La dévotion envers Jésus aux premiers temps du christianisme
Raymond Rizk - 28 Juin 2009
1. Place centrale de Jésus dans la plus
ancienne dévotion chrétienne, dans la pensée des premiers chrétiens et
leurs pratiques religieuses. D’autres groupes religieux existaient, dont
quelques uns partageaient avec le christianisme d’alors un certain nombre de
caractéristiques importantes. Des mouvements philosophiques promouvaient aussi
une morale. D’autres mouvements recrutaient des convertis par delà les
frontières ethniques et avaient un étroit compagnonnage, des rituels
d’initiation et des repas sacrés avec une divinité. Mais, malgré ces
ressemblances, toutes les formes diversifiées du christianisme le plus ancien
se distinguent par leur attachement au personnage de Jésus.
2. C’est très tôt que la très haute
signification de Jésus apparaît dans les milieux chrétiens, même durant les
deux premières décennies (entre 30 et 50). Jésus a été associé à Dieu de
manière étonnante. Ce fut une ‘explosion’ de cette dévotion, non seulement un
développement rapide. Cela ne peut être expliqué par des influences extérieures
ni à un développement normal. Certes les
chrétiens ont utilisé des mots, des catégories conceptuelles et des traditions
religieuses de leur milieu, mais la dévotion envers Jésus s’est manifestée avec
une intensité et une diversité d’expressions sans équivalent et pour lesquelles
on ne trouve pas de véritable analogie dans l’environnement religieux de
l’époque. Cette dévotion n’a pas été le fruit d’un développement tardif, comme
le proclament les opposants au christianisme, quand ils disent, par exemple,
que c’est Paul qui a fait d’un homme nommé Jésus le Dieu des chrétiens.
3. Cette dévotion, qui incluait la
vénération de sa personne comme divine, était articulée à l’intérieur d’une
affirmation ferme de monothéisme exclusif. Les premiers chrétiens se
caractérisaient par leur insistance sur la valeur exclusive du Dieu des
Ecritures d’Israël et leur rejet de toutes les divinités du monde romain. Ils
ont cherché à exprimer et à comprendre la signification divine de Jésus en
relation avec ce Dieu unique. Ils parlaient de lui en faisant référence à Dieu
(en tant que ‘Fils’, ‘Christ-Messie’, ‘Verbe’, ‘Image’ de Dieu). Dans leurs
prières, ils affirmaient également la primauté de Dieu ‘le Père’. Il y eut des
différences notoires (milieux populaires où Jésus éclipse le Père ;
gnostiques qui parlaient de multiples émanations et entités divines) qui n’ont
pas prévalu.
4. Comment comprendre cette dévotion ?
Deux approches exégétiques:
a) L’approche
précritique. Des chrétiens de tendance naïve ou pas au courant de ces
problèmes ou opposés par principe à l’étude critique, pensent que Jésus était
considéré comme divin simplement parce qu’il était de fait le Messie et le Fils
de Dieu et qu’il a manifesté sa messianité et sa divinité à ses disciples au
cours de son ministère. Cela est vrai, pour celui qui a la foi. Cependant, les
affirmations chrétiennes concernant Jésus peuvent, pour diverses raisons, être
difficiles à accepter pour des non-croyants.
b) L’approche
de l’histoire-des-religions. L’autre approche, avec ses nombreux excès,
veut tout faire passer au crible de la recherche historique. L’école de
l’histoire-des-religions (religiongeschichtliche Schule) qui a fleuri à
la fin du XIX siècle et les premières décennies du XX siècle, surtout en
Allemagne, a cherché à situer entièrement les origines chrétiennes au sein de
l’histoire de l’époque romaine. Certains ont fini par présenter le
christianisme comme un exemple particulier de la déification des héros et de
l’émergence de nouveaux dieux, comme il y en eut tant dans le monde romain.
Selon eux, la dévotion envers le Christ devait se comprendre simplement comme
résultant de l’impact de cet environnement religieux païen sur un mouvement
chrétien originellement plus pur, dans lequel des idées de divinité de Jésus
n’auraient pas pu apparaître.
c) Critique
des deux approches. Bien que les deux approches continuent d’avoir de
l’influence, elles sont tout autant naïves et simplistes. Il est vrai que la
dévotion à Jésus peut être abordée comme un phénomène historique, car elle se
manifeste dans l’histoire et donc peut faire l’objet d’une investigation.
Pourtant elle est un phénomène tellement remarquable qu’il ne peut être réduit
aux simplifications de l’histoire-des-religions.
5. Pourquoi la
dévotion envers Jésus est-elle un phénomène très remarquable ?
a) Elle a
commencé étonnamment tôt et certains signes montrent qu’elle était pratique
courante à l’époque des lettres de Paul (vers 50 de notre ère), ce qui signifie
qu’il faut repousser les origines d’une vénération cultuelle envers Jésus dans
les deux premières décennies du mouvement chrétien.
b) Elle
n’était pas confinée à un milieu étroit, mais elle semble au contraire
s’être répandue avec une impressionnante rapidité à travers tout le mouvement
chrétien, même si son expression a connu des variations.
c) On ne
trouve pas de véritable phénomène analogue dans le monde romain. Il n’y a
pas d’autre exemple de mouvement religieux qui ait de semblables attaches avec
la tradition juive et son monothéisme exclusif et qui développe en même temps
une pratique dévotionnelle impliquant aussi nettement un second personnage en
plus de Dieu.
d) Elle a été
centrale dans les groupes chrétiens anciens et eut une énorme importance
dans le développement historique du christianisme.
