La Croix, notre témoignage en Orient

 

Raymond Rizk - 5 mars 2009

 

1. Je me suis demandé pourquoi ce titre. Il est entendu que la Croix du Christ est au centre de notre témoignage, et nous essayerons de voir ensemble pourquoi. Mais pourquoi cette limitation à l'Orient. Est-ce que les chrétiens d'Occident ne témoignent pas aussi par elle, eux dont la spiritualité insiste davantage que nous sur les plaies et les souffrances du Christ en Croix ? Certes non. Il faut donc chercher ailleurs.


2. Je crains que ce titre, et son insistance sur l'rient, ne soient le reflet d'une peur sur le sort des chrétiens en Orient, somme toute une insistance sur le martyre souvent vécu dans notre histoire, qui n'a jamais été absent (la translation il y a quelques jours des reliques du saint martyre de Hamatoura est probante) et qui se fait de nouveau présent. Cette peur est légitime. L'histoire ne nous a certes pas gâtés. Notre région du monde s'est peu à peu déchristianisée et vidée de ses majorités chrétiennes. Aujourd'hui, l'exode des chrétiens d’Irak et les vexations subies par ceux d'Egypte, ainsi que la montée des intégrismes, nous rappellent de mauvais souvenirs et sont à prendre au sérieux. Comparé à l'expérience de l'Occident chrétien, la nôtre fut et continue d'être plus dramatique. Nous avons été appelés à porter une croix, peut-être plus qu'eux. Mais, il reste essentiel d'éviter de nous considérer comme des victimes permanentes et de nous conduire en tant que telles, surtout en claquant les portes et en émigrant. Ce ne serait pas là ni une attitude responsable et certainement pas une attitude chrétienne. Il nous faut, au contraire, nous demander pourquoi ce sort nous a échus, et surtout essayer de comprendre quelle en est notre part de responsabilité. Pour moi, elle est énorme dans le déroulement tragique de l'histoire de la chrétienté orientale. Si les chrétiens de nos pays ne s'étaient pas divisés, dès les 4ème et 5èème siècles, s'ils ne s’étaient persécutés pas les uns les autres, la conquête islamique ne se serait pas si aisément déroulée. Si la foi des chrétiens d'alors avait été plus profonde, il n'y aurait pas eu tant de défections, tant de départs. Par la suite, si des chrétiens n'avaient pas voulu faire la reconquête par le glaive et le sang (celui des autres), la Croix ne serait pas redevenue pour beaucoup de non-chrétiens un signe d'infamie. Quand je visite les villes mortes de Syrie, la Cappadoce, Istanbul et d'autres lieux, je reste sans voix devant le vide et la désolation des monuments chrétiens. Je ne peux m'empêcher de pleurer. Ce rappel historique devrait nous faire réfléchir. Dieu nous aurait-il punis donc pour nos trahisons ? C'est bien possible. Mais nous serons impardonnables si nous ne profitons pas des leçons de l'histoire et décidons de ne pas les répéter. Une des façons, et la plus probante, est de cesser de parler de notre angoisse, de notre peur, de notre croix pour mettre en avant la Croix du Christ et nous conduire selon ses critères. C'est là le témoignage de la Croix, par la Croix. Tous les chrétiens y sont appelés. Et les chrétiens orientaux en particulier.

