La Vie en Christ
Raymond Rizk
(Bases Scripturaires et Consensus Patristique)
« Ne
prétendez pas qu’il soit impossible
de recevoir l’Esprit Divin ;
Ne
prétendez pas que sans Lui il soit possible d’être sauvé ;
Ne
prétendez pas qu’on puisse l’accueillir à son insu ;
Ne
prétendez pas que Dieu ne se révèle pas aux hommes ;
Ne
prétendez pas qu’il existe des hommes incapables de voir la Lumière Divine,
Et que
cela ne soit plus possible aujourd’hui ;
Cela
n’est jamais impossible, mes amis ;
C’est au contraire tout à fait possible,
quand on le veut,
Mais seulement pour ceux dont la vie a
pacifié les passions,
Et dont la vision s’est purifiée
»
(Saint Siméon
le Nouveau Théologien, Hymne 27)
1. Le Dessein de Dieu
La divinisation de l’homme
Depuis l’ère Apostolique jusqu’aux Pères de l’Eglise contemporaine (tous ceux parmi nos contemporains qui nous enfantent chaque jour dans la foi), il existe une continuité certaine dans la compréhension du dessein de Dieu et de ses implications sur la vie des hommes. Cette compréhension commune n’est pas, loin s’en faut, le plus petit commun dénominateur entre eux, mais bien leur accord sur l’essentiel. Ce « consensus des Pères », comme il est de coutume de l’appeler s’appuie essentiellement sur les Ecritures et forme avec Elles le critère de l’orthodoxie de la foi.
Dieu a créé l’homme pour qu’il vive avec lui, qu’il accepte le face à face. L’homme refuse, mais Dieu reste fidèle. Il poursuit la réalisation de son dessein autrement, et envoie finalement son Fils unique pour redonner à l’homme la possibilité d’entrer, par son intermédiaire, en communion avec lui. Très tôt, à la suite de saint Pierre, qui nous dit que nous sommes appelés à devenir « participants de la nature divine » (2 Pi. 1 : 4), les Pères ont résumé le dessein de Dieu dans diverses formules très similaires dont nous donnons ici trois exemples : celle de Clément d’Alexandrie (140-220 environ) : « Le Verbe de Dieu s’est fait homme afin que tu apprennes comment l’homme peut devenir Dieu » (Protreptique, XI) ; celle de saint Irénée de Lyon (130-208 environ) : « Le Fils de Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne un Fils de Dieu » (Contre les Hérésies, III, 10, 2) ; et celle de saint Athanase d’Alexandrie, dit le Grand (295-373) : «Dieu s’est fait homme afin que nous puissions devenir dieu » (Sur l’Incarnation, 54).
Le but de la
création de l’homme est donc sa divinisation ou déification (en grec theosis). Cette divinisation passe par
l’union de l’homme avec Dieu (en grec henosis)
et aboutit à la contemplation de Dieu (en grec theoria), non point dans son essence qui reste incommunicable et
cachée, mais dans ses Energies. Saint Grégoire de Nazianze (330 environ.-
390) va jusqu’à parler de l’homme comme le « vivant divinisé … lorsqu’il consent à Dieu » (Discours 45,
Pour la Sainte Pâques, 7). Et il ajoute: « J’appelle homme celui qui s’est avancé au-delà de l’humanité vers Dieu
lui-même ». Saint Basile le Grand (329 env.-379), cité par Grégoire de
Nazianze, avait coutume de dire : « L’homme est un animal qui a reçu la vocation de devenir Dieu »
(Discours 43, 48). Saint Syméon le Nouveau Théologien (949-1022), s’adressant
au Christ en dit autant : « Sans
mutation tu es devenu homme, toi mon Dieu, pour me diviniser, tout entier, moi
que tu as assumé » (Hymne 26, 60-61). Saint Nicolas Cabasilas,
quelques siècles plus tard (1320/1325-1397/1398), affirme de même :
« Les hommes deviennent Dieu et fils
de Dieu. Notre nature reçoit les honneurs dus à Dieu et la poussière est élevée
à un tel degré de gloire qu’elle égale en honneur et dignité la nature
divine » (La vie en Christ, I, 4).
Au Paradis,
l’homme est créé pour vivre en union avec Dieu, pour être continuellement en sa
présence, dans le face à face. En effet, le Dieu de la Bible n’est pas
seulement le Très-Haut, il est aussi le tout proche (Psaume 119 : 151). Il
est le Dieu Créateur présent à son œuvre (Sagesse 11 : 25 ; Rm.