6. Monothéisme juif et monothéisme
chrétien.
a) Le
monothéisme juif était tellement strict et rigoureux qu’il résistait à
toute adoration d’une figure divine autre que le Dieu unique d’Israël, non seulement
à l’endroit des divinités des autres peuples, mais aussi à l’endroit de figures
qu’on pourrait qualifier comme des ‘agents divins’ du Dieu d’Israël. Ni les
anges, ni les héros bibliques, comme Moise ou autres, n’ont été l’objet d’une
adoration cultuelle dans quelque milieu juif de cette époque.
b) La pratique
chrétienne incluant Jésus dans une dévotion cultuelle était donc quelque
chose de tout à fait inhabituel et sans analogie dans la tradition juive. Cette
conviction monothéiste a été indubitablement adoptée par les milieux chrétiens
anciens (voir 1 Cor 8 et 10). Paul, chrétien issu du judaïsme, écrivant dans
les premières décennies du mouvement chrétien, oppose le ‘Dieu unique’, ‘le
Père de qui viennent toutes choses et vers qui nous allons’ aux nombreux
‘prétendus dieux’ (8 : 4-6). En 10 :20-21, il qualifie les autres
dieux de ‘démons’. L’étonnant dans la dévotion au Christ, c’est qu’elle est
compatible avec une foi et une pratique strictement monothéistes. L’auteur de
l’Apocalypse, lui aussi d’origine juive, écrit à la fin du 1er
siècle, insistant sur l’adoration de Dieu (Ap. 4-5 ; 7, 9-12 ;11,
15-19 ; 14, 6-7) et l’adoration blasphématoire d’idoles (13, 5-8 ;
11-12 ; 14, 9-11). Il interdit l’adoration de l’Ange du Seigneur
(19,10 ; 22 ; 8-9). La scène du chapitre 5 où l’on voit l’Agneau
recevoir avec Dieu une adoration dans les cieux est d’autant plus remarquable,
car cette position chrétienne affirme clairement sa foi monothéiste absolue et
met pourtant Jésus à côté de Dieu, comme objet licite de dévotion cultuelle.
c) C’est là un
schéma inhabituel de dévotion ‘binitaire’. Il s’agit, certes, d’une
forme variante, nouvelle de monothéisme. Etant donné l’effet contraignant du
monothéisme juif, il est difficile d’imaginer comment la dévotion au Christ a
pu se constituer et se développer si tôt et avec tant de succès parmi des gens
qui affirmaient leur fidélité à la tradition monothéiste. De toutes façons,
elle n’est pas un exemple de simple apothéose. Jésus n’est pas devenu pour eux
un dieu de plus qui aurait une origine ou une signification personnelles. Son
rôle divin s’exprime toujours en termes de relation au Dieu unique. C’est Dieu
qui a exalté Jésus, lui conférant une position d’honneur exceptionnelle et qui lui
a donné un ‘nom’ qui a une signification divine (Kyrios, Ph, 2, 9-11.
Voir aussi Ph 2,11 ; Jn 5,23 ; 1 Jn 2 ; 22-23 ; 5,
9-12). Il y a deux figures distinctes
(Dieu et Jésus), mais leur relation semble vouloir éviter un dithéisme. Les
prières adressées ‘à’ Dieu le sont ‘par’ ou ‘au nom’ de Jésus. L’inclusion de
Jésus comme objet d’adoration et de culte à côté de Dieu est sans parallèle et
elle est apparue chez des gens qui prétendaient maintenir dans son intégralité
le monothéisme juif traditionnel.
7. Cette place centrale donnée à Jésus
est certainement due à l’impact de son ministère et ses conséquences sur les
fidèles. L’effet produit par son activité publique a été telle qu’un bon
nombre de ses contemporains ont dû se décider pour ou contre lui. Il y avait
donc dans la façon dont il parlait et agissait quelque chose qui provoquait ou
au moins qui encourageait une telle polarisation. Pour ses disciples, il est
devenu la clé à l’aune de laquelle tout devait être jugé, et ce à partir de son
exécution et probablement bien avant. Pour d’autres, son ministère suscita un
point de vue tout aussi tranché qui ne pouvait admettre sa crucifixion et la
justifier.