3. Pourquoi et comment témoigner par la Croix ? Ce n'est certainement pas en faisant de la Croix un signe de rassemblement contre les autres. Ou un instrument pour défendre ce que nous considérons nos droits ou nos prérogatives. Le Christ est mort lui-même sur la Croix, pour les autres. Si la Croix que nous arborons est la sienne, pas celle de nos propres passions, elle doit être un signe pour indiquer que nous sommes prêts à agir comme Lui. Pourquoi donc les croix que nous portons autour du cou et qui devraient nous accompagner dès le Baptême ? Sont-elles seulement des objets d'ornementation, des bijoux, comme il devient de coutume ? Pourquoi les signes de croix que nous avons tendance parfois a faire machinalement, sans trop réfléchir et qui sont attestés dès le 2ème siècle (Clément d' Alexandrie (+212) les appelaient les 'Signes du Seigneur') ? Pourquoi les croix qui ornent les frontons de nos églises et qui, autrefois ornaient ceux de nos maisons, comme il est toujours possible de le constater dans d'anciennes demeures ? Pourquoi, selon Tertullien, dès le 2ème siècle, les chrétiens de son époque faisaient le signe de la Croix ' à chaque mouvement, à chaque sortie et rentrée, quand on s'habille ou qu'on met ses chaussures, quand on prend son bain, qu'on s'assoie à table, quand on allume une lampe... à l'occasion de tous les actes de la vie quotidienne ? Pourquoi donc cette insistance sur la Croix ? Pourquoi l'Eglise, au beau milieu du carême, nous demande d'honorer la Croix ?

4. Le symbole de la croix a été utilisé très tôt dans la civilisation humaine. Il prenait diverses formes et avait le plus souvent une signification religieuse. Symbole du feu sacré chez les Ariens, chez les Bouddhistes, signe de vie chez les Egyptiens, symbole du soleil chez les Gaulois, etc... Y aurait-il là une préfiguration de ce que deviendrait la Croix, avec Jésus de Nazareth ? C'est possible. Par la suite, ce symbole devint signe d'opprobre chez les Grecs et les Romains, car instrument de punition surtout des brigands et des esclaves, et par la suite chez les Juifs (qui à l'origine donnaient la mort par lapidation), car il devint un instrument de torture et de mort. Une des raisons du refus de reconnaitre le Christ en Jésus crucifié, venait, chez les Juifs, de leur conviction que le Christ ou Dieu ne pouvait être soumis à une telle abjection. Les musulmans aussi se refusent à admettre un Dieu qui meurt. Pour eux, il est impensable que Dieu puisse permettre à un saint prophète de mourir sur une croix. C'est là une différence fondamentale entre nous.Durant les premiers siècles, les païens se moquaient des chrétiens qu'ils appelaient les 'dévots de la croix' et ils ajoutaient : 'Ils vénèrent ce qu'ils méritent'. Aujourd'hui, les Témoins de Jéhovah et autres sectes considèrent cette vénération comme un acte d'idolâtrie.