1 : 20). Il est le Dieu Sauveur présent à son peuple (Exode 19 : 4). Il est présent à tous les temps car il
domine le temps, lui qui est le Premier et le Dernier (Isaïe 44 : 6 ;
Ap. 1 : 8 et 17, 22 : 13). Lors de la chute, Dieu veut continuer à se
faire présent à l’homme. Il continue de l’appeler : « Adam, où es-tu ? » (Genèse
3 : 8).
Après la chute
Après la chute,
Dieu se manifeste d’abord à des privilégiés qu’il assure de sa présence :
aux Patriarches avec qui il fait alliance (Genèse 17 : 7 ; 26 :
24 ; 28 :15) ; à Moïse qui a mission de libérer son peuple
(Exode 3 : 13). Il leur révèle son Nom. Il leur garantit la continuité de
sa présence avec eux. Il sera là, toujours et partout, marchant avec son peuple
(Exode 3 : 13 ; 33 : 16). Dans la prophétie d’Isaïe, l’enfant
dont il annonce la naissance et dont dépend le salut est justement appelé
« Emmanuel », ce qui veut
dire « Dieu avec nous »
(Is. 7 : 14). Dieu se manifeste par des signes divers. Au Sinaï, dans le
feu, le vent et le tonnerre (Exode 20 : 18). Ailleurs, dans un souffle,
une brise légère (Genèse 3 : 38). Cependant, il demeure « un Dieu caché » (Is.
45 : 15). Voir Dieu « les
yeux dans les yeux » (Is. 52 : 8) reste le désir le plus ardent
de l’homme. Il existe dans l’Ancien Testament une nostalgie du paradis, un
regret d’avoir perdu le contact direct avec Dieu. C’est l’espérance inlassable
de rencontrer sa face. Moïse et Elie ont vécu une telle théophanie, mais sans
face-à-face. Dieu dit à Moïse : « Tu
me verras de dos ; mais ma face on ne peut la voir » (Exode
33 : 22). Elie « se voile le
visage » et n’entend qu’une voix au passage de Dieu caché dans la
brise légère (1 Rois 19 : 13).
L’Incarnation
L’incarnation du
Fils rend cette vision et donc la divinisation de nouveau possible. L’Emmanuel
« est venu habiter parmi nous »
(Jean 1 : 14). Dieu devient visible en Jésus-Christ. En lui se fait l’union
de la nature humaine avec la nature divine et toutes les portes sont de nouveau
ouvertes devant les hommes. Saint Jean le Théologien et l’Evangéliste le
confirme : « Nous avons vu sa
gloire, la gloire du Fils unique » (Jean 1 : 14). « La Vie qui était auprès du Père nous
est apparue » ( 1 Jean 1 : 1-3). Nous avons entendu le Seigneur
dire : « Qui m’a vu a vu le
Père » (Jean 14 : 98 ; 1 : 18 ; 12 : 45). De
plus, il nous rassure quant à la continuité de sa présence avec nous :
« Je suis avec vous pour toujours
jusqu’à la consommation des siècles » (Mt. 28 : 20).
2. Le retour au bercail
De l’image à la ressemblance
L’image de Dieu, enracinée dans l’homme lors de la création et enténébrée par le péché, redevient donc source de vie. L’homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, peut désormais s’appuyer sur cette image pour accomplir la ressemblance. La vie en Christ est l’union avec l’Archétype qui conduit l’homme à son accomplissement. Le retour au Père se fait par et à travers le Christ. Saint Ignace d’Antioche (+ entre 100 et 117) exhorte les Philadelphiens par ces paroles : « Devenez imitateurs de Jésus-Christ comme lui-même l’est de son Père » (VII). Dans ce contexte « imitation » veut dire union, intégration, assimilation et non simple mimétisme.
« Par le Christ, l’intégrité de notre nature est restaurée » affirme Grégoire de Nazianze, dit le Théologien, au IVème siècle. Et il ajoute : « Il faut que j’hérite avec lui du ciel, que je devienne fils de Dieu, que je devienne Dieu … Il est venu relever la chair, sauver son image, réparer l’homme. Il est venu nous faire parfaitement un en Lui… Il est venu parfaitement en nous pour mettre en nous tout ce qu’il est … Il n’y a plus d’homme ou de femme … Il n’y a plus que la divine image que nous portons tous en nous, selon laquelle nous avons été créés, qu’il faut former et imprimer en nous si fort qu’elle suffise à nous faire connaître » (Discours 7). Et saint Basile le Grand de dire : « Nous assimiler à Dieu, autant que cela est possible à la nature humaine ; voilà ce qui nous est proposé » (Du Saint-Esprit).
