La dévotion envers Jésus aux premiers temps du christianisme

 Raymond Rizk - 28 Juin 2009


1. Place centrale de Jésus dans la plus ancienne dévotion chrétienne, dans la pensée des premiers chrétiens et leurs pratiques religieuses. D’autres groupes religieux existaient, dont quelques uns partageaient avec le christianisme d’alors un certain nombre de caractéristiques importantes. Des mouvements philosophiques promouvaient aussi une morale. D’autres mouvements recrutaient des convertis par delà les frontières ethniques et avaient un étroit compagnonnage, des rituels d’initiation et des repas sacrés avec une divinité. Mais, malgré ces ressemblances, toutes les formes diversifiées du christianisme le plus ancien se distinguent par leur attachement au personnage de Jésus.

 

2. C’est très tôt que la très haute signification de Jésus apparaît dans les milieux chrétiens, même durant les deux premières décennies (entre 30 et 50). Jésus a été associé à Dieu de manière étonnante. Ce fut une ‘explosion’ de cette dévotion, non seulement un développement rapide. Cela ne peut être expliqué par des influences extérieures ni à un développement normal.  Certes les chrétiens ont utilisé des mots, des catégories conceptuelles et des traditions religieuses de leur milieu, mais la dévotion envers Jésus s’est manifestée avec une intensité et une diversité d’expressions sans équivalent et pour lesquelles on ne trouve pas de véritable analogie dans l’environnement religieux de l’époque. Cette dévotion n’a pas été le fruit d’un développement tardif, comme le proclament les opposants au christianisme, quand ils disent, par exemple, que c’est Paul qui a fait d’un homme nommé Jésus le Dieu des chrétiens.

 

3. Cette dévotion, qui incluait la vénération de sa personne comme divine, était articulée à l’intérieur d’une affirmation ferme de monothéisme exclusif. Les premiers chrétiens se caractérisaient par leur insistance sur la valeur exclusive du Dieu des Ecritures d’Israël et leur rejet de toutes les divinités du monde romain. Ils ont cherché à exprimer et à comprendre la signification divine de Jésus en relation avec ce Dieu unique. Ils parlaient de lui en faisant référence à Dieu (en tant que ‘Fils’, ‘Christ-Messie’, ‘Verbe’, ‘Image’ de Dieu). Dans leurs prières, ils affirmaient également la primauté de Dieu ‘le Père’. Il y eut des différences notoires (milieux populaires où Jésus éclipse le Père ; gnostiques qui parlaient de multiples émanations et entités divines) qui n’ont pas prévalu.

 

4. Comment comprendre cette dévotion ? Deux approches exégétiques:

a) L’approche précritique. Des chrétiens de tendance naïve ou pas au courant de ces problèmes ou opposés par principe à l’étude critique, pensent que Jésus était considéré comme divin simplement parce qu’il était de fait le Messie et le Fils de Dieu et qu’il a manifesté sa messianité et sa divinité à ses disciples au cours de son ministère. Cela est vrai, pour celui qui a la foi. Cependant, les affirmations chrétiennes concernant Jésus peuvent, pour diverses raisons, être difficiles à accepter pour des non-croyants.

b) L’approche de l’histoire-des-religions. L’autre approche, avec ses nombreux excès, veut tout faire passer au crible de la recherche historique. L’école de l’histoire-des-religions (religiongeschichtliche Schule) qui a fleuri à la fin du XIX siècle et les premières décennies du XX siècle, surtout en Allemagne, a cherché à situer entièrement les origines chrétiennes au sein de l’histoire de l’époque romaine. Certains ont fini par présenter le christianisme comme un exemple particulier de la déification des héros et de l’émergence de nouveaux dieux, comme il y en eut tant dans le monde romain. Selon eux, la dévotion envers le Christ devait se comprendre simplement comme résultant de l’impact de cet environnement religieux païen sur un mouvement chrétien originellement plus pur, dans lequel des idées de divinité de Jésus n’auraient pas pu apparaître.

c) Critique des deux approches. Bien que les deux approches continuent d’avoir de l’influence, elles sont tout autant naïves et simplistes. Il est vrai que la dévotion à Jésus peut être abordée comme un phénomène historique, car elle se manifeste dans l’histoire et donc peut faire l’objet d’une investigation. Pourtant elle est un phénomène tellement remarquable qu’il ne peut être réduit aux simplifications de l’histoire-des-religions.

 

5. Pourquoi la dévotion envers Jésus est-elle un phénomène très remarquable ? 

a) Elle a commencé étonnamment tôt et certains signes montrent qu’elle était pratique courante à l’époque des lettres de Paul (vers 50 de notre ère), ce qui signifie qu’il faut repousser les origines d’une vénération cultuelle envers Jésus dans les deux premières décennies du mouvement chrétien.

b) Elle n’était pas confinée à un milieu étroit, mais elle semble au contraire s’être répandue avec une impressionnante rapidité à travers tout le mouvement chrétien, même si son expression a connu des variations.

c) On ne trouve pas de véritable phénomène analogue dans le monde romain. Il n’y a pas d’autre exemple de mouvement religieux qui ait de semblables attaches avec la tradition juive et son monothéisme exclusif et qui développe en même temps une pratique dévotionnelle impliquant aussi nettement un second personnage en plus de Dieu.

d) Elle a été centrale dans les groupes chrétiens anciens et eut une énorme importance dans le développement historique du christianisme.