5. La Croix nous distingue donc nettement de notre entourage non chrétien. Pourquoi et comment devons-nous en faire un témoignage? Tout d'abord, la Croix est l'instrument de notre salut. Sans la mort du Christ sur elle, nous n'aurions pas été sauvés. Sur la Croix, le Christ a pris sur Lui nos péchés, toutes nos peurs et nos angoisses. Lui, l'innocent, Il a accepté de souffrir, participant ainsi à nos souffrances, qui ne sont rien par rapport à ce qu'Il a assumé. Il a eu soif, comme nous. Il a été même jusqu'à douter, jusqu'à ressentir l'abandon de Dieu, comme cela nous arrive si souvent (‘Pourquoi m'as-tu abandonné ?’). Mais, justement par Sa mort, Il nous a appris que Dieu ne nous abandonne jamais, qu'en Lui, Il est avec nous au cœur de la fournaise. 1l n'y a donc plus de ' saat at takhali' (sentiment d’abandon). C'est un dogme fondamental pour le christianisme que la mort sur la Croix a apporté à l'humanité entière déchue la rédemption et la réconciliation avec Dieu. Commençons par souligner que la crucifixion du Christ sur la Croix et Sa mort rédemptrice sont un mystère insondable et inexprimable. Leur sens et leur portée ne peuvent être décrits dans le langage des hommes sans risque de les déformer ou de les réduire. Pour la raison humaine non éclairée par la grâce, la Croix du Seigneur restera toujours quelque chose d'inacceptable et d'abject, alors que pour les croyants, elle est une 'force invincible, incompréhensible et divine' (grandes complies). Comme le dit saint Paul : 'Nous, nous prêchons le Christ crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les païens, mais puissance de Dieu pour ceux qui sont appelés' (1 Cor. 23-24). Loin de toute approche juridique de réparation par le Fils pour apaiser le courroux divin suite à l'errance humaine, la perspective orthodoxe, fondée sur la Sainte Ecriture et la tradition liturgique et patristique des origines, met en avant le fait que Dieu n'a pas voulu laisser l'humanité aller à la dérive, suite à son choix d'opter pour le mal. L'œuvre de réconciliation s'est faite en Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, qui en se livrant volontairement à la mort, en a brisé, irrémédiablement la puissance, et étant mort à cause de nos péchés, nous a rachetés par Son sang. Le prophète Isaïe l'avait prédit avec force : 'Il a pris sur Lui nos infirmités et il a porté nos maladies... Il a été meurtri à cause de nos péchés, brisé à cause de nos iniquités... C'est par ses meurtrissures que nous avons la guérison... Il a été maltraité, mais il a souffert volontairement... Il a porté les péchés de beaucoup d'hommes et il a intercédé pour les pécheurs' (Is. 53 : 4-7, 12). Au début de chaque liturgie, durant la proscomidie, le prêtre dit cette prière qui résume la foi de l'Eglise dans la puissance rédemptrice et salvatrice de la Croix : 'Tu nous as rachetés de la malédiction de la Loi par Ton précieux Sang. Ayant été cloué sur la Croix et percé avec la lance, Tu as fait jaillir l'immortalité pour les hommes, ô notre Sauveur, gloire à Toi'. Ou encore, lors de la fête de l'Exaltation de la Croix, le 14 Septembre, nous chantons : 'Venez, toutes les nations, prosternons-nous devant le bois béni, par lequel la justice éternelle a été réalisée : car celui qui a captivé par l'arbre notre père Adam est captivé par l'arbre de la Croix... Par le Sang divin est lavé le venin du serpent'. Dans le mystère de la Croix, écrit le métropolite Philarète de Moscou, au XVIII siècle, s'est exprimé ''l’amour du Père, l'amour du Fils crucifié, l'amour de l'Esprit-Saint triomphant par la force de la Croix. Car c'est ainsi que Dieu a aimé le monde''. La Croix est donc manifestation de l'amour de Dieu, un symbole de Sa victoire et un appel à la joie, car elle ouvre la porte à notre salut et conduit à la Résurrection dont elle est inséparablement liée. 'Par la Croix est venue la joie pour le monde entier'.
Il faut que nous soyons conscients et joyeux de notre Rédemption et œuvrer pour la mériter. Le témoignage de la Croix sera réel quand nous serons convaincus que nous sommes des 'sauvés' et que nous agissons en conséquence. C'est de cela qu'il s'agit de vivre chaque fois que nous faisons un signe de croix, que nous accrochons une croix à notre cou, ou que nous faisons référence à la croix. Toute autre mention ou utilisation de la Croix est sacrilège. Une telle conviction changera notre comportement qui deviendra plus ouvert, moins craintif, plus confiant et plus responsable.

6. Pour contredire les allégations répandues disant que l'Eglise d'Orient ne donne pas d'importance à Jésus en Croix et ne médite pas assez Ses plaies et Ses souffrances, il suffit de se référer aux hymnes chantés le Vendredi Saint pour se convaincre du contraire. Ainsi l'hymne chanté dans le Inos des matines de ce jour : 'Chacun des membres de Ton Corps a été bafoué à cause de nous. Le front par les épines ; le visage par les crachats, etc…’.