8. Mais, cet effet n’est pas suffisant pour
arriver au schéma ‘binitaire’, surtout si l’on tient compte du souci de
l’unicité de Dieu et de l’absence de précédent dans la tradition juive d’époque
romaine. Il a fallu quelque chose de plus, quelque chose d’assez puissant pour
avoir provoqué un tel développement aussi surprenant et aussi nouveau. C’est
très probablement l’effet d’expériences religieuses marquantes chez les
premiers chrétiens pour ceux qui les ont faites et pour d’autres qui avaient une
valeur et une force de révélation exigeant une importante réévaluation de la
pratique monothéiste. Les sources chrétiennes anciennes indiquent toutes,
qu’après la crucifixion de Jésus, ses disciples connurent une importante
reformulation de leur foi et un profond renouvellement de leur sentiment de
révélation, en relation avec des expériences religieuses vécues par eux. En 1
Co 15, 1-11, Paul affirme, une vingtaine d’années après les débuts du mouvement
chrétien, comme une tradition sacrée, que Jésus est mort pour nous racheter et
‘qu’il est ressuscité le troisième jour, selon les Ecritures’. Puis, il parle
d’apparitions à diverses personnes, dont l’énumération sert à appuyer la
conviction traditionnelle que Jésus est ressuscité. Ces apparitions ont dû être
telles qu’elles donnèrent la conviction à ceux qui les ont expérimentées que :
a) Dieu avait libéré Jésus de la mort et donc que Jésus lui-même était
vivant ; b) Dieu avait octroyé à Jésus une unique et glorieuse forme
d’existence, une vie corporelle immortelle et eschatologique ; c) Jésus
avait été élevé à un rang céleste unique, Dieu lui ayant confié la charge de
rédempteur ; d) Ceux à qui il avait été donné de rencontrer Jésus
ressuscité, avaient aussi reçu une mission divine, celle de proclamer
l’exaltation de Jésus et d’appeler les gens à reconnaître que sa résurrection
était le signe eschatologique de la rédemption. Au vu de la répugnance caractéristique de la piété juive à accorder une révérence
cultuelle à qui que ce soit d’autre que Dieu, il semble probable que les
milieux chrétiens très anciens, qui ont pris l’initiative d’accorder une telle
révérence au Christ, ne l’ont fait que parce ce qu’ils s’y sentaient obligés
par Dieu. L’expérience vécue fut comprise comme une révélation divine leur
donnant la conviction que l’obéissance à Dieu exigeait qu’ils rendent ce culte
au Christ. Ces ‘révélations’ ont dû prendre plusieurs formes :
a) des visions du Christ
ressuscité ou exalté (voir en particulier 2 Co 12, 1-4; Ac 7, 54-56 ;
Ap 5, 1-14 ; 1 Co 14, 26)
b) des cantiques inspirés qui
jaillissaient des chrétiens sous l’effet de l’exaltation religieuse et qu’ils
devaient considérer comme des oracles prophétiques (voir Ph 2, 6-11 qui
représente le reste de l’hymne chrétienne la plus ancienne du Nouveau
Testament ; 1 Co 14, 26 ; Col 3, 16).
c) l’exégèse charismatique
inspirée des textes bibliques de l’Ancien Testament a été une autre source
d’idées nouvelles. Cette exégèse qui mettait en œuvre trois approches
principales, a son origine au 1er siècle dans le Nouveau Testament,
et s’épanouira au 2ème siècle:
1) Mise en
avant des ‘textes preuves’ de l’Ancien Testament pour démontrer
l’accomplissement de la prophétie en Jésus. Voir Mat 1,22 ; 2, 15,
17,23 ; 4, 14 ; 8,17 ; 12, 17 ; 13, 25 ;21,4 .26,54,56 ;
27,9. Aussi Mc 14,49 ; 15,28 ; Luc 4, 21 ; 24,44 ; Jn
12,38 ; 13,18 ; 15, 25 ; 19, 24,36.
2) Lecture
‘typologique’ plus large de l’Ancien Testament, que l’on voit rempli de
personnages et d’évènements qui laissent présager Jésus. Ainsi, par exemple,
l’allusion à Is 45, 23 dans Ph 2, 10-11 qui permet de voir une référence au
Christ comme Kyrios (Seigneur), tout comme l’est Dieu, dans ce qui est
peut -être un des passages les plus fermement monothéistes de l’Ancien
Testament. Aussi l’interprétation de Is 6, 1 en Jn 12,41. Voir aussi Jn
3,14-15 ;1 Co 10, 1-13 ; Rm 5,14 ; Heb 10,1 ; 2,1-4 ;
3, 1-6 ; 7, 18-19 , 23-28 ; 8,1-7 ; 2 Co 3, 12-16 ; Lc
24, 27 ; 31-32, 44-47 .
3) L’interprétation
des récits de théophanie de l’Ancien Testament comme manifestations du Fils
de Dieu préincarné. Voir 1 Co 8,4-6 ; 10,4 ; Ph 2, 6-8 ; Col 1,
15-17 ; He 1, 1-3 ; Jn 1, 1-2.
9. Un autre facteur d’influence fut l’environnement
religieux de l’époque romaine : Il est évident que les premiers
chrétiens étaient aussi modelés par leur environnement juif et païen et se
modelaient eux-mêmes sur lui :
a) L’influence du monothéisme juif fut importante : Dire de
Jésus qu’il est Christos (Messie) reflète directement l’espérance juive
du temps messianique de la miséricorde divine. Le baptême chrétien ancien est
une adaptation de rites juifs, comme celui de la repentance, prôné par Jean
Baptiste. Le repas sacré était alors chose commune dans divers milieux
religieux, juifs et païens. Il n’est donc pas étonnant qu’ils aient fait d’un repas sacré le centre
de leur pratique :
b) La polémique et l’hostilité juives et les attaques païennes sur
le christianisme naissant ont rendu nécessaire de leur répondre et de justifier
la dévotion chrétienne envers Jésus, en marquant bien les différences d’avec
les pratiques courantes. Ainsi, quand Paul parle des ‘faux frères’ dans Ga 2,
4-5, il se réfère aux chrétiens issus du judaïsme qui exigeaient la circoncision
des gentils. Cela l’amène à affirmer la supériorité de Jésus sur la Torah. Il est
aussi probable que, lorsqu’il écrit que Jésus ‘est devenu malédiction pour
nous’ (Gal 3, 10-14), il réagit à l’affirmation de juifs qui prétendaient que
Jésus était maudit.
