Le cuiller de communion


Raymond Rizk


Aperçu historique

 

Prenez et mangez’

Or, tandis qu’ils mangeaient, Jésus prit le pain et, après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit et le donna à ses disciples en disant: ‘Prenez et mangez, ceci est mon corps. Puis, prenant une coupe, il rendit grâces et la leur donna en disant: ‘Buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de l’Alliance qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés’’ (Matthieu 26: 26-28, voir aussi Marc (14: 22-25), Luc (22: 19-25)).

On ne connaît pas comment Jésus communia les Apôtres, lors de la Sainte Cène, mais il est évident qu’ils ont bu à la même coupe, et que le Seigneur remit à chacun d’entre eux un morceau du pain qu’il avait béni et rompu, leur disant: ‘Prenez et mangez’. Le plus probable est qu’Il les a convié à prendre ce pain dans la main, car il semble exclu qu’il l’ait mis directement dans leur bouche, ou qu’il les ait invité à prendre eux-mêmes leur part, dans le ‘plat’ mentionné dans deux des Synoptiques (Matthieu 26: 23, Marc 14: 20).

De plus, nous notons, dans l’Evangile de Jean (13: 26), que le Seigneur ‘trempant la bouchée, la prend et la donne à Judas’, ce qui indique que le Seigneur, et donc les Apôtres, utilisaient leur main pour manger, ce qui amène la plupart des chercheurs à conclure que les Apôtres avaient pris le ‘pain rompu’ dans la main, comme ils avaient bu directement à la même coupe.

 

Témoignage de la première communauté chrétienne

Les Actes des Apôtres affirment que les premiers disciples ‘se montraient assidus à l’enseignement des Apôtres, à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières’ (2: 40), mais ils ne disent point comment ils communiaient au pain rompu’. Il est hautement probable qu’ils aient suivi la manière appliquée par les Apôtres, lors de la Sainte Cène, mais il n’y a d’autre preuve à cela que la tradition qui en a suivi.

Certains[1] se basent sur ce que dit le Nouveau Testament du nouveau croyant qui accède à la foi ‘avec toute sa maison’, pour conclure que tous les membres de cette maison communiaient y compris les enfants, et que ces enfants devaient recevoir la Sainte communion avec une cuiller.

Témoignages des 2ème et 3ème siècles

St. Justin martyr (+165) dit que ‘les diacres distribuent le pain et le vin et l’eau aux présents et les prennent aux absents’[2], et il ajoute que ‘chacun reçoit une part de l'Eucharistie et on envoie aussi leur part aux absents par le ministère des diacres’[3]. Par ces mots, il confirme la description que fait la Didachè[4] de la réunion des premiers chrétiens et du mystère de ‘rompre le pain’[5].

 

L’épitaphe de Pectorius, découverte à Autun en 1839, et qui est probablement de la fin du deuxième siècle, porte une inscription métrique grecque dont les cinq premiers forment l’acrostiche ΙΧΘΥΣ, et dont les quatre vers suivants donnent le texte qui suit:

Reçois l'aliment doux comme le miel du Sauveur des Saints,

Mange à ta faim, bois à ta soif,

Tu tiens le Poisson dans les paumes de tes mains.

Nourris-nous donc, Maître et Sauveur, avec le Poisson’.

Le poisson (ΙΧΘΥΣ) indiquant le Christ dans le langage symbolique des premiers chrétiens, ce texte a de toute évidence une signification eucharistique, et il affirme que le chrétien reçoit le saint Corps dans les ‘paumes de (sa) main’.

 

Clément d’Alexandrie (+215) parle du rite de réception du sacrement, à savoir ‘qu’après avoir rompu le pain de l’Eucharistie, selon la coutume, on permet à chaque membre du peuple d’en prendre sa part, selon ce qui est accoutumé’[6].

 

Tertullien (+225) écrit que les ‘Chrétiens s'assemblaient avant le jour pour célébrer l’Eucharistie; chacun y recevait le Corps du Seigneur dans sa main, et après en avoir communié dans l'église, il en prenait dans sa maison’[7]. Et il affirme que ‘les mains des chrétiens touchent chaque jour le Corps du Seigneur’[8], et recommande aux nouveaux baptisés de bien ‘tenir le Corps du Christ dans leurs mains qui, hier encore, sacrifiaient aux idoles’[9]. Et il leur demande de quitter tout travail en relation avec les idoles, disant qu‘Il n’y a pas ‘d’autre alternative pour un fidèle que de pleurer en voyant un chrétien entrer dans la maison de Dieu après avoir quitté l’atelier des idoles, et élever vers Dieu le Père les mêmes mains qui avaient façonné des idoles… et les tendre vers le Corps du Seigneur’[10].

Et il dit dans un autre texte que ‘lors de nos assemblées… nous craignons que rien ne tombe du calice et du pain par terre, car nous en souffrirons’[11].

La Tradition Apostolique, écrite durant la première moitié du troisième siècle, et attribuée à Hyppolite de Rome (+236), indique que le dimanche c’est ‘l’évêque lui-même qui distribue le pain consacré à l’ensemble du peuple de Dieu, après qu’il ait été rompu par les prêtres et les diacres. Et quand le diacre apporte (l'Eucharistie) au prêtre, il la présente sur un plateau, et le prêtre la prend et la distribue au peuple avec sa main’[12].

Elle décrit aussi le rite de la communion dans ces termes: ‘Que l’oblation soit présentée à l’évêque. Qu’il bénisse le pain… et le calice où es mêlé le vin… et le lait et le miel… Et après avoir rompu le pain, qu’il donne un morceau à chacun en disant: ‘Le pain du ciel dans le Christ Jésus’. Et que celui qui le reçoit réponde: ‘Amen’… Si les prêtres ne sont pas en nombre suffisant, que les diacres tiennent également des calices,… l’un avec de l’eau, le second avec le lait et le troisième avec le vin. Que ceux qui communient prennent de chacune des coupes pendant que celui qui en donne dit alternativement: ‘En Dieu le Père tout-puissant’, ‘Et dans le Seigneur Jésus-Christ’, ‘Et l’Esprit Saint et l’Eglise sainte’, et que celui qui reçoit dise à chaque fois ‘Amen’’[13].