 

6. Monothéisme juif et monothéisme chrétien.

a) Le monothéisme juif était tellement strict et rigoureux qu’il résistait à toute adoration d’une figure divine autre que le Dieu unique d’Israël, non seulement à l’endroit des divinités des autres peuples, mais aussi à l’endroit de figures qu’on pourrait qualifier comme des ‘agents divins’ du Dieu d’Israël. Ni les anges, ni les héros bibliques, comme Moise ou autres, n’ont été l’objet d’une adoration cultuelle dans quelque milieu juif de cette époque.

b) La pratique chrétienne incluant Jésus dans une dévotion cultuelle était donc quelque chose de tout à fait inhabituel et sans analogie dans la tradition juive. Cette conviction monothéiste a été indubitablement adoptée par les milieux chrétiens anciens (voir 1 Cor 8 et 10). Paul, chrétien issu du judaïsme, écrivant dans les premières décennies du mouvement chrétien, oppose le ‘Dieu unique’, ‘le Père de qui viennent toutes choses et vers qui nous allons’ aux nombreux ‘prétendus dieux’ (8 : 4-6). En 10 :20-21, il qualifie les autres dieux de ‘démons’. L’étonnant dans la dévotion au Christ, c’est qu’elle est compatible avec une foi et une pratique strictement monothéistes. L’auteur de l’Apocalypse, lui aussi d’origine juive, écrit à la fin du 1er siècle, insistant sur l’adoration de Dieu (Ap. 4-5 ; 7, 9-12 ;11, 15-19 ; 14, 6-7) et l’adoration blasphématoire d’idoles (13, 5-8 ; 11-12 ; 14, 9-11). Il interdit l’adoration de l’Ange du Seigneur (19,10 ; 22 ; 8-9). La scène du chapitre 5 où l’on voit l’Agneau recevoir avec Dieu une adoration dans les cieux est d’autant plus remarquable, car cette position chrétienne affirme clairement sa foi monothéiste absolue et met pourtant Jésus à côté de Dieu, comme objet licite de dévotion cultuelle.

c) C’est là un schéma inhabituel de dévotion ‘binitaire. Il s’agit, certes, d’une forme variante, nouvelle de monothéisme. Etant donné l’effet contraignant du monothéisme juif, il est difficile d’imaginer comment la dévotion au Christ a pu se constituer et se développer si tôt et avec tant de succès parmi des gens qui affirmaient leur fidélité à la tradition monothéiste. De toutes façons, elle n’est pas un exemple de simple apothéose. Jésus n’est pas devenu pour eux un dieu de plus qui aurait une origine ou une signification personnelles. Son rôle divin s’exprime toujours en termes de relation au Dieu unique. C’est Dieu qui a exalté Jésus, lui conférant une position d’honneur exceptionnelle et qui lui a donné un ‘nom’ qui a une signification divine (Kyrios, Ph, 2, 9-11. Voir aussi Ph 2,11 ; Jn 5,23 ; 1 Jn 2 ; 22-23 ; 5, 9-12).  Il y a deux figures distinctes (Dieu et Jésus), mais leur relation semble vouloir éviter un dithéisme. Les prières adressées ‘à’ Dieu le sont ‘par’ ou ‘au nom’ de Jésus. L’inclusion de Jésus comme objet d’adoration et de culte à côté de Dieu est sans parallèle et elle est apparue chez des gens qui prétendaient maintenir dans son intégralité le monothéisme juif traditionnel.

 

7. Cette place centrale donnée à Jésus est certainement due à l’impact de son ministère et ses conséquences sur les fidèles. L’effet produit par son activité publique a été telle qu’un bon nombre de ses contemporains ont dû se décider pour ou contre lui. Il y avait donc dans la façon dont il parlait et agissait quelque chose qui provoquait ou au moins qui encourageait une telle polarisation. Pour ses disciples, il est devenu la clé à l’aune de laquelle tout devait être jugé, et ce à partir de son exécution et probablement bien avant. Pour d’autres, son ministère suscita un point de vue tout aussi tranché qui ne pouvait admettre sa crucifixion et la justifier.

 

8. Mais, cet effet n’est pas suffisant pour arriver au schéma ‘binitaire’, surtout si l’on tient compte du souci de l’unicité de Dieu et de l’absence de précédent dans la tradition juive d’époque romaine. Il a fallu quelque chose de plus, quelque chose d’assez puissant pour avoir provoqué un tel développement aussi surprenant et aussi nouveau. C’est très probablement l’effet d’expériences religieuses marquantes chez les premiers chrétiens pour ceux qui les ont faites et pour d’autres qui avaient une valeur et une force de révélation exigeant une importante réévaluation de la pratique monothéiste. Les sources chrétiennes anciennes indiquent toutes, qu’après la crucifixion de Jésus, ses disciples connurent une importante reformulation de leur foi et un profond renouvellement de leur sentiment de révélation, en relation avec des expériences religieuses vécues par eux. En 1 Co 15, 1-11, Paul affirme, une vingtaine d’années après les débuts du mouvement chrétien, comme une tradition sacrée, que Jésus est mort pour nous racheter et ‘qu’il est ressuscité le troisième jour, selon les Ecritures’. Puis, il parle d’apparitions à diverses personnes, dont l’énumération sert à appuyer la conviction traditionnelle que Jésus est ressuscité. Ces apparitions ont dû être telles qu’elles donnèrent la conviction à ceux qui les ont expérimentées que : a) Dieu avait libéré Jésus de la mort et donc que Jésus lui-même était vivant ; b) Dieu avait octroyé à Jésus une unique et glorieuse forme d’existence, une vie corporelle immortelle et eschatologique ; c) Jésus avait été élevé à un rang céleste unique, Dieu lui ayant confié la charge de rédempteur ; d) Ceux à qui il avait été donné de rencontrer Jésus ressuscité, avaient aussi reçu une mission divine, celle de proclamer l’exaltation de Jésus et d’appeler les gens à reconnaître que sa résurrection était le signe eschatologique de la rédemption. Au vu de la répugnance  caractéristique de la  piété juive à accorder une révérence cultuelle à qui que ce soit d’autre que Dieu, il semble probable que les milieux chrétiens très anciens, qui ont pris l’initiative d’accorder une telle révérence au Christ, ne l’ont fait que parce ce qu’ils s’y sentaient obligés par Dieu. L’expérience vécue fut comprise comme une révélation divine leur donnant la conviction que l’obéissance à Dieu exigeait qu’ils rendent ce culte au Christ. Ces ‘révélations’ ont dû prendre plusieurs formes :