10. L’influence des facteurs exposés
plus haut (items 6 à 9) sur le milieu chrétien primitif s’exerça de façon
conjointe. Les ‘révélations’ les ont poussé à donner à Jésus la première
place dans leur dévotion. Mais leur
attachement au monothéisme juif les a aidés à donner à cette dévotion une forme ‘binitaire’, plutôt que
celle d’une apothéose de Jésus à la manière païenne faisant de lui une nouvelle
divinité :
11. Le christianisme des premières épîtres
de Paul :
a) Pourquoi
commencer par Paul ? Il y avait, bien sûr, des chrétiens avant
l’apôtre Paul, comme il nous l’apprend lui-même (Rm 16, 7 ; Gal 1,
17 ; 1, 22-23 ; 1 Th 2, 14). Il y fait allusion à des groupes de
chrétiens remontant à l’époque de sa conversion, au début des années trente. Mais
ses écrits sont les plus anciens qui nous sont restés, lui-même ayant écrit
dans les années 50-60, les écrits qui l’auraient précédés, n’étant que des
hypothèses (les logia, la source Q) débattues par les historiens. C’est
pourquoi il vaut mieux commencer par Paul et revenir ensuite sur les groupes
chrétiens issus du judaïsme dans les deux premières décennies.
b) Les lettres
de Paul témoignent d’un schéma extraordinairement accompli et étonnamment
ancien de croyances et de pratiques dans lesquelles Jésus est au tout premier
rang. Paul considère d’ailleurs que ce schéma est déjà bien en place quand il écrit aux
diverses Eglises. Sa conversion n’est postérieure que de quelques années à
l’exécution de Jésus. Il appartient donc à l’époque de la ‘naissance’ du
christianisme. Il en connaissait les croyances et les pratiques avant sa
conversion, puisqu’il les persécutait (Ga 1, 13-14 ; 1 Co 15, 9 ; Ph
3, 6). Donc, quand il écrit ses premières lettres, en 50, il était déjà depuis
un certain temps un membre bien connu du mouvement chrétien, en relation avec
les milieux judéens depuis les années 30 et 40, et les païens dans les années
50. Ses lettres, adressées à des groupes déjà constitués dans les années 50,
incorporent et reflètent des traditions de foi et de pratique encore plus
anciennes.
c) Concernant la
dévotion envers Jésus, qui remonte bien avant l’écriture des épîtres, on peut
noter :
i) Paul désigne Jésus
comme Christos très souvent, mais il ne sent jamais le besoin de
démontrer que Jésus est le Christ, ce qui montre à l’évidence que ses lecteurs
n’ont aucun doute sur l’identification de Jésus comme Messie. De même, il
utilise pour évoquer l’appartenance chrétienne les termes ‘dans le Christ’ ou
‘dans le Christ Jésus’ (1 Co 4,15 ; Rm 12, 5 ; 16, 3, 7, 9,10).
ii) Paul donne
toujours à Christos la connotation messianique-royale propre au
judaïsme. C’est en temps que Christos
que Jésus est mort ‘pour nous’ et a ressuscité (Rm
5,6 ;14,9,15 ; 1 Co 5,7 ; 8,11,15,20 ; Ga 2,21, 3,13), ce
qui est une grande innovation chrétienne.
L’œuvre du Messie comprend sa mort rédemptrice et sa résurrection. En 1
Co 15, 1-11, dont on s’accorde à trouver l’origine dans l’Eglise de Jérusalem,
il résume le noyau de la foi en ce que Christ ‘est mort pour nos péchés selon
les Ecritures, qu’il a été mis au tombeau, qu’il est ressuscité le troisième
jour selon les Ecritures’ :
iii) Un autre titre
donné à Jésus est celui de ‘Fils’ ou ‘Fils de Dieu’. Comme il en va de
l’appellation ‘Christ’, la filiation divine fait remonter à des dates bien
antérieures à la rédaction des lettres de Paul. Rm 1, 3-4 et 1 Thes 1,10 sont
des formules traditionnelles de confession de foi anciennes.
iv) Un autre titre
très utilisé est celui de Kyrios (Seigneur) : Cette
appellation (équivalente à adonay ou maryah) était celle que les
juifs pieux utilisaient pour éviter de prononcer le nom hébreu de Dieu (Yahzeh).
Durant les premières années du christianisme, les chrétiens juifs de langue
grecque, mais aussi araméenne, parlaient de Jésus comme du ‘Seigneur’. La formule
liturgique araméenne translittérée qu’utilise Paul, en 1 Co 16, 22, doit probablement
se lire ‘marana tha’ ‘Notre Seigneur, viens’. C’était une invocation
adressée à Jésus glorifié, réclamant sa présence dans le cadre liturgique ou sa
venue eschatologique. Que Paul emploie cette expression sans traduction ni
explication à une Eglise de langue grecque, composée principalement de gentils
convertis, indique qu’il compte que ses lecteurs connaissent déjà cette
formule, utilisée dans leur liturgie. En utilisant ce terme en araméen, et aussi
en parlant de Dieu comme ‘Abba’ (père), Paul transmet à ses convertis de
langue grecque deux expressions araméennes utilisées par les chrétiens juifs
pour s’adresser aussi bien à Dieu qu’à Jésus.
v) Même si les
chrétiens ont bataillé pendant les siècles qui ont suivi pour formuler plus
parfaitement la relation entre Dieu et le Christ, les lettres de Paul montrent
qu’étonnamment tôt, divers groupes chrétiens partageaient tous les mêmes
convictions de bases, qui revenaient à traiter Jésus en être divin, sujet de
dévotion avec Dieu, lui-même humain, mais préexistant, dont la mort et la
résurrection nous ont donné la rédemption.
vi) Il semble qu’il
n’y ait aucun conflit entre les groupes chrétiens sur la révérence due au Christ.