Et elle appelle les communiants à ‘prendre soin de l’Eucharistie… afin que rien n’en tombe et ne se perde, car c’est le Corps du Christ qui doit être mangé seulement par les fidèles… De même il faut veiller à ce que rien ne se répande du calice, lorsqu’on l’a entre les mains’[14].

Quant à Origène (+254) il recommande aussi aux fidèles ‘habitués à la participation aux mystères divins, d’être attentifs… en recevant le Corps du Seigneur et le tenant (dans leur main), de s’assurer à ce que la moindre parcelle (du pain) ne tombe par terre, et à ce qu’aucune goutte du vin consacré ne soit répandue’[15]. Et il demande ‘aux hommes qui veulent communier de se laver les mains, et aux femmes de poser le Corps du sur un voile couvrant leurs mains’[16].

 

La tradition copte nomme ‘perle’ le pain consacré, et elle alerte aussi sur le danger de la faire tomber au sol, disant ‘qu’il faut aussi se méfier… de la laisser coller à ses doigts’[17].

Eusèbe de Césarée relate le contenu d’une lettre envoyé par Corneille, évêque de Rome (+253) à Fabius, évêque d’Antioche sur la façon avec laquelle le schismatique Novatien (+258) se comportait lors de la communion des fidèles. Il y dit: ‘Quand il a fait l’offrande eucharistique et distribué à chacun sa part, Il prend de ses deux mains la main qui la reçoit et ne la lâche plus avant que le communiant n’ait prêté serment… de ne pas prendre le parti de Corneille’[18]. Au-delà de la description des méfaits de Novatien, ce texte confirme l’usage de recevoir le pain consacré dans la main.

 

Denys d’Alexandrie (+265) raconte, dans sa cinquième lettre à l’évêque de Rome, l’histoire d’un homme ‘qui a tendu les mains pour recevoir la sainte nourriture’[19]. Une autre de ses lettres mentionne un vieillard mourant auquel on amène le pain eucharistique, lui recommandant de le mouiller avec de l’eau et de le mettre dans la bouche[20].

Quant à Cyprien de Carthage (+258), il mentionne que ‘la main droite tient les dons et donc le Seigneur lui-même’[21]. Et il relate l’histoire d’un chrétien, qui, après avoir sacrifié aux idoles, s’était présenté à l’autel du Seigneur, et avait osé… se présenter pour recevoir l’Eucharistie. Mais, dit-il, ‘il ne peut la porter à sa bouche, car en ouvrant ses mains, il n’y trouve que des cendres’[22].

Et dans une autre de ses lettres, il encourage ‘les soldats du Christ’ qui se préparent au martyre, de considérer que ‘le calice du Sang du Christ leur est donné à boire chaque jour, afin qu'ils soient en mesure de verser eux-mêmes leur sang pour lui’[23].

Beaucoup d’autres témoignages attestent que les fidèles, prenaient couramment les saints Dons pour y communier dans leurs maisons[24], ou durant leurs voyages[25].

 

Témoignages du 4ème siècle

Les témoignages sur la communion dans la main se font plus nombreux chez les Pères de ce siècle, aussi nous nous limiterons aux plus importants.

Ephrem le Syrien (+337) fait dire au Christ au communiant: ‘Tu me vois quand tu me portes dans le creux de ta main’[26]. Et il lui fait dire aussi, dans un de ses sermons: ‘Maintenant, je viens vers toi sous l’apparence du pain pour te sanctifier. Les langues de feu, desquelles Isaïe a pris le tison, qui me symbolise dans le grand mystère de l’Eucharistie. Isaïe m’a vu de la même manière avec laquelle tu me vois, quand tu tends ta main et mets le pain vivant dans ta bouche. Les langues de feu représentent ma main, et le tison enflammé mon Corps. Vous êtes tous des Isaïe’[27].

Ce Père appelle aussi à veiller à ne pas perdre la moindre miette des saints dons, faisant dire à Jésus: ‘Ne croyez pas que ce que je vous ai maintenant donné est du pain. Recevez-le, mangez-le, ne le brisez pas en miettes et ne le laissez pas tomber sous vos pieds,… car la plus petite de ses miettes peut sanctifier des milliers d’âmes, et leur donne la vie’[28].

 Dans son exposé sur l'humilité,  Aphraate (+345), le ‘Sage Persan’, en vient à parler de certains rites de communion, disant: ‘Ta langue devra aimer le silence, puisqu'elle lèche les plaies du Seigneur. Que tes lèvres se gardent de s'entrouvrir, puisqu'avec elles tu donnes un baiser au Fils du Roi‘[29]. Il parle de ‘lécher avec la langue’ en comparant les communiants qui ‘aiment le Seigneur et lèchent ses plaies de leur langue au chien qui lèche son maître’[30]. Il mentionne aussi la sanctification des yeux, disant, dans son commentaire de la péricope évangélique de Lazare, que ‘le pauvre à la porte représente le Sauveur… et les chiens qui qui léchaient ses plaies  sont les peuples qui prennent son Corps et le posent sur leurs yeux’[31]. Il confirme ainsi la pratique de porter le Corps du Christ sur les yeux, avant la communion.

