENT DES PAROISSES
La paroisse est envisagée comme une « petite Eglise particulière » dans le Corps du Christ, où chacun remplit un ministère selon son charisme. Il revient aux pasteurs d’informer leurs ouailles, par des entretiens, de l’importance de la participation à la paroisse pour leur vie chrétienne, puis de dresser la liste des fidèles prêts à s’y engager véritablement. Les pasteurs constitueront alors des équipes de responsables qui mettront eux-mêmes le règlement en application, sous l’autorité du prêtre. La vie du prêtre « ne sera pas séparée de celle de ses ouailles, et le troupeau sera en lien étroit et vivant avec son pasteur ».
Les prêtres sont
nommés par l’évêque « qui prend pour cela en considération les
candidats présentés par l’Assemblée paroissiale ». L’Assemblée
paroissiale, compétente pour débattre de toutes les affaires de la paroisse, réunit
au moins deux fois par an l’ensemble des paroissiens – y compris les femmes –
de plus de vingt cinq ans, inscrits sur les registres de la paroisse, et qui
n’ont pas perdu ce droit. Elle élit un Conseil paroissial qui assure
l’exécution de ses décisions, pour « mener les affaires ecclésiastiques
de la paroisse et administrer la propriété paroissiale ».
L’ACTIVITE PASTORALE
Le Concile
encourage les pasteurs à prêcher, à temps et à contretemps, pendant et hors de
la liturgie, et il ouvre largement, même à des laïcs, l’accès à la prédication.
« Le droit d’enseignement ecclésial appartient aux pasteurs de l’Eglise »,
mais, « pour l’affermissement et le développement de la prédication
chrétienne et orthodoxe, selon les requêtes des temps présents, il est fort
souhaitable d’attirer à la prédication, non seulement les diacres et les
chantres, mais aussi les pieux laïcs capables de prêcher ». Cette
permission de prêcher, non seulement est « très convenable et utile
dans la prédication extra liturgique », mais « peut être
admise dans la liturgie et en chaire, avec la bénédiction de l’évêque et
l’autorisation du prêtre local ».
Le Concile
encourage l’organisation de « fraternités d’évangélisation » à
tous les niveaux de l’Eglise - paroisse, groupe de paroisses, diocèse -,
composées de clercs et de laïcs, et ouvertes aux moines et qui travaillent en
étroite collaboration avec le curé de la paroisse et l’évêque.
Revue homilétique, cours de prédication, équipes ‘volantes’ de prédication
Pour la formation
continue de ces prédicateurs, le Concile décide l’édition d’une revue pan
ecclésiale d’homilétique, à la fois théorique et pratique, proposant des
dossiers et des bibliographies, ainsi que l’organisation de cours de
prédication et l’envoi d’équipes ‘volantes’ de prédicateurs expérimentés pour
une « collaboration fraternelle » avec les pasteurs locaux.
La mission
Sans abandonner
le souci de la mission ‘extérieure’ d’évangéliser les peuplades non
chrétiennes, le Concile donne à la mission un nouveau champ d’action, à savoir celui
de répondre aux défis de « la propagande grandissante du latinisme, du
protestantisme, du sectarisme schismatique et de l’athéisme », par un
renforcement de « la mission intérieure … dans les conditions du temps
présent ». Pour cela, le Concile préconise que l’organisation de la
mission intérieure soit réalisée par la coopération des clercs et des laïcs à
tous les niveaux de l’administration ecclésiale : paroisse, groupe de
paroisses, diocèse, monastères ainsi que le niveau national. Des Conseils
missionnaires, composés d’un nombre égal de clercs et de laïcs et de
missionnaires, doivent diriger la mission en exécution des décisions des Assemblées
conciliaires, et ce à tous les niveaux. De plus, des congrès missionnaires
seront convoqués par un Conseil missionnaire près le Saint Synode, au moins une
fois tous les trois ans.
La participation des femmes
Le Concile
reconnaît « l’utilité des femmes pour participer activement à tous les
domaines du service ecclésial correspondant à leur vocation ». Les
femmes peuvet et doivent être élues aux divers Conseils et Assemblées
conciliaires. Durant les discussions, il fut fait mention même « du
rétablissement de l’institution des diaconesses », mais aucune
décision ne fut prise à ce sujet.