Autrement, Paul, qui ne mâchait pas ses mots, l’aurait dit. La conclusion presque inévitable est donc que
l’innovation dans la dévotion et les convictions christologiques ont eu le
caractère d’une véritable explosion, dans les toutes premières années
(peut-être même les premiers mois) du mouvement chrétien, et qui s’est
immédiatement transmise alentour.
vii) On ne peut
donc attribuer l’origine de l’adoration cultuelle de Jésus à Paul. Au
contraire, les Eglises pauliniennes ont pris la suite d’autres groupes
chrétiens et ont perpétué leur schéma de dévotion ‘binitaire’.
12. Les caractéristiques de cette dévotion
envers Jésus sont :
a) un schéma de prière dans lequel Jésus figure au premier plan, soit
comme celui qu’on prie, soit comme l’intermédiaire unique par qui on adresse
une prière (1 Th 3, 11-13 ; 2 Th 2, 16-17 ; 3, 5 ; Rm 16,
20 ; 1 Co 16, 23 ; 2 Co 12, 8-9).
b) le fait d’invoquer et de confesser Jésus. Voir plus haut
l’invocation très ancienne de marana tha. En Rm 10, 9-13, Paul conseille
de ‘confesser’ que ‘Jésus est Seigneur’. Cette ‘confession’ est un acte rituel
du culte. Voir aussi 1 Co 12, 3 ; Ph 2, 10-11, 1 Co 1, 2. Dans les groupes
chrétiens anciens dont la vie liturgique se reflète dans les lettres de Paul,
le nom de Jésus joue un rôle qui n’a pas de parallèle dans le judaïsme de
l’époque.
c) le fait de baptiser au nom de Jésus (voir 1 Co 1, 15 ; 6,
11 ; Ga 3, 27 ; Rm 6, 4). Le baptême ‘au nom de Jésus’ est né dans un
milieu de chrétiens palestiniens issus du judaïsme, milieu qui est aussi
l’origine historique de croyants qui s’identifient rituellement par référence
au nom de Jésus.
d) la ‘Cène du Seigneur’. Le repas sacré des chrétiens est une
tradition ‘reçue du Seigneur’, comme le dit Paul en 1 Co 11, 17-34. Il est tout
autre que les repas des cultes des divinités païennes (1 Co 10, 14-22). Dans le
repas chrétien, Jésus est le Kyrios vivant et puissant qui préside son
repas et avec qui les croyants sont en communion comme avec un Dieu. On ne
trouve aucune analogie à un rôle cultuel comme celui-ci pour qui que ce soit d’autre
que Dieu dans les milieux juifs de l’époque.
e) les hymnes, qui étaient une caractéristique du culte chrétien
primitif. Le chant de psaumes (le psalmos en 1 Co 14, 26), les ‘psaumes,
hymnes et cantiques’( Col 3, 16-17 ; Ep 5, 18-20 ; Ph 2, 6-11 ;
Col 1, 15-20 ; Ep 5, 14 ; 1 Tm 3, 16), chantés ou psalmodiés
collectivement, en l’honneur de Jésus, ce qui était une différence
significative avec les pratiques liturgiques et les habitudes des groupes juifs
contemporains qui limitaient leur chant à la louange du roi ou de personnages
messianiques.
f) la prophétie, attribuée à l’Esprit, est un trait caractéristique
des assemblées cultuelles chrétiennes (Voir 1 Co 12, 10 ; Rm 12, 6 ;
Ep 4, 11 ; 1 Co 14). Elle est provoquée par le Seigneur Jésus et est en
même temps à son service.
13. Le
christianisme juif en Judée ne nous est accessible qu’indirectement, par
les
échos de sa foi
et de ses pratiques, surtout ceux qu’ont conservés les lettres de Paul, ou
qu’on trouve dans les Actes (2,14-40 ; 3, 11-26 ; 4, 8-12 ; 4,
24-30 ; 5, 27-32 ; 5, 40-42 ;
7, 51-53 ; 8, 12 ; 8, 30-35 ; 9, 20-22 ;10, 34-43).
Tout en tenant compte des limites de ce que nous pouvons savoir, on peut dire
que le christianisme judéen accordait à Jésus une place centrale, dans sa foi
comme dans sa pratique. On a vu plus haut combien Paul avait reflété leur
dévotion envers Jésus. Quand Paul se rendit à Jérusalem, trois ans après sa
conversion (soit peut-être cinq ans après l’exécution de Jésus), il y rencontra
un groupe religieux dont la tradition doctrinale, l’enseignement, le culte, la
vie commune et l’organisation étaient déjà fort développés. Pour résumer, on
peut dire que les plus importants et les plus influents développements de cette
dévotion ont eu lieu parmi les premiers groupes de croyants judéens et que
c’est à leurs convictions et au modèle fondamental qu’a adopté leur piété, que
sont redevables toutes les formes de christianisme dans la suite des temps.
14. La première dévotion à Jésus :
la source Q. On s’accorde en général sur l’idée que Q (de l’allemand Quelle
qui veut dire ‘source’) était pour l’essentiel une collection de dits de
Jésus, probablement composée en grec par des croyants hellénistes, comme ceux
des milieux de Jérusalem en lien avec Etienne, et qui fut utilisée par Matthieu
et Luc. Tels que Q les présente, les adeptes de Jésus partagent sa mission de
proclamer le royaume de Dieu et reçoivent de lui autorité pour déclarer, à
titre officiel, l’approche ou la présence de ce royaume, comme Jésus l’a fait.