 

Basile le Grand (+379) confirme la tradition de recevoir le corps du Christ dans la main, et il justifie que des laïcs puissent donner la communion dans des situations d’urgence, disant: ‘Quant à la nécessité où l’on est dans les temps de persécution, en l’absence de prêtre ou de ministre, de recevoir la communion de sa propre main, il est superflu de démontrer… qu’une telle pratique est confirmée par une longue coutume bien attestée… A Alexandrie et en Egypte, tout le monde a presque toujours la communion dans sa maison, et, quand il le veut, il se la donne… Dans l’église, le prêtre donne à chacun la part demandée. Qui la reçoit la porte à sa bouche de sa propre main. Et il peut recevoir du prêtre une part ou plusieurs à la fois’[32]

Quant à Cyrille de Jérusalem (+386) il décrit dans ses catéchèses baptismales, le rite de la communion pratiqué de son temps, disant: ‘Quand tu t’approches, ne t’avance pas en étendant des mains les paumes ouvertes, ni les doigts écartés. Mais, puisque le Roi va se poser sur ta main droite, fais-lui un trône de ta main gauche, et reçois le Corps du Christ dans le creux de ta main en disant: ‘Amen’. Après avoir sanctifié tes yeux par le contact du saint Corps, communie en veillant à n’en rien laisser perdre. Si tu en laissais perdre quelque chose, tu devrais considérer cela comme une amputation de l’un de tes membres’[33]. Et il poursuit, disant: ‘Ensuite, quand tu as communié au Corps du Christ, avance-toi vers la coupe de son Sang. Ne tends pas les mains, mais incline-toi et dis : ‘Amen’, en adoration respectueuse, et sanctifie-toi par la réception du Sang du Christ. Et tant que l’humidité de ce Sang est sur tes lèvres, recueille-la de tes mains, et sanctifie tes yeux, ton front et tes autres sens’[34].

 

Grégoire de Naziance (+390) écrivant contre la femme qui passe trop de temps à se maquiller en vue de la séduction, lui demande: ‘Tes mains ne sont-elles pas épouvantées de se voir tendues vers la nourriture mystique, alors qu'elles t'ont servi à peindre [sur ton visage] une beauté déplorable?’[35].

Quant à Cyrillonas, poète syriaque et neveu d’Ephrem le Syrien, qui a vécu à la fin du 4ème siècle, il a laissé quelques rares hymnes (memré) dont nous avons extrait ce texte: ‘D'une seule de tes paroles ta volonté nous a créés. Et d'une seule goutte de ta grâce tu nous as guéris et chassé nos douleurs. Si la femme hémorroïsse a saisi la frange de ton vêtement et fut guérie, combien plus aurai-je en partage, moi qui saisis ton Corps tout entier?’[36]

Après les massacres de Thessalonique, Ambroise de Milan (+397) aurait dit à l’empereur Théodose: ‘Comment tes deux mains osent toucher le Corps de notre Seigneur, après qu’elles aient été responsables de ces massacres?’[37].

 

Jean Chrysostome (+407) a dit dans un sermon prononcé à Antioche: ‘Nombreux sont ceux qui disent aujourd’hui: ‘Comme j’aimerais voir le corps du Seigneur, son visage, ses habits, ses chaussures’... Ô homme, voici qu’il se laisse, non seulement voir, mais encore toucher, manger et recevoir au-dedans de vous’[38]. De plus, il va jusqu’à dire, dans un autre sermon: ‘Combien est-il merveilleux que tu te tiennes à côté des séraphins, Dieu t'ayant permis de toucher librement ce que les séraphins n'osent même pas toucher… Les séraphins n'osaient pas le toucher de leurs mains, mais seulement avec une pincette[39], et toi tu le reçois dans la main’[40].

Et dans sa catéchèse baptismale aux néophytes, il leur dit que le Mauvais ‘pour peu qu’il te voit revenir des festins du Maître,… et qu’il voit ta langue teinte et ta bouche empourprée du précieux Sang,… il s’enfuira en courant’[41].

Dans une autre de ses homélies, il indique qu’en ‘se rapprochant (des mystères) ne crois pas recevoir le Corps divin de la main d’un homme, mais des séraphins eux-mêmes qui le tiennent avec une pince de feu, comme dans la vision d’Isaïe. Et en recevant le Sang du salut, tu appliques les lèvres au côté divin immaculé[42].

Malgré toute vraisemblance, certains affirment que Jean Chrysostome a introduit l’usage de la cuiller, lors de la communion, parce qu’une femme macédonienne a profané les dons mis dans sa main[43], et pour éviter leur vol par des gens malveillants et leur mauvaise utilisation. De toute façon, si cette histoire s’avérait véridique, ce qui est très peu probable, elle n’a pas duré longtemps, car les choses sont revenues rapidement à l’usage traditionnel.

 

Théodore de Mopsueste (+428), un des plus grands hérauts de l’école exégétique antiochienne, et ami de Jean Chrysostome, décrit le rite de la communion dans ces termes: ‘Chacun de nous s’approche, les yeux baissés et les mains étendues… C’est la paume droite que l’on étend pour recevoir l’oblation, mais on place la main gauche sous elle, en signe de profond respect... En distribuant l’oblation, le pontife dit: ‘Le corps du Christ’… Tu dois donc te présenter avec beaucoup de respect et un grand amour, avec respect à cause de la dignité des saints Dons, et avec amour à cause de la grâce qui t’est offerte… Tu dis après le pontife ‘Amen’… Et tu fais la même chose pour la coupe. Et lorsque tu as reçu le Corps en tes propres mains, tu l’adores… Et avec un grand et loyal amour, tu le contemples, tu l’embrasse, et c’est à notre Seigneur le Christ, désormais proche de toi, que tu élèves tes prières… C’est dans ces dispositions que tu reçois la communion et la consommes … Puis, tu feras monter vers Dieu une action de grâce et de bénédiction’[44].

Il est à noter que la tradition de tenir le Corps du Seigneur dans la main, et de boire son sang directement au saint calice, est toujours vécue lors de la célébration de la liturgie de saint Jacques, comme elle était de règle dans la liturgie de saint Marc. Le prêtre proclamait, dans la première, juste avant la communion des fidèles: ‘Que le Seigneur nous bénisse et nous rende dignes de communier au tison enflammé, avec des mains pures qui le portent à notre bouche’. Et certains canons de l’Eglise de l’Orient stipulent qu’il faut porter le saint Corps à la bouche directement à partir de la paume de la main, et non par l’intermédiaire des doigts.