« Le Fils restitue la nature à elle-même » dit Maxime le Confesseur (580-662) au VIIème siècle. « Cette même gloire que le Père a donné au Fils, le Fils nous la donne par grâce … Il nous a apparentés à lui. L’union dans laquelle nous nous trouvons est identique à celle de l’époux pour l’épouse et de la femme pour son mari » (Traité Ethique 1 :6 ; 57 :127). Parlant de Dieu, il ajoute : « Il est celui qui désire le salut et a soif de la divinisation de l’homme » (Centuries des Textes Variés 1 : 74). Il dit encore : « Nous pouvons nous unir à Dieu sans que ne subsiste aucune distance entre nous ». Et saint Isaac le Syrien, né dans l’actuel Qatar, au VIIème siècle, d’affirmer que Dieu est toujours « dans l’attente de la rencontre » et que l’important n’est pas donc de parler de Dieu mais de se transformer par et pour lui.
Saint Syméon le Nouveau Théologien redit la même chose, au X-XIème siècle : « C’est seulement dans l’union au Christ que l’homme trouve la plénitude de son être, l’intégrité et l’intégralité de sa nature, le sens véritable premier et ultime de son destin, la perfection de son activité et de sa vie entière. C’est en Christ seulement que l’homme peut être lui-même, qu’il peut être pleinement homme et accomplir sa nature véritable dans toutes ses dimensions ». Saint Syméon nous rapporte ce qu’il a entendu du Christ lui-même en ces termes : « Je suis le Dieu qui s’est fait homme par amour de toi. Comme tu m’as désiré et cherché de toute ton âme, désormais tu seras mon frère, mon ami, le co-héritier de ma gloire » » (Actions de grâce, 2). De même, il écrit : « Le Christ sera uni avec nous selon la grâce de la même façon qu’il est uni avec le Père selon la nature ».
Nicolas
Cabasilas, au XIVème siècle, affirme que le Christ « intervient sans cesse, non pas en paroles et en requêtes, mais en
actions… Il nous unit à lui et à travers sa
personne nous fait part des grâces qui lui sont propres, selon le mérite
de chacun et selon le degré de notre justification » (op. cité).
De nos jours, de nombreux théologiens contemporains continuent à nous prodiguer ce même enseignement. Ainsi, Mgr. Kallistos Ware (né en 1934), professeur à Oxford et un des plus lumineux témoins de l’Orthodoxie d’aujourd’hui, affirme que « l’homme-voyageur est toute sa vie durant en route de l’image vers la ressemblance ». Le Père Jean Meyendorff (+1992) écrit : « L’homme n’est vraiment homme que lorsqu’il participe à la vie divine et qu’il réalise en lui-même l’image de Dieu » (Le Christ dans la théologie Byzantine, p.288). Et encore: « La réalité nouvelle (de Dieu) … n’est pas seulement un ensemble de connaissances, mais une nouvelle vie. Elle ne s’impose pas à nous comme une évidence externe, mais comme une transformation de notre être, une transfiguration » (L’Eglise orthodoxe, hier et aujourd’hui, p.164). Le grand théologien roumain, le Père D. Staniloae (1903-1993) confirme, dans son très beau livre, « Dieu est Amour », que « l’homme dans le Christ change de visage, devient lui-même visage du Christ, se constitue demeure du Christ. Plus encore, il reflète le Christ, devient le Christ. Il est Christ non seulement par ce qui en lui est divin, mais aussi par ce qui, en lui, est créé et uni à ce qui est incréé, comme le Christ est lui-même, non seulement Dieu incréé, mais aussi homme créé, ces deux points ne pouvant pas être disjoints » (p.44-45). Paul Evdokimov (1900-1969) va dans le même sens en disant : « Créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, l’homme possède une essentielle orientation qui le détermine … comme toute copie attirée par son original, l’homme-image aspire à se dépasser pour se jeter en Dieu et y trouver l’apaisement de sa nostalgie » (Les âges de la vie spirituelle, p. 145).