De plus, il les mandate à faire des
miracles, comme lui, pour manifester la puissance du royaume. Il leur apprend à
prier, en mettant toute leur confiance en Dieu. Il y a partout une insistance
claire et soutenue sur l’importance de Jésus. Au début de Q, Jésus est annoncé,
et à la fin, il se trouve justifié et promet la justification à ceux qui le
suivent. Entre ces deux éléments clés d’encadrement, la totalité de Q donne à
Jésus la place centrale. L’expression la plus fréquemment utilisée comme un
titre de Jésus est ‘le fils de l’homme’, tel qu’il se désigne lui-même.
Il y est aussi désigné comme Kyrios, comme ‘Fils de Dieu’. Les
avis diffèrent sur la vision réelle de Q du rôle de Jésus. Beaucoup affirment,
cependant, preuves à l’appui, que Q reflète une vision très haute de Jésus, de
ses pouvoirs et de sa personne. Il y est directement associé avec Dieu dans des
fonctions eschatologiques décisives et il a une autorité indiscutée dans la vie
de ses adeptes. Il est empli de l’Esprit de Dieu de façon unique, et dans son
ministère, le royaume de Dieu arrive à son expression eschatologique. Q fut un
produit littéraire qui connut un véritable succès et reflète de manière
générale un genre de dévotion à Jésus qui est cohérent avec les autres témoins examinés
plus haut.
15. Des livres
sur Jésus: les Evangiles.
a) Les
synoptiques. Vers 70 de
l’ère chrétienne au plus tard, des chrétiens se sont mis à écrire des ensembles
narratifs complets sur Jésus, qui connurent une rapide et large diffusion et
qui exercèrent une grande influence pour tous les siècles suivants de
l’histoire chrétienne. Ces ‘livres sur Jésus’ prônaient et reflétaient la
dévotion intense pour Jésus, caractéristique des milieux de chrétiens pour qui
les auteurs les ont écrits. Chacun de ces livres est une ‘interprétation’
littéraire remarquable par elle-même, avec des insistances particulières. Chacun
voulait probablement toucher ce que son auteur considérait comme des nécessités
urgentes des lecteurs qu’il avait en vue. Il y eut de nombreux autres livres
sur Jésus durant cette période du premier âge du christianisme. Mais, avec
l’évangile de Jean (le plus tardif), les évangiles synoptiques de Marc (le plus
ancien), Matthieu et Luc (Evangile et Actes), étaient ceux qui eurent le plus
d’influence. A en juger à leur usage répandu, ils ont dû être, à une grande
échelle, les plus représentatifs des croyances sur Jésus, et sur la façon dont
les traditions le concernant furent conservées et utilisées pour guider dans
leur conduite ceux qui l’appelaient leur Seigneur. Jésus y est leur centre, et
ils lui donnent les mêmes titres christologiques déjà analysés dans les épîtres
de Paul et Q (Christos, Kyrios, fils de l’homme).
b) Les écrits
johanniques (Evangile et Epîtres), quant à eux, reflètent les tensions et
les drames de graves crises religieuses, à la fin du 1er siècle,
essentiellement entre les chrétiens johanniques et leurs adversaires juifs, qui
tournaient autour de la question de savoir que penser de Jésus. Pour cela, les
johanniques ont tenu à souligner le statut divin de Jésus et ses origines
célestes. Les résultats de cette polémique ont fait l’histoire et ont fortement
influencé presque toutes les convictions chrétiennes ultérieures concernant
Jésus. On en retient surtout le portrait de Jésus comme incontestablement divin
et en même temps comme une personne humaine, appartenant réellement à notre
monde. Ces deux éléments éclairent les principaux problèmes intellectuels du
christianisme dans les siècles qui ont suivi : comment Jésus pouvait-il
être vraiment divin, s’il n’y a qu’un seul Dieu, et comment pouvait-il être
vraiment humain s’il était vraiment divin ?
16. Ecrits pauliniens tardifs et autres
textes tardifs du Nouveau Testament
a) L’épître
aux Hébreux, offre une des expressions les plus remarquables de la foi en
Jésus au premier âge chrétien. On n’en connaît pas l’auteur et il n’y a pas
d’unanimité sur la date (probablement entre 65 et 100) et la provenance. C’est
le texte le plus élégant et le plus raffiné
du christianisme du 1er siècle. Son auteur voit Dieu opérant
de façon unique par Jésus. Pour lui, le culte que les chrétiens adressent à
Dieu est offert nécessairement par Jésus (13, 15). Jésus est si intimement lié
à Dieu que l’on ne pouvait vraiment glorifier Dieu sans faire référence à lui.
b) Les textes
pauliniens tardifs, considérés par beaucoup de chercheurs comme
pseudonymes (Col ; Eph ; Epîtres pastorales). Ecrits durant la 2ème
moitié ou la fin du 1er siècle, ils sont des indicateurs de la façon
dont croyance et pratique dévotionnelles se sont développées dans le
christianisme paulinien vers la fin du 1er siècle et par la suite.
Sans vouloir diminuer en quoi que ce soit la signification des affirmations
christologiques qu’on y trouve, le texte représente principalement un souci
pratique qui est de motiver et d’affermir le comportement de ses lecteurs pour
qu’ils cherchent à ‘faire tout au nom du Seigneur Jésus, rendant grâces à Dieu
le Père par lui’ (Col 3, 17 ; Eph 5, 20).
c) Autres
textes du Nouveau Testament (Epîtres de Pierre, Jude, Apocalypse). Datés
communément à peu près de la même période que les textes pauliniens tardifs,
ces écrits comportent une forte affirmation des croyances et des pratiques de
dévotion traditionnelles et les mêmes inquiétudes face à des enseignements ou
des maîtres qui représentaient de sérieuses variations par rapport à ces
traditions. Jésus y est vénéré comme
divin, ayant un lien unique avec Dieu.