 

Augustin d’Hippone (+430) mentionne les ‘mains superposées’ pour recevoir le pain consacré[45], ce qui laisse supposer que l’Occident chrétien suivait les mêmes pratiques que l’Orient.

 Quant à Théodoret de Cyr (+457), il écrit, commentant le rite de la communion: ‘Il nous faut faire attention comment prendre le Corps de l’Epoux, lors de la célébration des saints mystères, et comment l’embrasser et fixer le regard sur lui’[46].

 

L’abbé Shenouté (+466), fondateur du ‘monastère blanc’ en Egypte, mentionnes qu’il a été obligé de réprimander un de ses moines, car il avait emporté l’ensemble des saints dons, à sa sortie de l’église après la Liturgie, empêchant le prêtre et les diacres d’en donner à ce qui en demandaient[47]. Cet incident démontre que la pratique de prendre les saintes espèces dans les cellules et les maisons était toujours admise, vers la fin du 5ème siècle.

Le texte du ‘Testament du Seigneur’[48], parlant de la communion, laisse supposer que les fidèles prenaient le saint pain dans la main avant de le consommer, et buvaient directement au calice[49].

La lecture de Narsaï (+502), le fameux poète et théologien syriaque, nous apprend qu’il faut se présenter à la communion, ‘les mains jointes en forme de croix’, et il dit: ‘Ainsi on reçoit le Corps de notre Seigneur sur une croix’[50].

 

Témoignages des siècles ultérieurs (du 6ème siècle au onzième siècle)

Ces témoignages forment deux catégories, l’une affirmant la pratique traditionnelle, et l’autre attestant l’utilisation de la cuiller.

 

Témoignages sur la pratique traditionnelle

Philoxène de Mabboug († 523) nous invite à parler à Jésus, qui repose dans nos mains : ‘Adores le Corps vivant que tu tiens dans tes mains. Ensuite, parle-lui à voix basse en disant: ‘Je te portes, ô Dieu vivant, et te tiens dans le creux de ma main, ô Dieu de l’univers que l’univers ne peut contenir... Vois comme mes mains t’enserrent avec confiance, rends-moi digne, Seigneur, de te manger de façon sainte, et de goûter à la nourriture de ton Corps comme à la saveur de ta vie’[51]

 

Césaire d'Arles (+542) dit dans un de ses sermons: ‘Ce que j'ai à vous dire n'est ni difficile, ni lassant, car Je vais parler de ce que je vous vois souvent faire. En effet, tous les hommes se lavent les mains avant de communier et toutes les femmes tendent de petits morceaux de lin propres sur lesquels elles reçoivent le Corps du Seigneur’[52]. Et il déclare, dans un autre sermon: ‘Si nous rougissons et craignons de recevoir l'Eucharistie avec des mains sales, combien plus devons-nous craindre de recevoir cette même Eucharistie avec une âme tachée’[53].

 

Le Synode d’Auxerre (tenu entre 561 et 605) prescrit de couvrir les mains des femmes, disant: ‘Il n'est pas permis aux femmes de recevoir l'Eucharistie la main non couverte’[54].

Il semble que soit apparu, au courant du 6ème siècle, ou plutôt du 7ème, d’abord en Syrie et Palestine, et par la suite en Occident, une nouvelle pratique de communion, en mélangeant les saints dons et les mettant dans la bouche au moyen d’une cuiller métallique[55]. Le Concile œcuménique Quinisextein trullo, réuni en 691-692, refuse fermement la nouvelle pratique et stipule: ‘Celui qui s’approche pour communier au Corps immaculé, au cours de la Sainte Liturgie, doit joindre ses mains en forme de croix. Quant à ceux qui veulent remplacer leurs mains pour recevoir les dons divins avec des objets en or ou en d’autres métaux, il ne leur est absolument pas permis de s’approcher, car ils ont préféré un métal de ce monde à l’image de Dieu. Quant à ceux qui acceptent de les communier au moyen de ces objets, qu’ils soient anathèmes’[56].

Il semble que cette interdiction ait fait son effet, car la pratique de recevoir l’Eucharistie dans la main s’est maintenue, et n’a pas complètement disparu qu’au 13ème siècle. Le patriarche d’Antioche et grand canoniste Balsamon (+1199) explique que la raison du changement préconisé venait ‘d’un sentiment de piété, estimant que la main qui touche maintes objets impurs n’est pas digne de toucher le Corps du Seigneur. Cela a causé avec le temps un mal pour les âmes… car certains se considéraient supérieurs à leurs frères pauvres qui ne pouvaient pas se permettre d’avoir de tels objets’[57]. Nicodème l’Hagiorite (+1809), qui a cité le commentaire de Balsamon, l’approuve et confirme que certains ‘utilisent, au nom de la piété, des objets en or ou en argent, au lieu de recevoir le pain sacré dans leur main. Et qu’il en a résulté des abus et un mal pour les âmes, ce qui a poussé le Concile Quinisexte à promulguer ce canon’[58].

 

Il a été demandé à l’évêque syriaque Jacques d’Edesse (+708) s’il est permis à certains de prendre la part du Corps du Seigneur qui leur est donnée à l’église, et ‘de la mettre dans un chiffon, et de l’attacher à leur cou, ou de l’accrocher au-dessus de leur lit, ou sur les murs de leur maison, comme une amulette’. Et lui de répondre: ‘Ceux qui font de telles choses scandaleuses avec les mystères du Corps du Christ et de son Sang adorables, et qui les considèrent comme des objets usuels pouvant être utilisés pour protéger leurs biens… sont exclus de la communauté eucharistique pour une durée de quatre ans’[59]. Ces textes prouvent aussi que la communion était toujours distribuée dans les mains des fidèles et pouvait être prise à la maison.