            a) des visions du Christ ressuscité ou exalté (voir en particulier 2 Co 12, 1-4; Ac 7, 54-56 ; Ap 5, 1-14 ; 1 Co 14, 26)

            b) des cantiques inspirés qui jaillissaient des chrétiens sous l’effet de l’exaltation religieuse et qu’ils devaient considérer comme des oracles prophétiques (voir Ph 2, 6-11 qui représente le reste de l’hymne chrétienne la plus ancienne du Nouveau Testament ; 1 Co 14, 26 ; Col 3, 16).

            c) l’exégèse charismatique inspirée des textes bibliques de l’Ancien Testament a été une autre source d’idées nouvelles. Cette exégèse qui mettait en œuvre trois approches principales, a son origine au 1er siècle dans le Nouveau Testament, et s’épanouira au 2ème siècle:

1) Mise en avant des ‘textes preuves’ de l’Ancien Testament pour démontrer l’accomplissement de la prophétie en Jésus. Voir Mat 1,22 ; 2, 15, 17,23 ; 4, 14 ; 8,17 ; 12, 17 ; 13, 25 ;21,4 .26,54,56 ; 27,9. Aussi Mc 14,49 ; 15,28 ; Luc 4, 21 ; 24,44 ; Jn 12,38 ; 13,18 ; 15, 25 ; 19, 24,36.

2) Lecture ‘typologique’ plus large de l’Ancien Testament, que l’on voit rempli de personnages et d’évènements qui laissent présager Jésus. Ainsi, par exemple, l’allusion à Is 45, 23 dans Ph 2, 10-11 qui permet de voir une référence au Christ comme Kyrios (Seigneur), tout comme l’est Dieu, dans ce qui est peut -être un des passages les plus fermement monothéistes de l’Ancien Testament. Aussi l’interprétation de Is 6, 1 en Jn 12,41. Voir aussi Jn 3,14-15 ;1 Co 10, 1-13 ; Rm 5,14 ; Heb 10,1 ; 2,1-4 ; 3, 1-6 ; 7, 18-19 , 23-28 ; 8,1-7 ; 2 Co 3, 12-16 ; Lc 24, 27 ; 31-32, 44-47 .

3) L’interprétation des récits de théophanie de l’Ancien Testament comme manifestations du Fils de Dieu préincarné. Voir 1 Co 8,4-6 ; 10,4 ; Ph 2, 6-8 ; Col 1, 15-17 ; He 1, 1-3 ; Jn 1, 1-2.

 

9. Un autre facteur d’influence fut l’environnement religieux de l’époque romaine : Il est évident que les premiers chrétiens étaient aussi modelés par leur environnement juif et païen et se modelaient eux-mêmes sur lui : 

a) L’influence du monothéisme juif fut importante : Dire de Jésus qu’il est Christos (Messie) reflète directement l’espérance juive du temps messianique de la miséricorde divine. Le baptême chrétien ancien est une adaptation de rites juifs, comme celui de la repentance, prôné par Jean Baptiste. Le repas sacré était alors chose commune dans divers milieux religieux, juifs et païens. Il n’est donc pas étonnant  qu’ils aient fait d’un repas sacré le centre de leur pratique :

b) La polémique et l’hostilité juives et les attaques païennes sur le christianisme naissant ont rendu nécessaire de leur répondre et de justifier la dévotion chrétienne envers Jésus, en marquant bien les différences d’avec les pratiques courantes. Ainsi, quand Paul parle des ‘faux frères’ dans Ga 2, 4-5, il se réfère aux chrétiens issus du judaïsme qui exigeaient la circoncision des gentils. Cela l’amène à affirmer la supériorité de Jésus sur la Torah. Il est aussi probable que, lorsqu’il écrit que Jésus ‘est devenu malédiction pour nous’ (Gal 3, 10-14), il réagit à l’affirmation de juifs qui prétendaient que Jésus était maudit.