Et saint Silouane l’Athonite (1866-1938), auquel le Christ lui-même est apparu en plein XXème siècle, nous rappelle que l’homme doit peiner pour accéder à la vie divine, car « croire en Dieu est une chose, mais le connaître en est une autre » (Starets Silouane, Moine du Mont Athos, Archimandrite Sophrony, Ed. Présence, p.432) .
Chaque homme, créé à l’image de Dieu, est donc appelé à devenir « image dans le Christ », à se « christifier », s’intégrer au Christ, devenir donc une véritable créature nouvelle. Il ne s’agit pas simplement «d’imiter » le Christ, mais de « l’intérioriser », selon l’expression de Paul Evdokimov, de devenir « co-corporels » avec lui, comme le disent les Pères. Saint Nicolas Cabasilas parle même de « consanguinité » (op. cité, IV). « Pour parvenir à la perfection et à la ressemblance il ne faut cesser d’accueillir en soi la vie du Seigneur Jésus-Christ » nous dit Isaac le Syrien. Déjà, saint Irénée de Lyon écrivait, au IIème siècle : « C’est en devenant les imitateurs de ses actions et les exécuteurs de ses paroles que nous avons communion en lui et que par là-même, nous qui sommes nouvellement créés, nous recevons de Celui qui est parfait … la croissance, de Celui qui est seul bon et excellent, la ressemblance avec lui-même » (op. cité, V, 1, 1). « Pour nous le Christ est l’image sans tache. De toutes nos forces, il faut essayer de rendre notre image semblable » dit encore Clément d’Alexandrie (Le Pédagogue, I, II, 4, 2). La vie en Christ n’est donc pas simplement une affaire de bonnes mœurs, de comportement adéquat. Le dialogue entre Jésus et le jeune homme riche (et chacun d’entre nous est riche d’une façon ou d’une autre) est probant : Il ne suffit pas de suivre les commandements, il faut suivre Jésus lui-même, il faut que lui vive en nous, il faut accepter qu’il nous mène là où lui va, c’est-à-dire vers son Père en passant par la Croix et la Résurrection. Il ne s’agit pas moins que de « passer du Christ ‘avec nous’ au Christ ‘en nous’ », comme le dit Origène (185-253) au IIIème siècle (cité par Louis Bouyer, La spiritualité du Nouveau Testament et des Pères, p. 350). Il s’agit de passer de l’imitation à la participation à la vie même du Christ et donc de Dieu. Saint Cyrille d’Alexandrie (376/380-444) affirme que « nous ne pouvons entrer dans le Père … que si le Christ … nous prend en lui ou s’installe en nous ». Il s’agit bien de « revêtir le Christ » et d’arriver à pouvoir dire : « Ce n’est plus moi qui vis , c’est le Christ qui vit en moi » (Gal. 2, 20). Il faut « tendre de tout notre être à s’assimiler activement au Christ » dit encore saint Macaire le Grand d’Egypte (300-390 environ). Saint Augustin (354-430) va dans le même sens quand il dit, dans les Confessions : « Tu nous as fait pour toi et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en toi ». Saint Grégoire de Nysse (330-395) affirme : « Il ne s’agit pas de connaître quelque chose sur Dieu, mais d’avoir Dieu en nous ». Saint Jean Chrysostome (348/354-407) dit aussi : « Il s’est mêlé à nous, a dissous son Corps en nous, pour que nous fassions un tout, comme le corps uni à la tête ». Saint Syméon le Nouveau Théologien s’adresse au Christ en ces termes : « Tu es notre race par la chair, nous de la tienne par la divinité, puisque en prenant notre chair tu nous a donné ton Esprit divin … De chacun tu fais ta maison, et tu habites en nous et tu deviens notre maison à tous et en toi nous habitons. Chacun d’entre nous, Ô Sauveur, est tout entier avec toi. Avec chacun d’entre nous, tu es seul avec lui seul … Et de même chacun de nos membres deviendra un membre du Christ … Puisque en même temps vivant avec Dieu, nous deviendrons dieux ». (Hymnes, 15). Et il ajoute ailleurs : « Tu deviens un seul esprit avec moi, sans confusion et sans altération ». Saint Grégoire Palamas (1296-1371), le grand chantre de l’union de l’homme avec Dieu à travers les Energies Divines au XIVème siècle, définit l’assimilation au Christ comme « la santé et la perfection de l’âme » (Triades II, 1, 42). L’homme est homme-Dieu ou il n’est pas. Le salut de l’homme coïncide avec sa divinisation.
