Crise d’unité

Raymond Rizk 


Au niveau des relations entre les membres du Peuple de Dieu afin de vivre la véritable unité de l'Esprit dans l'obéissance réciproque

Il ne sert à rien de se le cacher. Les blessures doivent être découvertes et cautérisées pour éviter les gangrènes. Notre Eglise semble être en train de vivre une crise de l'unité. Des courants se forment, les zizanies prolifèrent, des alliances se nouent et se dénouent, des démons qu'on croyaità jamais vaincus réapparaissent et sèment la discorde. Lesoppositions, les jalousies, les conflits d'influence et decompétence sont à tous les niveaux: évêques entre eux,évêques et prêtres, prêtres et moines, clercs et laïcs, laïcsentre eux. Au lieu que tout ce beau monde qui se veut"d'Eglise", sinon, pour certains, l'Eglise elle-même, nedépense toutes ses énergies pour essayer de gagner au Christ les plus de 80 % de la communauté qui ne le connaissent plus, ils s'entre-déchirent pour le "contrôle" de la minoritéqui continue de fréquenter les églises, oubliant, les uns et lesautres, ce qu'a dit le Seigneur aux Apôtres qui s’étonnaient de ne pouvoir « chasser les démons » (Matthieu 17: 19).

Je sais que beaucoup de ces "petits qui croient" sont profondément scandalisés par cet état de choses et par les calomnies et les luttes d'hégémonie qui l'accompagnent et qui laissent parfois penser que notre Eglise est en passe de perdre l'amour, donc sa raison d'exister. Saint Basile, devant une situation semblable où les chrétiens "se sont enfermés dans des églises séparées où chacun ... tient en suspicion son voisin., écrivait à ses pairs - mais ses paroles devraient s'adresser aujourd'hui à chacun d'entre nous, indifféremment clercs ou laïcs - cette phrase qui devrait nous secouer: "Il est préférable que nous disparaissions et que les églises vivent dans une mutuelle concorde plutôt que de voir nos puériles et mesquines  querelles causer un si grand mal au peuple de Dieu". Sommes-nous capables de faire nôtre son cri et de crier à notre tour au scandale. Ne faudrait-il pas penser sérieusement à organiser des jeûnes, publics ou privés et des prières continues afin que Dieu nous pardonne et nous donne la force de nous ressaisir et de revivre en Eglise?

"Les structures ecclésiales doivent être des structures de communion et de service. Elles n'ont pas pour but principal d'assumer un ordre de type juridique, ni même l'unité de type purement institutionnel, mais l'harmonie dans l'amour fraternel et par là, l'unité qui est communion en tant que don de soi réciproque, reflet du don de soi réciproque qui existe entre les personnes de la Trinité : "Qu'ils soient un comme nous sommes un" (Jean 17 : 21). Et saint Paul de dire : "Frères, vous êtes appelés à la liberté... et par l'amour à vous mettre au service les uns des autres" (Gal. 5: 13). C'est dans ce contexte qu'il nous faut veiller à rester obéissants, en donnant cependant à ce terme son véritable contenu ecclésial, car il me semble que nous vivons actuellement une crise dans notre compréhension commune de l'obéissance. "Le but de l'obéissance dans l'Eglise n'étant ni d'assurer l'ordre en détruisant l'amour fraternel ou en dépersonnalisant les "plus petits", ni d'élever celui qui commande et d'abaisser celui qui obéit, mais de faire de la vie des deux un don de soi a travers un service mutuel et libérateur dans une responsabilité commune pour l'édification de l'Eglise où rayonne la vie du Christ". Un des Pères du désert disait: "Obéissance pour obéissance, si quelqu'un obéit à Dieu, Dieu lui obéit". Dans la vie chrétienne celui à qui on doit obéissance doit toujours en donner l'exemple. Abba Pimène, répondant à un moine qui allait assumer la charge de supérieur auprès de ses frères, lui dit: "Sois pour eux un exemple et non un législateur".

Notre Eglise semble avoir peur de vivre pleinement de l'Esprit qui souffle en elle. Compris dans l'Eglise primitive comme étant la vraie vie de l'Eglise, l'Esprit y est maintenant surtout vu "comme une sanction et une garantie. Là où l'autorité a été accentuée comme principe formatif de l'Eglise, il (est) présenté comme garantie de cette autorité-là. Là où la liberté individuelle (est) accentuée contre l'autorité, il est devenu garantie d'une telle liberté. Rien d'étonnant si l'Esprit Saint, non seulement en tant que source mais vraiment comme le contenu de cette liberté qui est l'Eglise, en même temps don et accomplissement de la liberté, ou pour mieux dire comme étant la liberté elle-même, a été oublié".

