Un Dimanche pas comme les autres
Raymond Rizk 2009
Un dimanche pas comme les autres, à Damas, le 18 octobre 2009. Levés avant les aurores, ayant fait 5 à 6 heures de route, venant de taus les diocèses antiochiens du Liban et de la Syrie, des milliers de fidèles, dont beaucoup de jeunes, remplissaient la cathédrale patriarcale de la Dormition (connue sous le nom de Al Mariamiya : « celle de Marie ») , à D amas, pour participer à
l'ordination épiscopale d'Ephrem (Kyriakos), fondateur et supérieur de la
fraternité monastique Saint-Michel , à Baskinta, dans le diocèse du Mont-Liban.
Une marée humaine, joyeuse, chaleureuse et fervente. La vaste cathédrale était
remplie dans ses moindres recoins.
Les quatre heures de l'office passèrent comme en un instant. Le patriarche Ignace,
entouré d'une douzaine de métropolites et d'évêques, non seulement présidait,
mais du début jusqu'a la fin, participait à la psalmodie d'une voix ayant gardé
sa vivacité et sa jeunesse, malgré son grand âge. L'assistance, généralement
silencieuse et priante, clama comme d'une seule voix retentissante les Axios
(en grec : « il est digne ») et les Moustahiq (la même chose en arabe), lors de
!'ordination. Je pense que les « voix » que Basile le Grand décrivait comme un «
tonnerre », dans ses églises, lors de l'« Amen » de l'épiclèse, au cours de la
liturgie eucharistique, devaient y ressembler.
Personnellement , souvent ému aux larmes, et ayant eu tout d'abord la naïveté
de penser que j'étais un des rares qui tentaient de cacher leur émotion, je
constatais bient6t que cette émotion et ses larmes - de joie, d'action de grâces,
mais aussi d'espérance - habitaient de bien nombreux regards autour de moi.
Toute la cérémonie et la très nombreuse assistance me remettaient en mémoire l'ambiance
que nous autres - les jeunes d'alors - avions vécue, lors de l'ordination des évêques
Ignace (Hazim), notre actuel patriarche, et Georges (Khodr) et de bien
d'autres, au tournant des années 1960-1970. Elles étaient les premières
ordinations de protagonistes du mouvement de renouveau de l'Eglise d'Antioche,
débuté une trentaine d'années auparavant. Je pense que les jeunes d'aujourd'hui
voient dans le métropolite Ephrem, ce que leurs ainés avaient espéré alors, à savoir
le signe du renouveau des structures de l'Eglise et d'une ouverture encore plus
grande à la mission. Ils y voient une relève pour continuer ce que certains de
ses ainés dans l'épiscopat avaient déjà commencé. D'ailleurs, les « témoins »
d’Ephrem, juste avant l'imposition des mains, furent le métropolite du
Mont-Liban Georges (Khodr) et le métropolite Jean (Mansour) de Lattaquie, qui
sont tous deux des symboles de la première génération de ce renouveau
antiochien. Cela ne fut pas perçu par beaucoup comme une coïncidence, mais
comme voulu par l'Esprit, dont la présence dans la cathédrale était ressentie
par tous. Continuer certes, mais aussi ouvrir les chantiers que les
circonstances n'ont pas encore permis d'entamer. Il y a urgence. Comme l'a dit
le métropolite Ephrem, dans l'allocution, prononcée lors de son intronisation,
« les temps sont mauvais » et il faut agir vite. Une autre coïncidence, considérée
comme hautement symbolique, a consisté en ce que ses « témoins », juste avant
son entree au sanctuaire pour y etre sacré, les père Isaac Barakat, supérieur
du monastère Notre-Dame de Balamand, et le père Antoine Soury, prêtre de
paroisse à Tripoli, avaient été l'un et l'autre autrefois responsables des
centres du MJO, le Mouvement de la jeunesse orthodoxe, à Damas et à Tripoli
respectivement.
Le métropolite Ephrem suscite de grandes espérances. A la fois pétri de
tradition et rénovateur. L'eglise, dont il a été le bâtisseur au monastère
Saint-Michel, allie avec audace et succès l'ancien édifice ogival à une
architecture des plus modernes.
Ascete et ouvert au monde. II a toujours recherché la perfection en tout ce
qu'il entreprend. A l'écoute des interpellations des jeunes, se tenant au
courant des défis du monde contemporain, souffrant des problèmes qui ternissent
le témoignage de l'Eglise, il les porte tous, le cceur et l'esprit aimants,
dans sa prière et appelle à trouver des solutions qui englobent, loin de tout
cléricalisme, l'ensemble du peuple de Dieu, des solutions respectueuses de
l'autre et aimantes. Son souci majeur est que son faire soit en tout conforme à
son dire et au dire de l'Eglise. Cette attitude, alliee à une humilité extrême
et à une disponibilite totale à les écouter, plut6t que de leur assener des sermons
et des discours, lui a gagné le cœur des jeunes et des moins jeunes. Nombreux
sont ses disciples, et partout dans les diocèses de l'Eglise d'Antioche (et
bien au-delà, au Canada, en France aux Etats-Unis et ailleurs), qu'il visite régulièrement.
Je l'ai connu, il y a bien longtemps, au début des années 1960, quand, étudiant
à l 'Ecole d'ingénieurs de Beyrouth, il militait au sein des équipes
d'universitaires du MJO (par la suite, en 1970, il devint chef du Centre MJO de
Beyrouth). Une fois dipl6mé, il se spécialisa à l'étranger (Supelec, à Paris)
et rentré au pays, travailla en tant qu'ingénieur et en tant que directeur
d'une école technique, et enseigna à l'Université Saint-Joseph. Peu après, en
1972, il décida de tout quitter pour étudier la théologie à Balamand, notre
université orthodoxe. Il dut compléter ses études en Grèce, à Thessalonique, à
cause de la guerre libanaise. Appelé au pays.et sacré diacre en 1974 et prêtre
en 1978, il prit prendre la direction de l’institut de théologie de Balamand de sa réouverture
en 1977 et le demeura jusqu’en 1983, date à laquelle i1 quitta de nouveau le
Liban pour Chypre et puis le Mont Athos, où il passa plusieurs années à l’approche
de grands spirituels (il a connu l'Ancien Paissions et bien d'autres), devenant
moine par la totale obéissance et l'expérience vécue, devenant disciple de l'Ancien
Parthenios, le supérieur du monastère Saint-Paul, qui a participé grandement au
renouveau du monachisme cénobitique traditionnel au Mont Athos. II y reçoit le
grand habit monastique, et retourne au Liban fonder sa propre communauté
monastique.
Le métropolite Ephrem ne voulait certes pas l'épiscopat. Contrairement à
beaucoup d'autres, ii ne l'avait jamais désiré. Il n'a pas hésité pourtant, se
remettant entre les mains du Seigneur et considérant l'appel du Saint-Synode
comme venant de Dieu, au service duquel et de son Eglise, il a consacré toute
sa vie. A ceux qui espéraient son refus, pour de soi-disant bonnes et moins bonnes
raisons, ii rappelait avec douceur qu'il est « le fils de l'obéissance». Que
Dieu suscite davantage de moines qui ne se prennent pas au sérieux et qui, hors
du monde en portent les soucis, pour faire connaitre aux hommes, sans exclusive
et loin des tabous, qu'ils sont aimés à « la folie » par Celui qui
s'est donné pour les sauver, et à l'image duquel des moines, tels le métropolite
Ephrem, veulent conformer leur vie. Axios!