Bases scripturaires
Cet enseignement
est pleinement ancré dans le Nouveau Testament. L’homme y est appelé à devenir
parfait à l’image et à la ressemblance du Christ. Il suffirait de lire Col.
1 : 28 ; Eph. 4 :13 ; Heb. 10 : 14, 12 :2 et 12 :23 ;
Jean 1 :4 pour s’en convaincre. C’est en lui et par lui (Mt. 5 : 48)
que nous accédons à la Vie en devenant « participants à la nature divine » (2 Pi. 1 : 4). Ce ne
sont pas là des exhortations morales pieuses, mais un appel à une réelle
« christification ». Jésus n’est pas seulement parmi les croyants, il
est en eux (Ga. 2 : 20 ; Eph. 3 : 17). Il les nourrit de son
Corps (1 Co. 10 : 16 ). Son Esprit les habite, les anime (Rm.
8 : 9, 14). Il en fait le temple de Dieu (1 Co. 3 : 16 ;
6 : 19 ; Eph. 2 :21) et les membres du Christ (1 Co. 12 :
12, 27). Il les invite à le chercher par la foi. Or le Christ est en ceux qui
mangent son Corps et son Sang (Jean 6 : 56, 63). Il est aussi avec son
Père (Jean 20 : 17). Il est dans les malheureux en qui il veut être servi
(Mt. 25 : 40), en ceux qui portent sa parole en qui il veut être écouté
(Lc. 10 : 16). Il est enfin au milieu de ceux qui s’unissent pour prier en
son nom (Mt. 18 : 20). Grâce au don de l’Esprit, les disciples ont en eux
l’amour qui unit le Père et le Fils (Jean 17 : 26). Il en fait ses amis
(Jean 15 : 15) et les fils de son Père (Jean 20 : 17). C’est pourquoi
Dieu demeure en eux (1 Jean 4 : 12). Sa présence ne sera toutefois
parfaite qu’après la mort (2 Co. 5 : 8). Alors, ressuscités par l’Esprit
(Ro. 8 : 11) ils verront Dieu qui sera « tout en tous » (1 Co. 13 : 12 ; 15 : 28).
3. Le retour, œuvre commune de Dieu et l’homme
La Synergie ou Collaboration
Cette marche vers la divinisation se fait dans un accord de volonté et d’action entre la grâce de Dieu et l’effort de l’homme. C’est ce qu’on appelle dans la théologie de l’Orient la « synergie ». « Dieu ne fait rien tout seul » dit Macaire le Grand. Il veut notre participation à l’œuvre de notre salut. « Le bien dépend de nous, relève saint Jean Chrysostome, et il dépend aussi de Dieu. Il faut d’abord que nous choisissions le bien et, lorsque nous avons choisi, Dieu nous accorde ce qui vient de lui. Il ne devance pas nos volontés, afin de ne pas maltraiter notre liberté, mais une fois que nous avons choisi, il nous accorde son immense secours » (Homélie 16 sur saint Jean). Selon Cabasilas, « La vie en Christ réside dans une coopération du divin, don de Dieu, et de l’humain, à savoir notre bonne volonté, notre effort, notre zèle » (op. cité, I, 16). La grâce nous est donc offerte ; à nous de lutter pour la conserver et l’épanouir. La tradition patristique est unanime sur ce point : l’homme doit œuvrer à son salut… , rejoignant en cela l’affirmation biblique de l’inanité de la foi sans les œuvres. L’homme doit avoir la volonté de guérir. Il doit ‘christifier’ sa volonté, accepter une communion de volonté avec le Christ. ‘Que ta volonté soit faite’, dans le Notre Père, veut dire : « Je suis prêt à accorder ma volonté à la tienne. Je suis prêt à faire l’effort nécessaire pour accueillir ta grâce. ‘Fiat’. Fais de moi ce que tu veux. Aide-moi à devenir ce que je dois ». Macaire le Grand dit, dans une des homélies qui lui sont attribuées : « L’homme possède par nature l’activité volontaire et c’est celle que Dieu exige. L’Ecriture prescrit qu’en premier lieu l’homme réfléchisse, qu’ayant réfléchi, il aime, enfin qu’il agisse volontairement…Alors intervient la grâce de Dieu, accordée à celui à celui qui veut et qui croit …. La volonté de l’homme est donc un auxiliaire lié à sa substance. Sans manifestation de cette volonté, Dieu ne fera rien par respect du libre arbitre de l’homme. L’efficacité de