 

10. L’influence des facteurs exposés plus haut (items 6 à 9) sur le milieu chrétien primitif s’exerça de façon conjointe. Les ‘révélations’ les ont poussé à donner à Jésus la première place dans leur dévotion.  Mais leur attachement au monothéisme juif les a aidés à donner à cette dévotion  une forme ‘binitaire’, plutôt que celle d’une apothéose de Jésus à la manière païenne faisant de lui une nouvelle divinité :

 

11. Le christianisme des premières épîtres de Paul :

a) Pourquoi commencer par Paul ? Il y avait, bien sûr, des chrétiens avant l’apôtre Paul, comme il nous l’apprend lui-même (Rm 16, 7 ; Gal 1, 17 ; 1, 22-23 ; 1 Th 2, 14). Il y fait allusion à des groupes de chrétiens remontant à l’époque de sa conversion, au début des années trente. Mais ses écrits sont les plus anciens qui nous sont restés, lui-même ayant écrit dans les années 50-60, les écrits qui l’auraient précédés, n’étant que des hypothèses (les logia, la source Q) débattues par les historiens. C’est pourquoi il vaut mieux commencer par Paul et revenir ensuite sur les groupes chrétiens issus du judaïsme dans les deux premières décennies.

b) Les lettres de Paul témoignent d’un schéma extraordinairement accompli et étonnamment ancien de croyances et de pratiques dans lesquelles Jésus est au tout premier rang. Paul considère d’ailleurs que ce schéma est  déjà bien en place quand il écrit aux diverses Eglises. Sa conversion n’est postérieure que de quelques années à l’exécution de Jésus. Il appartient donc à l’époque de la ‘naissance’ du christianisme. Il en connaissait les croyances et les pratiques avant sa conversion, puisqu’il les persécutait (Ga 1, 13-14 ; 1 Co 15, 9 ; Ph 3, 6). Donc, quand il écrit ses premières lettres, en 50, il était déjà depuis un certain temps un membre bien connu du mouvement chrétien, en relation avec les milieux judéens depuis les années 30 et 40, et les païens dans les années 50. Ses lettres, adressées à des groupes déjà constitués dans les années 50, incorporent et reflètent des traditions de foi et de pratique encore plus anciennes.

c) Concernant la dévotion envers Jésus, qui remonte bien avant l’écriture des épîtres, on peut noter :

i) Paul désigne Jésus comme Christos très souvent, mais il ne sent jamais le besoin de démontrer que Jésus est le Christ, ce qui montre à l’évidence que ses lecteurs n’ont aucun doute sur l’identification de Jésus comme Messie. De même, il utilise pour évoquer l’appartenance chrétienne les termes ‘dans le Christ’ ou ‘dans le Christ Jésus’ (1 Co 4,15 ; Rm 12, 5 ; 16, 3, 7, 9,10).

ii) Paul donne toujours à Christos la connotation messianique-royale propre au judaïsme.  C’est en temps que Christos que Jésus est mort ‘pour nous’ et a ressuscité (Rm 5,6 ;14,9,15 ; 1 Co 5,7 ; 8,11,15,20 ; Ga 2,21, 3,13), ce qui est une grande innovation chrétienne.  L’œuvre du Messie comprend sa mort rédemptrice et sa résurrection. En 1 Co 15, 1-11, dont on s’accorde à trouver l’origine dans l’Eglise de Jérusalem, il résume le noyau de la foi en ce que Christ ‘est mort pour nos péchés selon les Ecritures, qu’il a été mis au tombeau, qu’il est ressuscité le troisième jour selon les Ecritures’ :

iii) Un autre titre donné à Jésus est celui de ‘Fils’ ou ‘Fils de Dieu’. Comme il en va de l’appellation ‘Christ’, la filiation divine fait remonter à des dates bien antérieures à la rédaction des lettres de Paul. Rm 1, 3-4 et 1 Thes 1,10 sont des formules traditionnelles de confession de foi anciennes.

iv) Un autre titre très utilisé est celui de Kyrios (Seigneur) : Cette appellation (équivalente à adonay ou maryah) était celle que les juifs pieux utilisaient pour éviter de prononcer le nom hébreu de Dieu (Yahzeh). Durant les premières années du christianisme, les chrétiens juifs de langue grecque, mais aussi araméenne, parlaient de Jésus comme du ‘Seigneur’. La formule liturgique araméenne translittérée qu’utilise Paul, en 1 Co 16, 22, doit probablement se lire ‘marana tha’ ‘Notre Seigneur, viens’. C’était une invocation adressée à Jésus glorifié, réclamant sa présence dans le cadre liturgique ou sa venue eschatologique. Que Paul emploie cette expression sans traduction ni explication à une Eglise de langue grecque, composée principalement de gentils convertis, indique qu’il compte que ses lecteurs connaissent déjà cette formule, utilisée dans leur liturgie. En utilisant ce terme en araméen, et aussi en parlant de Dieu comme ‘Abba’ (père), Paul transmet à ses convertis de langue grecque deux expressions araméennes utilisées par les chrétiens juifs pour s’adresser aussi bien à Dieu qu’à Jésus.

v) Même si les chrétiens ont bataillé pendant les siècles qui ont suivi pour formuler plus parfaitement la relation entre Dieu et le Christ, les lettres de Paul montrent qu’étonnamment tôt, divers groupes chrétiens partageaient tous les mêmes convictions de bases, qui revenaient à traiter Jésus en être divin, sujet de dévotion avec Dieu, lui-même humain, mais préexistant, dont la mort et la résurrection nous ont donné la rédemption.

vi) Il semble qu’il n’y ait aucun conflit entre les groupes chrétiens sur la révérence due au Christ. Autrement, Paul, qui ne mâchait pas ses mots, l’aurait dit.  La conclusion presque inévitable est donc que l’innovation dans la dévotion et les convictions christologiques ont eu le caractère d’une véritable explosion, dans les toutes premières années (peut-être même les premiers mois) du mouvement chrétien, et qui s’est immédiatement transmise alentour.

vii) On ne peut donc attribuer l’origine de l’adoration cultuelle de Jésus à Paul. Au contraire, les Eglises pauliniennes ont pris la suite d’autres groupes chrétiens et ont perpétué leur schéma de dévotion ‘binitaire’.