Quant à Jean Damascène (+749) il a écrit: ‘Nous nous approchons de lui, animés d'un désir brûlant et les mains disposées en croix. Et, après y avoir posé les yeux, les lèvres et le front, nous consommons la braise divine, afin que le feu de notre désir, attisé par le feu de la braise, consume nos péchés, éclaire nos cœurs et nous enflamme et nous divinise par la participation au feu divin’[60]. Parmi les prières avant la communion, il en est une attribuée au Damascène qui dit: ‘Ouvre-moi les entrailles de ton amour pour les hommes et accueille-moi, moi qui m’approche de toi et qui te touche, comme tu l’as fait pour la courtisane et pour l’hémorroïsse’[61]. Le fait d’utiliser le verbe ‘toucher’ est fort explicite.

 

Témoignages sur l’usage de la cuiller

Sophrone de Jérusalem (+638) est le premier à avoir mentionné l’usage de la cuiller. Il s’agissait d’une communion de malade, hors Liturgie. Il relate le fait dans son récit du martyre de Cyrille et Jean. Il dit que les deux martyrs ont apparu à un évêque paralysé, et lui proposèrent de communier avec eux dans un calice où se trouvaient mélangées les saintes espèces[62].

 

Anastase le Sinaïte (+ après 700) mentionne que la communion d’un moine stylite ne s’est point faite selon l’usage antique, mais au moyen d’une cuiller qui prenait les saintes espèces dans un calice où elles étaient mélangées. Et il ajoute que cela se faisait parfois pour la communion des malades[63].

 

Jean, métropolite de Dara, au Nord de la Mésopotamie (première moitié du 9ème siècle), a écrit un traité sur l’offrande eucharistique où il explique le symbolisme de la sainte cuiller. Il dit qu’elle ‘symbolise l’Esprit Saint par lequel nous recevons le Corps du Logos. Elle symbolise aussi la nature des saints anges qui sont les premiers à avoir accédé au mystère divin. Et elle symbolise encore la main de Dieu qui a pris de l’argile et façonné le premier homme’[64]. C’est là le genre de raisonnement touffu, plein de symbolisme, qui a prévalu dans l’Eglise, chaque fois qu’on voulait déguiser une trahison de l’ordre ancien et authentique en adoptant un rite nouveau.

 

Le dixième canon du Concile de Constantinople de 861, au temps de Photius le Grand, condamne ‘tous ceux qui profanent les objets liturgiques, y compris le calice, la patène et la cuiller’[65]. Le texte ne dit pas quelle est l’utilisation de la cuiller, mais son inclusion avec des objets eucharistiques, tels le calice et la patène, rend légitime de croire qu’elle se réfère à la communion.

 

Bar Hebraeus (+1286) a fait le récit d’une conversation qui a eu lieu entre le gouverneur de Bagdad et Abraham III (+937), Catholicos de l’Eglise de l’Orient, en présence de Denha, Patriarche de l’Orient (912-932), durant laquelle le gouverneur voulait savoir quelles dénominations chrétiennes faisaient usage de la cuiller pour la communion. Il lui fut répondu que l’Eglise de l’Orient, ainsi que les Arméniens ne l’utilisaient pas, contrairement aux Jacobites qui s’en ont servi, probablement à partir de la première moitié du dixième siècle[66].

Dans son Nomocanon, Bar Hebraeus mentionne l’usage de la communion dans son église de Tikrit, disant que le pain est distribué aux fidèles qui boivent le sang dans le calice. Mais dit-il, si cela s’avère impossible, le prêtre peut distribuer les deux espèces liturgiques ensemble, après avoir introduit le pain dans le calice, et distribué l’ensemble avec une cuiller, comme le font les Jacobites, hors le Maphrianat de Tikrit. Il dit aussi que leur évêque distribue la communion de la sorte, c.à.d. avec une cuiller, aux prêtres et aux diacres[67].

 

En pleine crise entre les patriarcats de Rome et de Constantinople qui a conduit le légat romain, le Cardinal Humbert de Silva Candida (+1061) à déposer sur l’autel principal de Sainte Sophie, en 1054, une bulle d’excommunication du patriarche Michel Cérulaire, y incluant une liste de ce qu’il considérait comme des ‘erreurs des grecs’. Il s’adresse aux ‘grecs’ leur demandant: ‘Comment justifiez-vous l’usage de la cuiller pour donner le pain de la vie éternelle mélangé avec le sang dans le calice? Le Seigneur lui-même n’a pas ainsi mélangé le pain avec le vin, et il n’a pas dit à ses disciples: ‘Prenez et mangez avec la cuiller, ceci est mon Corps’, mais il a béni le pain, le rompit et en distribua une partie à chacun’[68]. Et il poursuit, décrivant la tradition ecclésiales des Eglises de Rome et de Jérusalem, et disant: ‘Ils n’ont pas de cuiller de communion, comme le fait l’Eglise grecque, et ils ne mélangent pas les dons dans le calice, comme elle le fait, mais elles font communient le peuple avec le pain… et puis avec le sang répandu dans le calice, car nous n’avons pas connaissance que le Seigneur aie donné à aucun de ses disciples du pain mouillé dans le sang, sauf à Judas qui l’a livré, pour montrer qu’il était un traitre’[69].

 

Le texte des ‘Miracles de saint Georges’, écrit entre le onzième siècle et le quatorzième, relate qu’un musulman vit à travers d’une fenêtre extérieure d’une église ‘le prêtre donner avec une cuiller aux fidèles un corps d’enfant et son sang,’[70], ce qui reflète l’usage de la cuiller qui prévalait, au temps de l’écriture du texte.

 Une lettre attribuée au Patriarche de Constantinople, Michel II Oxeitis (+après 1146), indique que l’usage de la cuiller de communion était encore considéré nouveau et soulevait des objections. Il y mentionne plus particulièrement qu’autrefois ‘tous les fidèles, et non seulement les serviteurs de l’Autel, recevaient le pain céleste dans leur main, et ils l’embrassaient, le mettaient sur leurs yeux, avant de le manger… tandis que maintenant tout le peuple reçoit la nourriture qui donne la vie par l’intermédiaire d’une cuiller’[71].

 

Le Patriarche Théodore Balsamon, dans son commentaire du canon 101 du Concile Quinisexte, confirme que l’usage de la cuiller de communion s’est généralisé, dans beaucoup de régions, au milieu du douzième siècle, et que l’usage antique de la communion dans la main s’est maintenu, au moins jusqu’alors dans certaines régions[72].