7. Devant la Croix du Christ, et après avoir médité sur Ses souffrances, il est normal que nous pensions à nos propres souffrances et à la peur que nous cause la mort. Tout homme craint la mort car elle est contre nature parce qu'il a été créé à l'origine pour la vie. Devant la Croix, nous apprenons à apprivoiser notre mort, à la craindre moins, car elle est un moyen de nous rapprocher davantage du Seigneur. Les Pères nous convient à faire toujours mémoire de la mort, car cela nous aidera à mieux vivre, à moins nous attacher aux biens et aux plaisirs de ce monde et à accepter avec moins d'angoisse et de révolte les problèmes qui peuvent nous accabler. Par la mémoire de la mort, notre propre mort, nous commémorons aussi celle du Seigneur, et nous participerons ainsi à Ses souffrances. Notre croix nous apparaitra légère devant celle qu'Il a portée pour nous. Aux questions légitimes que nous nous posons souvent sur les raisons de la souffrance humaine et pourquoi elles sont permises, nous trouverons que la seule réponse réside en ce que Jésus a choisi de les partager avec nous et d'être constamment présent avec nous dans la fournaise. En vivant dans la conscience permanente de Sa présence, nous trouverons consolation et découvrirons devant nous grandes ouvertes les portes du Royaume. Comme l'a dit le Seigneur à saint Silouane l'Athonite, au début du XXème siècle, il s'agit de ne pas désespérer, même si notre esprit se trouve en plein enfer. Par la mémoire de la mort et le détachement auquel elle nous convie, nous ferons nôtre l'adage qui dit ‘Celui qui meurt avant sa mort, ne mourra pas quand viendra l’heure de sa mort’.

8. Sur la Croix, Jésus, par ce qu'Il a fait et ce qu’Il a dit, nous a tracé une charte de vie. Sa parole 'pardonne-leur parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font' a fait voler en éclats toutes les règles religieuses et morales avant Lui. Personne n'avait jamais prôné l'amour des ennemis. C'est là Sa marque. Ce devrait être la nôtre, si nous voulons être vraiment de Ses disciples. A ce signe, qui vient de la Croix, on reconnaitra que nous sommes chrétiens. Affirmer l'amour des ennemis, non seulement des frères et de tous ceux qui nous ressemblent, et le pratiquer, quel qu'en soit le coût, doit être une marque essentielle du témoignage que nous apprend la Croix.

9. Sur la Croix, Jésus a confirmé que le Royaume est ouvert à tous ceux qui, comme l'un des larrons, font pénitence et lui ouvrent le cœur. On assimile le mystère de la Croix par le repentir, la repentance. Ce n'est pas une coïncidence qu'il y ait eu autour de Sa croix, les deux larrons. L'autre larron blasphème. 11 est semblable à ce que souvent nous sommes, refusant la grâce et posant des conditions à Dieu, selon notre propre logique, qui est loin d'être la Sienne. 'Descends de la croix, et nous croirons'. Or, Lui est justement venu pour monter sur la Croix pour nous, parce qu'Il nous aime d'amour fou. Paul, toujours lui, fait bien de dire que la Croix est signe de folie pour les païens. Elle est dans la logique de la folie d'amour de Dieu. La Croix est aussi folie pour d'autres que les païens. Ne l'est-elle pas parfois pour nous, à chaque fois que nous voulons faire prévaloir la logique de la force et le chantage pour arriver à nos fins. Le Dieu des chrétiens accepte de mourir. Quant aux chrétiens, ils ont tendance à s'accrocher à la vie, même au prix de la vie des autres. La Croix sera témoignage si nous acceptons d'être comme le bon larron, d'être cloué à la Croix de Jésus, OU à côté d'elle, et d'œuvrer à changer de vie, à ouvrir notre cœur à Jésus et aux hommes qu'Il aime et à aimer à notre tour, à essayer de faire nôtre Son amour. Les gens du dehors seront surpris par de telles attitudes et s'ils en demandent la cause, nous serons à même de leur dire que ce n' est là qu'un pauvre reflet de ce que Jésus nous appelle à faire, par Sa Croix, dont nous avons voulu faire le centre de notre vie. Et leur dire aussi, que pour nous, Jésus crucifié est le filtre à travers lequel tout doit passer. Ce sera là, plutôt que de longs discours, une meilleure façon de témoigner.

10. Méditons aussi une autre des paroles dites par Jésus sur la Croix, adressée à Sa Mère et à Jean, Son disciple préféré, qui nous représentait tous, aux pieds de la Croix : 'Celui-ci est ton fils', ' Elle est ta mère'. Prendre Marie comme mère, c'est affirmer notre fraternité avec Jésus et les uns avec les autres. Le témoignage de la Croix est aussi témoignage que Marie, qui est grandement vénérée dans l'Islam, est la mère de tous les croyants et un pont entre nous et les musulmans, qu'il faudrait apprendre à mettre en valeur, comme facteur de rencontre et de rapprochement.