CONCLUSION
La révolution bolchevique a perturbé le déroulement du Concile et finalement empêché l’achèvement de ses travaux. Beaucoup de rapports de commissions n’ont pu être discutés. Par ailleurs, beaucoup des décrets du Concile n’ont pu être appliqués vu la tourmente révolutionnaire et les persécutions. Cependant, l’Eglise russe, avec à sa tête un patriarche, est sortie du Concile mieux armée, pour faire face aux terribles persécutions qu’elle a subie, durant l’ère soviétique. Malgré tout, la pratique de l’institution conciliaire a fonctionné, avec des Conciles locaux tenus en 1945, 1971, 1988 et 1990. Par contre, certaines branches de l’émigration russe en Amérique et en Europe ont été en mesure d’appliquer, avec succès, l’essentiel des dispositions du Concile. Maintenant que l’Eglise russe est libérée, elle est en mesure de continuer l’œuvre inachevée du Concile. Déjà, ses nouveaux statuts, promulgués en l’an 2000, présentent des points communs évidents avec les dispositions du Concile. Le principe conciliaire à tous les niveaux de la vie ecclésiale, préconisé par le Concile, y est maintenu, et en particulier la participation active des clercs et des laïcs à l’élection de leur pasteur et au gouvernement de l’Eglise, dans le respect du charisme épiscopal. Le patriarche, dans son discours, à l’occasion du jubilé du millénaire de la christianisation de la Russie, tenu en l’an 2000, a fait mention explicite du Concile de 1917-1918, exprimant son intention de « prolonger les travaux commencés, mais non achevés », en particulier dans le domaine de la vie liturgique. Comme l’écrivait Mgr. Hilarion Alfeev en 1999: « Les questions posées par le Concile de 1917-1918 continuent à attendre leur réponse ; elles n’ont pas perdu leur actualité…. Nous ne pourrons réellement progresser, dans divers domaines de la vie ecclésiale, qu’en recueillant l’héritage de ce Concile et en examinant ses décisions dans le contexte de la situation contemporaine, et la situation contemporaine à la lumière de ses décisions » (cité p .282). Espérons que l’Eglise russe, sortie meurtrie des persécutions, mais forte du sang de ses martyrs, puisse continuer le chemin tracé par ce Concile, donnant ainsi l’exemple à l’ensemble du monde orthodoxe, qui a urgemment besoin de réformes.
Un dernier mot,
mais d’importance. Il existe une ressemblance évidente entre les dispositions
conciliaires et la participation des non évêques à la vie ecclésiale, élaborées
par le Concile de 1917-1918, et les lois antiochiennes de 1973, lesquelles les avait d’ailleurs même améliorées, en
évitant de tomber dans le piège courant de la subdivision entre affaires
‘spirituelles’ qui seraient du ressort exclusif des clercs, et affaires
‘matérielles’, qui seraient elles plutôt du domaine des laïcs, bien que toutes
les affaires de l’Église sont du ressort commun des membres du peuple de Dieu,
chacun selon ses charismes. Il est regrettable que ces lois, non seulement
n’aient pas été appliquées, mais qu’elle aient été modifiées par le Saint
Synode, causant ainsi un éloignement affligeant entre l’épiscopat et les autres
membres du peuple de Dieu, privant les laïcs d’exprimer un choix concernant
leur nouvel évêque, et introduisant, dans l’espace antiochien, un surcroît de
cléricalisme, autoritaire et solitaire, qui n’aide pas à l’application du
principe conciliaire de partage, de conciliation et de coopération responsable,
qui est un principe de base de la ‘catholicité’ de l’Eglise. Prions pour qu’il
nous soit donné de corriger cet état de choses, avant qu’il ne soit trop tard.
Serait-il utopique d’envisager, pour notre Eglise, un concile du genre de celui
de Moscou dans un avenir prévisible ? Dans l’Église, nous ne vivons pas d’utopie, mais d’espérance.
Prions donc, mais aussi, agissons !