 

Un écrit polémique anonyme du 12 siècle, attribué à l’Eglise de l’Orient, accuse les ‘melchites’ chalcédoniens et les Jacobites de ne plus faire communier le peuple directement du calice[73].

 De plus, Il existe un ensemble de textes liturgiques byzantins, s’étalant de l’onzième siècle au treizième siècle, qui se réfèrent à la cuiller de communion[74].

 

Sommaire de l’aperçu historique

 Il est évident donc que le fidèle, prêtre ou laïc, recevait le Corps du Seigneur dans ses mains, et buvait son Sang directement du Calice, sauf peut-être lors de la communion des enfants et des malades ne pouvant participer à la Sainte Liturgie, et ce depuis l’âge apostolique.

 Il est possible que l’usage de la cuiller de communion ait vu le jour, en Palestine, au cours du septième siècle, mais il a suscité maintes objections, et fut interdit au Concile Quinisexte.

 A partir du neuvième siècle, cet usage se développe, peu à peu, dans certaines régions, tant en Orient qu’en Occident. Mais la majorité des Eglises garde l’ancienne tradition, au moins jusqu’au onzième siècle, ou légèrement plus tard.

 Malgré qu’elle ait introduit une différence entre clercs et laïcs parmi ses fidèles, à partir du troisième siècle, l’Eglise du premier millénaire continuait à les considérer tous comme membres de plein droit du Peuple de Dieu, et dans la terminologie du Nouveau Testament, des ‘saints’ (Colossiens 1: 22, 1 Pierre 1: 15, etc.), des ‘concitoyens des saints et membres de la famille de Dieu’ (Ephésiens 2: 19), ‘oints de l’onction’ (2 Corinthiens 1: 21), ‘héritiers du Royaume’ (Jacques 2: 5) et appartenant à une ‘race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis’ (1 Pierre 2: 9). Ils sont donc  tous en droit d’avoir contact avec le sacré et de toucher les saintes espèces, ‘les saints dons (qui sont) aux saints’, comme nous proclamons dans la Sainte Liturgie.

La cuiller fut utilisée pour la communion des laïcs (les clercs appliquant toujours l’ancienne tradition), dans la plupart des Eglises de l’Orient, à partir de la moitié de l’onzième siècle, et elle fut généralisée partout après la moitié du douzième siècle, ou au plus tard vers les débuts du treizième.

En Orient, Il n’y a aucune trace que cette utilisation ait été promulguée dans un concile général, tandis que son interdiction avait été décidée dans un Concile œcuménique. Quant à l’Occident, plusieurs synodes[75], à partir du 9ème siècle, interdisent de mettre la communion dans la main des fidèles, et demandent l’usage de la cuiller qui s’est généralisé après le douzième siècle.

 

Les raisons derrière l’utilisation de la cuiller

Nicodème l’Athonite cite parmi ces raisons la rareté des diacres dans la plupart des paroisses, rendant impossible au prêtre seul de distribuer le Corps à tous les fidèles, et puis de les faire boire au calice, en un temps raisonnable. Il s’avérait plus simple de mélanger les saints dons et de les porter directement à la bouche des fidèles au moyen d’une cuiller. Et il mentionne d’autres raisons, plus traditionnelles, à savoir la peur que des miettes n’en tombent par terre, et qu’elles ne soient utilisées à des fins non avouables[76].

Les 9ème et 10ème siècles ont vu le fossé entre clercs et laïcs s’élargir, et il est de plus en plus exprimé en termes d’opposition entre le ‘sacré’ et le ‘profane’, les clercs ayant accès directement au sacré, et les laïcs seulement par leur intermédiaire. Cette opposition avait été indirectement influencée par l’importance grandissante donnée à l’œuvre du Pseudo Denys l’Aréopagite qui a donné une justification ‘mystique’ à l’organisation de la communauté ecclésiale à l’image de la Hiérarchie céleste. De plus, en établissant un partage de plus en plus net entre sacré et profane, il renforça cette distinction, en disant que le simple fidèle (donc le laïc) attribue spontanément à Dieu les noms dont use l'Écriture, mais que le ‘mystique’ (donc le clerc dans la pensée des tenants du cléricalisme) les dépasse. Une conséquence de cette compréhension douteuse de la pensée de l’Aréopagite, mêlée à certains courants monastiques ‘intégristes’, fut, entre autres, l’utilisation de la cuiller pour la communion des laïcs qui furent interdits de toucher les saints dons, car ils n’y pouvaient prétendre, nonobstant leur sacerdoce royal, du fait de leur non-consécration au sacerdotale ministériel.

Ce ‘cléricalisme’ de la pensée introduit d’autres changements dans la pratique ecclésiale. On peut en citer l’élévation du mur de l’iconostase qui devient une véritable séparation entre clercs et laïcs; l’interdiction faite aux laïcs d’entrer dans le sanctuaire où se trouve l’autel, symbole, s’il en est, du sacré; la récitation des paroles de l’Anaphore ‘à voix basse’ parce que ‘trop sacrées’ pour être entendues par de simples fidèles; et bien d’autres pratiques qui ont transformé la ‘communauté de frères’ en communauté ‘d’enseignants et d’enseignés’, et la firent passer ‘d’un peuple de prêtres à un peuple des prêtres’[77]. Cela s’accompagna souvent d’un abandon par les chrétiens du sentiment de filiation confiante en Dieu et en son amour, et d’une adoption d’un sentiment de frayeur, sinon de terreur devant lui et son jugement final.

 

Raison de ceux qui ne veulent plus utiliser la cuiller aujourd’hui

Elle consiste simplement dans la peur que la cuiller puisse transmettre les virus. Cette raison soulève une grave question: Est-ce que la communion peut transmettre une maladie? Et elle nous met devant deux problèmes, l’un en relation avec la foi et l’autre la pastorale.