17. Autres
livres anciens sur Jésus du
2ème siècle. Il existait d’autres livres sur Jésus. La plupart de
ces écrits sont désignés d’apocryphes, et les plus anciens, sont habituellement
considérés comme postérieurs de plusieurs décennies aux quatre évangiles
canoniques. Les plus importants sont les suivants :
a) Des écrits,
dont nous ne connaissons que les noms, ou que quelques rares extraits, (Evangile
des nazaréens, Evangile des hébreux, Evangile des ébionites, Evangile des
Egyptiens), mentionnés dans les écrits de divers auteurs comme Irénée, Clément d’Alexandrie, Origène,
Eusèbe, Epiphane, Jérôme et d’autres plus tardifs, sont soit des réécritures de
parties des synoptiques, soit des documents syncrétistes judéo-chrétien, soit
des textes intéressés surtout par des thèmes spéculatifs et mythologiques. Bien
qu’ils semblent parfois différer sur des questions de foi, ces textes montrent
que les chrétiens qui sont derrière eux s’accordent avec d’autres chrétiens de
l’époque pour exprimer leur dévotion à Jésus.
b) Un Marc
secret, supposé être une version ésotérique de l’évangile de Marc,
mentionné par extraits dans une lettre attribuée à Clément d’Alexandrie , et
soit disant réservée aux ‘initiés aux
grands mystères’.
c) Des
fragments de certains écrits sur Jésus, maintenant perdus, et que nous ne
pouvons même pas identifier par des noms (P. Oxy 840; P.Oxy 1224 ; P.
Cairensis 10.735 ; Fragment de Fayoum; P. Egerton 2, papyrus de Strasbourg
copte, fragment d’Akhmîm de l’Evangile de Pierre, ainsi que d’autres
fragments). Dans la mesure où l’on peut les lire et les comprendre, ils
semblent provenir de narrations sur Jésus préparées pour l’édification des
fidèles adhérant à la même foi, et certains semblent contenir des dits de Jésus
ou des récits qui ne se trouvent pas dans les écrits canoniques. Quant à
l’Evangile de Pierre, dont il reste de larges extraits, il fut probablement
écrit à l’origine par et pour des croyants du 2ème siècle, dans des milieux
‘proto-orthodoxes’, qui avaient un penchant pour la narration dramatique, une
attitude nettement antijuive et des conceptions assez simples mais sincères sur
la nature transcendante de Jésus. Il représente un bon exemple de christianisme
de niveau ‘populaire’.
d) Les
Evangiles de l’enfance, autre exemple de littérature populaire, cherchent à
remplir les espaces narratifs des récits canoniques et à résoudre les questions
qui y sont laissées en suspens, sur la naissance et l’enfance de Jésus. Les
plus anciens, le Protévangile de Jacques et l’Evangile de l’enfance
de Thomas, sont de la deuxième moitié du 2ème siècle, et pleins
de merveilleux et de romanesque. Le Protévangile de Jacques concerne surtout la Mère de Dieu, dont il
vante la virginité perpétuelle et relate des détails sur son enfance et sa vie
dans le Temple qui sont entrés par la suite dans la liturgie. Il suppose une
position croyante ancienne assez traditionnelle, qui se base sur le fait que le
statut spécial de Jésus requérait que l’on reconnaisse une origine et une
signification spéciale à la femme qui l’a miraculeusement enfanté. L’Evangile
de l’enfance de Thomas comporte des récits sur la petite enfance de Jésus
jusqu’à 12 ans, qui mettent en relief son pouvoir miraculeux et ses origines
célestes dans une version très naïve et parfois grossière.
e) L’Evangile
de Thomas fut découvert en 1945 à Nag Hammadi, en Egypte et représente la
transmission d’un texte chrétien ancien et très important. Il est très
différent des évangiles canoniques et extra-canoniques discutés plus haut et
est essentiellement une compilation de 114 dits (logia) attribués à
Jésus, qui y est l’unique maître reconnu, et dont les dits prétendent détenir
cachées des vérités du plus haut prix. C’est donc une compilation ésotérique
qui a pour but de différencier les élus des autres chrétiens. C’est un écrit
qui contredit nombre de traditions sur Jésus attestées dans les écrits antérieurs
(pas de référence à l’Ancien Testament, ils présentent Jésus dans le contexte
d’une notion de domaine divin constitué de multiples degrés de divinité, etc.).
C’est un écrit qui reflète une position élitiste qui s’oppose à d’autres
croyants et à leurs chefs ecclésiastiques et qui est soucieux de défendre un
genre particulier de spiritualité, axée sur la découverte de soi qui permet
d’accéder à la divinité.