11. Le témoignage de la Croix nous impose de ne jamais oublier que la Croix est à la fois sanglante et glorieuse et que l'aube de Paques luit déjà sur la Croix. La Crucifixion de Jésus n'est qu'une étape, certes importante, du dessein salvifique de Dieu, qui commence sur terre par l'Incarnation et se poursuit par la Croix et la Résurrection, jusqu'à la Pentecôte et la venue du Saint-Esprit. Pour la théologie et la vie liturgique qui l'exprime, il est impossible de séparer en particulier l'œuvre salvifique du Christ sur la Croix de la Résurrection et aussi de l'ensemble de Son œuvre de salut. Témoigner par la Croix, c'est donc témoigner de la Résurrection. Or, 'si le Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est vaine et la foi aussi, comme l'affirme saint Paul. Nous ne devons jamais dissocier la Croix de la Résurrection. Il nous faut être convaincus que la mort est morte, qu'il n'y a plus de mort, que nous n'avons pas peur d'elle, car 'ceux qui ont peur de la mort ont peur de la vie'. Ce n'est qu'en regardant la mort en face, en lui donnant un sens, celui de notre propre résurrection et notre entrée dans le Royaume, que nous serons capables de vivre sans crainte et jusqu' au bout de nos possibilités. Chaque mort est suivie d'une nouvelle naissance. Notre voyage sur terre est une pâque incessante, une traversée de la mort vers une nouvelle vie. Chaque soir, quand nous nous endormons, nous expérimentons un avant-goût de la mort, puis nous nous réveillons le matin, comme si nous ressuscitions d'entre les morts. L'essentiel est de savoir toujours 'remettre notre âme entre les mains de Dieu'. Témoigner par la Croix, c'est donc témoigner contre la mort. Ce n'est pas toujours ce que font les chrétiens de nos pays.

12. Un tel témoignage requiert d'avoir des visages de ressuscités, et un comportement de gens qui savent que Jésus est Ressuscité, qui sont convaincus qu'il n'y a plus de mort, qu'ils sont comme des témoins oculaires de la Résurrection et qu'ils sont eux-mêmes en attente de leur propre résurrection. 1l nous faut oser témoigner et 'avoir le courage de dire, de vivre, de mourir à et de vivre la Résurrection du Christ, en sa profondeur, comme un espace de non-mort, où tout peut basculer dans la lumière', comme a écrit Olivier Clément. 1l nous faut savoir crier, avec Syméon le Nouveau Théologien, un grand mystique byzantin mort au début du 11ème siècle : 'Je sais que je ne mourrai pas, puisque je suis au-dedans de la vie et que j'ai la vie toute entière qui jaillit au-dedans de moi'. 1l nous faut imiter Séraphin de Sarov, qui accueillait tout le monde en disant : 'Ma joie, le Christ est Ressuscité'. Il nous faut savoir retrouver cette "très grande joie" dont parle l'Evangile de Luc (2 : 10 ; 24 : 52) et dans laquelle Jésus nous invite à demeurer. A !'accusation d'un Nietzsche que 'les chrétiens sont sans joie', il nous faut, par la pratique de la vie liturgique dans ses dimensions profondes, retrouver le sens de la fête, savoir vivre en permanence la joie pascale, renouvelée dans chaque liturgie, et la faire rejaillir dans notre regard, notre sourire, notre visage, pour avoir une chance de convaincre le monde que Christ est vraiment ressuscité, et que Sa Croix est un signe de victoire et d' espérance en notre propre résurrection. Cette joie, qui est plus particulièrement une caractéristique de l'Eglise d'Orient, et que nous vivons si intensément le jour de Pâques, devrait nous habiter en permanence. Elle sera alors un élément essentiel du témoignage de la Croix dans notre vie de tous les jours, en cet Orient, où Dieu a voulu nous faire naitre.