Du point de vue de la foi, nous croyons fermement, que le Corps du Christ et son Sang sont ‘pour la guérison de l’âme et du corps’ pour ceux qui les reçoivent avec foi et ferveur, et sont un remède qui ouvre la voie vers la vie éternelle. Il n’y a pas lieu de douter de cette vérité, et beaucoup de Pères la confirment[78].

Par ailleurs, l’union de la nature divine avec la nature humaine en la personne du Christ, n’empêche pas la nature humaine de préserver ses caractéristiques propres. C’est pourquoi Jésus s’est fatigué, il a eu faim et soif, il a eu sommeil, s’est ému et a pleuré. Mais il n’est pas tombé malade, car il n’a pas connu le péché qui amène les maladies et la mort. Le Christ n’est mort que parce qu’il l’a voulu, et il a expérimenté, en mourant sur la Croix, un véritable déchirement existentiel.

De même, le pain et le vin, devenus Corps et Sang du Seigneur, sont toujours du pain et du vin, et n’ont pas perdu les caractéristiques de leur composition organique, malgré la présence mystérieuse du Christ en eux[79]. D’ailleurs les conseils donnés aux prêtres, en cas d’apparition de moisissure sur les Espèces conservées (pour les malades ou la Liturgie des Présanctifiés) prouvent que l’Eglise a bien envisagé ce problème et donné des directives pour s’en prémunir. Dans son commentaire du canon 28 du Concile Quinisexte, Nicodème l’Athonite écrit qu’il faut des dispositions spéciales en cas d’épidémie, que les objets liturgiques et la cuiller, qui ont servi à donner la communion à un malade ‘soient placés dans du vinaigre’ pour les désinfecter, et que ce vinaigre soit versé dans un endroit qui n’est pas de passage, afin qu’il ne soit empiété. Cela laisse supposer que la cuiller utilisée pour les malades, ait été désinfectée après chaque utilisation[80].

Jésus était donc comme nous, hors le péché. Quant à nous, le péché est lié à notre propre vouloir. Il ne nous est pas imposé de l’extérieur, le Mauvais nous poussant seulement à le commettre. De même, un virus (ou une épidémie) peut affecter les éléments du pain et du vin, ainsi que la cuiller qui les porte à la bouche ainsi que le voile avec lequel on s’essuie la bouche, sauf en cas d’intervention divine miraculeuse. Or l’on sait que Dieu ne fait pas de miracles quand la liberté des hommes est engagée.

D’un point de vue pastoral, il nous faut considérer avec un grand soin le scandale que l’utilisation d’une seule cuiller pour communier des multitudes, cause à la vie spirituelle des fidèles qui craignent la contamination, et ce malgré les affirmations des gens d’Eglise que la cuiller de communion n’a jamais transmis de maladies[81].

La cuiller n’est qu’un moyen pour donner le Corps du Seigneur et son Sang, et elle n’est pas censé avoir une quelconque influence sur la foi. Elle n’a d’autre ‘sainteté’ que celle du Saint qu’elle transporte vers la bouche des fidèles. C’est pourquoi on doit sérieusement considérer le ‘scandale’ qu’elle cause, avec beaucoup d’attention et de rationalité. Et trouver des solutions qui ne suscitent pas de scandale, préférablement puisées dans la Tradition, qui préservent à la fois la sacralité du mystère et pacifient les fidèles.

 

Solutions possibles

 Les paroisses qui ne considèrent pas que tout ce qui leur a été transmis est d’égale valeur et n’a pas forcément une origine apostolique, ne s’attachent pas aveuglément à la lettre de nombre de traditions humaines, et les changent pour répondre aux exigences pastorales. Ainsi maintes solutions ont déjà été trouvées et appliquées. Certaines utilisent une cuiller pour chaque fidèle. D’autres mettent le pain consacré, mouillé dans du vin consacré, dans la main des fidèles. D’autres encore permettent l’usage de cuiller personnelle ou familiale, etc…

Faut-il remarquer à ceux qui ne veulent rien changer, qui considèrent que la tradition de la cuiller est sacro-sainte, sans prêter attention à l’amoindrissement du nombre de communiants qu’elle occasionne, que l’usage de la cuiller ne remonte pas aux temps apostoliques, mais qu’elle a été instituée il y a près de mille ans, en remplacement de la tradition apostolique de mettre le saint Corps dans la main des fidèles.

Des Eglises orthodoxes qui n’ont malheureusement plus d’apostolique que le nom, se retranchent dans leur tour d’ivoire, lancent des anathèmes contre les ‘scandalisés de la cuiller’, les taxant d’un manque de foi, et se soucient peu de leur vie spirituelle et de la santé du monde.

 

L’usage de la cuiller n’a pas fait l’objet d’aucune décision conciliaire dans l’Eglise Orthodoxe, à travers les siècles, la seule décision conciliaire le concernant étant de l’interdire. Rien n’empêche donc chaque évêque de trouver, pour son diocèse, la solution qu’il juge, avec ses fidèles, la plus adéquate. Attendre une décision générale au sein de l’ensemble des Eglises Orthodoxes, dans la situation de schisme qu’elles vivent, est irréaliste, et ne ferait qu’encourager l’immobilisme qu’elles se plaisent à pratiquer d’habitude.

 


[1] Par exemple, l’évêque serbe Iréné de Beksha, dans un article paru dans orthodoxie.com, le 20.05.2020.

[2] Apologie 65.

[3] Apologie 67

[4] Connu aussi comme ‘La doctrine des douze Apôtres’. Ecrit vers la fin du premier siècle.

[5] Didachè 9, 5.

[6] Stromates, 1, 4.

[7]

[8]  Patrologie latine 1, 669.

[9] De idolotria 7, 1.

[10]  Ibidem.

[11] De corona militis 3, 4.

[12] Tradition Apostolique 24.

[13] Tradition Apostolique 23.

[14] ibidem 32.

[15] Homélies sur les psaumes 37 II, 6. PG 12, 391.

[16] Homélie 227, 5.