 

12. Les caractéristiques de cette dévotion envers Jésus sont :

a) un schéma de prière dans lequel Jésus figure au premier plan, soit comme celui qu’on prie, soit comme l’intermédiaire unique par qui on adresse une prière (1 Th 3, 11-13 ; 2 Th 2, 16-17 ; 3, 5 ; Rm 16, 20 ; 1 Co 16, 23 ; 2 Co 12, 8-9).

b) le fait d’invoquer et de confesser Jésus. Voir plus haut l’invocation très ancienne de marana tha. En Rm 10, 9-13, Paul conseille de ‘confesser’ que ‘Jésus est Seigneur’. Cette ‘confession’ est un acte rituel du culte. Voir aussi 1 Co 12, 3 ; Ph 2, 10-11, 1 Co 1, 2. Dans les groupes chrétiens anciens dont la vie liturgique se reflète dans les lettres de Paul, le nom de Jésus joue un rôle qui n’a pas de parallèle dans le judaïsme de l’époque.

c) le fait de baptiser au nom de Jésus (voir 1 Co 1, 15 ; 6, 11 ; Ga 3, 27 ; Rm 6, 4). Le baptême ‘au nom de Jésus’ est né dans un milieu de chrétiens palestiniens issus du judaïsme, milieu qui est aussi l’origine historique de croyants qui s’identifient rituellement par référence au nom de Jésus.

d) la ‘Cène du Seigneur’. Le repas sacré des chrétiens est une tradition ‘reçue du Seigneur’, comme le dit Paul en 1 Co 11, 17-34. Il est tout autre que les repas des cultes des divinités païennes (1 Co 10, 14-22). Dans le repas chrétien, Jésus est le Kyrios vivant et puissant qui préside son repas et avec qui les croyants sont en communion comme avec un Dieu. On ne trouve aucune analogie à un rôle cultuel comme celui-ci pour qui que ce soit d’autre que Dieu dans les milieux juifs de l’époque.

e) les hymnes, qui étaient une caractéristique du culte chrétien primitif. Le chant de psaumes (le psalmos en 1 Co 14, 26), les ‘psaumes, hymnes et cantiques’( Col 3, 16-17 ; Ep 5, 18-20 ; Ph 2, 6-11 ; Col 1, 15-20 ; Ep 5, 14 ; 1 Tm 3, 16), chantés ou psalmodiés collectivement, en l’honneur de Jésus, ce qui était une différence significative avec les pratiques liturgiques et les habitudes des groupes juifs contemporains qui limitaient leur chant à la louange du roi ou de personnages messianiques.

f) la prophétie, attribuée à l’Esprit, est un trait caractéristique des assemblées cultuelles chrétiennes (Voir 1 Co 12, 10 ; Rm 12, 6 ; Ep 4, 11 ; 1 Co 14). Elle est provoquée par le Seigneur Jésus et est en même temps à son service.

 

13.  Le christianisme juif en Judée ne nous est accessible qu’indirectement, par les

échos de sa foi et de ses pratiques, surtout ceux qu’ont conservés les lettres de Paul, ou qu’on trouve dans les Actes (2,14-40 ; 3, 11-26 ; 4, 8-12 ; 4, 24-30 ; 5, 27-32 ; 5, 40-42 ;  7, 51-53 ; 8, 12 ; 8, 30-35 ; 9, 20-22 ;10, 34-43). Tout en tenant compte des limites de ce que nous pouvons savoir, on peut dire que le christianisme judéen accordait à Jésus une place centrale, dans sa foi comme dans sa pratique. On a vu plus haut combien Paul avait reflété leur dévotion envers Jésus. Quand Paul se rendit à Jérusalem, trois ans après sa conversion (soit peut-être cinq ans après l’exécution de Jésus), il y rencontra un groupe religieux dont la tradition doctrinale, l’enseignement, le culte, la vie commune et l’organisation étaient déjà fort développés. Pour résumer, on peut dire que les plus importants et les plus influents développements de cette dévotion ont eu lieu parmi les premiers groupes de croyants judéens et que c’est à leurs convictions et au modèle fondamental qu’a adopté leur piété, que sont redevables toutes les formes de christianisme dans la suite des temps.