13. Enfin témoigner par la Croix, c'est laisser Celui qui y est accroché témoigner lui-même. Nous n'avons pas d'autre alternative que la recherche de la sainteté, afin que Jésus fasse Sa demeure en nous et puisse parler à travers nous. 'Ce n’est plus moi qui vit, c'est Lui qui vit en moi'. 1l nous faut incarner dans la vie de tous les jours l'esprit évangélique. C'est cela porter notre croix personnelle. C'est comme ça que nous participerons à la Croix du Christ. Pour cela, il n'y a d'autre voie que de se mettre à l'écoute de Celui qui, seul est 'le Chemin, la Vérité et la Vie'. 1l faut donc se mettre assidûment à la recherche du Christ dans tous les endroits de Sa présence: dans le tête à tête de la prière ; dans la metanoia évangélique et l'ascèse ; dans une vie sobre, ne se laissant pas attirer par les tentations de la société de consommation ; dans une participation au Christ dans l'offrande Eucharistique ; dans Sa rencontre dans la Parole des Ecritures ; dans la conscience de Sa présence dans l'assemblée des frères et dans la conviction que c'est Lui que nous côtoyons dans tout homme qu'il nous appelle à servir et libérer. Il s'agit d'établir une relation personnelle avec le Christ, j'oserai dire, une relation 'd'homme à homme'. 1l s'agit de vivre en permanence en Sa compagnie. 1l faut toujours nous demander, loin des recettes que parfois les gens d'Eglise se plaisent à distribuer, sans nécessairement les ignorer, ce que Jésus, le Christ, aurait fait dans telle ou telle autre situation, et de lui demander de nous aider à conformer notre comportement à son enseignement et à sa révolution évangélique. La vie en Christ n'est pas simplement une affaire de bonnes mœurs, de comportement adéquat. Le dialogue entre Jésus et le jeune homme riche (et chacun d'entre nous est riche d'une façon ou d'une autre) est probant : Il ne suffit pas de suivre les commandements, il faut suivre Jésus lui-même. Il faut que Lui vive en nous.1l faut accepter qu'Il nous mène là où Lui va, c'est-à-dire vers son Père, en passant par la Croix et la Résurrection. Le monde n'a pas besoin de doctrinaires lançant des anathèmes et abusant de tabous, mais d'imitateurs vivants du Christ, qui prouvent par leur mode de vie, que loin d'être absurde, 'la vie est offrande', qu'elle est 'service et partage' et qu'elle est 'un chantier du Royaume' (Costy Bendali. 1l n'y a pas de véritable christianisme sans faire prévaloir 'l'être' à 'l'avoir' et au 'paraitre', sans esprit de détachement à l'égard des biens terrestres, sans gratuité, sans joie, sans tendresse à l’égard du créé et sans partage. C'est là le vrai témoignage de la Croix. C'est là la véritable révolution du christianisme. Nous avons trop tendance à oublier que nous sommes appelés à devenir de vrais révolutionnaires, dont la seule violence, cependant, est celle qu'ils doivent se faire à eux-mêmes.

14. Par la Croix, tout redevient possible, car dans la fournaise le Seigneur est avec nous. Le monde a beau sembler avoir abandonné Dieu. Dieu lui restera fidèle, les mains tendues sur la Croix, dans l'attente de la rencontre. Notre témoignage sera efficace dans la mesure où nous serons des témoins vibrant d'amour pour Dieu et les hommes, toujours aux pieds de la Croix, toujours devant le Tombeau vide. A ceux de notre entourage, qui ne voient dans la Croix qu'un morceau de bois, apprenons-leur à adopter la prière de Saint Isaac le Syrien, adressée à Jésus, lui disant : 'Je T'ai abandonné, ne m'abandonne pas. Je me suis éloigné, sors à ma recherche'. Et, si nous prions ainsi, avec un cœur pur, nous Le verrons venir à notre rencontre, et 1l établira Sa demeure en nous.





















































































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