[17] Voir le Corpus Canonum copte.

[18] Cité dans Histoire ecclésiastique, 6, 43, 18-19.

[19] Mentionné dans Histoire Ecclésiastique d'Eusèbe de Césarée, 7, 9, 4.

[20] Histoire Ecclésiastique, idem, 6, 44.

[21] Homélie 11, 7.

[22] De lapsis 26.

[23] Lettre 58 aux fidèles de Thibaris (en Tunisie actuelle).

[24] Tertullien, Ad uxorem 2, 5. Cyprien de Carthage, De lapsis 26 et bien d’autres.

[25] Se reférer à Ambroise de Milan, Excess fratris, 1, 43, 46 et bien d’autres.

[26] Hymnes sur la foi 10, 8 et 10, 15.

[27] Mimré 4.

[28] Ibidem.

[29]  Les Démonstrations 9, 10.

[30]  In commentaire de Juges 7, 5.

[31] Les Démonstrations 20, 8.

[32] Lettre 93.

[33] Catéchèse Baptismale 5, 21.

[34] Ibidem, 5, 22.

[35] Adv. mulieres 299. PG 37, 906.

[36] Memré 6, 14 pour la fête de tous les saints.

[37] Cité par Théodoret de Cyr, dans son Histoire de l’Eglise 5, 18.

[38] Homélie 82, 4  sur Evangile de Matthieu.

[39] Isaie 6: 6.

[40] Homélie 6, 3 vidi Dominum.

[41] Ad neophytos, 12.

[42] Homélie 9 sur la pénitence.

[43] Sozomène, Histoire ecclésiastique 8, 5, 4-6.

[44] Homélie 16, 27-29.

[45] Contra epistulam Parmeniani, 2, 7, 13.

[46] Commentaires du Cantique des Cantiques, 1, 1. PG 81, col. 27.

[47] Mentionné dans ‘Schenute Von Atripe Und Die Entstehung Des National Aegyptischen Christentums’, Johaness Leipoldt, 2012.

[48] Ecrit durant la deuxième moitié du 5ème siècle, en Syrie ou en Asie Mineure.

[49] Testament du Seigneur, Texte arabe, 23, A.T.E.N.E., 1975, pp. 136-137.

[50] Memré sur l’Eucharistie.

[51] Sermon 277, 5.

[52] [52] Sermon 44, 6.

 

[53] Canon 36.

[54]

[55] Voir l’article du Père Robert Taft sj, ‘les cuillers de communion byzantines. Une revue des faits’, Dumbarton Oaks papers, 5, 1996 , p. 209-228.

[56] Le canon 101.

[57] Cité dans ‘A Note on the Common Communion Spoon’, père Alkiviadis Calivas, Orthodox Observer News.

[58] Cité dans le Pédalion.

[59] Cité dans ‘Die Canones Jacob’s von Edessa’, C. Kayser, Leipzig, 1866, pp. 13-14.

[60] De la foi orthodoxe 4, 13. PG 94, col. 11498.

[61] Neuvième prière avant la communion

[62] Cité dans l’article précité de R. Taft, B 2.

[63] Narrations, 43.

[64] Traité sur l’offrande eucharistique 2, 28. Cité dans l’article sus-mentionné de Robert Taft, B 1, 5.

[65] Cité dans l’article de Taft, B 2, 2.

[66] Chronicon 2, 46.

[67] Article cité de R. Taft.

[68] ‘Contre les erreurs des grecs’, 32.

[69] Ibidem 33.

[70] PG 100, col. 1204.

[71] Michael the Oxite, Regestes 1022 , ed. M. I. Gedeon, Constantinople, 1911, 1.1:40.4-10:

[72]  PG 137, col. 865.

[73] Cité dans l’article de Robert Taft B 2, 7.

[74] Codex Sinai Georgian 89 pour l’onzième siècle, et Reggio Messina Euchologions pour plus tard, Taft B 3, 1 et B 3, 2.

[75] Synode de Cordoue (839), et synode de Rouen (vers 878) qui aurait promulgué les instructions suivantes au prêtre: ‘Qu'il ne dépose [la communion] ni dans la main d'un laïc, ni dans celle d'une femme, mais seulement sur les lèvres, en prononçant les paroles suivantes : Que le corps et le sang du Seigneur contribuent au pardon de tes péchés et te conduisent à la vie éternelle. Si quelqu'un enfreint cette prescription, qu'il soit exclu de l'autel, puisqu'il méprise le Tout-Puissant et refuse de l'honorer‘.

[76] Le Pédalion 410.

[77] L’expression est de Alexandre Faivre, dans. ‘Ordonner la fraternité’, Cerf, 1992, p.83.

[78]Par exemple Origène dit, abordant cette réalité, que ‘beaucoup de gens sont faibles et malades parmi les chrétiens, et que beaucoup meurent’ (Homélie sur le psaume 27 2, 6) parce qu’ils se présentent à la communion sans préparation adéquate. Il confirme cela dans un autre dire: ‘Celui qui communie au corps du Seigneur et à son calice sans préparation, s’affaiblit et tombe malade ou meurt, parce qu’il se drogue en mettant sa confiance dans la force du pain’ (Homélie sur Evangile de Matthieu PG 13 901-904).

[79] Et pourtant Cyrille de Jérusalem a dit qu’il est interdit de considérer le pain et le vin de l’Eucharistie ‘comme seulement du pain et du vin’, car ‘ils sont devenus le corps et le sang  du Christ. ‘Qui osera encore hésiter?... Et qui le mettra en doute ?’ (Homélie baptismale 22, 1). Et de poursuive: ‘Le pain et le vin te semblent en leur état purement naturel, mais ne t’y arrête pas’ (ibidem 22, 6).

[80]  Pédalion 322.

[81] Il manque à cet argument des preuves avérées, car il est difficile au fidèle contaminé par la cuiller de l’admettre aisément, parce qu’il tend à chercher d’autres causes à son mal, par peur de manquer de respect aux saints dons.

 

المشاركات الشائعة