 

14. La première dévotion à Jésus : la source Q. On s’accorde en général sur l’idée que Q (de l’allemand Quelle qui veut dire ‘source’) était pour l’essentiel une collection de dits de Jésus, probablement composée en grec par des croyants hellénistes, comme ceux des milieux de Jérusalem en lien avec Etienne, et qui fut utilisée par Matthieu et Luc. Tels que Q les présente, les adeptes de Jésus partagent sa mission de proclamer le royaume de Dieu et reçoivent de lui autorité pour déclarer, à titre officiel, l’approche ou la présence de ce royaume, comme Jésus l’a fait. De  plus, il les mandate à faire des miracles, comme lui, pour manifester la puissance du royaume. Il leur apprend à prier, en mettant toute leur confiance en Dieu. Il y a partout une insistance claire et soutenue sur l’importance de Jésus. Au début de Q, Jésus est annoncé, et à la fin, il se trouve justifié et promet la justification à ceux qui le suivent. Entre ces deux éléments clés d’encadrement, la totalité de Q donne à Jésus la place centrale. L’expression la plus fréquemment utilisée comme un titre de Jésus est ‘le fils de l’homme’, tel qu’il se désigne lui-même. Il y est aussi désigné comme Kyrios, comme ‘Fils de Dieu’. Les avis diffèrent sur la vision réelle de Q du rôle de Jésus. Beaucoup affirment, cependant, preuves à l’appui, que Q reflète une vision très haute de Jésus, de ses pouvoirs et de sa personne. Il y est directement associé avec Dieu dans des fonctions eschatologiques décisives et il a une autorité indiscutée dans la vie de ses adeptes. Il est empli de l’Esprit de Dieu de façon unique, et dans son ministère, le royaume de Dieu arrive à son expression eschatologique. Q fut un produit littéraire qui connut un véritable succès et reflète de manière générale un genre de dévotion à Jésus qui est cohérent avec les autres témoins examinés plus haut.

 

15. Des livres sur Jésus: les Evangiles.

a) Les synoptiques. Vers 70 de l’ère chrétienne au plus tard, des chrétiens se sont mis à écrire des ensembles narratifs complets sur Jésus, qui connurent une rapide et large diffusion et qui exercèrent une grande influence pour tous les siècles suivants de l’histoire chrétienne. Ces ‘livres sur Jésus’ prônaient et reflétaient la dévotion intense pour Jésus, caractéristique des milieux de chrétiens pour qui les auteurs les ont écrits. Chacun de ces livres est une ‘interprétation’ littéraire remarquable par elle-même, avec des insistances particulières. Chacun voulait probablement toucher ce que son auteur considérait comme des nécessités urgentes des lecteurs qu’il avait en vue. Il y eut de nombreux autres livres sur Jésus durant cette période du premier âge du christianisme. Mais, avec l’évangile de Jean (le plus tardif), les évangiles synoptiques de Marc (le plus ancien), Matthieu et Luc (Evangile et Actes), étaient ceux qui eurent le plus d’influence. A en juger à leur usage répandu, ils ont dû être, à une grande échelle, les plus représentatifs des croyances sur Jésus, et sur la façon dont les traditions le concernant furent conservées et utilisées pour guider dans leur conduite ceux qui l’appelaient leur Seigneur. Jésus y est leur centre, et ils lui donnent les mêmes titres christologiques déjà analysés dans les épîtres de Paul et Q (Christos, Kyrios, fils de l’homme).

b) Les écrits johanniques (Evangile et Epîtres), quant à eux, reflètent les tensions et les drames de graves crises religieuses, à la fin du 1er siècle, essentiellement entre les chrétiens johanniques et leurs adversaires juifs, qui tournaient autour de la question de savoir que penser de Jésus. Pour cela, les johanniques ont tenu à souligner le statut divin de Jésus et ses origines célestes. Les résultats de cette polémique ont fait l’histoire et ont fortement influencé presque toutes les convictions chrétiennes ultérieures concernant Jésus. On en retient surtout le portrait de Jésus comme incontestablement divin et en même temps comme une personne humaine, appartenant réellement à notre monde. Ces deux éléments éclairent les principaux problèmes intellectuels du christianisme dans les siècles qui ont suivi : comment Jésus pouvait-il être vraiment divin, s’il n’y a qu’un seul Dieu, et comment pouvait-il être vraiment humain s’il était vraiment divin ?

 

16. Ecrits pauliniens tardifs et autres textes tardifs du Nouveau Testament

a) L’épître aux Hébreux, offre une des expressions les plus remarquables de la foi en Jésus au premier âge chrétien. On n’en connaît pas l’auteur et il n’y a pas d’unanimité sur la date (probablement entre 65 et 100) et la provenance. C’est le texte le plus élégant et le plus raffiné  du christianisme du 1er siècle. Son auteur voit Dieu opérant de façon unique par Jésus. Pour lui, le culte que les chrétiens adressent à Dieu est offert nécessairement par Jésus (13, 15). Jésus est si intimement lié à Dieu que l’on ne pouvait vraiment glorifier Dieu sans faire référence à lui.

b) Les textes pauliniens tardifs, considérés par beaucoup de chercheurs comme pseudonymes (Col ; Eph ; Epîtres pastorales). Ecrits durant la 2ème moitié ou la fin du 1er siècle, ils sont des indicateurs de la façon dont croyance et pratique dévotionnelles se sont développées dans le christianisme paulinien vers la fin du 1er siècle et par la suite. Sans vouloir diminuer en quoi que ce soit la signification des affirmations christologiques qu’on y trouve, le texte représente principalement un souci pratique qui est de motiver et d’affermir le comportement de ses lecteurs pour qu’ils cherchent à ‘faire tout au nom du Seigneur Jésus, rendant grâces à Dieu le Père par lui’ (Col 3, 17 ; Eph 5, 20).

c) Autres textes du Nouveau Testament (Epîtres de Pierre, Jude, Apocalypse). Datés communément à peu près de la même période que les textes pauliniens tardifs, ces écrits comportent une forte affirmation des croyances et des pratiques de dévotion traditionnelles et les mêmes inquiétudes face à des enseignements ou des maîtres qui représentaient de sérieuses variations par rapport à ces traditions.  Jésus y est vénéré comme divin, ayant un lien unique avec Dieu.