l’intervention de Dieu dépend donc de la volonté de l’homme » (Homélies, 27, 10). Il y dit encore : « L’homme doit mettre sa volonté en accord avec la grâce » (ditto, 15, 5). Grégoire de Nysse écrit, dans son Discours Catéchétique à propos du Baptême : « La transfiguration de notre vie qu’opère la régénération ne peut être une transformation si rien ne change dans notre vie… si la vie qui suit l’initiation n’est pas différente de celle qui l’a précédée… Sinon l’eau du Baptême n’est que de l’eau » (40). Diadoque de Photicé admet, au Vème siècle, que la restauration de l’image se fait par la grâce. Mais, la ressemblance à Dieu « attend notre concours pour se produire » (Cent Chapitres Gnostiques, 89). Saint Maxime le Confesseur dit : « Chacun de nous possède l’énergie manifeste de l’Esprit en proportion de la foi qui est en lui. Ainsi chacun est l’intendant de sa propre grâce » (Questions à Thalassios, 54). Saint Jean Chrysostome confirme ces dires: « Une fois reçue la grâce de Dieu, tout dépend de nous et de notre application » (Catéchèses Baptismales, 54) et il affirme que « le divin Médecin ne nous guérit pas malgré nous » (Commentaires sur Matthieu, 28, 4). Et saint Basile le Grand d’abonder dans ce sens : « Le grand Médecin des âmes est prêt à guérir tout mal. Si tu te donnes toi-même il n’hésitera pas » (Lettres, 46, 6). Utilisant toujours la métaphore médicale, saint Cyrille de Jérusalem (315 env.-387 env.) dit à chacun de nous: « Tes blessures ne surpassent pas le savoir- faire du Médecin. Donne-toi seulement toi-même avec foi et dis ton mal au Médecin » (Catéchèses Baptismales, 2, 6). Quant à saint Marc le Moine, qui a vécu au milieu du 5ème siècle, il affirme de son côté que « la grâce de Dieu demeure en nous mais ne s’impose pas à nous… Elle ne fait sentir ses effets que dans la mesure de notre foi, de notre espérance et de notre pratique des commandements » (Le Baptême, 4, 22 ; 15, 16)
Travailler à notre salut : la Praxis
Le livre des Actes des Apôtres, ainsi que certaines Epîtres de Paul, nous décrivent la vie des communautés apostoliques. Les affirmations de l’Apôtre Paul sur sa propre vie en Christ révèlent leur état d’esprit: « Pour moi, vivre c’est le Christ » (Ph. 1 : 21) ; « Je vis désormais pour Dieu dans le Christ Jésus » (Ro. 6 : 10) ; « Ma vie est cachée dans le Christ en Dieu » (Col. 3 : 3) ; Je veux vivre à jamais « pour celui qui est mort et ressuscité » (2 Co. 5 : 15). Et comment oublier, parmi tant d’autres citations, son affirmation, dans l’Epître aux Galates : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (2, 20).
Les chrétiens prennent à la lettre l’enseignement de Jésus et le mettent en pratique au sein d’une communauté aimante et accueillante. Ils sont remplis de la joie de la Résurrection et restent conscients de la présence du Seigneur parmi eux. Ainsi, les croyants d’un même lieu vivent ensemble, sans distinction d’âge, de sexe, de rang social ou de race (Rom. 16,23 ; 1 Co. 1,2 ; 2 Col,1 ; 1 Th. 1,1 ; Ac. 11,22 ; Gal. 3, 28 ; Col. 3, 11…). Ils se réunissent régulièrement avec « allégresse et simplicité de cœur » (Ac. 2, 46) pour « proclamer la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Co. 11, 26). Ils sont « assidus à l’enseignement des apôtres, la communion fraternelle, la fraction du pain et les prières » (Ac. 2, 42). Ils mettent tout en commun, « tout étant mis à la disposition de tous » (Ac. 2, 44 ; 4,32). Ils se considèrent frères en Christ et se comportent comme tels. Ce n’est pas sans raison que le christianisme de l’époque est appelé « fraternité ». Ces chrétiens vivent également dans l’attente du retour du Christ qu’ils espèrent proche.
L’incorporation au Christ par le martyre