Il nous faut réaliser que la prière du Seigneur: "Qu'ils soient un pour que le monde croie" concerne d'abord et avant tout les membres de l'Eglise, de notre sainte Eglise d'Antioche, dont l'unité aujourd'hui, vécue dans l'amour, l'acceptation de l'autre et l'esprit de conciliarité, est une condition sine qua non de l'impact de notre témoignage et donc du retour du monde a la foi. La conciliarité devrait être "un état d'esprit permanent" dans l'Eglise, car elle est "le reflet de la vie trinitaire en elle. Elle se manifeste d'abord dans lexpérience eucharistique et liturgique, ... Elle est expérience commune de réconciliation des hommes avec Dieu et entre eux, crucifixion de l'égoïsme (personnel et collectif) pour accueillir la vie du Ressuscité, ... Elle est fraternité vécue en Christ et pour le Christ, manifestée dans la diaconie pour les autres.... En un mot elle est 1'experience de la sainteté dans l'Eglise des pécheurs". Mais notre participation à la vie liturgique serait entachée d'hypocrisie si cette conciliaritén'est pas vécue aussi comme une pratique régulière de la responsabilité commune des membres du Peuple de Dieu, à tous les niveaux de la vie et du gouvernement de l'Eglise, et si elle ne transparait pas dans la nature et le style des relations entre eux et dans le fait que toutes leurs affaires devraient être réglées en communion, que ce soit au niveau du conseil paroissial, du conseil diocésain ou de l'assemblée antiochienne et du Saint Synode. La responsabilité de promouvoir un tel état d'esprit incombe en premier lieu au Saint Synode et à chaque évêque qui est "l'un en qui la multitude unie devient "de Dieu"", mais je pense que le MJO pourrait humblement y contribuer, du fait qu'il est une des rares plates-formes d'Eglise qui regroupe réellement, dans un compagnonnage permanent de la fraternitéet de la charité, un grand nombre des membres de ce peuple de Dieu à travers, mais dans le respect, des frontières juridictionnelles qui, souvent dans la pratique sont en train de cloisonner ce peuple qu'elles sont censées unifier.

Il s'agit de vivre tout simplement notre théologie et de cesser de vouloir faire la théologie de notre état, de nos intérêts ou de nos passions. Notre vraie théologie, exprimée dans la "loi de base" de 1973 permet d'éviter tout à la fois les tentations d'un cléricalisme autoritaire et celles d'une anarchie sécularisante soi-disant démocratique, selon laquelle tous les baptisés, même s'ils n'ont pas renouvelé et assumé les promesses de leur baptême en entrant dans le chemin sans fin de reconversion au Christ, pourraient imposer leur volonté à l'Eglise. Est-il besoin de répéter ici les paroles de Jean Chrysostome qui dit que nous devons tous avoir "soin de toute l'Eglise comme d'un corps qui nous est commun"?  Faut-il rappeler ses paroles aussi: "Toi aussi, tu as été fait roi, prêtre et  prophète dans les fonds  baptismaux"? Nous savons, et nous devons incessamment le redire, que la théologie orthodoxe du sacerdoce place la ligne de démarcation - si démarcation il y a aux yeux de Dieu - non entre clercs et laïcs, mais entre clercs et laïcs engagés dans la metanoia évangélique et qui forment le "Peuple de Dieu" d'une part, et ceux - tant clercs et laïcs - qui ne se veulent rattachés à l'Eglise que par des considérations d'ordre esthétique, socio-politique ou d'intérêt personnel ou collectif.Certes l'Eglise du Christ ouvre ses bras et son cœur à tous les baptisés (et à travers eux à tout homme qui vient dans ce monde) et elle invite tous les croyants avec la même insistance à confirmer leur appartenance au Peuple de Dieu en participantactivement à la vie liturgique et sacramentelle de l'Eglise et en essayant de se comporter selon le modèle évangélique. La voie est ainsi ouverte et la méthode définie pour tous ceux qui veulent vraiment faire partie de ce Peuple qui, chez nous, garde la foi"et peut, par conséquent prendre part aux décisions touchant la vie interne de l'Eglise.

Œuvrer pour que soit vécu l'esprit de conciliarité à tous les niveaux de la vie ecclésiale doit être une priorité. En plus de la nécessité de former, dans les plus brefs délais,les conseils et organes de conciliarité, selon l'esprit véritable de la loi de 1973 et non seulement selon la lettre, il faut amener toutes les forces de renouveau dans l'Eglise à se reconnaitre, à accepter la diversité de leurs charismes respectifs. II faudra apprendre à réfléchir ensemble, à planifier ensemble, à délimiter ensemble les contours du "projet antiochien" pour le troisième millénaire. II faut inventer les moyens pour assainir les relations. Il faut accepter de nous laver réciproquement  les pieds. Il faut  nous convaincre  de la nécessité de convier tous les croyants à venir prendre leur place et assumer leur responsabilité dans la famille, sans exclusive, mais dans l'ordre et le respect dus aux "premiers parmi les égaux", et ce à tous les niveaux de la vie de l'Eglise. Il faut que tous ceux qui se considéreraient comme des "ouvriers de la première heure", n'ayant jamais abandonné la maison paternelle, soient d'urgence convaincus d'accueillir dans la joie l'apport des "ouvriers de la onzième heure", qu'ils auraient tendance à considérer comme autant de "fils prodigues".

 L'Evêque a le devoir de déceler, d'encourager, d'aider et de concrétiser les diverses formes de ministères. Pour son travail d'évangélisation l'Eglise a besoin de l'apport de tous ses fils, sans exception aucune: hommes, femmes, jeunes et enfants; universitaires et ouvriers; indifféremment clercs et laïcs, sans oublier les moines et les moniales qui par la prière et l'ascèse participent activement au témoignage de l'Eglise .

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