 

17. Autres livres anciens sur Jésus du 2ème siècle. Il existait d’autres livres sur Jésus. La plupart de ces écrits sont désignés d’apocryphes, et les plus anciens, sont habituellement considérés comme postérieurs de plusieurs décennies aux quatre évangiles canoniques. Les plus importants sont les suivants :

a) Des écrits, dont nous ne connaissons que les noms, ou que quelques rares extraits, (Evangile des nazaréens, Evangile des hébreux, Evangile des ébionites, Evangile des Egyptiens), mentionnés dans les écrits de divers auteurs  comme Irénée, Clément d’Alexandrie, Origène, Eusèbe, Epiphane, Jérôme et d’autres plus tardifs, sont soit des réécritures de parties des synoptiques, soit des documents syncrétistes judéo-chrétien, soit des textes intéressés surtout par des thèmes spéculatifs et mythologiques. Bien qu’ils semblent parfois différer sur des questions de foi, ces textes montrent que les chrétiens qui sont derrière eux s’accordent avec d’autres chrétiens de l’époque pour exprimer leur dévotion à Jésus.

b) Un Marc secret, supposé être une version ésotérique de l’évangile de Marc, mentionné par extraits dans une lettre attribuée à Clément d’Alexandrie , et soit disant réservée  aux ‘initiés aux grands mystères’.

c) Des fragments de certains écrits sur Jésus, maintenant perdus, et que nous ne pouvons même pas identifier par des noms (P. Oxy 840; P.Oxy 1224 ; P. Cairensis 10.735 ; Fragment de Fayoum; P. Egerton 2, papyrus de Strasbourg copte, fragment d’Akhmîm de l’Evangile de Pierre, ainsi que d’autres fragments). Dans la mesure où l’on peut les lire et les comprendre, ils semblent provenir de narrations sur Jésus préparées pour l’édification des fidèles adhérant à la même foi, et certains semblent contenir des dits de Jésus ou des récits qui ne se trouvent pas dans les écrits canoniques. Quant à l’Evangile de Pierre, dont il reste de larges extraits, il fut probablement écrit à l’origine par et pour des croyants du 2ème siècle, dans des milieux ‘proto-orthodoxes’, qui avaient un penchant pour la narration dramatique, une attitude nettement antijuive et des conceptions assez simples mais sincères sur la nature transcendante de Jésus. Il représente un bon exemple de christianisme de niveau ‘populaire’.

d) Les Evangiles de l’enfance, autre exemple de littérature populaire, cherchent à remplir les espaces narratifs des récits canoniques et à résoudre les questions qui y sont laissées en suspens, sur la naissance et l’enfance de Jésus. Les plus anciens, le Protévangile de Jacques et l’Evangile de l’enfance de Thomas, sont de la deuxième moitié du 2ème siècle, et pleins de merveilleux et de romanesque. Le Protévangile de Jacques  concerne surtout la Mère de Dieu, dont il vante la virginité perpétuelle et relate des détails sur son enfance et sa vie dans le Temple qui sont entrés par la suite dans la liturgie. Il suppose une position croyante ancienne assez traditionnelle, qui se base sur le fait que le statut spécial de Jésus requérait que l’on reconnaisse une origine et une signification spéciale à la femme qui l’a miraculeusement enfanté. L’Evangile de l’enfance de Thomas comporte des récits sur la petite enfance de Jésus jusqu’à 12 ans, qui mettent en relief son pouvoir miraculeux et ses origines célestes dans une version très naïve et parfois grossière.

e) L’Evangile de Thomas fut découvert en 1945 à Nag Hammadi, en Egypte et représente la transmission d’un texte chrétien ancien et très important. Il est très différent des évangiles canoniques et extra-canoniques discutés plus haut et est essentiellement une compilation de 114 dits (logia) attribués à Jésus, qui y est l’unique maître reconnu, et dont les dits prétendent détenir cachées des vérités du plus haut prix. C’est donc une compilation ésotérique qui a pour but de différencier les élus des autres chrétiens. C’est un écrit qui contredit nombre de traditions sur Jésus attestées dans les écrits antérieurs (pas de référence à l’Ancien Testament, ils présentent Jésus dans le contexte d’une notion de domaine divin constitué de multiples degrés de divinité, etc.). C’est un écrit qui reflète une position élitiste qui s’oppose à d’autres croyants et à leurs chefs ecclésiastiques et qui est soucieux de défendre un genre particulier de spiritualité, axée sur la découverte de soi qui permet d’accéder à la divinité.