f) Autres
écrits hétérodoxes. En se fondant sur ces écrits (et il y en d’autres), il
est clair que des conceptions de Jésus incompatibles entre elles circulaient au
2ème siècle, et probablement déjà avant. Ces textes présentent en
connaissance de cause des conceptions radicalement hétérodoxes de Jésus qui
reflètent probablement le genre de croyances contre lesquelles Irénée et
d’autres porte-parole du christianisme proto-orthodoxe menaient campagne. Dans
leur prétention à une connaissance supérieure et leur mépris pour les croyances
des chrétiens qui ne partageaient pas leurs intuitions, ces textes donnent l’occasion
d’entendre les vues de ceux, comme Valentin (env. 100-175) ou Marcion (fin du 1er
siècle - 2ème moitié du 2ème
siècle), que combattait le christianisme orthodoxe émergent. Une nombreuse
littérature, dont de nombreux écrits furent trouvés dans la cache de Nag
Hammadi (Prière de l’apôtre Paul, L’Evangile de vérité, Traité sur la
Résurrection, L’Evangile selon Philippe, etc.), qui qualifient les thèses gnostiques
typiquement valentiniennes. Par contre, aucun écrit de Marcion n’a survécu. On
en retrouve des extraits chez Justin, Hippolyte, Irénée et Tertullien, dans
leurs écrits contre lui. Marcion a rejeté l’Ancien Testament comme non chrétien
et il eut l’audace d’éditer des écrits du Nouveau Testament, après les avoir épurés de ce qu’il
considérait comme des insertions judaïsantes. De nombreuses autres visions
gnostiques se sont répandues au 2ème siècle. Mais, aucune de ces
innovations radicales de la foi chrétienne n’a réussi à s’imposer à un nombre
suffisamment important de gens pour devenir la version dominante du
christianisme de ce temps. Bien avant l’influence de Constantin et des conciles
au 4ème siècle, il est clair que le christianisme proto-orthodoxe
était en phase ascendante et représentait le courant dominant émergent. Sa
dévotion à Jésus constitue le paradigme de la foi et de la pratique qui
façonnera la tradition chrétienne par la suite.
18. Conclusion.
a) Dans les
cercles des adeptes de Jésus du 1er siècle, la dévotion à Jésus,
considéré comme divin, a éclaté de façon soudaine et rapide, non pas de
manière graduelle et tardivement. La dévotion à Jésus comme le ‘Seigneur’ à qui
l’on devait un culte d’adoration et une totale obéissance était largement
répandue. Les origines se situent dans les cercles chrétiens juifs des toutes
premières années. Comme on l’a vu, ce fut comme une explosion, suite à la
résurrection et la Pentecôte, et les révélations qui les ont accompagnés. Au
milieu de la diversité du christianisme à son premier âge, la foi dans le
statut divin de Jésus était un fait étonnamment commun. Même les ‘hérésies’ du
christianisme le plus ancien présupposent largement la conception d’un Jésus
qui est divin. Ce n’est pas cela qui
fait question. Le problème était en fait de savoir si l’on pouvait admettre et
concevoir un Jésus authentiquement humain. Ceci fut considéré comme un point
crucial pour l’efficacité de son œuvre rédemptrice.
b) Cette
centralité de Jésus et le caractère unique de son statut appelaient,
presque inévitablement, une nouvelle conception de Dieu. Fallait-il voir
en Jésus une émanation du pleroma
(le tout) ? Jésus était-il le représentant d’un dieu étranger, inconnu
jusqu’ici, qu’il ne fallait pas associer à la divinité créatrice de l’Ancien
Testament ? Devait-on réellement identifier le Dieu chrétien avec la divinité
de l’Ancien Testament, qui avait créé toutes choses, avait parlé par Moise et
les prophètes et s’était maintenant révélée plus pleinement et de façon plus
décisive par et dans Jésus ? L’adoption de cette dernière option a
développé une vision nouvelle et unique de ce que signifiait le terme ‘Dieu’.
Les chrétiens ont puisé librement dans la tradition juive, sur l’unicité de
Dieu comme divinité personnelle, caractérisée par l’amour, la justice, la
fidélité et un dessein. Mais, ils n’en ont pas moins postulé aussi, comme
appartenant au Dieu unique qu’ils adoraient à l’exclusion de tout autre, une
pluralité réelle et radicale, au départ centrée davantage sur le ‘Père’ et le
‘Fils’ dans un schéma ‘binitaire’ qui devint par la suite ‘trinitaire’.
c) Dès l’origine,
les chrétiens proto-orthodoxes croyaient que Jésus est totalement humain,
épousant dans une union indissoluble la race humaine. Que par sa mort et sa
résurrection et son exaltation, il préfigure et garantit désormais la gloire
que les humains peuvent espérer et pour laquelle ils peuvent oser risquer leur
tout sur cette terre.
d) Ces convictions accrochaient les gens et
les poussaient à prendre des engagements dont les conséquences pouvaient
être déterminantes pour eux et le christianisme. Pour eux, embrasser la foi
chrétienne signifiait se joindre à un petit mouvement religieux vulnérable et
non pas à une institution puissante et vénérable (et parfois oppressive). Pour
des juifs et des païens, un tel engagement pouvait mettre en péril leurs relations
avec leur milieu familial et une société hostile. C’était le prix à payer et
nombreux par la suite l’ont payé de leur vie. Etant donné ce coût ceux qui
embrassaient la dévotion à Jésus ont dû trouver une compensation suffisante
dans le compagnonnage dans lequel ils entraient par le baptême. Telles étaient
la puissance religieuse du message, la nouvelle identité, les expériences
religieuses et les nouvelles appartenances. Dans tout cela, la figure de Jésus
était le centre, l’inspiration, l’exemple et le maître dont l’autorité
s’imposait. Jésus est toujours le centre de notre vie de chrétiens, qui avons
décidé de le suivre, suite à l’exemple de ces premiers chrétiens, car il est la
Vérité, le Chemin et la Vie. Il nous faut donc toujours répéter, comme eux, une
de leurs premières invocations à Jésus, ‘Viens,
Seigneur Jésus’, et ainsi vivre continuellement dans sa sainte présence.
Le Seigneur
Jésus Christ – La dévotion envers Jésus aux premiers temps du christianisme, par Larry W. Hurtado