f) Autres écrits hétérodoxes. En se fondant sur ces écrits (et il y en d’autres), il est clair que des conceptions de Jésus incompatibles entre elles circulaient au 2ème siècle, et probablement déjà avant. Ces textes présentent en connaissance de cause des conceptions radicalement hétérodoxes de Jésus qui reflètent probablement le genre de croyances contre lesquelles Irénée et d’autres porte-parole du christianisme proto-orthodoxe menaient campagne. Dans leur prétention à une connaissance supérieure et leur mépris pour les croyances des chrétiens qui ne partageaient pas leurs intuitions, ces textes donnent l’occasion d’entendre les vues de ceux, comme Valentin (env. 100-175) ou Marcion (fin du 1er siècle - 2ème moitié  du 2ème siècle), que combattait le christianisme orthodoxe émergent. Une nombreuse littérature, dont de nombreux écrits furent trouvés dans la cache de Nag Hammadi (Prière de l’apôtre Paul, L’Evangile de vérité, Traité sur la Résurrection, L’Evangile selon Philippe, etc.), qui qualifient les thèses gnostiques typiquement valentiniennes. Par contre, aucun écrit de Marcion n’a survécu. On en retrouve des extraits chez Justin, Hippolyte, Irénée et Tertullien, dans leurs écrits contre lui. Marcion a rejeté l’Ancien Testament comme non chrétien et il eut l’audace d’éditer des écrits du Nouveau Testament,  après les avoir épurés de ce qu’il considérait comme des insertions judaïsantes. De nombreuses autres visions gnostiques se sont répandues au 2ème siècle. Mais, aucune de ces innovations radicales de la foi chrétienne n’a réussi à s’imposer à un nombre suffisamment important de gens pour devenir la version dominante du christianisme de ce temps. Bien avant l’influence de Constantin et des conciles au 4ème siècle, il est clair que le christianisme proto-orthodoxe était en phase ascendante et représentait le courant dominant émergent. Sa dévotion à Jésus constitue le paradigme de la foi et de la pratique qui façonnera la tradition chrétienne par la suite.

 

18. Conclusion.  

a) Dans les cercles des adeptes de Jésus du 1er siècle, la dévotion à Jésus, considéré comme divin, a éclaté de façon soudaine et rapide, non pas de manière graduelle et tardivement. La dévotion à Jésus comme le ‘Seigneur’ à qui l’on devait un culte d’adoration et une totale obéissance était largement répandue. Les origines se situent dans les cercles chrétiens juifs des toutes premières années. Comme on l’a vu, ce fut comme une explosion, suite à la résurrection et la Pentecôte, et les révélations qui les ont accompagnés. Au milieu de la diversité du christianisme à son premier âge, la foi dans le statut divin de Jésus était un fait étonnamment commun. Même les ‘hérésies’ du christianisme le plus ancien présupposent largement la conception d’un Jésus qui est divin.  Ce n’est pas cela qui fait question. Le problème était en fait de savoir si l’on pouvait admettre et concevoir un Jésus authentiquement humain. Ceci fut considéré comme un point crucial pour l’efficacité de son œuvre rédemptrice.

b) Cette centralité de Jésus et le caractère unique de son statut appelaient, presque inévitablement, une nouvelle conception de Dieu. Fallait-il voir en Jésus une émanation du  pleroma (le tout) ? Jésus était-il le représentant d’un dieu étranger, inconnu jusqu’ici, qu’il ne fallait pas associer à la divinité créatrice de l’Ancien Testament ? Devait-on réellement identifier le Dieu chrétien avec la divinité de l’Ancien Testament, qui avait créé toutes choses, avait parlé par Moise et les prophètes et s’était maintenant révélée plus pleinement et de façon plus décisive par et dans Jésus ? L’adoption de cette dernière option a développé une vision nouvelle et unique de ce que signifiait le terme ‘Dieu’. Les chrétiens ont puisé librement dans la tradition juive, sur l’unicité de Dieu comme divinité personnelle, caractérisée par l’amour, la justice, la fidélité et un dessein. Mais, ils n’en ont pas moins postulé aussi, comme appartenant au Dieu unique qu’ils adoraient à l’exclusion de tout autre, une pluralité réelle et radicale, au départ centrée davantage sur le ‘Père’ et le ‘Fils’ dans un schéma ‘binitaire’ qui devint par la suite ‘trinitaire’.

c) Dès l’origine, les chrétiens proto-orthodoxes croyaient que Jésus est totalement humain, épousant dans une union indissoluble la race humaine. Que par sa mort et sa résurrection et son exaltation, il préfigure et garantit désormais la gloire que les humains peuvent espérer et pour laquelle ils peuvent oser risquer leur tout sur cette terre.

d)  Ces convictions accrochaient les gens et les poussaient à prendre des engagements dont les conséquences pouvaient être déterminantes pour eux et le christianisme. Pour eux, embrasser la foi chrétienne signifiait se joindre à un petit mouvement religieux vulnérable et non pas à une institution puissante et vénérable (et parfois oppressive). Pour des juifs et des païens, un tel engagement pouvait mettre en péril leurs relations avec leur milieu familial et une société hostile. C’était le prix à payer et nombreux par la suite l’ont payé de leur vie. Etant donné ce coût ceux qui embrassaient la dévotion à Jésus ont dû trouver une compensation suffisante dans le compagnonnage dans lequel ils entraient par le baptême. Telles étaient la puissance religieuse du message, la nouvelle identité, les expériences religieuses et les nouvelles appartenances. Dans tout cela, la figure de Jésus était le centre, l’inspiration, l’exemple et le maître dont l’autorité s’imposait. Jésus est toujours le centre de notre vie de chrétiens, qui avons décidé de le suivre, suite à l’exemple de ces premiers chrétiens, car il est la Vérité, le Chemin et la Vie. Il nous faut donc toujours répéter, comme eux, une de leurs premières invocations à Jésus,  ‘Viens, Seigneur Jésus’, et ainsi vivre continuellement dans sa sainte présence.

 

Le Seigneur Jésus Christ – La dévotion envers Jésus aux premiers temps du christianisme, par Larry W. Hurtado

 


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